Drame

Sans toit

À Lyon, un squat brûle à la veille de la fête des Lumières. Une personne décède dans l'incendie. Des dizaines d'autres perdent tout, sont hébergées une nuit en gymnase, puis c'est la rue. Attention: une tragédie peut en cacher une autre.
  • Par Robin Bouctot, à Lyon
  • 12 min.
  • Récit
Un bâtiment en noir et blanc entouré de grandes flammes rouges et oranges.
Illustration : Julien Langendorff pour Society

Dans l’étrange routine d’un internat religieux vétuste squatté par une centaine de personnes, c’était une soirée à peu près ordinaire. Dans la nuit du 2 au 3 décembre derniers, à 1h, tout bascule. Un incendie se déclenche. En quelques instants, les flammes se propagent et dévorent le grand bâtiment. La tempête de feu se déchaîne à un rythme dément à “la Denuzière”, un squat sur les hauteurs de la colline de Caluire-et-Cuire, occupé illégalement depuis un peu plus d’un an. Acculées dans les étages, deux personnes se défenestrent pour échapper au brasier. Elles seront hospitalisées dans un état critique. Une troisième, Sonia, 27 ans, ne trouve pas de sortie. Un mois après le drame, Salomé, son amie et camarade, en a encore le souffle coupé. “Sonia, c’était une meuf de la rue, une meuf incroyable, grande gueule, provocatrice. Une meuf fâchée aussi, pas un ange, capable de te jeter un vase à la figure si tu la regardais de travers”, confie la jeune femme de 25 ans, les doigts couverts de bagues dorées et les yeux surlignés d’un fin trait bleu électrique. “On a cheminé ensemble pendant cinq ans. Maintenant, tout est fini”, laisse-t-elle tomber en traversant la place Mazagran, centre et carrefour du quartier populaire de la Guillotière, à Lyon. Assis sur des vélos en libre-service, quelques gars figés par le froid se partagent des morceaux de poulet. Ils la saluent alors qu’elle se dirige vers un platane. Des dizaines de bougies sont entassées entre ses racines. Le minuscule mémorial pour Sonia, “la reine des abeilles”, a été dressé quelques jours après le drame, lors d’une nuit glaciale.
Ce soir-là, des amis, les parents, des militants du squat, les habitués de la place et plusieurs victimes de l’incendie sont présents, submergés par la colère et le chagrin. La mère de Sonia est hagarde. Elle-même est à deux doigts de la rue.
Ex-concierge d’immeuble pour Grand Lyon habitat, prise dans une vague de licenciements après dix ans de contrat et privée de son logement de fonction, elle arrive au bout des économies qui lui permettent de se payer des Airbnb. La nouvelle de la mort de sa fille lui est arrivée sous la forme d’une rumeur, par ricochets, d’abord via un appel alarmant des forces de l’ordre le lendemain de l’incendie, puis par des potes de Sonia en panique, et finalement par celui qui est allé identifier son corps. Sur la place Mazagran, dont la jeune femme était une figure, une petite chorale chante en son hommage.
Comme beaucoup dans la rue, Sonia jonglait entre les plans précaires, halls d’immeuble, canapés et parkings souterrains. “Elle était vraiment en dèche, française mais sans carte d’identité ni RSA, renseigne Salomé. On a passé des caps dans l’ignominie, là. Les morts à la rue, ça devient OK, comme les morts en Méditerranée. Avec Denuzière, on a atteint le niveau de mépris ultime. Les habitants ont tout perdu en un instant: leurs papiers, leurs affaires, leur toit, leur amie, et tout ce qu’ont trouvé à faire les collectivités, c’est d’engager des poursuites judiciaires.”

Et PAF!

Society #248

À lire aussi

Abonnez-vous à Society+ dès 4.90€

Des centaines de docus à streamer.
7 jours gratuits !