
Faute de panneaux, il faut se concentrer pour ne pas manquer ce satané embranchement qui mène à La Churascaia. Maints novices -et même quelques habitués- ont souvent été obligés de faire demi-tour le long de la départementale 58 qui tire des droites à travers les vignes entre Aigues-Mortes et Saintes-Maries-de-la-Mer. Après quelques ratés voici enfin le chemin qui mène à la boîte de nuit, rythmé par des dos-d’âne vérolés dont l’état témoigne du peu d’entretien qu’ils ont reçu ces dernières années. Et puis, quelques centaines de mètres plus loin, “La Chu” apparaît. Si un(e) chef(fe) décorateur(rice) de cinéma avait imaginé une boîte de nuit perdue au fin fond de la Camargue, il/elle n’aurait sûrement pas vu autre chose. Le ciel: une voûte de pins parasols. Le sol: un tapis d’aiguilles. La bande-son: le chant puissant des cigales. Et, histoire de rester dans les clichés, beaucoup de moustiques. Il est minuit ce dimanche de fin juillet et les premiers groupes de clients se pressent devant la boîte, installée dans la commune de Vauvert. Des grappes de jeunes, des filles en robe noire, des garçons en chemise blanche, nappés de parfum. On est un peu fébrile dans la file -pas à cause de la peur de ne pas entrer, plutôt par crainte de ne pas être à la hauteur de la soirée. Dans une voiture, un couple de sexagénaires attend l’ouverture. Lui fume une cigarette à la fenêtre, elle se remaquille dans le rétro. Ils ont à peu près l’âge de La Chu puisque, comme il est fièrement écrit sur la façade, on s’y amuse depuis 1965. Cela en fait le plus ancien night-club encore en activité de France. Mais il n’est pas seulement question de longévité avec La Churascaia: c’est surtout un lieu mythique où, depuis des décennies, se sont réunis autour de la piste de danse jeunes et vieux, riches et pauvres, travestis et gardians (les gardiens de troupeaux de taureaux ou de chevaux en Camargue), vedettes du show-business et ouvriers agricoles, dans une ambiance hédoniste et bienveillante.