
C’est un morceau de désert un peu perdu et un peu triste, avec quelques vieux entrepôts vaguement déglingués. Le panneau indique “Mariposa road”, la “route du papillon”, mais on comprend vite que l’on n’en trouvera pas ici. Que personne, d’ailleurs, n’en a probablement jamais vu se poser sur ce décor hostile et ingrat, qui crève, même en ce début d’automne, sous les 40 degrés. Après 800 mètres, l’asphalte cède la place à des cailloux pleins de poussière, où quelques camions se font bruyamment balloter.
Là, se dressent une grille en métal, puis des barbelés, qui encerclent un gros bloc en pierre gris foncé, estampillé en énormes lettres blanches: “Border Patrol”. C’est ici, à cinq kilomètres de la frontière mexicaine, loin des regards et de la civilisation, que la “patrol”, la police des frontières américaine, a installé son QG: des bureaux et, surtout, un centre de détention provisoire destiné aux migrants arrêtés après être entrés illégalement sur le territoire. Pour mieux le faire oublier?
La station de Nogales est la deuxième plus grosse des États-Unis, et la principale de l’Arizona. Pour les associations de défense des immigrés et les ONG, elle est aussi, comme les sept autres que compte l’État, une zone de non-droit, un trou noir. Impossible, en effet, de franchir la clôture. “Même pour les avocats, c’est très compliqué d’y pénétrer, témoigne Dan Pochoda, avocat à l’ACLU, une association de défense des droits civiques. Et pendant des années, il a été très compliqué de savoir ce qui s’y passait avec certitude.” Zéro image, peu de données vérifiables. Rien ne filtrait, à part les récits effarés qu’en faisaient les migrants qui y étaient passés. Jusqu’à cet été, quand est tombée une décision judiciaire qui fait dire à Pochoda, avec gravité: “Parfois, la réalité dépasse ce à quoi vous vous attendiez.”