Comment vous êtes-vous rencontrées ?
Miley Serious : On s’est toutes rencontrées il y a deux ans, parce qu’on avait des amis communs.
DJ Ouai : Avec Miley, on s’est rencontrées parce qu’on était toutes les deux sur “Le Sanctuaire”, un minigroupe Facebook de partage de musique. Maintenant, il y a beaucoup de monde dessus, mais avant c’était plus intimiste. C’est là que j’ai vu passer son blase pour la première fois.
Et l’émission de radio sur PiiAF, c’est venu comment ?
Oklou : PiiAF m’avait invitée pour que je fasse un mix de deux heures. On m’a dit que je pouvais inviter qui je voulais. J’ai cru que ça voulait dire : “Invite tes potes, il y aura des micros, on va tous parler.” Alors j’ai proposé aux filles, on s’est donné un nom et on a trouvé un concept pour l’émission. On en a fait une, les mecs de la radio ont kiffé et on a gardé le créneau.
Quels sont vos premiers émois radiophoniques ?
En choeur (sauf Miley Serious) : Skyrock !
Carin Kelly : Au collège, j’avais un appareil pour enregistrer la radio. Je me faisais des compil’ de chansons sur cassette, et je priais pour que personne ne parle à la fin du morceau.
DJ Ouai : C’était tout le temps les mêmes titres en boucle. J’étais fan de RnB US mais aussi français, Wallen et tout ça.
Miley Serious : Moi pas du tout, c’était NRJ. Je me jetais sur Move Your Body d’Eiffel 65 quand ça passait. L’expérience radio qui m’a le plus torturée, c’est lorsque je suis tombée sur J’voulais de Sully Sefil, une nuit où j’écoutais la radio en cachette. Cette chanson m’a rendue tellement malheureuse ! J’ai compris qu’il ne fallait peut-être pas que j’écoute la radio tous les soirs.
Oklou : À partir de la 5e, j’étais contre Skyrock, je trouvais ça débile. Je crois que suis devenue un peu conne.
À quel moment avez-vous repris goût à ce genre de hits ?
Oklou : Ce moment où j’ai été conne a duré longtemps… À l’époque, j’étudiais le
classique dans une école. En musique classique, ils utilisent un terme assez représentatif de ce clivage bizarre : ils disent que leur musique est “savante”, et que tout le reste est de la musique populaire. Pour plein de musiciens, de techniciens du son, il n’est pas évident d’apprécier des choses plus populaires à leur juste valeur. J’ai traversé cette phase, mais je suis allée à l’extrême dans cette façon de penser, ça m’a dégoûtée. Je me rappelle certains jugements que portaient les autres élèves lors des soirées. Je ne comprenais pas. Au lycée, j’avais déjà des gros kifs pop. J’aimais le coté sexy du RnB.
Carin Kelly : J’ai eu l’impression de réestimer la pop à travers ma pratique artistique. Je fais de la photo et de la vidéo. Dans mon travail, je m’intéresse à la vie quotidienne et à la région d’où je viens, dans le Poitou. L’an dernier, par exemple, j’ai fait un docu sur le twirling baton, un sport assez populaire qui mélange la gym, la danse, le côté majorette. Il y a un âge où tu parles de ce qui t’a construit, et on en revient à ce truc-là, ce goût pour les hits.
Oklou : ll n’y a pas si longtemps, j’étais en voiture à Poitiers avec mon père. Il râlait parce qu’un concert gratuit de Maître Gims était organisé dans la ville. Il disait : “Pourquoi ils mettent ça ? Ils pourraient mettre un truc bien, quand même.” Je lui ai dit que c’était trop bien, que plein de gens adoraient et étaient extrêmement heureux de voir Maître Gims en concert gratuit. Il a fait : “OK.” Donc je crois qu’il a compris.
DJ Ouai : Au lycée, tout le monde se foutait de moi parce que j’écoutais Sean Paul. J’étais un peu considérée comme la “pouf”, ça me faisait complexer. Du coup, j’ai eu une phase de déni, de snobisme envers les musiques plus populaires, avant de m’y intéresser de nouveau plus tard, parce que, au fond, c’est ce que j’aime.
Carin Kelly : À la fin de mes années lycée, le “digging” a pris toute une envergure avec les Blogspot : dans mon entourage, c’était la course pour trouver les morceaux les plus originaux, les plus underground. Le problème, c’est que tu étais toujours tout seul en train de chercher ta chanson et ça obstruait tout ce qui se passait dans le “monde normal”.
