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Kieron Gillen : “Il y a un rapport entre les dieux et les pop stars dans leur manière d’influencer les gens”

The Wicked + The Divine, véritable best-seller en Angleterre et aux États-Unis, a maintenant sa traduction française. Ce comics en plusieurs tomes part d’un postulat qui sacralise la pop culture : et si les pop stars d’aujourd’hui étaient des dieux et déesses adulés de tous ? Réponses avec son scénariste, Kieron Gillen.

Comment vous est venue l’idée de mêler pop stars et divinités ?

Mon travail repose sur la pop culture et la magie en général. Mais ce qui a lancé cette série, c’est la mort de mon père: une semaine après ce triste événement, j’ai eu l’idée de douze dieux adorés pendant deux ans et qui mourraient ensuite. C’était une manière originale de penser à la vie et à la mort. Parallèlement, je trouvais qu’il y avait un rapport entre les dieux et les pop stars dans leur manière d’exercer une influence sur les gens, et il me semblait intéressant de relier ces deux concepts.

Pourquoi deux ans, d’ailleurs?

C’était un moyen d’intensifier le temps court de la vie, un peu comme une sorte de métaphore. Après, j’allais aussi avoir 40 ans deux ans plus tard, et c’était très symbolique pour moi (rires).

Qu’est-ce qui vous attire particulièrement chez les pop stars?

En vérité, je suis plus intéressé par l’art que par les pop stars. Dans le tome 2, on présente par exemple des nouveaux dieux qui sont, eux, influencés par des artistes du XIXe siècle. Mais la pop est très visuelle et les pop stars sont plus intéressantes à représenter que des écrivains. L’autre point important, c’est aussi que les pop stars ne sont pas toujours extrêmement considérées en tant qu’artistes. J’ai l’impression que les créations artistiques les plus respectées aujourd’hui ont toujours été méprisées durant leur époque : en traitant les pop stars sérieusement, on prenait le contre-pied de cette tendance.

C’est assez vrai pour quelqu’un comme Kanye West, par exemple.

Kanye est un très bon exemple parce qu’il est extrêmement arrogant et agaçant, mais en même temps, il sort des disques incroyables. Il n’y a pas de juste milieu avec lui, et il représente tous les excès de quelqu’un de très célèbre qui influence parallèlement les gens d’une manière artistique. Il ferait un très bon personnage pour un prochain tome de notre BD !

Avec les réseaux sociaux, on connaît presque tout des célébrités. Cela les rend-elles moins fascinantes ?

Pour cet univers, j’ai été influencé par les gens qui m’entourent dans la vie et beaucoup de mes amis les plus proches sont des femmes fortes qui me fascinent
Kieron Gillen

Probablement. Mais je pense que certaines choses ne changeront pas : les personnes célèbres ont toujours fasciné les masses, et ce ne sont pas les réseaux sociaux qui vont changer ça. C’est juste que l’on a aujourd’hui une autre manière de les considérer, un peu plus proche de nous peut-être.

Vous érigez les pop stars en divinités, mais en même temps, elles ont l’air d’énormément interagir avec leurs admirateurs. Laura, la protagoniste, passe tout son temps avec eux.

Ça fait partie du charme de cette bande dessinée. Et c’est aussi ce qui en a fait son succès, je pense : Laura, une adolescente normale, se retrouve dans un monde qui n’est pas censé être le sien –celui des célébrités– mais elle s’y fait finalement une place. Ce paradoxe fait rêver certains de nos lecteurs, et c’est amusant à raconter. Ça donne un petit plus que l’on peut se permettre dans une fiction.

L’autre chose que beaucoup de monde a remarquée, c’est la présence de nombreuses femmes fortes. Ce n’est pas si courant que ça dans l’univers des comics.

C’est amusant parce que quand je réfléchissais aux personnages et aux histoires qu’on allait explorer, je n’ai pensé qu’à des femmes, au départ. J’ai même hésité à n’avoir que des personnages féminins, mais finalement, je me suis dis que c’était bien d’avoir des personnages des deux sexes. Pour cet univers, j’ai été influencé par les gens qui m’entourent dans la vie et beaucoup de mes amis les plus proches sont des femmes fortes qui me fascinent. De la même manière, j’ai placé l’action à Londres, la ville où je vis, et je voulais que ça ressemble à ce qu’est Londres aujourd’hui : une ville où tout le monde se mélange.

De nombreuses personnes font des cosplays de vos personnages aux États-Unis. Ce n’est pas étrange qu’un comics sur la célébrité et l’admiration fasse justement cet effet aux gens ?

Oui, c’est vraiment marrant. Mais en même temps, cette série avait dès le début du potentiel pour alimenter un vrai intérêt des lecteurs : à chaque numéro, on prend le temps de laisser des notes et des indications sur les personnages, l’intrigue… Et c’est vrai que les fans s’habillent comme les personnages de notre BD, qui sont eux-mêmes des fans dans le comics. C’est étrange, mais très gratifiant pour nous !

Vous avez dit dans une interview que vous aimiez ‘défendre les cultures méprisées’. Qu’est-ce que ça veut dire ?

Je suis quelqu’un qui aime prendre le contre-pied et défendre ce que l’on sous-estime. Et c’est particulièrement vrai dans la culture des jeux vidéo ou des comics. Je reste persuadé que toute œuvre devrait être respectée en fonction de sa valeur intrinsèque et non de son genre. Il faut avoir l’esprit ouvert : je ne suis pas passionné d’architecture ou de poésie, mais j’aime la bonne architecture ou la bonne poésie. Et il y a aussi des bons comics et des bons jeux vidéo.

LireThe Wicked + The Divine, de Kieron Gillen, Jamie McKelvie et Matthew Wilson, en librairie depuis le 26 octobre.

Par Brice Bossavie