
Depuis cette étendue d’herbe, on voit la mer de Marmara et, au loin, les terres turques côté asiatique. Mais Mahdi ne contemple pas le pays qu’il vient de rejoindre. Il scrute plutôt la foule de réfugiés afghans qui se donnent souvent rendez-vous au Kazliçeşme Beach Park, dans le quartier de Zeytinburnu, l’un des 39 districts d’Istanbul. Au même moment, ce jour d’août, en Afghanistan, les talibans s’emparent de la ville de Kunduz, dans le nord du pays, et encerclent Kandahar et Hérat. Trois jours plus tard, ils pénétreront dans Ghazni. La ville de Mahdi, là où il a laissé ses parents et cinq frères et sœurs, et là où il a rencontré son ami Aman. Dans la foule, il l’aperçoit enfin: son visage enfantin, son sourire timide. Mahdi fait de grands gestes avec les bras. Cela ne fait que cinq jours qu’ils se sont perdus à la frontière turco-iranienne, mais ces deux-là savent qu’ils auraient pu ne jamais se retrouver, comme cela arrive à tant de réfugiés, séparés dans la nuit et les bruits des tirs. Il aura fallu quatorze jours à Mahdi pour faire le voyage de l’Iran à Istanbul, et 19 jours à Aman. Enfin, les voilà tous les deux en Turquie. C’est une petite victoire, dans une immensité de défaites.