
Un homme longiligne est attablé dans l’immense salle vide d’un restaurant d’hôtel de Luxembourg, sans doute l’endroit le plus impersonnel du monde. Le visage émacié et légèrement barbu, il a sombre mine. Son quotidien s’apparente à celui d’un représentant de commerce sans rendez-vous ou d’un voyageur sans destination. Une vie d’hôtel infinie, avec comme seules distractions le téléphone ou des séries interchangeables. Il a l’impression de pourrir sur place. “Hier, c’était presque une journée de perdue. On ne fait rien. Quand je m’ennuie, je ne me sens pas bien”, rumine-t-il à haute voix. L’homme seul s’appelle Thibaut Pinot. Il est champion cycliste. Mais il pourrait tout aussi bien être un écrivain travaillant sur son dernier chapitre. Le samedi 7 octobre, à 33 ans, l’âge du Christ, il courra la dernière course d’une dernière année qu’il a pensée comme le romancier de sa propre histoire: le Tour d’Italie pour commencer et sans discussion, l’adieu au Tour de France, et à la fin, en apothéose, le Tour de Lombardie, son monument, sa course préférée. Une histoire de désillusion et une histoire de panache, une revanche et un feu d’artifice: une définition de lui-même.