
Des dizaines de matelas multicolores sont installés sur le carrelage, presque collés les uns aux autres. Des coussins et des couettes ont été étalés ici et là, à côté de bouteilles d’eau, de seaux en plastique pour enfant et de rouleaux de Sopalin. Il est environ 20h30 lorsque la cloche résonne dans cette maison de trois étages cachée au fond d’une petite allée en terre de la banlieue de Berlin. C’est l’heure de lancer la cérémonie. Officiante ce soir, une jeune Italienne -qui s’exprime en espagnol, ensuite traduite en anglais et en allemand- distribue des gouttes d’un mystérieux produit à laisser fondre sur la langue. Puis lance: “Êtes-vous là pour avoir des réponses ou pour vous ouvrir au mystère?” La question est rhétorique. La petite dizaine de participants du jour, des hommes et des femmes entre 20 et 60 ans venus d’Allemagne, d’Argentine, d’Espagne, d’Italie ou des États-Unis, emmitouflés dans des gros pulls et assis sur les matelas du salon, ne sont pas censés y répondre mais y réfléchir en leur for intérieur. Tour à tour, ils doivent cependant prendre la parole et raconter comment ils se sentent: mieux, moins bien, différents d’hier? La discussion durera des heures. Jusqu’à ce que le cœur de la nuit arrive enfin, et avec lui ce pour quoi ils ont chacun payé 240 euros par jour, ou 1 710 euros pour les onze nuits de cette retraite berlinoise: l’ayuahuasca. Chacun son tour, sur un fond de musique douce, ils vont se lever et venir ingurgiter une substance marronnasse que tous s’accordent à trouver ignoble. Mais il faut avaler.