
Entre 20 et 50 millions selon l’Institut Pasteur, jusqu’à 100 millions selon des décomptes plus récents. Le nombre de morts de la grippe espagnole depuis 1918 à travers le monde est toujours impressionnant. Pourtant, parmi les prisonniers internés sur l’île de Man, on en compta zéro. Un miracle? Presque. Le remède béni par les 23 000 détenus du camp de Knockaloe à la fin de la guerre n’est ni un vaccin ni un médicament, mais un émigré allemand aux cheveux en pagaille et au nom aussi retentissant que sa méthode: Joseph Hubertus Pilates. Avec pour tout bagage des muscles saillants, un œil de verre et un anglais bancal, ce veuf de 30 ans n’avait pourtant débarqué en Angleterre qu’en 1914, quittant sa patrie et son métier de brasseur pour percer dans le pugilat à Londres, alors la Mecque de la boxe. Il avait fini dans une troupe de cirque, à faire l’acrobate et la “statue grecque vivante”: semi-nu, il bombait le torse et galvanisait la foule, épée ou bâton à la main. Et puis l’histoire se chargea de le mettre provisoirement KO. La Première Guerre mondiale éclata, l’Allemagne et l’Angleterre s’affrontèrent et la vedette teutonne devint une étrangère ; pire, une ennemie. Il fut arrêté et, sous le matricule 16 626, interné plusieurs années à Knockaloe. Dans ce camp perdu en mer d’Irlande, il posa les jalons d’une méthode qui bouleverserait l’histoire de l’activité physique. Et, selon ses dires, d’innombrables vies. “Partout, les gens tombaient comme des mouches. Dans mon enclos, personne ne mourut”, se targuera dans la presse l’inventeur de la méthode Pilates. Aux yeux de ses codétenus, qui continueront de lui écrire tout au long de sa vie, Joseph est un héros.