COSMOS

Objectif Mars

Pendant un an, l’astrobiologiste français Cyprien Verseux a vécu sous un dôme près du volcan Mauna Loa, à Hawaï. Le but: évoluer dans un environnement semblable à celui de Mars. De retour parmi nous, il raconte.

Vous êtes rentré d’Hawaï il y a quelques semaines. Comment se passe le retour sur Terre ?

Très bien. Être à l’air libre, c’est extraordinaire : je peux manger à nouveau de la nourriture fraîche, par exemple, c’est un vrai plaisir. Bon, après, il y a des petites choses moins amusantes. Depuis qu’on est sortis, on ne supporte pas le soleil, on n’arrête pas de prendre des coups de soleil. Même quand il fait gris, on brûle.

Quel était le but de votre mission, concrètement ?

On devait vivre pendant un an avec cinq chercheurs-astronautes dans un dôme de 90 mètres carrés dans une zone volcanique d’Hawaï à 2 400 mètres d’altitude, dans les mêmes conditions qu’un astronaute parti sur Mars. Le but était de voir comment la santé mentale, les relations et les performances d’un équipage isolé évoluent dans le temps. On a par ailleurs fait des recherches et testé des techniques qui pourront être réutilisées lors d’une future expédition sur Mars, comme l’extraction d’eau dans le sol ou la production de ressources introuvables sur cette planète grâce à la biologie.

À quoi ressemblait une journée classique ?

On devait vivre pendant un an avec cinq chercheurs-astronautes dans un dôme de 90 mètres carrés dans une zone volcanique d’Hawaï à 2 400 mètres d’altitude, dans les mêmes conditions qu’un astronaute parti sur Mars
Cyprien Verseux

On faisait principalement des recherches depuis le dôme. Le reste du temps, on allait faire des missions de géologie dans le volcan. On descendait dans les tunnels de lave pour les cartographier. Exactement comme on pourrait explorer, sur Mars, les cratères spatiaux. En dehors du travail, on faisait aussi beaucoup de sport, avec un tapis de course alimenté à l’énergie solaire. On était vraiment isolés, il fallait s’occuper d’une manière ou d’une autre. Mais on avait quand même accès à une banque de films. On a même regardé tous ensemble le film Seul sur Mars, qu’on a projeté sur un mur du dôme un vendredi soir. C’était assez marrant : on s’identifiait bien à Matt Damon…

Vous étiez surtout des sujets d’étude pour la NASA…

On est partis pour être observés, oui. Chaque jour, on avait des questionnaires à remplir sur nos ressentis, et des prélèvements de sang, d’urine et de cheveux à donner afin d’analyser ce qui se passait réellement dans notre corps. On avait même des badges pour analyser nos interactions avec les autres : ils détectaient la fréquence à laquelle on parlait à chaque personne, le niveau de la voix, pour voir si on s’engueulait ou pas… Tout était calculé scientifiquement.

Vous étiez donc coupés du monde extérieur ?

On n’avait pas Internet, pas de téléphone ni de télé, donc on ne faisait jamais de Skype avec nos proches. Sur Mars, il faut entre 3 et 23 minutes pour qu’un mail parvienne à son destinataire. Donc la NASA imposait un délai de 20 minutes à nos mails à nous aussi.

Vous avez difficilement vécu cette solitude au moment des attentats de Paris.

Je viens de la région parisienne, donc ça me concernait directement. On a reçu un mail au dôme au moment où ça a commencé. J’ai alors demandé plus d’infos à l’équipe à l’extérieur. Sauf que, conditions martiennes oblige, il se passait 20 minutes entre l’envoi et la réception de mon mail. Il y avait toujours plus de morts et d’otages… Et moi, j’étais coincé à Hawaï. Je ne comprenais rien à ce qui se passait, j’étais sans Internet ni télé depuis le début de ma mission, je ne savais même pas que la France était intervenue en Syrie.

Quel est votre prochain objectif ?

Aller sur Mars pour de bon. La NASA prévoit d’y aller avec SpaceX (société d’Elon Musk, voir Society n°39, ndlr) autour de 2030 ; je serai pile dans la tranche d’âge. Les obstacles technologiques sont loin d’être insurmontables si on a le financement nécessaire. Il nous manque juste quelqu’un pour accélérer les choses, comme Kennedy l’avait fait dans les années 1960 pour voyager sur la Lune.

Par Brice Bossavie / Photos : DR