Par Hélène Coutard, à Majorque / Photos: Julian Baumann

Toy Story

C’est plus qu’un sextoy, une révolution. En quelques années à peine, le Womanizer, vendu à des millions d’exemplaires dans le monde, a démystifié la masturbation féminine et démocratisé l’orgasme pour toutes. L’outil d’un détachement total de la femme hétérosexuelle du joug de l’homme? Depuis leur retraite espagnole, ses inventeurs allemands, Michael et Brigitte Lenke, racontent pour la première fois l’incroyable destin de leur créature.

Tailleur strict, titre de “Cheffe de la Libération” en évidence, la chanteuse anglaise Lily Allen enclenche d’un ongle manucuré le haut-parleur d’une salle de réunion où traîne négligemment le nouveau Womanizer “Liberty by Lilly Allen”, et lance: “Michael, bonjour.” À l’autre bout du fil, la voix chaude et masculine de Michael Lenke, le créateur de la marque, lui renvoie son bonjour. Lily Allen reprend: “Les ventes sont formidables, Michael. Mais les résultats de notre étude sur la régularité de l’orgasme sont arrivés, et il y a encore du boulot… Si on offrait 1 000 Womanizer pour Noël?” Après une seconde de suspense, l’offre est accordée par le mystérieux grand manitou. “Joyeux Noël!” lance-t-il, alors qu’Allen fait un clin d’œil à la caméra. Lors du Noël 2020, quand ce spot de pub a été mis en ligne, la marque Womanizer venait de connaître sa meilleure année, et Michael Lenke pouvait bien se permettre de s’offrir une pop star comme ambassadrice, ainsi qu’une mise en scène de film hollywoodien. Depuis plusieurs années désormais, lui et sa femme, Brigitte, mènent la vie d’entrepreneurs à succès: six mois dans le froid de leur Allemagne natale, et les six autres dans la douceur de Majorque. Leur résidence secondaire est adossée aux collines de la petite ville de Pollença. C’est là, tandis que leurs petits-enfants jouent dans la piscine, que le couple a accepté de raconter comment, à respectivement 71 et 68 ans, ils ont révolutionné l’orgasme féminin, en écoulant plus de quatre millions de sextoys à travers le monde.

 

“J’aurais pu arrêter de travailler mais j’avais toujours envie d’inventer des trucs, explique-t-il. Aujourd’hui, il y a plus de 1 000 brevets à mon nom!”
Michael Lenke, inventeur du Womanizer

