C’est l’une des vedettes de la soirée: une immense boule à facettes signée du designer superstar Philippe Starck. Elle surplombe la grande piste de danse en parquet du Chalet du Lac, un établissement champêtre à l’orée du bois de Vincennes, qui accueillit en septembre 1976 un concert mythique des Sex Pistols, mais abrite surtout, désormais, des thés dansants réservés aux séniors. Mais ce dimanche, pas de cha-cha-cha ni de guinguette. Le pavillon accueille la soirée électorale de Marine Le Pen, et l’heure est plutôt au lancer de journalistes. “C’est bon, lâchez-moi, bordel! Je peux sortir tout seul!” crie le photographe envoyé par Society pour couvrir la soirée. Deux agents du DPS (Département protection sécurité, le service de sécurité du Font national) le traînent sur le dancefloor, leurs pieds enfoncés dans le creux de ses genoux. Après le passage de la mêlée, les portes battantes virevoltent comme dans un mauvais western. “Non, non, non! Vous, vous restez ici!” ordonne un agent de sécurité aux journalistes désireux de suivre l’altercation à l’extérieur du bâtiment. Une rangée de gros bras se poste devant la porte pour les empêcher de sortir, le temps que l’impétueux soit hors de vue. Leurs bras tendus obstruent l’objectif des appareils photo.
La soirée avait de toute façon plutôt mal commencé pour les journalistes au Chalet du Lac. Devant le chapiteau où la presse doit se présenter, une équipe de Quotidien, l’émission de Yann Barthès, ronge son frein. Comme Mediapart, ils sont bannis de l’événement, ainsi que de tous les meetings de Marine Le Pen depuis le début de la campagne. “Nous, ça va, on a l’habitude, mais là, je crois que ça concerne plus de monde que d’habitude”, commente un de leurs journalistes. Car pour cette dernière soirée électorale, la liste noire du FN s’est allongée: Rue89, Les Jours, Charlie Hebdo, BuzzFeed, StreetPress, Politis, et même… le Washington Post.
Tous ont vu leurs demandes d’accréditation refusées. Cheveux grisonnants coiffés en arrière, lunettes rectangulaires et veste bleu roi sur les épaules, le monsieur presse du FN, Alain Vizier, se justifie: “Nous avons dû faire un tri pour des questions de sécurité. Le lieu est petit.” Le 27 avril dernier, une trentaine de rédactions signaient déjà une pétition pour dénoncer “les entraves à la liberté de la presse” du FN lors de cette campagne présidentielle. Elle intervenait après qu’un journaliste de Marianne, coauteur d’une enquête sur le financement du parti d’extrême droite, s’était vu refuser l’entrée à la soirée électorale du premier tour à Hénin-Beaumont. Par solidarité, plusieurs médias ont décidé de boycotter la fête, comme les Américains de Bloomberg ou encore Le Monde et Libération. “Tant mieux, ils ne nous manqueront pas!” continue Vizier.
Dans le bois de Vincennes, le raout pour Marine Le Pen ressemble plus à Fort Alamo qu’à la Foire du Trône. Tout autour du Chalet du Lac, un imposant dispositif policier filtre les allées et venues. Aux mitraillettes des hommes en bleu, il faut ajouter les chiens renifleurs des démineurs et, surtout, les pin’s à flamme et les casquettes à laurier des agents du DPS, omniprésents ce soir. Enfin, il y a ces hommes en complet noir qui semblent tout droit sortis de Reservoir Dogs? “Ah non! Nous, nous sommes les voituriers du Chalet du Lac!” rectifie l’un d’eux. Dans cette ambiance où les uniformes sont plus nombreux que les robes de soirée, l’heure n’est pas à la fête. Les journalistes n’ont d’ailleurs aucun sympathisant à se mettre sous la dent si ce n’est les éternels habitués. Rosine, fringante quadra d’origine ivoirienne et incontournable des événements parisiens du parti, enchaîne les interviews, moulée dans une robe zébrée. “Quel que soit le score, Marine a gagné l’élection. Une femme face à tous ces hommes, c’est la meilleure victoire pour les femmes du monde entier”, avance cette proche de Marie-Christine Arnautu, l’ancienne chef de file du parti en région parisienne. À l’intérieur du pavillon, une scène a été montée pour le discours de Marine Le Pen. Elle fait face à un espace délimité par un cordon de sécurité, où les photographes et les cadreurs sont parqués. Ils ont interdiction d’en sortir pour prendre des images. À une heure du résultat du scrutin, toujours aucun militant à l’horizon. L’autoproclamée candidate du peuple qui passe sa soirée électorale entourée de journalistes alors que son adversaire communie avec des milliers de sympathisants dans les jardins du Louvre? Voilà peut-être ce que son équipe de campagne ne souhaitait pas que l’on voit.