
L’homme ouvre un œil, rejette l’appel et se rendort. Quelques minutes plus tard, nouveau coup de fil. Même réaction. Le soleil se lève à peine sur Lantau, une des 262 îles que compte Hong Kong, quand le téléphone de Robert Tibbo s’excite sur la table de chevet. Finalement, il faudra attendre la troisième tentative pour que, face à ce numéro inconnu qui s’entête à le réveiller de si bonne heure, Tibbo plisse les yeux et décroche. Quelques minutes plus tard à peine, l’avocat de 49 ans se précipite hors du lit et bondit dans sa vieille Mazda. Robert Tibbo est canadien, mais c’est à Hong Kong, où il est installé depuis quinze ans, qu’il a construit sa carrière et sa réputation. Il y est, tout simplement, considéré comme le meilleur avocat en place pour les questions de demande d’asile.
Habitué aux dossiers sensibles, Tibbo reçoit régulièrement des appels déchirants de clients en instance d’expulsion. Mais aujourd’hui, en ce jour de printemps 2013, l’homme avec qui il a rendez-vous se nomme Glenn Greenwald, journaliste pour le quotidien britannique The Guardian. C’est lui qu’Edward Snowden a contacté pour livrer des milliers de mégaoctets de données confidentielles sur l’espionnage des États-Unis. Les révélations viennent d’être publiées et le monde entier a découvert Edward Snowden, dont le nom et le visage barrent la une de tous les journaux de la planète. Les autorités américaines sont entrées dans une rage folle, émettant un mandat d’arrêt contre lui. Mais l’homme reste introuvable, reclus on ne sait où à Hong Kong. Des dizaines de journalistes partent à sa recherche, reniflent chaque recoin de la ville. Glenn Greenwald, lui, sait où se trouve Snowden. Il veut le protéger et lui cherche un avocat. C’est pour cela qu’il a tenté avec tant d’insistance de joindre Robert Tibbo. Mis au courant, le Canadien accepte immédiatement le job. La mission est aussi urgente que délicate: si Snowden, qui est alors retranché dans une chambre d’hôtel, met un pied dehors, il risque d’être arrêté, expulsé aux États-Unis, jugé et lourdement condamné. De telle sorte que la première chose à faire est de le mettre à l’abri. Mais où?