Michael Lenke fait remonter son récit à l’enfance. Petit, raconte-t-il, il aimait flâner au cimetière. Il se promenait entre les tombes, c’était calme. Au moins, entre les morts, il n’avait plus à subir les insultes de ses camarades de classe le traitant de Saupreuß, une injure locale désignant les Allemands récemment chassés des territoires devenus polonais en 1945. À Wasserburg am Inn, en Bavière, le petit garçon tentait de faire face à la discrimination et à la pauvreté. Après avoir été traîné dans un lac à dix degrés puis lapidé à coups de pierres par ses camarades, Michael avait quelque peu perdu foi en ses congénères. Alors, au cimetière, il se sentait en sécurité, suivant à la trace le vieux fossoyeur Haberl. “Un jour, je l’ai vu ouvrir une tombe. Il a pris les vieux os et les a mis dans un panier. Je lui ai demandé ce qu’il faisait et il m’a dit: ‘Viens, mon petit, je vais te montrer.’Le vieil homme entraîne le petit garçon au fond du cimetière, où sont empilés des os et des fleurs séchées dans une espèce de grande décharge négligée. “Tu vois, c’est là qu’on finit lorsqu’on arrête de payer!” Soixante ans plus tard, Michael Lenke se souvient encore de cette phrase, qui l’a suivie toute sa vie. “J’ai toujours essayé de faire tout ce que j’ai pu pour ne pas finir dans la décharge.” Sa première stratégie consiste à tenter de bien travailler à l’école, malgré le manque d’argent qui l’empêche de se procurer les manuels scolaires. Puis à survivre aux 18 mois qu’il doit passer chez les CRS allemands en guise de service militaire, pile au moment des manifestations étudiantes de 1968. Et enfin, à se former en tant qu’ingénieur agricole, un métier qu’il n’exercera pas longtemps tant il le trouve ennuyeux. Désormais âgé de 23 ans, Michael pense toujours aux vieux os abandonnés. Il se demande comment devenir riche. “J’inventais toujours des choses étant petit, alors j’ai continué. J’ai inventé des produits qui se servaient de la luminothérapie, des recettes cosmétiques, et puis, le Happy Bonsai.” Derrière ce nom se cache une technologie permettant aux plantes de rester miniatures. Si l’utilité ne semble pas évidente, le business est pourtant juteux. À 27 ans, Michael vend son brevet pour presque deux millions d’euros. Il a atteint son but. Sauf qu’il se rend compte que la recherche, au fond, le motive plus que la richesse. “J’aurais pu arrêter de travailler mais j’avais toujours envie d’inventer des trucs, explique-t-il. Aujourd’hui, il y a plus de 1 000 brevets à mon nom!” Les années passent. Alors que la quarantaine approche, le Bavarois, tout occupé à sécuriser une belle place au cimetière, en a oublié de trouver l’amour. Comme d’habitude, Michael réfléchit en ingénieur: à chaque problème, sa solution. Il passe une petite annonce dans un journal local. “C’était une lettre adressée au Père Noël, il lui demandait de lui faire rencontrer une femme sympa. J’ai trouvé ça drôle, alors j’ai répondu”, sourit aujourd’hui Brigitte. C’était en 1987”, ajoute-t-elle.

Dans le couple, c’est Brigitte qui se souvient des dates. 1987: quand ils sont partis vivre en Suisse, où Michael vendait des inventions médicales et où elle travaillait dans une banque. 1996: quand Michael a pu réaliser un rêve d’enfance, s’offrir une plantation d’oranges en Espagne. 1998: quand le couple a dû vendre ladite plantation après un sérieux coup dur” en Suisse qui leur a fait perdre 98% de la fortune”. Pour Michael, tous ces marqueurs temporels importent peu. Ce qui compte, dit-il, c’est qu’après des coups réussis et des coups ratés –le dernier se soldera par une dépression en 2008–, le couple a su revenir au top”. Néanmoins, il y a une date qu’il n’oubliera jamais: 2013. Soit l’année où il a lu par hasard une étude américaine sur l’orgasm gap, littéralement le “fossé” séparant les femmes et les hommes lorsqu’il s’agit d’orgasme. Une étude Ifop de 2019 confirmait le phénomène: une femme française sur quatre déclarait ne pas avoir joui lors de son dernier rapport sexuel, contre un homme sur sept. Michael Lenke ne s’était jamais posé la question de cette inégalité face à l’orgasme. “J’ai alors commencé à essayer de comprendre pourquoi. J’ai fait des recherches, j’ai interrogé beaucoup de gynécologues, j’en ai beaucoup parlé avec Brigitte.” Chez eux, à Metten, il descend chaque jour les escaliers jusqu’au cellier. S’empare de la pompe à eau d’un aquarium dans une main, d’un tube en plastique dans l’autre, et réfléchit. Le clitoris a beaucoup de nerfs, donc j’ai pensé que c’était certainement la solution, mais comment? rejoue-t-il. J’ai imaginé un système d’air pulsé, qui ne serait pas invasif.”

