VISION

Abraham Poincheval : “Je réalise que les gens font des choses vraiment étranges”

Il a hiberné treize jours dans la peau d’un ours naturalisé au musée de la chasse, vécu perché sur une planche douze mètres au-dessus du sol à Rennes, et même traversé les Alpes avec un énorme cylindre. Abraham Poincheval est ce que l’on appelle un artiste-performeur. Justement, sa dernière performance a pris fin le 17 juillet dernier, dans le cadre du festival Villeneuve en scène. Il raconte.
Abraham Poincheval, Camp de base, Bouteille, 2016. Vue de l’exposition « Camp de base » à l ‘Institut d’art contemporain de Villeurbanne. Photo : Blaise Adilon. Courtesy Semiose galerie, Paris.

Il y a quelques jours, vous étiez enfermé dans une bouteille géante à Villeneuve-lès-Avignon. Comment s’est passé votre séjour ?

Très bien ! Je suis resté dans ma bouteille de six mètres de long pendant neuf jours. Un peu comme dans une capsule spatiale, je devais m’immerger dans l’espace où elle était posée, m’y adapter.

Comment gère-t-on sa journée quand on vit là-dedans ?

Il faut tout le temps modifier son espace de vie. En fonction du moment, la bouteille pouvait devenir une chambre, une cuisine ou un atelier de travail. J’y vivais 24 heures sur 24, à un rythme très ralenti. Je me déplaçais en fonction du soleil, je discutais avec les gens qui venaient me voir, je fabriquais des cordages. J’ai d’ailleurs eu des conversations vraiment intéressantes avec des passants. On parlait du voyage, de la sensation d’être scruté en permanence, du rapport des gens à l’art contemporain. Il a pu m’arriver de discuter trois, quatre heures, comme dix minutes. En plus, avec le festival d’Avignon qui se déroulait à côté, j’ai vu des gens très différents.

D’où vient cette passion pour les performances ?

C’est un peu venu par hasard. Quand j’ai terminé mes études à Nantes dans les années 90, je me suis demandé ce que j’allais faire. J’étais intrigué par tout ce qui tournait autour de l’aventure, de l’expédition. À la fin des années 2000, je me suis alors rendu avec mon ami Laurent Tixador sur l’île du Frioul, au large de Marseille, pour une expérience. On y est allés avec une caméra et on a vécu en autonomie pendant plusieurs jours. On en a rapporté des vidéos que l’on a projetées lors d’une exposition, et ça nous a vraiment plu. Alors, on s’est décidés à expérimenter le territoire à travers de nouvelles performances.

Pour imaginer de telles oeuvres, vous avez forcément des influences.

Le voyage, l’aventure, la fiction… J’ai lu Jack London, regardé des films d’Herzog. J’ai aussi beaucoup voyagé. J’avais envie de créer de la fiction dans le réel, réaliser dans la vraie vie ce que j’ai pu lire dans des livres d’aventure. Par exemple : habiter dans un ours naturalisé et vivre dans un musée, ou traverser la France d’est en ouest uniquement en ligne droite. Ce sont des idées que j’ai eues. Puis je me suis dit : ‘Et si je les mettais en œuvre?’

Abraham Poincheval Ours, 2014  160 x 220 x 110 cm Matériaux mixtes © Musée de la chasse et de la nature. Photo : S. Lloyd. Courtesy Semiose galerie, Paris.
Abraham Poincheval
Ours, 2014
160 x 220 x 110 cm
Matériaux mixtes
© Musée de la chasse et de la nature.
Photo : S. Lloyd.
Courtesy Semiose galerie, Paris.

Votre art, c’est presque du sport…

Je ne sais pas. Mais c’est vrai que l’aspect physique et cette sensation d’expérimentation me plaisent. Par exemple, quand j’ai traversé les Alpes avec un cylindre –dans lequel je vivais–, j’ai dû faire quatre mois de formation dans un centre sportif, en amont. Pareil pour mon autre projet de traversée de la France d’est en ouest en ligne droite. Je suivais un chemin précis et je m’en détournais le moins possible, c’était le concept. Du coup, je suis passé dans des zones industrielles, des domaines privés, j’ai dû traverser des autoroutes…

À pied !?

Je n’avais pas le choix, c’était sur mon chemin! C’est une sacrée expérience, mais je ne le conseille à personne (rires). Il faut courir vite, au bon moment.

Vous avez l’air de bien aimer les lieux publics, il y a une raison?

Parce que c’est un espace libre, ouvert, dans lequel les frontières sont plus perméables. Il s’y passe énormément de choses que l’on ne remarque pas tout le temps. Mais pour ma performance dans les Alpes, j’étais totalement isolé, et ça ne change pas tellement, en vérité : au lieu d’être avec des gens, on est avec la faune et la flore. J’ai croisé des sangliers, des loups, des biches, un lynx… Ils ont juste un langage différent du nôtre (sourire).

Vue de la performance « La vigie urbaine » à La Criée, centre d’art contemporain de Rennes, 2016. Photo : B.Mauras, Courtesy Semiose galerie, Paris.
Vue de la performance « La vigie urbaine » à La Criée, centre d’art contemporain de Rennes, 2016.
Photo : B.Mauras, Courtesy Semiose galerie, Paris.

Quelle a été l’expérience la plus éprouvante ?

La première fois que je me suis enfermé sous terre pendant une semaine à Marseille. J’étais tout le temps assis. Du coup, je dormais dans la même position que quand j’étais éveillé. Il m’arrivait de ne plus savoir si je dormais ou pas. En plus, je rêvais du trou dans lequel j’étais, ce qui me perdait encore plus. C’était une expérience vraiment forte, j’étais perdu entre la réalité et les rêves.

Finalement, vous considérez-vous comme quelqu’un d’étrange ?

En vérité, je suis une personne très classique. Des gens peuvent penser que ce que je fais est complètement étrange, je les comprends, mais je dois aussi les trouver bizarre de temps en temps de mon côté (rires). C’est ce qui m’amuse le plus dans mes performances : quand je suis seul à observer le monde qui m’entoure, je réalise que les gens font des choses vraiment étranges.

Quelle sera votre prochaine aventure ?

En octobre, une semaine avant la Nuit blanche de Paris, je vais me poser sur une vigie de 20 mètres de hauteur près de la gare de Lyon. Je ne suis jamais allé aussi haut ! J’ai également pour projet de marcher sur les nuages. Mais je vous en parlerai plus tard…

PAR BRICE BOSSAVIE