
Sous l’avatar Badcandy66, guerrière à cheveux roses, Mara, 13 ans, vient de prendre le contrôle. Tenant un fusil d’assaut à deux mains, la voilà qui trace sans se retourner, saute de troncs d’arbre en carcasses de voiture calcinées, glisse sur une réplique de l’hoverboard de Retour vers le futur 2. Dans le décor postapocalyptique d’un jeu en ligne immersif, l’adolescente fait équipe avec Spardaganzza. Ce dernier, en costume blanc et gilet doré, engage un quasi-flirt: “Tu es vraiment la fille la plus badass de ce jeu.” Deuxième scène: des quadragénaires certainement cassés par le salariat étirent le rituel du sacro-saint apéro entre amis. Ils devisent – mi-effrayés, mi-amusés- sur la vie numérique de leurs enfants et leur absence de tabous sexuels. Mara, elle, s’est calfeutrée dans sa chambre pleine de peluches où l’écran d’ordinateur reste allumé H24. Première conversation de visu avec l’acolyte de jeu. Le jeune homme à l’écran, Julien, a 27 ans. Sourire carnassier, il narre ses “1 000 vies” avec le naturel d’un sculpteur d’air et conclut en mode aléatoire: “Maintenant, j’ai décidé de rallier mes deux passions, qui sont le cinéma et les mondes virtuels.” Dans Daddy -métavers dans lequel le jeune homme veut bien servir de parrain à l’adolescente en salopette (la révélation Lila Houel)–, il est possible de se réinventer à l’infini. Rejouer le film Entretien avec un vampire, lancer une chorégraphie sur du Snoop Dogg, flinguer ses parents… Julien a trouvé le bon raccourci pour entraîner Mara, qui rêve de devenir actrice, dans ce vertige et en faire une proie: “Aujourd’hui, le théâtre, le cinéma, tous les trucs vivants, c’est mort. Maintenant, ce que les gens veulent, c’est des avatars.”