Reportage

Pour une poignée de centimètres

La dernière-née des opérations de chirurgie esthétique grand public consiste à se faire casser le fémur ou le tibia et à passer trois mois à s'écarter l'os dans l'espoir d'allonger ses jambes pour gagner jusqu'à 17 centimètres. Cela se passe souvent en Turquie, nouvel eldorado de ceux qui sont prêts à tout pour grandir. Y compris à risquer leur santé.
  • Par Thomas Guichard, à Istanbul / Photos: Bradley Secker
  • 12 min.
  • Reportage
L'image montre des os artificiels et un dispositif médical orthopédique utilisé pour le traitement des fractures osseuses.
Photos : Bradley Secker

Arnold Schwarzenegger tire la tronche. La vedette américaine, tatouée en couleurs sur la cuisse de Steven*, 37 ans, est déformée par une vis de serrage enfoncée en plein dans son œil. Toutes les six heures, Steven, originaire de Milan, fait tourner le dispositif avec une clé Allen et tord un peu plus le visage de son “Schwarzy”. En cette mi-mars, il sort tout juste d’une opération d’allongement des jambes dans la banlieue d’Istanbul, en Turquie, et inflige à ses fémurs ce rituel dans l’espoir de gagner un millimètre par jour. “Ça écarte littéralement les deux parties de l’os. Sur le moment, ça va, ça fait juste un bruit métallique, la douleur arrive après.” Il n’a pas dormi les premières nuits. Mais dans trois mois, Steven mesurera neuf centimètres de plus.

Il faudra peut-être dire “bye bye Schwarzy”, car l’intervention laissera des cicatrices. Pas grave, Steven a d’autres tatouages, de la hanche au mollet: une cafetière italienne sur un lotus, d’autres fleurs, et même un poulet sans tête, en hommage à “Miracle Mike”, ce célèbre coq qui aurait survécu à une décapitation pendant 18 mois en 1945. “Si un poulet a réussi à devenir une rock star, moi aussi, je peux le faire”, se répète l’Italien depuis sa chambre du lugubre hôtel Blue Vista, situé au bord d’une rocade d’Esenyurt. La seule chose qui l’en empêche, Steven en est convaincu, ce sont justement ces jambes qui ont arrêté de grandir trop tôt. Bientôt la quarantaine et il plafonne à 1,68 mètre depuis la puberté. Ses collègues, dans le salon de Belfast, en Irlande du Nord, où il est barbier, n’arrêtent pas de le chambrer. “On ne se rend pas compte de ce que ça change dans le regard des gens.” L’année dernière, à deux reprises, Steven s’est fait rouer de coups, “une fois dans la rue, l’autre dans des toilettes publiques”. Il en est persuadé: “Jamais ce ne serait arrivé si j’avais été plus impressionnant.” Il annonce alors à sa copine -devenue depuis son épouse- que l’argent qu’ils mettaient jusqu’ici de côté tous les deux pour s’acheter une maison servira finalement à payer son opération, qui a un sacré coût: 35 000 euros, journée de visite du centre historique d’Istanbul comprise. “Je suis fauché maintenant, toutes mes économies y sont passées.” Sa moustache ne cache pas ses dents, qu’il tient serrées par la douleur. Avec cette méthode, on peut gagner jusqu’à 17 centimètres. Pour “Steven 2.0”, comme l’appelle sa femme, qui l’a suivi jusqu’en Turquie, neuf suffiront. “Les médecins m ont dit que c’était risqué de faire plus, au regard de mon anatomie.”

Society #252

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