C’était en 1993. Jane Campion, alors nommée pour La Leçon de piano, devenait la première femme à recevoir la Palme d’or à Cannes. Et la seule, à ce jour. Mais peut-être plus pour longtemps: en cette 69e édition du festival, trois femmes sont en compétition dans la sélection officielle: la française Nicole Garcia, l’anglaise Andrea Arnold et l’allemande Maren Ade, déjà auteure du coup de cœur de la quinzaine. Même si, au milieu des 18 hommes également en lice, le chiffre paraît bien maigre, la majorité des personnages principaux des films en sélection cette année sont des femmes –De Sasha Lane dans American Honey à Kim Min-hee et Kim Tae-ri dans Mademoiselle, en passant par Sonia Braga dans Aquarius, Adèle Haenel dans La Fille inconnue des frères Dardenne, et même Emma Suarez dans Julieta de Pedro Almodovar.
Une révolution pour la représentation des femmes au cinéma. Mais aussi un combat au quotidien: “Lors du tournage de Thelma et Louise, je ne pensais qu’à déranger personne, confie Geena Davis, fondatrice d’un institut à son nom sur la place des genres dans les médias.
Présente à Cannes dans le programme Women in Motion, porté par la fondation Kering depuis 2015, elle contribue ainsi à soutenir la place des femmes dans la création cinématographique. “Susan, elle, était très à l’aise et demandait même à Ridley Scott de changer des dialogues si cela lui paraissait incongru.” Susan, c’est Susan Sarandon: “Réaliser un film de copines dans le paysage du mâle hétérosexuel par excellence, c’était un choix.” Car faire évoluer son milieu professionnel part avant tout d’une décision individuelle: “Quand j’étais petite, je ne voyais jamais une autre femme sur le plateau, à part l’actrice qui jouait ma mère, la maquilleuse ou la scripte. Mais depuis 50 ans que je travaille dans le cinéma, j’ai pu constater des changements radicaux”, a lancé Jodie Foster, invitée la première à s’exprimer pour Women in Motion. Présente à Cannes pour Money Monster, elle a repris son parcours: un premier rôle à l’âge de 4 ans, un festival de Cannes dix ans après pour Taxi Driver et un premier film réalisé à seulement 27 ans. Sa success story, qui en fait rêver plus d’une, semble encore être un accident. “Dans les métiers de l’image, on ne trouve que 2% de femmes. La plupart des réalisatrices ont peur de ne pas trouver de travail et s’orientent souvent vers d’autres postes comme la production, explique Celine Rattray, également invitée par Kering. C’est un cercle vicieux. On le voit particulièrement dans les films à gros budget: pour un film d’action, les producteurs chercheront quelqu’un qui en déjà réalisé plusieurs. Or, peu de femmes ont déjà réalisé des films de ce genre. Dès le départ, elles n’ont pas leur chance.”
“Quand l’argent entre en jeu, les femmes sortent du tableau”
La productrice américaine est accompagnée de Keri Putnam, directrice générale du Sundance Institute, qui observe aussi ce manque de parité dans le cinéma indépendant: “Cette année, seuls 25% des films proposés à Sundance sont réalisés par des femmes, alors que dans les écoles de cinéma américaines, 50% des élèves en réalisation sont des filles. À partir de quand ont-elles abandonné?” D’après Keri Putnam, ce serait d’abord une histoire de sous. “Le problème majeur, c’est l’accès au financement. Quand l’argent entre en jeu, les femmes sortent du tableau. Il faut dire que les réseaux financiers sont dominés par les hommes. Et les femmes sont souvent moins à l’aise dès qu’il s’agit de demander de l’argent. Je pense qu’il faut surtout les encourager à prendre position pour elles-mêmes.” C’est ce qu’a fait Audrey Clinet, fondatrice de l’association Eroïn, qui soutient la diffusion de films réalisés par des femmes.
