
Depuis combien de temps ce geste sommeillait-il en lui? L’homme qui a récemment dit que “l’ennemi numéro un du peuple d’Israël, ce ne sont pas les islamistes radicaux” mais “les juifs américains qui ne soutiennent pas Israël et MAGA”, qui s’est déclaré amateur du penseur fasciste Julius Evola ou dont l’ex-femme a un jour expliqué que “son problème avec [l’école de leurs enfants], c’était qu’il y avait trop de juifs”, vient de faire son tout premier salut nazi en public. Cela s’est passé le 20 février dernier, aux alentours de 18h, heure de Washington, soit un mois pile après le retour de Donald Trump au pouvoir. Steve Bannon, 71 ans, agitateur politique, podcasteur et architecte de la victoire du même Trump en 2016, venait de déclamer l’un des discours les plus offensifs d’une carrière pourtant peu avare en excès. Il faut dire qu’il était en terrain conquis: devant un parterre de quelques milliers d’âmes réunies là pour la Conservative Political Action Conference (CPAC), l’événement annuel le plus couru de la droite états‑unienne. À la foule, il a promis des “jours de tonnerre” et “des années d’éclairs”, où “chaque jour sera comme Noël”. Il l’a galvanisée: “Regroupez-vous, dépoussiérez-vous, réparez les baïonnettes, nous chargeons à nouveau!” Puis: “Chaque jour, vous répondrez à l’appel et vous agirez. L’avenir de l’Amérique, c’est MAGA. Et l’avenir de MAGA, c’est Donald Trump!” Pendant que la foule chantait “We want Trump” à l’unisson, Bannon a levé un premier tabou: “Nous voulons Trump encore en 2028!” Et puis, tout au bout de son intervention, après avoir enjoint la salle bouillante à “ne pas battre en retraite, ne pas se rendre, ne pas abandonner! Fight! Fight! Fight!”, Bannon s’est donc attaqué à un deuxième tabou. Il a tendu son bras droit à un angle de 45 degrés, la main rigide, pendant une demi-seconde. Incliné la tête avec le sourire serein du type qui a quatre as en main, puis lancé un “amen”. Moment d’hésitation dans la salle. Nouvelle salve d’applaudissements.
Le lendemain, un certain Eduardo Verástegui fera le second salut nazi de la CPAC. Cet ancien membre d’un boys band, acteur de seconde zone et allié numéro un de Trump au Mexique posera d’abord la main sur son cœur en référence au salut nazi d’Elon Musk le 20 janvier dernier à la cérémonie d’investiture de Trump, avant de prononcer la même phrase (“Je suis de tout cœur avec vous”) et de tendre le bras vers le ciel comme dans les années 1930, puis de terminer en singeant la harangue de Bannon: “Fight! Fight! Fight!” Après trois saluts nazis en un mois de mandature, aucune voix ne s’est élevée chez les républicains, l’ancien parti de Lincoln et Eisenhower, sinon pour minimiser ou évoquer une “provocation”. Et puisqu’il semble que l’histoire nous somme de réexpliquer la signification d’un salut nazi, l’auteur américain John Ganz, spécialiste du populisme, a peut‑être trouvé la meilleure formule: “Il ne peut y avoir d’ambiguïté, d’ironie ou d’équivoque au sujet d’un salut nazi, écrit-il sur son blog, Unpopular Front. Il n’existe pas de ‘nazisme ironique’, car le nazisme se construit sur la mauvaise foi, le sarcasme et le mensonge. [Ce geste] a une signification simple: il exprime la soif de meurtre de masse. C’est une affirmation passionnée et ouverte de la haine et de la soif de sang.” Ainsi, Musk –qui tweetait en novembre 2023 que les juifs encouragent la “haine contre les blancs” et soutiennent l’immigration de “hordes de minorités”– et Bannon seraient peut-être, tout simplement, en train de montrer leur vrai visage. Cela ne serait pas étonnant: au fond, la purge a déjà commencé.