Michael a beau avoir des idées, il est dans l’impossibilité anatomique de les tester. Parfois, il pose le tube sur son nez pour sentir les vibrations, puis se tourne vers Brigitte: “Ça fonctionne, non?” Pendant deux ans, alors que personne n’est au courant des travaux du couple, c’est elle qui va devoir tester les différents prototypes. Généralement, cela se passe en fin d’après-midi. Michael remonte du cellier et lui lance des regards de chien battu. “S’il te plaît, va essayer encore une fois”, la supplie-t-il. Brigitte ne garde pas beaucoup de bons souvenirs de cette première année. “C’était beaucoup trop puissant! J’avais l’impression que ça allait m’envoyer au plafond comme une fusée! J’ai dit: ‘Non, non, non, il faut que ce soit beaucoup plus doux.’ D’après son mari, Brigitte a aussi beaucoup dit “laisse tomber”. “Alors j’arrêtais pendant un mois ou deux, mais je reprenais dès que j’avais une nouvelle idée.” Au bout d’un an, l’engin devient plus cohérent. Les sensations font progressivement leur apparition. Il faut bien maîtriser la montée en puissance et prévoir plusieurs vitesses pour s’adapter au plus grand nombre. Alors que Michael touche à sa deuxième année de test, Brigitte remonte un jour du cellier. “Ça y est, dit-elle. Ça va être un succès mondial.” Avant la fin 2014, le produit est mis sur le marché.

La revanche du clitoris

Sept ans plus tard, Hallie Lieberman, autrice américaine de Buzz: A Stimulating History of the Sex Toy, a eu tout le temps d’analyser le succès du Womanizer. Il accélère une tendance, celle du sextoy non phallique, dit-elle. Dans les années 70, Gosnell Duncan (un Américain qui avait inventé un sextoy après être devenu paraplégique, ndlr) en faisait déjà. Parce que le pénis ne stimule pas le clitoris et que des femmes ont toujours cherché quelque chose qui le stimule. Mais ce n’est que depuis quelques années que ces instruments sont devenus mainstream.” Après des décennies caché, ignoré, le clitoris est désormais partout: sur les murs en guise de street art, sur Instagram avec des comptes comme @jouissance.club, @gangduclito et @jemenbatsleclito, qui rassemblent des centaines de milliers d’abonnés, sur france.tv avec la série documentaire Clit Revolution, dans les discussions, dans les manuels de science. Un mouvement qui a forcément participé à l’immense succès du Womanizer. Céline, 35 ans, s’est acheté le sien sur les conseils de copines et a obtenu un code promotionnel en écoutant un podcast. Elle a longtemps eu une relation compliquée avec le clitoris, pour finalement se réconcilier. “Quand j’avais 5 ou 6 ans, une copine m’avait montré un livre pour les enfants sur l’anatomie, le clitoris y était dessiné, raconte-t-elle. Elle m’avait dit que si on faisait des ronds avec le doigt dessus, ça procurait du plaisir.” La petite fille prend l’habitude de se masturber, mais culpabilise et pense même “qu’un jour, il faudra l’opérer” pour réparer les dégâts. “Même quand j’étais ado, c’était tabou, il n’y avait que les garçons qui pouvaient dire qu’ils se masturbaient. Pour une fille, c’était être bizarre ou obsédée.” Ce n’est que quelques années plus tard que Céline a réalisé qu’elle ne pouvait jouir qu’en stimulant son clitoris, aujourd’hui un allié de taille. Même constat chez Angela, 29 ans, à qui ses amies ont offert un Womanizer pour ses 26 ans.

“Quand j’étais ado, c’était tabou, il n’y avait que les garçons qui pouvaient dire qu’ils se masturbaient. Pour une fille, c’était être bizarre ou obsédée”
Céline, utilisatrice