En mettant un pied dans le septième art, la réalisatrice a vite compris qu’il fallait se débrouiller toute seule: “J’ai créé Eroïn en 2012. J’étais actrice à l’époque et j’avais écrit un court-métrage de trois minutes. J’ai simplement créé mon asso’ pour pouvoir le diffuser. Puis, j’ai eu envie de mettre en avant d’autres réalisatrices, pour leur donner la même chance.” Si elle n’est pas vraiment partisane du combat féministe, elle reconnaît que le cinéma souffre encore du sexisme ordinaire: “Une réalisatrice m’a raconté qu’elle n’avait pas obtenu de fonds parce qu’elle était maquillée et qu’elle portait une jupe trop courte. Le pire, c’est que c’est une femme de la commission qui lui a dit ça! Elle pensait qu’une femme habillée de cette façon ne pouvait pas défendre un film. Résultat: je connais des réalisatrices qui ne peuvent pas assumer leur féminité parce qu’elles ont peur d’être stigmatisées. Mais c’est la même chose dans tous les corps de métier.” Pour Celine Rattray, il s’agit bien d’un problème plus profond encore ancré dans les mentalités. Quoi qu’elles fassent, les femmes partiraient toujours avec une longueur de retard: “La barre est placée plus haut pour les femmes. On les oblige à être beaucoup plus performantes que les hommes si elles veulent réussir.” Diana Rudychenko, une réalisatrice ukrainienne installée à Paris depuis plusieurs années, en a fait l’expérience à Cannes. Venue présenter un court-métrage grâce à Eroïn, elle a profité de sa présence au festival pour pitcher son premier long-métrage à des producteurs. Tous des hommes. “J’ai raconté l’histoire de mon film, tous les yeux étaient rivés sur moi. Mais pas seulement parce qu’ils étaient intéressés par mon idée. Un producteur m’a avoué que c’était difficile pour une femme: on vous écoute mais on vous regarde aussi. On s’attache à votre apparence.” Pourtant, elle n’est pas à l’aise avec la question des femmes réalisatrices: “On parle des femmes dans le cinéma comme si c’étaient des handicapées. Oui, c’est plus difficile pour une femme, malheureusement. Mais je préfère prendre l’exemple de celles qui réussissent plutôt que de me focaliser sur les difficultés. J’admire beaucoup la force de Kathryn Bigelow, la seule femme à avoir reçu l’Oscar du meilleur réalisateur. En Ukraine aussi, on voit que dans les festivals comme celui d’Odessa, il y a beaucoup de femmes en compétition, peut-être même plus que des hommes. Tout est possible si on se bat.”
Jennifer Lawrence, Lena Dunham et la génération Y
L’égalité des sexes, en particulier au cinéma, serait-il un débat sans fond? Audrey Clinet aussi reste méfiante à l’égard du sujet: “On en parle plus qu’avant, mais ça ressemble plutôt à un coup de buzz. Aujourd’hui, c’est le sujet à la mode, mais dans quelques années, les choses auront-elles véritablement changé?” Pour s’en assurer, Geena Davis et Susan Sarandon ont élaboré un manuel pour les femmes qui souhaitent faire évoluer le monde du cinéma: “Il faut partir de la mesure, car si ce n’est pas mesuré, ça ne changera jamais”, pose Davis. Avant que Sarandon ne révèle son propre plan d’action: “D’abord, dès que vous recevez un script, remplacez les personnages masculins par des noms féminins et voyez si l’histoire se tient. Si c’est le cas, demandez pourquoi il n’y a pas plus de personnages féminins. Ensuite, sur le casting, c’est important que la moitié des postes soient attribués à des femmes, ça change tout l’esprit d’un plateau. Il faut impliquer les acteurs, producteurs et décideurs masculins à provoquer le changement. En refusant de faire plus de presse que les hommes quand ils touchent plus que moi par exemple…” Celine Rattray, elle, est optimiste quant à l’avenir des femmes au cinéma: “Le paradigme est en train d’évoluer. La génération Y montre une extraordinaire confiance en elle. Des femmes comme Jennifer Lawrence et Lena Dunham, avec leurs écrits, ont eu un réel impact sur l’égalité homme-femme dans l’industrie cinématographique.” Geena Davis illustre: “Après la sortie d’Hunger Games, le nombre de filles inscrites au tir à l’arc a juste explosé aux États-Unis, ça montre bien l’impact de l’image.” Diana a une toute autre théorie sur la question: “Un de mes amis a une vision qui me plaît beaucoup. Il dit: ‘Le XXe siècle était celui des hommes, le XXIe, celui de la femme et le prochain sera celui des robots.’” En attendant que les automates nous remplacent, Susan Sarandon sait où trouver de l’inspiration: “Regardez Kristen Stewart, elle reste authentique. Elle n’est pas dans la lignée des femmes comme les Kardashian, qui ont érigé au niveau de science leur propre communication.”
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