Décédé le 10 mai 2021 à 79 ans, Michel Fourniret a laissé derrière lui une quantité de secrets difficile à estimer et un nombre incalculable de vies anéanties. Policiers, magistrats, avocats, experts: ceux qui ont croisé la route du tueur en série au fil des enquêtes et procès permettent de jeter un peu de lumière sur la noirceur de son âme. Et tentent eux-mêmes de ne pas se laisser happer par les ténèbres.
Par Hélène Coutard et Lucas Duvernet-Coppola, à Charleville-Mézières et Reims
Trois hommes dans une voiture: deux flics et Michel Fourniret. Daniel Bourgard, commandant à la SRPJ de Reims, et Yannick Jacquemin, son bras droit, connaissent déjà le tueur. Ils l’ont interrogé plusieurs fois en Belgique, où il a été arrêté en 2003 et où il a avoué une partie de ses crimes. Extradé vers la France en janvier 2006, il est depuis incarcéré à la prison de Châlons-en-Champagne, dans l’attente de son procès. À 9h, les policiers l’ont extrait de sa cellule. Ils veulent le cuisiner sur l’enlèvement et le meurtre de deux jeunes filles dans l’Yonne, à propos desquels il n’a encore rien lâché. La partie s’annonce compliquée: ils ne disposent d’aucun élément matériel et devront être de retour à la prison pour 17h. “On n’avait pas le choix, rejoue Jacquemin aujourd’hui. On était obligés de lui faire une danse du ventre pour l’amener à se dévoiler. Donc on est venus le voir en ‘amis’. Il était content qu’on le sorte de prison.”
MaxPPPLa voiture des enquêteurs file vers Reims, discrètement suivie par un véhicule banalisé. Dans l’habitacle, la confrontation a déjà commencé. “Alors, Michel, qu’est-ce que vous lisez en ce moment?” entame Jacquemin, au fait des prétentions littéraires du criminel. “Je mène la vie monacale que j’ai toujours rêvé de mener”, répond l’intéressé, enchanté de l’entrée en matière. Assis sur la banquette arrière, Fourniret est à l’aise: la route lui rappelle l’époque où il prenait l’autoroute sans payer. “Pour nous expliquer pourquoi il resquillait les péages, il a dit: ‘J’étais dans un état d’impécuniosité.’ Son esprit était très tortueux”, se souvient Jacquemin. Les enquêteurs lui donnent des nouvelles de sa première femme, inventent quand ils ne savent pas, tâchent de rester plausibles. Jacquemin: “Avec un type comme ça, si on bluffe et qu’on se rate, on est caramélisés.” Ils lui parlent bricolage, maçonnerie, dalle en béton: “J’adore ça, je m’y connais vraiment, et Fourniret aussi”, raconte Bourgard, aujourd’hui retraité. Son bras droit enchaîne. En 2004, Jean-Pierre Raffarin, alors Premier ministre et souhaitant valoriser l’enseignement professionnel, avait justement évoqué “l’intelligence de la main”. Jacquemin reprend la formule à son compte. “Fourniret a cru que c’était de moi, rigole-t-il. Il a adoré.”