Retour à Sinjar | Society
Témoignages

Retour à Sinjar

Le 3 août 2014, les troupes de l'État islamique envahissaient la région de Sinjar, foyer principal de la population yézidie, dans le nord-ouest de l'Irak. Au milieu des massacres, les djihadistes enlèvent alors des milliers d'enfants, qu'ils enrôleront de force comme soldats au sein de leurs brigades. Parmi eux, Alaz et Murad. Dix ans après le génocide, désormais réintégrés au sein de leur communauté, les deux survivants racontent.
  • Par Iris Lambert, à Sinjar City / Illustration: Cécile Bicler pour Society
  • 14 min.
  • Témoignages
Un jeune garçon pointe un pistolet en plastique rouge et bleu vers l'observateur tout en se couvrant les yeux avec sa main. Il porte un maillot de football blanc avec des rayures bleues et un logo. L'image est réalisée avec des traits de couleur vifs et texturés.
Illustration: Cécile Bicler pour Society

Au moment où, comme une apparition soudaine, le serveur a surgi du couloir, son plateau de plastique chancelant sous le poids des assiettes de brochettes et de riz, Alaz* s’est interrompu. À Sinjar City, foyer historique du peuple yézidi situé dans le Nord-Ouest de l’Irak, il y a des sujets dont on évite de parler trop fort. Face à lui, dans un regard entendu, Murad* a aussi stoppé la vidéo qu’il venait de lancer sur son téléphone. Sur l’écran, un visage adolescent, la lèvre supérieure ourlée d’un duvet incertain, fixe fièrement le photographe. À droite de l’image figée, une kalachnikov repose contre l’épaule du garçon, dont l’index droit pointe vers le ciel. “J’avais 16 ans lors de cette bataille”, murmure finalement Alaz. Sur la peau de ses pommettes anguleuses, de petites aspérités rappellent que l’adolescence n’est pas si loin. Une fois la vidéo relancée, s’en échappent les sons de mitrailleuses à la cadence rapide, entrecoupés par les litanies graves des sourates entonnées par les combattants de l’État islamique. Alaz et Murad les connaissent-ils encore par cœur? À l’âge de 12 ans, ils ont tous deux été enlevés à leurs familles yézidies lors du génocide perpétré par les djihadistes contre les non-musulmans de la région, puis enrôlés afin de devenir des enfants soldats, combattant jusqu’au bout aux côtés de leurs bourreaux. Cinq ans après la chute du califat à Baghouz, et désormais recueillis par leur communauté, ils tâchent chaque jour d’effacer les traces de leur enfance armée.

Society #237

À lire aussi

Abonnez-vous à Society+ dès 4.90€

Des centaines de docus à streamer.
7 jours gratuits !