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La fête de l’Huma version patrons

Pin's, débats, joue de bœuf braisée et cartes de visites à tout va, l'université d'été du MEDEF, rendez-vous incontournable pour les chefs d'entreprise qui souhaitent mêler l'utile à l'agréable, a une fois de plus fait de nombreux "repentis" heureux ces deux derniers jours. Rencontres.
Emmanuel Macron, le ministre d’État anglais, Matthew Hancock, et le président du MEDEF, Pierre Gattaz, à la cérémonie de clôture.

Dans quel grand parc arboré, en France, à la fin de l’été, peut-on rencontrer la reine de Jordanie, Rania al-Abdullah, mais aussi des ministres français et étrangers anciens et en exercice –Emmanuel Macron pour n’en citer qu’un– une sœur, le chef d’état-major des armées, des artistes, des sociologues, des patrons de think tank, des sénateurs, des élus locaux de tous bords politiques, des étudiants, des gérants de start-up et les frères Bogdanov, tout en assistant à des débats socio-économiques de bonne tenue en déambulant au milieu de 5 000 personnes, et finissant la soirée sur un dance floor géant en pleine air ? Eh bien, sur le campus HEC de Jouy-en-Josas, dans les Yvelines. Bienvenue à l’université d’été du MEDEF–consacrée cette année au thème de la jeunesse–, the place to be du monde socio-politico-économique français et international où le gratin du libéralisme (mais pas que) se presse chaque année, deux semaines avant la fête de l’Huma.

À la différence de cette dernière, ici, ni stands syndicaux ni espace Ernesto Che Guevara, pas plus de kebab, de sandwichs merguez, de discours de lutte politique ou de grand concert. Sur les pelouses bien tondues et un peu cramées par le soleil

On voit quand même que c’est la crise. Les années passées, on nous distribuait des polos
Un participant

du verdoyant campus HEC, on lit plus volontiers L’Opinion que L’Humanité, d’ailleurs (même si toute la presse est disponible en salle du même nom), et on s’habille plus complet-cravate-tailleur que jean-baskets. Ici, on doit aussi montrer patte blanche et pour entrer, chacun a son petit badge avec attache à code couleur spécifique : rouge pour le staff, blanc pour les participants, jaune pour la presse.

Business is business : tous les stands installés pour l’occasion, ceux des nombreux sponsors de l’événement, ont avant tout pour vocation de faire la promo de leur activité. On quittera d’ailleurs les lieux bardé de pin’s, de sacs de toile, de carnets de notes, de stylos, et coiffé d’un joli Panama factice publicitaire frappé du logo d’une grande assurance complémentaire privée, après s’être fait tirer le portrait sur le stand le plus couru de l’événement : un photomaton du célèbre studio Harcourt, où l’on s’installe après être passé entre les mains d’une maquilleuse. On pourra aussi suivre un cours de stretching et se faire masser à l’espace détente d’une grande marque de cosmétique. Ou encore se voir remettre un flyer d’une marque de costumes et déguisements par un être déambulant dans les allées vêtu d’une moulante combinaison bleue digne d’une soirée Démonia. “On voit quand même que c’est la crise. Les années passées, on nous distribuait des polos”, râle tout de même un participant, entre les stands de café et de mini-viennoiseries.

Réseauter à mort et débattre beaucoup

Bon, mais sérieusement, à quoi sert l’université d’été du MEDEF, si ce n’est à entendre une énième fois le grand maître des lieux, Pierre Gattaz, répéter que le Code du travail, “c’est le fléau numéro 1 des patrons français” et fustiger les taxes dans un discours d’ouverture à l’américaine, déambulant sur scène sans pupitre ni fiche devant un parterre de 2 000 chefs d’entreprise, petite ou grande, conquis ? “Ça sert à faire du réseau, et pour les entreprises à donner des informations sur ce qu’elles font”, répond un jeune croisé au pied de l’escalier d’un stand tandis que, comme en écho, un peu plus tard dans un couloir, on entend un participant demander à un autre dans une pure novlangue : “J’t’ai shooté mes coordonnées ?”

