
On dit parfois qu’une église ressemble à ses fidèles. Dans le village d’Arbo, la bâtisse en pierre, rebâtie il y a peu, est vide, fermée à double tour et battue par les vents. Tout autour, les herbes vertes sont balayées par un tourbillon qui rend sourd. Elles se décomposeront avant l’été, brûlées par le soleil du sud-est de la Turquie, et le souffle retombera. Le village, auquel on accède par des checkpoints de l’armée turque qui quadrillent la zone, retrouvera alors son silence. Car les habitants d’Arbo, comme leur église, apprécient la discrétion. Même si, depuis que l’on a découvert des os sous leur lieu de culte, la quiétude est chaque jour plus compliquée à préserver. L’agitation a commencé début avril quand Dilges Ruvanas, un journaliste de l’agence de presse locale, Mezopotamya, s’est faufilé à l’intérieur de l’édifice. Il avait entendu des rumeurs à propos de curieux ossements enfouis ici. Sur place, au bout d’un tunnel, le reporter découvre alors une sorte de caveau. Là, “des centaines et des centaines d’os partout”, se souvient-il. Dilges Ruvanas prend trois photos à la sauvette avant de ressortir. Détail macabre, mais qui a son importance: sur les clichés, on peut voir que les squelettes n’ont pas été disposés méticuleusement, comme des corps que l’on aurait chéris, pleurés, puis enterrés ; non, ceux-là sont “empilés les uns sur les autres”, montre le journaliste. Autre détail, tout aussi surprenant: les habitants du village étaient déjà au courant de l’existence de ce tas d’ossements, mais n’avaient, jusqu’ici, pas estimé nécessaire d’en faire la publicité. Mi-avril, un résident, retraité, assure ainsi sur sa terrasse que ces ossements ont dans un premier temps été trouvés “sur le sol, éparpillés”, et que c’est lui qui a décidé “de les jeter dans ce trou”. Pourquoi? Il se ressert un thé, sans répondre. Silencieusement, il fait comprendre que cette trouvaille est peut-être la pire chose qui ait pu arriver au village.