Reportage

Very Mâle Trip

Le 23 avril 2018, Alek Minassian, 25 ans, tuait dix personnes à Toronto, dont huit femmes. Le monde découvrait alors la communauté des Incels, les “célibataires involontaires”, pour qui les femmes sont à l'origine de leur malheur. Soit la pointe extrémiste d'un mouvement plus large, la “manosphère”, qui appelle les hommes à se “reprendre en main”. Reportage au Canada, épicentre d'une sous-culture mondiale qui, en ces temps de trumpisme et de repli réactionnaire, n'a cessé de gagner du terrain.
  • Par Emmanuelle Andreani, à Toronto
  • 27 min.
  • Reportage
Illustration pour Very Mâle Trip
Photos : Bruce Gilden (Magnum)

À Toronto, à l’angle des rues Yonge et Finch, l’amour est partout. Dans les milliers de mots griffonnés en hommage aux victimes, il est “capable de tout résoudre”, “plus fort que la haine”, innocent et sincère, naïf et névrotique, comme dans toutes les villes du monde après une tuerie, un attentat. Il a les tons pastel des centaines de dessins d’enfant qui ont été déposés là. Les notes familières d’un All You Need Is Love des Beatles, entonné par des musiciens sur le trottoir. Et le parfum douceâtre des bouquets de fleurs qui pourrissent sous plastique, au milieu des bougies consommées. Les inscriptions les plus anciennes n’ont qu’une vingtaine de jours, mais elles ont déjà été effacées par la pluie et le soleil. “Heureusement, j’ai mis des choses à l’abri”, sourit Aras, un petit homme barbu et fin comme une allumette. Aras s’est improvisé gardien de ce monument lui-même improvisé, qu’il vient, matin et soir, raccommoder. Depuis la fenêtre de son appartement, on aperçoit la rue Yonge: une grosse artère bordée de tours d’immeubles et de bureaux, qui traverse la ville du nord au sud. C’est là que le 23 avril dernier, vers 13h20, Aras a vu un homme étendu par terre, l’air inconscient. Puis deux autres corps. Puis un quatrième, plus bas. “J’ai pensé que ça devait être une sorte d’attentat, et en même temps que non, ça n’avait aucun sens! Ici, c’est un quartier résidentiel, multiculturel, avec beaucoup de Coréens et d’Iraniens, enfin je ne sais pas… ça n’a aucun sens!”

Le 23 avril, j’ai immédiatement pensé à une attaque misogyne, je ne sais pas pourquoi. Je sentais qu’il y avait quelque chose dans l’air

Elisabeth, militante féministe canadienne

Society #83

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