1 / 24
Beni est une ville de 600 000 habitants, située au nord-est de la République démocratique du Congo, dans le Nord-Kivu, une région de brousse qui vient buter contre les hautes montagnes marquant la frontière avec l’Ouganda. Longtemps, la ville fut l’une des places fortes du Rassemblement congolais pour la démocratie, un groupe rebelle qui prit part à la guerre civile qui ravagea le pays de 1999 à 2003.
2 / 24
Au nord de Beni, entre les localités d’Oicha, de Kamango et d'Eringeti s’étend une zone que l’on surnomme aujourd’hui le “triangle de la mort”. Un espace marqué par les massacres depuis octobre 2014. Au fil du temps, les habitants des environs ont quitté leur maison pour se réfugier près de Beni, laissant derrière eux des villages morts. Cette église, par exemple, gît au milieu des mauvaises herbes, les murs éventrés par le temps.
3 / 24
À l’intérieur de cette salle de classe, rien ne semble avoir bougé depuis qu’elle a subitement été désertée . Au tableau, il y a encore cette date inscrite à la craie: le 13 juin 2015.
4 / 24
Aujourd’hui, le “triangle de la mort” a été envahi par les FARDC, les Forces armées de la République démocratique du Congo. Çà et là sur les bords de route ou en plein coeur de la brousse ont émergé des petits camps qui hébergent des régiments de soldats, comme Fiston et Ibundo. “Les rebelles tuent notre population, alors nous les tuerons”, disent-ils, le regard fatigué.
5 / 24
Parfois, les rebelles des ADF (Allied Democratic Forces) tendent des embuscades aux villageois. Ici, ils se sont attaqués à une voiture qui filait sur la route nationale numéro 4, en plein coeur du “triangle de la mort”. Rapidement arrivés sur les lieux, les FARDC ont réussi à chasser les assaillants.
6 / 24
La majorité des gens qui ont fui leur village pour échapper aux exactions des ADF se sont retrouvés sans endroit où aller. “Nous sommes des réfugiés dans notre propre pays”, disent-ils. Dans la région, il n’y a pas de camp pour accueillir tous ces gens, alors on se débrouille. Ce groupe a décidé de forcer les portes de la salle d’une école d’Oicha pour s’y installer et y dormir la nuit, avant de déguerpir le matin pour laisser la place aux écoliers.
7 / 24
Certains cours de cette école sont réservés aux enfants des familles réfugiées qui ont l’âge d’être inscrits en première année d’école primaire. Ces cours sont gratuits mais la suite de la scolarité est payante. Les familles installées à l’école ayant tout quitté, elles n’ont plus assez d’argent pour payer les frais qui permettraient à leurs enfants plus âgés d’aller en classe.
8 / 24
Les cicatrices à la gorge et à l'arrière du crâne de Modeste ont été causées par des coups de machette. Cela s'est passé un soir, alors qu’il dînait dans la petite maison qu’il occupait dans la brousse. “Ils sont arrivés et m’ont attaché. Ils ont voulu me tuer”, se souvient ce taximan d'Oicha. Il dit aussi que ces hommes étaient des soldats des FARDC. Pour bon nombre d’observateurs internationaux, certains militaires congolais seraient de mèche avec les rebelles. Pour des histoires de trafic et de pouvoir.
9 / 24
“Un jour, mon père est parti dans les champs. Je ne l’ai jamais revu. Je n’ai retrouvé que ses habits ensanglantés. Désormais, je ne vais plus dans les champs ni dans la forêt. Si on va là-bas, on ne revient pas.” Charles, taximan.
10 / 24
“Mon frère a été décapité. Je n’ai jamais pu voir son corps, les soldats l’ont balancé dans une fosse commune. Depuis, j’ai fui les champs avec mes huit enfants.” Jacky, couturière.
11 / 24
À Oicha, malgré ces morts dont tout le monde parle, la vie suit son cours. Tous les matins, les nombreuses échoppes qui bordent la rue principale de la petite ville ouvrent leurs portes comme si de rien n’était. Enfin, lorsque le soleil se couche, ils sont nombreux à se claquemurer. C’est le couvre-feu.
12 / 24
“Les massacres m’ont ruiné. Le riz et le soja de mes champs ont péri parce que je ne m'y rends plus depuis longtemps. Je ne peux pas rembourser mes crédits, je n’ai plus de quoi nourrir mes quatre filles et mon beau-frère a été décapité. Il faut que la paix revienne par ici. Mais où sont les gens qui doivent nous protéger ?” Charles, cultivateur.
