
Steve Bannon a ses habitudes en Italie. Lorsqu’il s’attable à Rome, il commande invariablement trois expressos d’un coup. “Avec un verre d’eau chaude, s’il vous plaît, demande-t-il aussi. Je me ferai moi-même un café à l’américaine.” Un “americano”, en VO. En cette fin de printemps, l’ancien directeur de campagne de Donald Trump, devenu son éphémère “conseiller stratégique” à la Maison-Blanche après l’élection, a investi une terrasse haut perchée sur le toit du luxueux hôtel Raphaël, à deux pas de la Piazza Navona. Vue panoramique imprenable sur Rome, mais aussi sur la situation politique locale, sorte de rêve mouillé pour le populiste Bannon. En Italie, ces derniers mois, les partis de centre droit et de centre gauche se sont effondrés, et deux mouvements antisystème ont signé un accord de gouvernement autour de trois crises latentes: immigration, emploi et gouvernance européenne. Soit des thèmes similaires à ceux qui ont envoyé son ancien poulain, Donald Trump, à Washington. Ce 1er juin, alors que le gouvernement de Giuseppe Conte vient d’entrer en fonction, l’agenda de l’Américain est rempli de réunions. Au programme, notamment, une rencontre avec Matteo Salvini, nouveau ministre de l’Intérieur et leader de la Lega (la Ligue), parti d’extrême droite. “Je connais très bien les gens de la Lega, se vante Bannon, chemise rayée noir et blanc curieusement boutonnée sur un polo orange. Et je leur ai dit que s’ils arrivaient à s’allier avec une autre force populiste, comme le Mouvement 5 étoiles, ça pourrait servir à unifier le mouvement populiste dans le reste du monde.”
Je peux lever de l’argent auprès de n’importe qui! Et vous savez pourquoi? C’est parce que je leur en donne pour leur argent
Steve Bannon
C’est peu dire que l’ancien banquier d’affaires, producteur de cinéma et patron de presse, jubile. Plus tôt dans la journée, il voyait Sven von Storch, l’un des pontes du parti d’extrême droite allemand Alternative fur Deutschland (AfD). Le lendemain, il échangera avec Louis Aliot et Jérôme Rivière, récents auteurs d’un ravalement de façade au Front national, rebaptisé dans le week-end Rassemblement national. Quelques jours plus tôt, Bannon rencontrait aussi, à Budapest, le Premier ministre hongrois, Viktor Orban, et entrait sur scène au son de Eye of the Tiger pour délivrer un discours à l’invitation d’un député de l’Union démocratique du centre, parti suisse portant très mal son nom. Autant de lignes sur son agenda qui renvoient inlassablement aux mêmes questions: à quoi joue cet Américain sur le sol européen? Quels sont ses projets? Après avoir brièvement évoqué son idée “d’incarner l’infrastructure d’un mouvement populiste international” dans le New York Times en mars, Steve Bannon a reçu Society sur sa terrasse romaine pour approfondir pour la première fois sa stratégie européenne. Et annoncer la couleur: il s’agit pour lui de multiplier les fronts afin de mener une “guerre culturelle” à même de déstabiliser l’ordre libéral européen. Une guerre dont il serait le général en chef, bien sûr. En clair, son message est le suivant: tout ce qui se passe de pire dans ce monde pour les “gauchistes”, c’est à lui qu’on le doit, et ce n’est qu’un début.