PASSION

Latexpert

Certains arrivent à concilier plaisir et vie professionnelle en ayant fait de leur passion leur métier. Willi, 50 ans, fait partie de ceux-là. Grâce au latex.

Willi est un quinquagénaire suisse, propriétaire d’une corniche au-dessus d’une plage paradisiaque de Japaratinga, dans le Nordeste brésilien. Au début des années 90, il y construit une maison aux allures de lupanar, où il s’installe avec son ex-femme. Une maison bunker, aujourd’hui à moitié abandonnée, aux chambres lubriques avec vue panoramique sur mer turquoise. Des corps de femmes sont sculptés dans les murs aux moulures improvisées par un artisan du coin et sur des colonnes stylisées sont accrochés des hamacs de jeunes hippies.

Vue sur mer.
Vue sur mer.

Willi a besoin d’argent. Un autre expatrié suisse qui vit non loin de là lui propose alors de construire sur son terrain une usine de ballons de baudruche. La matière première, le latex, vient bien du Brésil (Hevea Brasiliensis) mais à cette époque, la fabrication de ballons gonflables est encore délocalisée et ces produits manufacturés coûtent cher. Son idée est de diversifier par la suite la production avec des gants de cuisine et autres produits quotidiens en latex.

Des gants.
Des gants.

Willi est motivé mais pas très convaincu et lui suggère une affaire bien plus lucrative : la fabrication de tenues érotiques et sado-maso. Mais il ne s’agit pas d’une simple velléité pécuniaire. L’intérêt de Willi pour le latex et la sous-culture BDSM (Bondage et Discipline, Domination et Soumission, Sadisme et Masochisme) est plus profond. Pour lui, les gants de cuisine en latex lui permettent dès l’enfance d’outrepasser l’interdit –attraper des orties, s’amuser avec des excréments ou encore mettre son doigt dans le cul d’une vache. Il parle d’un sentiment de puissance face à la morale de sa campagne suisse. À l’adolescence, avec la masturbation, il reprend contact avec le subterfuge. “La sensation de plaisir venait de la désobéissance, du pouvoir de ne pas se salir mais aussi de l’expérience sensorielle du latex, un peu comme une deuxième peau”, dit-il.

Pas de bottes ni de tabliers blancs.

Avec l’âge, il se met à considérer ses pratiques bizarres et décide d’arrêter pendant un moment, avant de redécouvrir le milieu du latex, notamment avec sa femme, dans des soirées consacrées aux déguisements BDSM. Là, il commence à utiliser de vraies combinaisons et autres accessoires. Il se rend compte qu’il n’est pas tout seul, qu’il existe une grande communauté.

Batman.
Batman.

Son intérêt pour le latex devient un véritable fétichisme. Une passion qu’il développe en participant à des rites mais aussi à travers la collection de revues spécialisées telles que Zeitgeist, Skin TwoO, Marquis –le titre des deux dernières faisant référence à notre marquis de Sade national et au roman français Histoire d’O de Dominique Aury, alias Pauline Réage.

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Baigné dans cette culture, Willi crée la marque Fetisso, qui reprend le nom d’objets religieux africains et embrasse les étymologies portugaises du fétichisme : feitiço-sortilège et feitiço-artifice.

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Fetisso.

À côté du palace ostentatoire, il construit dans le même environnement idyllique une discrète fabrique de granit gris pour produire les tenues élastiques. On enlève ses chaussures en entrant, comme dans un temple, pour éviter toute poussière vagabonde. La forte odeur du latex traité à l’ammoniaque prend tout de suite à la gorge. L’atmosphère est confinée. Tout est carrelé d’un blanc de chambre froide mais il y fait très chaud malgré quelques ventilateurs.

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Les Mains sales.

Pas de bottes ni de tabliers blancs, quelques ouvriers portent parfois un masque à gaz. Les employés trempent des moules lisses et blancs dans des bacs gris fermés, vaporisent un produit dessus pour le séchage, les pendent sur des barres formant ainsi d’inquiétantes séries de membres noirs: des pénis, des boules rondes ou en forme de sabot pour enfermer les mains, des gants de toutes longueurs, des cagoules aveugles et muettes, des combinaisons, des sous-vêtements, des corsets ; ils les démoulent dans de grands éviers remplis de talc pour éviter que les bords ne se collent entre eux et les rincent ensuite à l’eau.

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Encore des gants.

À l’étage, un doux grésillement de radio. Quelques femmes vérifient les pièces et effectuent les découpes: trous pour les tétons sur les soutiens-gorge, pour le sexe sur les bas ; elles les enduisent ensuite de silicone pour les rendre luisantes. La marque Fetisso, rouge et légèrement en relief, se retrouve sur l’envers des articles.

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Matériel au repos.

Aujourd’hui, 80% de la production est vendue à l’export en Europe, en Russie, aux États-Unis, au Japon, en Australie. Willi explique que l’activité était plus intéressante dans les années 90 qu’aujourd’hui, ce commerce étant moins démocratisé à l’époque. Cependant, l’entreprise ne rencontre pas de problèmes de vente. Elle a ses grossistes, agents marketing, chaînes de distribution et un catalogue avec une cinquantaine d’articles différents. Il y a d’ailleurs souvent du retard dans la production et les commandes doivent être prises plus de trois mois à l’avance. Dans les conditions actuelles, il n’est pas possible d’augmenter la production, mais là n’est pas l’important pour Willi, son ambition est ailleurs.

La vérité est au bout du couloir.
La vérité est au bout du couloir.

Un peu comme dans les débuts du Burning Man, dit-il, à côté de séminaires ésotériques et de rites d’Ayawaska qu’il organise déjà tout au long de l’année, Willi a le projet d’exploiter son terrain paradisiaque pour un festival annuel sur le sexe non traditionnel, faisant le pont entre le tantrisme et le monde BDSM.

Non, vraiment, le blanc, c'est chiant, ça se salit trop vite.
Non, vraiment, le blanc, c’est chiant, ça se salit trop vite.

*Photos argentiques (Canon AE1) et numériques.

Par Nicolas Corman et Eudora Berniolles