ATTENTATS

Sébastien Pietrasanta : “On doit s’adapter au temps de la guerre tout en préservant notre État de droit’’

Ancien rapporteur du projet de loi antiterroriste, le député PS des Hauts-de-Seine Sébastien Pietrasanta revient sur les limites du dispositif de lutte contre la menace terroriste. Et sur l’impossibilité d’empêcher certains individus de passer entre les mailles du filet.

On est à un niveau maximal de lutte antiterroriste. Pourtant, on ne peut pas empêcher des évènements comme ceux d’hier de se produire. Pourquoi ?

Nous avons, depuis deux ans maintenant, un dispositif antiterroriste qui a été particulièrement renforcé avec le plan anti-Djihad, avec la loi sur le terrorisme qui date –hasard du calendrier ?– du 13 novembre 2014, et puis encore récemment avec la loi sur le renseignement. À cela s’ajoutent de nouveaux dispositifs qui ont été renforcés et annoncés à la suite des attentats du 11 janvier. Plus de 2 500 agents supplémentaires qui sont en train de renforcer les services de renseignement en France et le déploiement de l’opération Sentinelle. Nous avons une législation forte et des moyens pour les services de renseignement sans commune mesure. Néanmoins, il faut avoir l’honnêteté de le dire aux Français, on peut prendre 100% de précaution comme on le fait, ça ne veut pas dire zéro risque. D’ailleurs, les régimes les plus autoritaires comme la Chine, la Russie ou des pays qui ont des services de renseignement particulièrement bien

On peut prendre 100% de précaution comme on le fait, ça ne veut pas dire zéro risque
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dotés, comme Israël ou les États-Unis, avec le Patriot Act qui va très très loin, connaissent quand même des actes terroristes. Donc, oui, nous avons une vigilance absolue face à une menace terroriste qui n’a jamais été aussi forte, mais nous sommes en guerre. Nous avons des victoires, nous avons des attentats qui sont déjoués, ça a été le cas encore récemment à Toulon. Mais nous avons aussi un territoire, des Français, qui seront à nouveau touchés dans les semaines, les mois, voire les années qui viennent.

Très concrètement, pourquoi ne parvient-on pas à empêcher certains individus de passer entre les mailles du filet ?

Il y a aujourd’hui plus de 13 000 agents dans les services de renseignement. Mais on fait face à un défi qui est triple. Le premier défi, c’est celui du nombre. On a 5 000 ressortissants français que l’on sait liés à l’islam radical, dont 2 000 qui sont impliqués directement dans les filières djihadistes irako-syriennes. C’est un chiffre sans précédent. Deuxième défi : la diversité. Aujourd’hui, nous avons 90% des départements qui sont concernés. Ça ne concerne pas que les jeunes issus de l’immigration, des banlieues : on a un quart de convertis, sur quasiment tous les départements ; il y a des femmes, des mineurs. C’est complètement inédit. Donc, aujourd’hui, c’est beaucoup plus difficile pour les services de renseignement à appréhender. Puis, le troisième défi, c’est celui du mode opératoire. Le réseau, comme on a pu le voir hier soir, le passage à l’acte individuel, les techniques et surtout la détermination. Ces gens-là sont prêts à mourir pour leur cause. Là, il y avait des kamikazes. On a aussi l’exemple de la décapitation en Isère. Nous avons atteint un autre stade. Ces gens-là sont déterminés et ce sont des gens intelligents puisqu’ils s’adaptent à nos législations et à nos dispositifs de sécurité.

Il y a eu une arrestation le 5 novembre dernier en Allemagne qui pourrait être liée aux attentats de Paris. La voiture des assaillants était immatriculée en Belgique. C’était un problème qui était soulevé l’été dernier avec les attentats du Thalys : est ce que la coopération entre les différents services de renseignement européens va assez loin ?

Il y a une coopération accrue, notamment avec la Belgique et l’Allemagne. On peut toujours faire mieux et plus. On est également en attente de ce qu’on appelle PNR européen (Passenger Name Record : un fichier regroupant des données à caractère personnel recueillies lors de déplacements en provenance ou à

Aujourd’hui, nous avons 90% des départements qui sont concernés
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destination de pays ne faisant pas partie de l’Union européenne, ndlr) qui permettrait de mieux tracer les individus lorsqu’ils prennent l’avion. Mais là aussi, il faut encore renforcer nos dispositifs, notre coopération. Même si elles sont déjà bonnes. Il y a eu des cas précédents. Évidemment, un Espagnol qui est fiché risque de venir en France mais, évidemment, il y a une coopération entre les services de renseignement espagnol et français. L’enjeu dépasse celui de la France. Il faut une réponse européenne et internationale. Et cette réponse, elle doit se traduire par une intensification des frappes sur Daech, en Syrie et en Irak.

Pour la suite, peut-on imaginer une stratégie plus « offensive » en termes de surveillance des individus déjà fichés ? Laurent Wauquiez disait ce matin (hier, ndlr) qu’il voulait que les 4 000 personnes vivant sur le territoire français et fichées pour terrorisme soient placées dans des « centres d’internement antiterroristes spécifiquement dédiés ».

D’abord, la loi sur le renseignement permet d’accroître considérablement les techniques de renseignement. Ça a été beaucoup critiqué à l’époque, on a parlé de surveillance massive sur Internet. On n’en est pas à la surveillance massive mais cette loi va effectivement permettre de détecter les comportements suspects sur Internet. Ça, c’est déjà une première étape. Il y a eu d’autres techniques de renseignement, comme la sonorisation d’un certain nombre de lieux comme les voitures ou les appartements qui pourra être effectuée. Après, l’émotion elle est

Avoir des idées religieuses radicales n’est pas répréhensible si on ne fait pas d’apologie du terrorisme
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légitime. Mais je ne voudrais pas qu’on soit dans le concours Lépine de celui qui fait la proposition la plus…qu’on soit dans la surenchère. On est dans un État de droit. Et il n’y aurait rien de pire que la France perde ses valeurs. Concernant ces centres de rétention (dont parle Wauquiez, ndlr), l’idée peut être séduisante de prime abord mais elle ne correspond à rien. Les individus qui rentrent de Syrie, il ne faut pas croire qu’ils sont tous laissés en liberté. Dans 99% des cas, ils sont emprisonnés, ils sont en préventive jusqu’à ce qu’ils soient jugés. Donc, si on a des individus qui sont fichés S et qui ne sont pas en prison, c’est qu’ils sont à surveiller mais qu’ils n’ont rien commis. Et ça, c’est toute la question dans laquelle on est. Aujourd’hui, avoir des idées religieuses radicales n’est pas répréhensible si on ne fait pas d’apologie du terrorisme.

L’ancien juge antiterroriste Marc Trévidic considère que les pouvoirs publics n’ont pas les moyens de faire face à l’explosion du terrorisme et qu’il faudra sans doute attendre deux ou trois ans pour qu’elle soit à niveau par rapport à l’ampleur de la menace.

Évidemment, quand on voit les évènements du 13 novembre, c’est un échec collectif. Après, je ne sais pas dans quel état sera la France dans deux ou trois ans. Il faut former un certain nombre d’individus dans les services de renseignement. Ça peut prendre du temps. Il faut aussi embaucher un certain nombre de spécialistes. Je sais qu’il y a eu des annonces de recrutement qui ont été faites. Donc, on monte en puissance. Mais le temps de la démocratie n’est pas celui du temps de guerre. Et aujourd’hui, on doit s’adapter au temps de la guerre tout en préservant notre État de droit.

Par Arthur Cerf