
C’était il y a quatre ans, mais il n’a rien oublié. “Tout était détruit. Il y avait des morceaux de tentes, de voitures, des restes de maisons. Dans certaines d’entre elles, on a trouvé des montagnes d’explosifs, des armes.” Accroupi sur un rocher au bord de l’Euphrate, à Raqqa, Kuvan* s’arrête quelques instants. Le jeune Kurde syrien, âgé d’une trentaine d’années, se souvient surtout des corps: “Il y en avait énormément, ils étaient en putréfaction, dit-il. L’odeur était insoutenable. On pouvait reconnaître les restes des soldats de Daech. Ils avaient des uniformes, des armes, mais personne n’avait pensé à les enterrer.” Le 25 mai 2020, un an après la défaite de l’État islamique, Kuvan est l’un des tout premiers démineurs à entrer à Baghouz, village d’un kilomètre carré où s’étaient regroupés des dizaines de milliers de combattants de l’EI chassés des territoires récupérés par les Forces démocratiques syriennes (FDS), l’alliance kurdo-arabe soutenue par la coalition internationale. “Le fameux dernier camp de l’État islamique”, résume-t-il . De ses doigts fins habitués à désamorcer les grenades, Kuvan caresse le fleuve, le regard perdu dans ses propres souvenirs. Une mélodie métallique échappée d’un vieux transistor posé sur le rebord d’une barque se mêle à la rumeur du vent. D’autres images lui reviennent: des scènes absurdes d’hommes essayant d’enfoncer leur pelle rouillée dans la terre sèche, keffieh sur le visage, sous un soleil écrasant. “Ils étaient beaucoup à fouiller, comme ça, lorsque nous sommes arrivés”, dit-il. Que cherchaient-ils, ces hommes courbés, dans ces paysages de mort et de désolation? Leurs proches disparus? Leur maison? “Non, coupe Kuvan, troublé. Ils creusaient pour trouver le trésor de Daech.”