“Avant ça, j’étais pas du tout sextoy. J’en avais eu un dans ma vie, mais ça me faisait plus chier qu’autre chose, je ne trouvais pas ça naturel. Mais le Womanizer est devenu un sujet de conversation normal, je me suis retrouvée plusieurs fois à en parler en prenant un verre avec des groupes d’amis très différents.” Si bien que la jeune femme se décide enfin à l’essayer. Elle parle d’une révélation”: “Le plaisir a été tellement intense que pendant six mois, je n’avais plus envie ou besoin de coucher avec un mec. Je me satisfaisais juste de mon Womanizer.” Cela signifie-t-il que le Womanizer est discrètement devenu l’arme ultime contre le patriarcat, l’outil d’un détachement total de la femme hétérosexuelle du joug de l’homme? L’idée n’est pas neuve. Dès les années 60, la féministe Betty Dodson, à la recherche “du soi sexuel”, avait vanté les sextoys comme outils de libération des femmes et considéré l’orgasme comme un droit fondamental, au même titre que le droit de vote. “Le Womanizer a forcément un côté féministe puisqu’il éduque au plaisir et apporte une émancipation non dépendante d’une tierce personne, pose la sexothérapeute Nathalie Giraud Desforges. Il s’agit d’apprendre à mieux connaître son corps et ce qu’on aime, avant d’aller voir l’autre.” De leur côté, les hommes semblent également bien s’entendre avec le Womanizer, qui se présente plutôt comme un allié que comme un concurrent. J’en avais tellement parlé librement devant n’importe qui que quand mon mec est devenu mon mec, il m’a très vite demandé de le sortir! raconte Angela. Maintenant, c’est lui qui encourage ses potes à en acheter à leur copine.”

 

“On voulait vendre à des gens normaux”

“Je voulais juste inventer quelque chose d’utile pour le plus grand nombre. Ce n’est que longtemps après que j’ai réalisé que c’était un produit féministe”
Michael Lenke, inventeur du Womanizer

Pris dans ses équations et ses étapes de fabrication, Michael Lenke n’a pas eu le temps de penser aux implications féministes de son invention. “À l’époque, je voulais juste inventer quelque chose d’utile pour le plus grand nombre, réfléchit-il. Ce n’est que longtemps après que j’ai réalisé que c’était un produit féministe.” Alors que Brigitte s’estime enfin satisfaite du prototype de Michael, un autre problème se pose rapidement. “Il marchait sur Brigitte, mais sur les autres femmes? Il fallait le tester sur plus de monde, mais on ne pouvait pas demander aux voisins!” Le couple se tourne alors vers le plus important club libertin de la région, qui accepte de proposer à ses clientes de tester le prototype de Michael. Pendant cinq mois, une soixantaine de femmes âgées entre 18 et 65 ans en font l’expérience. “On l’a fait comme une recherche médicale. Au début, elles étaient un peu surprises de la démarche, mais au bout de deux mois, les candidates nous suppliaient d’essayer! On a eu un résultat d’environ 90% de réussite”, vante l’inventeur. Il s’agit ensuite de trouver un nom au produit. Pas facile. Il fallait parler aux femmes et que ça marche dans toutes les langues. Sur ce point, on n’a pas vraiment réussi, on ne savait pas que womanizer, aux États-Unis, était un terme péjoratif!” En Amérique, en effet, l’expression désigne un “homme à femmes”. D’abord réticents, les futurs partenaires américains finissent néanmoins par renoncer à obliger le couple à changer le nom. Il faut dire que l’offre est trop belle. Toutes les entreprises avec lesquelles on voulait collaborer ont testé le produit et dès qu’elles voyaient les résultats, elles voulaient travailler avec nous.” Pendant trois ans, le couple vend le Womanizer sur différents sites, dans différents pays, travaille 100 heures par semaine, ne prend jamais de vacances. Les Lenke gèrent seuls l’amélioration de la technologie, le design, le packaging, les comptes, sans oublier le marketing. C’était mon idée de vendre le Womanizer comme un produit du quotidien, quelque chose à ranger dans la catégorie lifestyle, et non porno”, explique Michael. D’ailleurs, les deux Allemands déclinent systématiquement les offres que leur formulent plusieurs stars du X, qui souhaitent faire la promotion du sextoy. “Si on avait dit oui, on n’en serait pas là aujourd’hui. On voulait vendre à des gens ‘normaux’, que le Womanizer soit quelque chose que l’on puisse offrir en cadeau. J’en ai même donné un à ma fille!” Bien vu. Dès 2016, Michael et Brigitte réalisent un chiffre d’affaires de plus de dix millions d’euros.