Miley Serious : Quand j’étais adolescente, je voulais absolument être différente. J’ai été fan d’Indochine. Hardcore fan à chialer ma vie. Je les ai suivis dans tous les patelins du Sud : Agen, Albi… Tout me soûlait, je voulais juste me différencier. Jusqu’au moment où j’ai réalisé que je n’étais pas née avec une culture underground. En 2006, je me suis remise à écouter et surtout à jouer des hits. Je venais d’avoir mon bac, j’ai commencé à mixer de l’eurodance à Toulouse, où je suis partie vivre. Pour les gens, ça faisait un peu les soirées “pouet pouet”, faut le dire. Mais ça a bien marché.
Tout le monde ne partage pas ce goût pour les tubes… Est-ce que vous avez des souvenirs de DJ sets un peu tendus ?
DJ Ouai : C’était une soirée techno dans un squat. Juste avant moi, les DJ ont joué de la techno, les gens kiffaient trop. Quand je me suis mise à jouer de la transe, un mec est monté sur scène et m’a demandé de jouer des morceaux “moins commerciaux”. Devant moi, plein de gens écrivaient “Techno STP” sur leur téléphone. Pour eux, les sonorités étaient “commerciales”. Alors qu’en vrai, pas du tout ! C’étaient des morceaux des années 90, 2000, de la transe historique. Je continuais à jouer, mais au fond de moi, j’étais dégoûtée… Les gens pensent que le DJ peut tout encaisser, qu’il est le roi –la reine– de la soirée, qu’on peut lui dire ce qu’on veut.
Miley Serious : On a déjà aussi eu un bon petit “casse-toi” et d’autres insultes en pleine soirée parce qu’on jouait du Jersey dans une soirée hip-hop.
DJ Ouai : Le public était particulier. C’étaient des ados qui attendaient de voir jouer leur groupe préféré. Tout ce qu’il y avait avant, pour eux, c’était du vent.
Miley Serious : Ils nous avaient bien allumées. Et puis Oklou est arrivée et leur a dit : “Oh les gars, il va falloir attendre!”
Oklou : J’avais l’impression d’être une monitrice de colo !
DJ Ouai : Après, on adore les tubes de la culture populaire, mais cela ne veut pas dire que l’on va jouer des sets entiers là-dessus. Souvent, ils servent de base pour faire des edit, des remix, pour ensuite être réadaptés à un esprit de club. C’est un bon moyen d’amener la culture populaire dans les clubs.
Carin Kelly : Si nous, on s’assume, le public s’assume aussi. Si on fait un set techno d’un côté et un set généraliste de l’autre, chacun reste dans son coin, ça ne bouge pas.
Que pensez-vous du terme “Internet Wave”, que l’on accole parfois à votre crew pour qualifier votre musique ?
Carin Kelly : C’est logique qu’il faille donner un nom à ce qu’on ne connaît pas. Le mot “Internet”, je comprends. C’est vrai qu’on n’est pas comme nos parents, on passe les trois quarts de notre temps sur Internet.
Oklou : Mais ce qui est bizarre, c’est que ça décrit tous les gens de notre génération… Tous les jeunes ont un ordinateur chez eux, communiquent par Internet et s’échangent des fichiers.
DJ Ouai : C’est trop large ! Il y a tout et rien dedans. Pour moi, c’est comme parler de “fax wave” ou de “téléphone wave”. En soi, c’est juste un moyen de communication utilisé par tout le monde. On n’arrive pas à comprendre le ciment qu’il y a, si ce n’est qu’on poste des musiques sur SoundCloud. J’en parlais avec un ami qui veut écrire une thèse sur le sujet : comment un courant s’est-il développé via Soundcloud et cette nouvelle géographie qu’est Internet ? C’est un genre large qui ne concerne pas seulement la France.
Miley Serious : La toute première vague Internet, c’était la Witch House (genre musical mêlant, entre autres, le hip-hop chopped and screwed, la musique bruitiste, la drone-music et le shoegazing, ndlr), et ça va faire dix ans…
Voir : TGAF à la Peacock Society – thepeacocksociety.fr
www.facebook.com/thepeacocksociety
Écouter : TGAF sur PiiAF – piiaf.com