
Ils sont endimanchés comme s’ils avaient rendez-vous dans un étoilé. Aditya et son collègue ont gardé chemise blanche et chaussures cirées en sortant du boulot. Devant le plat fumant, les deux avocats relèvent leur manche droite, déchirent délicatement un morceau de naan inondé de beurre, puis le trempent dans une épaisse sauce orangée dans laquelle baignent de gros morceaux de poulet. “On est un peu des spécialistes, on en mange tout le temps”, dit sérieusement Aditya. C’est un lundi soir d’été comme un autre à Delhi, âpre et fiévreux, mais les deux compères ont décidé de s’attaquer à un Everest: le butter chicken servi au Moti Mahal (littéralement, “Palais des perles”). C’est ici que la recette a été popularisée, il y a près de 80 ans. Le lieu est resté dans son jus, avec ses murs rose pâle et un damier déglingué au plafond. Des fleurs artificielles et deux télés qui diffusent du cricket finissent de déprimer la salle. Drôle d’ambiance, mais pas de quoi décourager les clients. “En réalité, on est venus ici parce qu’on a entendu parler de l’affaire”, glisse Aditya. L’affaire, c’est une bataille judiciaire qui secoue le petit monde de la cuisine indienne depuis plusieurs mois, avec une plainte et des audiences à rallonge pour déterminer qui a inventé le butter chicken.