
Les bruits d’une prison sont désagréables et anxiogènes pour la plupart des gens, mais pour Konstantin Nikiforov, ils composent une mélodie plaisante. Le claquement des portes métalliques, le crépitement des talkies-walkies, le cliquetis des clés, les cris des détenus, leurs demandes, leurs insultes et, plus rarement, leurs rires, forment une symphonie que ce gardien de 39 ans a fini par apprécier. Il y a 20 ans, il a été embauché à la prison de Tartu, ville dans l’est de l’Estonie, affecté au bâtiment E, celui des mineurs. L’aile la plus bruyante, la plus mouvementée aussi. Un détenu l’a déjà mordu à l’avant-bras, un autre l’a menacé avec une lame de rasoir. Et pourtant, “quand il y a du bruit, ça veut dire que ça va”, professe-t-il en replaçant sa cravate sur sa chemise d’uniforme. Depuis l’été dernier, le tapage a cessé. Le bâtiment E est devenu silencieux. Pour cause, il est désert. Ses 600 cellules n’ont plus personne à enfermer, de colère à étouffer ni de tristesse à cacher. Alors, Konstantin Nikiforov a été affecté au bâtiment voisin, le S, où sont toujours incarcérés 300 détenus. De temps en temps, il retourne dans l’aile délaissée pour patrouiller dans un dédale vide. Surveillant le néant, il marche d’un pas lent dans des coursives vides, jette un coup d’œil aux ventilations et inspecte les cellules inoccupées. Il ne trouve pas ce silence reposant pour un sou. “Je pense plutôt que c’est effrayant.”