
Binar Bashiti est assise sur le canapé du salon. Aux murs, des lettres dorées formant les mots “Happy Birthday” zigzaguent entre les photos de ses trois fils et de sa fille. La veille, c’était son 47e anniversaire. Mais les souvenirs de la fête lui paraissent déjà flous. Le regard baissé, ses mains s’agitent machinalement: elle tricote, comme elle a tricoté tant de fois auparavant, un petit porte-clés. Les fils vert, rouge, noir et blanc forment peu à peu les contours de son pays, la Palestine. Elle en a distribué des dizaines à tous ceux qui sont venus fêter la libération d’Hisham, son fils aîné, en septembre dernier. Le cadeau était accompagné d’une petite cuillère, devenue un symbole de résistance après que six prisonniers palestiniens se sont échappés en septembre 2021 de la prison de Gilboa en creusant un tunnel à l’aide de petites cuillères. Aujourd’hui, des mois plus tard, Binar continue de tricoter pour s’occuper l’esprit et les mains, mais cela ne suffit pas pour éviter de penser sans relâche à la visite des soldats israéliens qui entrent sans frapper dans son salon, tous les jours, et quand ce n’est pas tous les jours, toutes les semaines. Ni à son fils Abdul-Rahman, allongé dans la pièce d’à côté, assigné à résidence pour encore une semaine. Elle n’a pas besoin de se pencher en avant pour savoir qu’il regarde le plafond l’air perdu, mais elle le fait quand même: elle se penche et l’aperçoit, les pieds dans le vide, les mains derrière la nuque. Et au-dessus de sa silhouette, cette vue. L’esplanade des Mosquées, juste là, sous la fenêtre des chambres de la famille Bashiti, le dôme du Rocher et sa coupole étincelante. Et à gauche, la mosquée al-Aqsa, troisième lieu le plus saint de l’Islam. Chaque année pendant le ramadan, environ 250 000 musulmans font le pèlerinage pour venir prier ici. Pour les Bashiti, c’est aussi un peu leur jardin, et la raison de tous leurs soucis.