IMPUDEUR

Paris mis à nu

Naturiste urbain. Le terme semble paradoxal, et pourtant. L'Association des naturistes de Paris compte pas moins de 350 membres et affirme qu'en Île-de-France, “des milliers de personnes" pourraient être intéressées. Si bien que la Ville a décidé de permettre à ceux qui aiment se balader nus de le faire en plein cœur du Bois de Vincennes, en mettant à leur disposition une parcelle réservée pendant un mois et demi. Une autorisation qu'ils attendaient depuis longtemps, baignant leurs espoirs trois soirs par semaine dans la piscine Roger-Le-Gall.
Beaux boules de bowling.

L’été, quand le thermomètre frappe à la porte des 35 degrés, on ne rêve que d’une chose : ôter tous ses vêtements. En France, ils sont 2,5 millions à ne pas hésiter. “Plus il va faire bon et chaud, plus ça va être agréable de se balader nu, chez soi ou dans les lieux dédiés à ça, acquiesce Julien, naturiste. Le problème pour un Parisien qui n’a pas les moyens d’aller à la plage ou en camp naturiste, c’est qu’il n’y a pas d’offre pour le moment.” Enfin, ça, c’était avant. Car depuis aujourd’hui, et jusqu’au 15 octobre, il est possible de se balader complètement nu au Bois de Vincennes. Et ce, sur près de 7 300 mètres carrés.

“La France est le pays le plus populaire chez les naturiste, explique David Belliard, coprésident du groupe écologiste, à l’initiative du projet. Paris devrait être leur première destination touristique et il n’y a[vait] aucun lieu qui leur [était] dédié en plein air.” Dans l’Hexagone, on compte plus de 450 espaces naturistes, majoritairement des plages et des campings. Mais à Paris, ces jardins d’Eden sont aussi rares qu’une licorne dans un parking. Alors que nos voisins d’outre-Rhin ont plus l’habitude de croiser quelques fesses à l’air, au gré des parcs municipaux. “Là-bas, la nudité n’est pas taboue, elle est dissociée de la sexualité et fait partie des mœurs”, raconte Lawrence, le président de l’Association des naturistes de Paris (ANP), avec son accent australien.  En effet, à Berlin, depuis plus de 25 ans, les parcs du centre-ville font la part belle aux corps nus dès que les beaux jours arrivent. À Munich, la municipalité a légalisé la pratique du naturisme dans six zones spécifiques de la ville.

Un secteur qui recrute

Dans la capitale française, il y a bien eu quelques piscines naturistes qui ont fleuri dans les années 50. Cinq bastions aquatiques du nu de 33 mètres chacun, jusqu’en 1995. Il ne reste plus que Roger-Le-Gall, dans le XIIe arrondissement, une piscine olympique de 50 mètres à l’entrée de laquelle, pourtant, aucun message n’indique qu’il est possible de venir trois soirs par semaine se baigner dans le plus simple appareil.

20h45. Une petite foule de trentenaires et quelques cheveux gris se pressent

Pratiquer le sport à poil ? “Rien de plus logique!” Si l’on en croit le grec ancien, le gymnase est “le lieu où l’on s’exerce nu”
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devant cette piscine de quartier. Max*, venu pour la première fois, discute avec Pierre*, un habitué qui l’a traîné ici avant leurs vacances d’été à Barcelone. “Je pratique le naturisme sur les plages de Méditerranée, mais en pleine ville, c’est une première.” Il ne sera pas le seul. Ce soir-là, la piscine bat son record d’affluence : “170 personnes”, annonce fièrement Speedy. Ce grand brun élancé qui doit son surnom à son débit vocal digne d’une mitraillette s’occupe d’organiser des sorties de groupes : bowling, randonnée, week-end dans des termes allemands ou encore balade à vélo dans les rues de Londres. Avant d’entrer dans les vestiaires, il briefe Max et les autres nouveaux ; les “stagiaires”, comme il dit. “C’est ta première fois ? C’est gratuit. Tu as ton bonnet et une serviette ? C’est obligatoire.” Les naturistes de Paris sont constamment à la recherche de nouveaux adeptes, afin de passer le flambeau, affirme Bernard, retraité aux lunettes rondes, barbe blanche et sourire enfantin qui a dirigé l’ANP pendant plus de quinze ans. “Il y a eu une décennie où, chaque année, l’âge moyen des membres augmentait. Le plus dur était de trouver du sang neuf”, se souvient-il. Aujourd’hui, l’association mise donc sur un prix attractif. “C’est ça qui m’a motivé à tenter l’expérience, confie Bill*, 23 ans, qui ne s’est jamais retrouvé nu devant autant de personnes. À l’année, c’est 40 euros pour les moins de 25 ans, ou 3 euros la soirée. Une piscine, une salle de sport, un hammam, des cours de yoga et d’aquagym… À ce prix-là, aucun lieu sur Paris n’arrive à rivaliser!”  À titre comparatif, un cours de yoga nu à Paris coûte 20 euros minimum.

Bonnets autorisés.
Bonnets autorisés.

