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Vladimir Poutine : « Je n’expirais pas, je râlais »

Le CIO a finalement autorisé la Russie à participer aux JO de Rio. Le sport de haut niveau, justement, Vladimir Poutine connaît. Dans un livre d'entretiens –Première personne, aux éditions So Lonely–, le président russe racontait d'ailleurs ses premiers pas de judoka. Extraits.

“Vous savez, le judo, ce n’est pas seulement un sport. C’est une philosophie. C’est le respect des aînés, de l’adversaire, il n’y a pas de faibles dans ce sport. Au judo, tout, du rituel du début en passant par chaque petit détail du combat, a un aspect éducatif. En arrivant sur le tapis, on se salue mutuellement. Ça aurait pu se passer autrement : au lieu de s’incliner, on aurait pu, directement, donner un coup de boule à l’adversaire. Mais non, ça ne se passe pas comme ça. Aujourd’hui encore, je suis ami avec les gens qui s’entraînaient avec moi à l’époque. […]

Nous considérions le karaté et tous les autres sports de combat sans contact, comme de simples exercices d’échauffements ou comme du ballet. Le sport, c’est quand il y a de la transpiration, du sang et qu’il faut travailler dur. Quand le karaté est devenu très populaire, que toutes sortes d’écoles privées se sont ouvertes, nous avons compris que pour leurs propriétaires c’était simplement un moyen comme un autre de gagner de l’argent. Nous, nous n’avons jamais payé pour nos leçons. Nous venions tous de familles pauvres. Le karaté était payant dès le début et les gamins qui en faisaient pensaient qu’ils étaient supérieurs. Un jour, nous sommes allés au gymnase avec le doyen des entraîneurs de ‘Troud’, Leonid Ionovitch. Et là, on a vu des karatékas s’entraîner sur le tapis, alors que c’était notre tour.  Leonid s’est approché de leur entraîneur et lui a dit qu’il était temps de nous céder la place. L’autre n’a même pas regardé dans sa direction, un peu comme pour dire ‘dégage’.  Alors, sans un mot, Lonia (*diminutif affectif de Leonid) l’a retourné, il l’a étranglé un peu et l’a sorti du tapis. L’autre avait perdu connaissance. Ensuite, Leonid s’est tourné vers nous en disant : ‘Entrez, installez-vous.’ Voilà quel était, au début, mon rapport avec le karaté. […] Lorsque j’ai commencé à aller à l’université, je me concentrais surtout sur mes études et le sport est passé au second plan. Certes, je continuais à m’entraîner régulièrement, je participais toujours aux compétitions nationales, mais plus par habitude que par passion.

En 1976, j’ai été champion de la ville. Dans notre section, il n’y avait pas que des amateurs comme moi, il y avait aussi des professionnels, des champions d’Europe, du monde, des Jeux olympiques de sambo et de judo. Je suis devenu maître de sambo à mon arrivée à l’université et deux ans plus tard, j’étais ceinture noire de judo.

Je ne sais pas comment ça se passe maintenant, mais à mon époque, il fallait en une année obtenir un certain nombre de victoires face à des adversaires d’un certain niveau et en plus, il fallait remporter quelques compétitions sérieuses. Il fallait, disons, arriver dans les trois premiers aux compétitions de la ville ou prendre la première place aux compétitions nationales organisées par ‘Troud’.

Je me souviendrai toujours de certains combats. À la fin de l’un d’entre eux, je n’arrivais plus à respirer. J’étais tombé sur un gars costaud, j’y est mis toutes mes forces à tel point que ce n’est plus de la respiration qui sortait de ma poitrine, mais une sorte de râle. J’ai remporté le combat avec un léger avantage.

Et puis, il y a eu cet autre combat dont je me souviendrai toute ma vie, même si je l’ai perdu. C’était contre le champion du monde Volodia Kullenine. Il est mort par la suite. Il a commencé à boire et a été tué quelque part dans la rue. Pourtant, c’était un grand athlète, un type brillant et très talentueux.  À l’époque, il ne buvait pas encore. Nous étions face à face pour le championnat de la ville. Lui était déjà champion du monde. Dès les premières minutes, je l’ai retourné et plaqué au sol, d’une façon très belle, très fluide.