 

Aujourd’hui, Johanna Rief est une femme heureuse. Cheffe des relations publiques et de “l’empowerment sexuel” chez Womanizer, son job serait presque trop simple: vendre, en 2021, un produit qui soit à la fois féministe, instagrammable, hygiéniste, high-tech, bon pour la santé et écologique. Pas étonnant que la jeune trentenaire allemande s’exprime comme un livre de développement personnel: “Chez Womanizer, nous sommes déterminés à montrer que la masturbation est quelque chose de naturel, sain et magnifique, récite-t-elle. Nous proposons un dialogue ouvert et sans gêne sur le plaisir féminin afin d’encourager tout le monde à atteindre son accomplissement sexuel.” Pour vendre cet accomplissement, la marque continue de suivre le mantra imposé par Michael: le Womanizer n’est pas un produit, c’est un mode de vie intime” ; ce n’est pas un sextoy, c’est un médicament pour le corps et l’esprit ; et on ne le retrouve pas dans les grands salons de l’industrie du porno, mais dans les festivals de bien-être comme le Wanderlust, où de beaux jeunes gens viennent se rassembler pour faire du yoga. “Plus une marque éloigne son produit du sexe, plus elle a de chance de devenir mainstream”, analyse Hallie Lieberman, qui rappelle que dans les années 1900, les vibromasseurs étaient déjà vendus comme des produits de beauté. Elle développe: Vendre son sextoy comme un produit de santé permet d’être intégré au marché du bien-être, notamment sur Instagram, où les pubs trop sexualisées sont bannies.”

Pour tester son produit, le couple se tourne vers le plus important club libertin de la région, qui accepte de proposer à ses clientes de tester le prototype. Pendant cinq mois, une soixantaine de femmes âgées entre 18 et 65 ans en font l’expérience.

Mais la publicité n’en est pas pour autant mensongère: l’orgasme est, en effet, bon pour la santé. Il libère de l’endorphine et détend du stress, il a un effet antidouleur et permet au mental de se reposer, parce que la détente vient par le corps”, explique Nathalie Giraud Desforges, selon qui dans un couple, l’ocytocine libérée par l’orgasme va aussi provoquer le sentiment d’attachement”. L’orgasme a également un effet sur les douleurs menstruelles. “90% des femmes qui ont participé à notre étude sur le sujet ont indiqué qu’elles recommanderaient la masturbation contre ces douleurs”, indique Johanna Rief. Tant d’études scientifiques, de discours lissés et de design épuré, que l’on en oublierait presque que le sextoy est une histoire de sexe. Alors que c’est bien la jouissance que le Womanizer vend en premier lieu. Et qu’il tient promesse, comme en témoigne Adèle, 28 ans. Je n’avais jamais eu d’orgasme avant, j’avais pourtant eu une vingtaine de partenaires et un mec pendant quatre ans. J’ai donc découvert l’orgasme à 26 ans grâce au Womanizer, ça m’a rassurée de savoir que je pouvais en avoir, moi aussi. Et je me suis aperçue en en parlant autour de moi que je n’étais pas la seule!” Rien d’étonnant pour Nathalie, la sexothérapeute, qui conseille souvent le Womanizer à ses patientes qui n’ont jamais eu d’orgasme, connaissent un blocage ou ont besoin de se réapproprier leur corps. Elle qui a participé aux consultations qu’organise parfois la marque avec des sexologues, relève cependant un détail: “À l’époque, elle communiquait beaucoup sur le fait que le Womanizer garantissait l’orgasme à tout le monde. Je leur ai conseillé de réviser un peu cet aspect du marketing car il ne faut pas que ça sonne comme une injonction, sinon les femmes sur qui ça ne fonctionnera pas se croiront anormales, et cela peut renforcer un blocage.” Il est vrai qu’à lire les commentaires dithyrambiques sur le site de la marque, le Womanizer peut parfois apparaître comme un fast-food du sexe, une réponse ultra-efficace et rapide à un besoin physique. Céline, Angela et Adèle l’ont toutes les trois noté, et c’est un bémol –le seul– qui semble revenir souvent: l’orgasme serait, en vérité, devenu trop facile. “Parfois, je me surprends à comparer un rapport sexuel aux sensations du Womanizer”, murmure Adèle. Céline renchérit: “Je me sens moins sensible pendant une relation depuis que je l’utilise régulièrement. Je pense qu’il ne faut pas abuser de sa facilité.” Pour palier à cette impression d’usine de l’orgasme à la va-vite, les derniers Womanizer ont hérité d’une fonction “autopilot” qui laisse l’engin alterner lui-même entre les puissances et créer l’illusion de la spontanéité humaine. Pour Hallie Lieberman, cette facilité n’est pas un défaut: c’est le prix à payer de l’égalité. “Cet orgasme clinique n’est pas mon préféré, mais pourquoi ne pas avoir cette option? Je pense que le positif, c’est qu’il y ait le plus d’orgasmes possibles accessibles aux femmes.”