“Le fait d’être nus nous apporte déjà un point commun”

20h55. Dans le grand hall de Roger-Le-Gall, les derniers “textiles” – comme les appellent les membres de l’ANP – grimpent l’escalier qui mène à la sortie. Dans les vestiaires, les visiteurs nocturnes se dessapent. Se baigner nu, est-ce si étrange ? Julien répond par une question : “Quand tu prends ta douche, tu portes un maillot ?” Et pratiquer le sport à poil ? “Rien de plus logique!” Si l’on en croit le grec ancien, le gymnase est “le lieu où l’on s’exerce nu”. Les habitués discutent entre eux, se claquent la bise ; les nouveaux échangent sur leurs expériences nudistes (seul) ou naturistes (en communauté). Speedy donne les dernières instructions : “Quand tu cours sur la machine, tu mets des chaussures. Pour bronzer sur la terrasse, tu mets ta serviette. Le cours d’aquagym commence dans 30 minutes.”
Julien, caché derrière ses multiples tatouages et sa barbe de philosophe, “rappelle

Le vêtement est un signe de distinction sociale. Être nu met les hommes sur un pied d’égalité, apporte un regard bienveillant sur le corps
Julien, naturiste

que le naturisme est une pratique collective et familiale de la nudité”. Pourtant, côté mixité, on repassera. Le nombre de femmes à la piscine ne dépasse jamais la dizaine et s’il on veut remonter à la dernière fois où une famille est venue, il faut compter en années. Pour l’instant, les liens qui unissent les visiteurs sont surtout amicaux. On peut même parler de franche camaraderie. “Le fait d’être nus nous apporte déjà un point commun. La plupart de mes amis à Paris sont naturistes, c’est une communauté soudée”, explique Lawrence. Chaque deuxième vendredi du mois, à la piscine, un pot est même organisé entre les membres de l’association. Gras du bide, chauves, petits, maigres, poilus… ici tout le monde s’en fout. L’important, ce sont les valeurs de tolérance, de respect de l’environnement, d’égalité et d’acceptation de soi qui priment. Julien explique : “Le vêtement est un signe de distinction sociale. Être nu met les hommes sur un pied d’égalité, apporte un regard bienveillant sur le corps. C’est l’une des valeurs du naturisme : s’accepter en tant que corps et en tant qu’être humain. Et surtout, en tant que membre d’une collectivité, c’est l’essentiel.”

La piscine est maintenant rose de monde. Les corps se frôlent. Comment, alors, dissocier un naturiste d’un voyeur ? “En faisant la police, répond Speedy. J’ai trouvé un mec en train de se tripoter dans la piscine. Je lui ai demandé de sortir, ce n’est pas le genre de la maison.” Dès le début, Speedy avait prévenu : “Ici, c’est un hammam, pas une backroom !” Parce que non, le corps nu n’est pas forcément lié à la sexualité. Pour Julien, le naturisme passe même par la “désérotisation” du corps. “Le vêtement cache des parties qui nous font fantasmer, et nous excitent. C’est pour ça que l’on ‘déshabille quelqu’un du regard’. En revanche, quand nous sommes nus, comme toi et moi, nous sommes vrais. Nous sommes éloignés du culte du beau, de Photoshop, de la mode. Avec le corps réel, ces canons tombent à plat. Et l’envie d’un corps, la sexualité, restent dans le cadre de l’intime.”

Malgré tout, les personnes dénudées choquent encore. “Chaque saison, les premiers soirs, c’est toujours pareil : les voisins (Le centre international de séjour de Paris se situe juste en face de la piscine, ndlr) observent ce qui se trame dans la piscine puis au bout d’une semaine, il n’y a plus personne aux fenêtres”, rassure Lawrence.  Mais d’après, Baptiste*, habitué depuis un an, ce voisinage ne voit pas forcément d’un bon œil les naturistes. “La police a fait une descente en pleine séance d’aquagym, il y a un peu plus de cinq ans, alerté par un appel anonyme provenant de l’immeuble d’en face.” Laurent, lui, se souvient du tournoi de bowling organisé porte de Champerret, en février dernier, où plus de 100 naturistes avaient répondu présent. “On a commandé des pizzas. Les livreurs sont arrivés et, les yeux écarquillés, ils ont bloqué pendant quelques minutes avant d’entrer. Pour eux, c’était la quatrième dimension.” À l’ANP, on l’assure : au Bois de Vincennes, “une charte sera affichée autour de l’espace réservé pour que les promeneurs et les joggeurs soient prévenus”.

*Les prénoms ont été modifiés

Textes et photos : Florent Reyne


Ils s'appellent Amélie Borgne, Marie-Sarah Bouleau, Julie Cateau, Théo du Couedic, Jéromine Doux, Colin Henry, Jeanne Massé, Charlotte Mispoulet, Maxime Recoquillé, Florent Reyne, Martin Vienne et Lucile Vivat, ils sont étudiants en contrat de professionnalisation au Centre de formation et de perfectionnement des journalistes (CFPJ) et, pendant quinze jours de juin 2017, ils ont travaillé sur un journal d'application en partenariat avec Society.
Ont éclos 24 articles sur le thème – bien moins futile qu'il n'y paraît – de l'apparence, qui seront publiés sur society-magazine.fr. Celui-ci en fait partie.