En principe, le match aurait dû s’arrêter là, mais vu que Kullenine était un champion du monde, ça ne se faisait pas de stopper le combat aussi vite. Donc, on m’a attribué des points et nous avons continué. Bien sûr, il était plus fort que moi, mais j’ai bataillé dur. Au sambo, lorsqu’une prise douloureuse est effectuée, le combat est arrêté immédiatement si l’on entend un cri. C’est un signe de défaite. Lorsqu’il m’a tordu le coude dans l’autre sens, nous avons été séparés. L’arbitre avait cru m’entendre gémir. Au final, il a gagné. Mais malgré ça, je me souviens encore de cette prise.  Et puis, je n’avais pas honte de perdre contre un champion du monde.

Il y a eu un autre combat que je n’oublierai pas, quoi que je n’y ai pas pris part. J’avais un ami à l’université. C’est moi qui insistais pour qu’il vienne à la salle de sport.  Il a commencé à faire du judo et il se débrouillait bien. Il y a eu des compétitions. Un jour, en combattant, il s’est lancé en avant et il est tombé la tête sur le tapis. Ses vertèbres se sont déplacées et il s’est retrouvé paralysé. Il est mort à l’hôpital dans les dix jours qui ont suivi. C’était un type bien, je regrette encore de lui avoir fait aimer o.

Les blessures n’étaient pas chose rare. Les gars se cassaient des bras, des jambes. Les entraîneurs nous torturaient lors de ces combats. Et les entraînements n’étaient pas faciles non plus. Nous allions souvent à la base sportive du lac Khippiarvi, en banlieue de Leningrad. C’est un lac assez grand, d’un diamètre de 17 kilomètres. En se levant le matin, nous commencions par faire le tour du lac en courant. Après la course, des exercices d’échauffement, puis l’entraînement. Ensuite, petit déjeuner, puis encore entraînement, puis déjeuner, avant un peu de repos et encore de l’entraînement.

Nous voyagions beaucoup dans tout le pays. Un jour, nous nous sommes rendus en Moldavie pour une compétition, en prévision de la Spartakiade (*événement sportif international que l’Union soviétique a créé en opposition aux Jeux olympiques) des peuples d’URSS. Il faisait une de ces chaleurs ! Nous rentrions de l’entraînement avec mon ami Vassia et dans la rue des gens vendaient du vin partout. Il m’a dit ‘Viens, on se boit une petite bouteille !’  Je lui ai répondu : ‘Il fait trop chaud.’  ‘Ça va nous détendre, on se reposera un peu’, m’a-t-il dit.  ‘Bon d’accord, allons-y.’

Nous avons pris une bouteille chacun. Nous sommes rentrés dans notre chambre d’hôtel. Après le déjeuner, nous nous sommes posés sur nos lits. Il a ouvert sa bouteille. ‘Allez, vas-y toi aussi.’ Moi je lui ai dit : ‘Il fait trop chaud, je n’en veux pas.’ ‘Bon, comme tu veux.’ Et hop, il a vidé sa bouteille. Il m’a jeté un coup d’œil en me disant : ‘Tu es sûr que tu n’en veux pas ?’ J’ai dit que j’étais sûr. Alors il a pris la deuxième, et hop, celle-là aussi il l’a descendue. Il l’a posée sur la table, et bam, il s’est mis à ronfler en un instant. J’ai tellement regretté d’avoir refusé de boire avec lui ! Je me tournais, me retournais dans mon lit jusqu’à ce que je n’en puisse plus. Je l’ai secoué et je lui ai dit : ‘Eh toi, le goret, arrête ça tout de suite ! tu ronfles comme un éléphant !’

Nous prenions du bon temps comme nous pouvions. Mais c’était plutôt une exception. Boire et faire la fête, ça rendant les entraînements sacrément plus difficiles ! ”

Vladmir Poutine – Première personne, aux éditions So lonely, disponible ici.

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Par Nataliya Gevorkyan, Nataya Timakova et Andreï Kolesnikov / Traduction : Ksenia Bolchakova