C’est aussi un lieu de débats avec des intervenants d’horizons très variés. On note ainsi sur le programme d’une des conférences de cette grand-messe, un débat intitulé “Ni dieu ni maître”, la présence de sœur Nathalie Becquart, que l’on s’attend à trouver habillée en religieuse. Mais non, on retrouve cette Xavière (nom d’une communauté qui correspond un peu à l’équivalent féminin des Jésuites) vêtue d’un pantalon et d’une chemise claire à fleurs, au détour du stand dédicaces où voisinent sur des tables des ouvrages consacrés aux ressources humaines, la dernière encyclique écolo du pape François et des romans. “Le thème général de l‘université, ‘Formidable jeunesse’, est très intéressant, explique cette membre du comité d’organisation des JMJ. Quelles que soient les instances, on a toujours besoin de rassemblements pour échanger avec des pairs. Nous avons la même chose dans l’Église, pour échanger, confronter des idées, des expériences. Et il y a un soucis du MEDEF de ne pas rester en vase clos, de croiser le social, le politique et l’économique.”

“Ici, on n’accepte que les repentis”

Comme le rappelle un “historique”, ancien du MEDEF, “le créateur de tout ça, c’est Denis Kessler”, étudiant d’HEC dans les années 70, alors membre de l’Union des étudiants communiste et devenu notamment vice-président du MEDEF à la fin des années 90, pourfendeur de Martine Aubry et des 35 heures, aujourd’hui PDG du groupe SCOR. “Le monde patronal et le monde intellectuel n’ont jamais fait bon ménage, alors que l’entreprise comme composant de la société se devait d’échanger, de débattre avec les milieux intellectuels. Il a fallu l’arrivée au MEDEF d’un Denis Kessler, qui est de formation initiale intellectuelle, pour créer cette rencontre nécessaire entre ces mondes différents. Aujourd’hui, ça reste un formidable lieu d’échanges. Il y a 5 000 personnes.” “Bon, c’est aussi une opération de com’ au sens américain du terme”, reconnaît-il.

Et les patrons, ils en pensent quoi ? “Moi, j’adore venir ici. C’est une pause, un

Bon, c’est aussi une opération de com’ au sens américain du terme
Un ancien

temps où l’on prend le temps de débattre de questions qu’on ne se pose pas habituellement en tant que chef d’entreprise. Après, ce qu’on en fait par la suite, c’est la démarche personnelle de chacun. Mais le meilleur moyen de rentabiliser ce temps, c’est de transmettre à ses collaborateurs les réflexions de ce moment de recul”, dit l’un d’entre eux. “Il y a du politique et du sociologique. Le politique, ça change pas, on a l’habitude, balance un de ses collègues sur un ton mi-blasé, mi-exaspéré. Le sociologique en revanche, c’est intéressant parce que ça permet d’entendre les tendances de la société.”

Mais l’outil incontournable de l’UE du MEDEF reste la carte de visite, grande, petite, avec ou sans logo, personnelle ou professionnelle. Des milliers s’échangeront durant ces deux journées. “À part mon téléphone, je n’ai que ça dans ma poche”, glisse en riant un entrepreneur. Et entre les débats, le côté “Salon de l’entrepreneuriat” et la fête de fin de soirée, pour parfaire son carnet d’adresses et peut-être un jour décrocher un contrat ou trouver un Business Angel, il y a… le cocktail. En ce début de soirée de mercredi, sous un ciel un peu menaçant après une belle journée ensoleillée, sur la pelouse au cœur du parc, on y discute de manière informelle en sirotant un whisky, un vin cuit ou un alcool anisé, devant un open-bar sur une grande table ouverte d’une nappe d’un blanc immaculé. Avant de s’asseoir pour un dîner de 1 100 couverts sous chapiteau et de faire plus ample connaissance autour d’une entrée de saumon mariné et de tagliatelles de légumes, suivie d’une joue de bœuf braisée accompagnée d’un écrasé de pommes de terre, pour finir avec un assortiment de desserts.

Bon, les autres années à l’université d’été du MEDEF, on croisait régulièrement des têtes de pont syndicales dans les débats ou de grosse personnalités pas forcément Médéfo-compatibles, comme Daniel Cohn-Bendit. Cette année, on n’y a vu que la CGC. Un Alain Krivine ou un Olivier Besancenot invité de l’université d’été du MEDEF, c’est possible ? Rire de notre guide historique : “Nan, ici on n’accepte que les repentis.”

Par Jean-Marie Godard / Photo : Romuald Meigneux