13 / 24
“Les rebelles ont tué mon mari et aujourd’hui, j’ai l’impression de ne plus rien avoir. Il y aura encore des massacres, j’en suis certaine. J’aimerais partir loin d’ici. Si je pouvais, j’irais près de la frontière avec l’Ouganda. On m’a dit qu’il y a une forte activité là-bas, que l’on se sent en sécurité au milieu du monde.” Esther, cultivatrice.
14 / 24
Cet été, une “cour opérationnelle” a été ouverte à Beni pour juger les présumés rebelles faits prisonniers. Ils sont aujourd’hui poursuivis pour “participation à une activité insurrectionnelle”. Plusieurs procureurs, comme François Lufwa (à gauche), ont été dépêchés de Kinshasa pour instruire ces dossiers. “Ceux qui sont reconnus coupables sont condamnés à mort”, indique celui qui est aussi colonel dans l’armée. Pour l’instant, 19 personnes ont été exécutées.
15 / 24
Le maire de Beni, Masumbuko Nyonyi Bwanakawa, est un passionné de documentaires animaliers, qu’il aime visionner sur la petite télévision dont il dispose dans son bureau. “Cela m’inspire, dit-il. Je me dis que je suis un peu comme le mâle dominant d’une famille d’animaux, mais pour ma ville. Je dois protéger mes administrés.”
16 / 24
Depuis 1999, il existe une mission de maintien de la paix des Nations unies en République démocratique du Congo. Avec un budget annuel d’un milliard de dollars, la Monusco est la plus importante du genre dans le monde. Plusieurs bataillons de casques bleus lui sont rattachés et sont répartis dans tout le pays. À Beni, il existe notamment une escouade formée par des soldats népalais.
17 / 24
Plusieurs fois par jour, les casques bleus népalais embarquent dans des missions de reconnaissance aux environs de Beni. Ils disent être en “alerte permanente”. Plusieurs fois déjà, les casques bleus ont été attaqués par les rebelles au cours de leurs sorties.
18 / 24
À force, les habitants de Beni se sont habitués à la présence des casques bleus. Lorsque ces derniers filent sur la route, les enfants aiment leur faire signe en levant leur pouce. Cela dit, plusieurs voix s’élèvent pour dénoncer l’inaction –ou l’incapacité– des militaires lorsqu’il s’agit d’arrêter les rebelles. “Les ADF ont des machettes et l’ONU a une puissance de feu technologique. Et il ne se passe rien”, se désole ainsi le maire Bwanakawa.
19 / 24
Au cours de leurs missions, il arrive aux soldats népalais d’ouvrir des “infirmeries mobiles”. “Nous sommes là pour une cause. Lorsque je suis sur le terrain, je me sens fier”, explique le major Saroz, qui commande l’un des régiments débarqués de Katmandou. “C’est un pays complexe, quand même, souffle-t-il aussi. J’ai vu des situations de détresse qui n’existent pas au Népal.”
20 / 24
Ghislaine vit sur la colline de Rwangoma, qui surplombe Beni. Au août dernier, des hommes ont débarqué devant sa maison à la nuit tombée et ont assassiné son père d’un coup de machette sur le crâne.
21 / 24
Sur les 1 380 ménages que comptait Rwangoma avant les massacres, il n’en reste plus que huit aujourd’hui. Dont celui du cultivateur Nicolas. Celui-ci porte une machette constamment sur lui . “Mais si les rebelles arrivent, je n’aurai rien d’autre à faire que de fuir avec ma famille”, marmonne-t-il.
22 / 24
Jean-Paul est l’un de ces habitants de Rwangoma qui ont fui pour aller vivre en ville. Il vit dans un garage, “comme une chèvre”. De temps en temps, il revient voir sa maison pour l’entretenir comme il peut.
23 / 24
La plupart des paysans qui ont déserté leurs habitations de Rwangoma retournent la journée sur la colline pour continuer à travailler dans les champs. Ceux-là pressent des noix de manioc pour en faire de l’huile. Le soir, ils redescendront en ville.
Retour au début
24 / 24
“Les massacres vont bientôt reprendre. J’ai le sentiment que je peux mourir à tout moment: aujourd’hui, demain ou dans six mois. Mais il faut que je mange et que je nourrisse ma famille, alors je vais aux champs.” Angélique, cultivatrice.