 

Dr Clit et ses fans

“Des femmes de 70 ans qui nous racontent que c’est le premier orgasme de leur vie, ou d’autres qui ont eu un cancer et qui ont géré leur douleur grâce à cela. Quand on a inventé le Womanizer, on n’avait pas pensé à tout ça.”

Michael et Brigitte ont laissé le Womanizer derrière eux en 2017. Le rythme de travail était devenu trop éreintant, et la retraite trop tentante. “On a choisi de vendre à un groupe d’investisseurs privés contre un gros chèque avec beaucoup de zéros (depuis, ce groupe s’est allié au canadien We-Vibe pour devenir l’entreprise qui vend actuellement le Womanizer, Wow Tech, ndlr). Maintenant, j’ai plus de 70 ans, j’ai envie de me détendre.” La même année, le couple s’est donc acheté cette maison de 700 mètres carrés dont la piscine surplombe l’île. Il a été question un temps d’opter pour Monte-Carlo, mais Michael s’est souvenu à temps d’une chose: il ne supporte pas “les gens qui se la racontent”. Ici, à Majorque, il fréquente “des gens normaux”. Mais difficile d’échapper à son destin. Dans la rue, les gens l’appellent parfois, affectueusement, “Dr Clit”. Il lui arrive même de recevoir du courrier sous ce nom. Des centaines de lettres venues du monde entier, qui disent toutes merci. Des femmes de 70 ans qui nous racontent que c’est le premier orgasme de leur vie, ou d’autres qui ont eu un cancer et qui ont géré leur douleur grâce à cela. Quand on a inventé le Womanizer, on n’avait pas pensé à tout ça.” Dans la pile du courrier, se glissent aussi souvent des lettres de leur plus grand fan, un Franco-Vietnamien qui possède plus de 50 modèles chez lui. “Il nous envoie des photos de ses enfants maintenant, on est devenus amis!” Ces derniers temps, malgré la retraite, Michael a tout de même trouvé l’occasion de breveter une nouvelle invention: un sextoy, cette fois pour hommes. Baptisé “Orctan” et déjà disponible en Allemagne et en Suisse, il est censé reproduire les sensations d’une fellation. Mais ce coup-ci, Michael Lenke ne parcourra pas le monde pour le défendre. En Allemagne et à Majorque, il s’est découvert deux nouvelles passions: la musique techno et la peinture. Ses grandes toiles de 180 sur 120 centimètres parsèment la grande maison jusque dans la salle de bains, évoquant parfois les graffitis colorés du mur de Berlin: toujours une explosion de couleurs chaudes, vivantes, projetées. Quelque part, cela ressemble un peu à un orgasme. – Tous propos recueillis par HC