CULTURE

Jean-Claude Pautot, artiste par effraction

Jean-Claude Pautot est un peintre. Une carrière entamée sur le tard, après une première vie de braqueur récidiviste dont ses tableaux figuratifs et colorés ne cessent de s’inspirer. Vingt-huit ans de taule et quinze ans de cavale plus tard, il est bien décidé à conquérir le monde du showbiz. Et sa renommée derrière les barreaux pourrait bien lui ouvrir des portes.
Jean-Claude et ses Pautot.

Jean-Claude Pautot a l’œil vif de celui qui se sent surveillé. Pas une minute ne passe sans qu’il ne jette un regard par-dessus son épaule. Pourtant, dès qu’il franchit la porte de son atelier de la rue de Charenton dans le XIIe arrondissement de Paris, ses gestes et sa voix se font calmes. C’est au premier étage de ce grand centre de vie “ouvert à tous” qu’il passe le plus clair de son temps. Une sorte de sanctuaire où il laisse libre cours à son imagination. Ses tableaux colorés représentent des visages, des mains, de l’art brut en somme, avec toujours un œil Oudjat quelque part, en guise de signature. Il y a quelques jours, toutes ses toiles étaient rassemblées au vernissage de son exposition “De l’ombre à la lumière”, dans la très chic galerie Revel, à deux pas des Champs-Élysées. Bientôt, l’exposition sera délocalisée à Londres. L’accomplissement de plusieurs années de travail. Il faut dire que Jean-Claude doit beaucoup à l’art. Sans lui il serait toujours en prison.

De l’argent à voler et de l’énergie à revendre

Laurent Astier, auteur de BD comme L’Affaire des affaires qui revient sur Clearstream, a rencontré Jean-Claude Pautot par hasard en janvier 2012 lors d’un atelier dessin à la maison centrale de Saint-Maur, dans l’Indre. Jean-Claude y purge alors une peine de 17 ans pour une vieille histoire de braquage. Des neuf détenus inscrits au programme, il est le seul à se présenter. Ce n’est pas un hasard, “les ateliers sont les seuls moments où ils peuvent refuser un truc, où il y a du libre arbitre”, explique Laurent Astier. “Quand je suis arrivé, il était en train de peindre son premier tableau figuratif, se souvient-il. Il n’avait pourtant pas de connaissances. En général, c’est de l’art brut, primitif, avec des symboles, des trucs assez colorés. Il m’a demandé mon avis, des conseils, et le dialogue s’est installé comme ça.” Depuis cette rencontre, les deux hommes ne se sont plus quittés. Mieux, Laurent a tiré une BD de 200 pages du sulfureux passé de son ami, Face au mur. Une histoire “d’atomes crochus”, comme il dit. Ça aurait été quelqu’un d’autre que lui dans la même configuration, ça n’aurait sûrement rien donné”.

J’étais hyperactif. Mais le problème, c’est qu’à l’époque il n’y avait pas de réponse face à ça. Soit ils te mettaient des coups, soit ils disaient que t’étais fou
JC Pautot

Pendant cinq ans, Laurent Astier a joué le rôle de confident pour Jean-Claude Pautot. “Il me racontait ses histoires, me faisait des petits dessins sur le fonctionnement des braquos”, raconte l’auteur. Il faut dire que le grand banditisme, Jean-Claude, ça le connaît. À l’âge de 14 ans, un juge pour enfant l’envoie dans un ancien bagne à Belle-Île-en-Mer, à cause d’une violente bagarre. “J’étais hyperactif, raconte-t-il. Mais le problème, c’est qu’à l’époque il n’y avait pas de réponse face à ça. Soit ils te mettaient des coups, soit ils disaient que t’étais fou.” Jean-Claude tient trois mois avant de se faire renvoyer. Pour canaliser son énergie, il s’engage dans la légion étrangère, apprend à manier les explosifs et les armes, avant de déserter.
À 16 ans, un jour où il ne dévore pas un polar d’Auguste Lebreton pour combattre l’ennui, il braque une station-service. Coupé de sa famille, traqué par la police, le jeune homme enchaîne les mauvaises fréquentations et les peines de prison et, rapidement, se fait un nom dans le milieu du grand banditisme : “le Ouf” ou “FF” pour “fou furieux”.
“C’est un écorché vif, il n’avait peur de rien”, explique Philippe El Shennawy, un ami de longue date rencontré en prison. En 1982, à 27 ans, après le braquage raté d’un Crédit Agricole à Lyon, Pautot est condamné à huit ans de prison à Saint-Joseph. Puis… il s’évade, une nuit de février 1983, en sciant les barreaux de sa fenêtre. Il se réfugie en Corse où il rencontre sa future femme. Mais la liberté sera de courte durée.

“All eyez on me.”
“All eyez on me.”

Des barreaux aux pinceaux

Aujourd’hui encore, Jean-Claude Pautot a peu de regrets. “À part le mal que j’ai fait autour de moi…  Mais ça, on ne le comprend qu’avec l’âge.” En 61 ans, le Ouf aura passé 28 ans en cellule. Et c’est en 1992 qu’il a une sorte de déclic. Il est alors emprisonné en Quartier de haute sécurité (QHS) à Saint-Maur. Dehors, son père, atteint d’un cancer, vit ses derniers instants. “Le pire a été de ne pas pouvoir l’accompagner. Mes parents ont toujours été là pour moi, et moi je ne pouvais pas leur rendre le minimum vital.” Défait, isolé des autres détenus et surveillé toute la journée, il se met à peindre. D’abord “juste du cinéma”, pour se faire oublier. En réalité, l’adrénaline que procurent les braquages lui manque cruellement. La preuve : à peine libéré, il attaque avec deux complices un fourgon blindé à Clichy-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis, et retourne une fois de plus derrière les barreaux, en ayant pris cinq balles dans le corps et frôlé la mort. Cette fois, le Ouf ne fait plus du tout rire les juges. Il est arrêté, condamné à 17 ans de prison et intégré au régime des Détenus particulièrement signalés (DPS) qui regroupe les 50 prisonniers les plus dangereux de France. L’art ne le quittera jamais. Aujourd’hui encore, il reconnaît que la peinture l’a “pris à son propre jeu”.

Avant, mon nom était associé à marginal. Maintenant, on me considère comme un artiste. Mes enfants sont fiers
JC Pautot

Dans sa solitude à Saint-Maur puis à Réau, où ses déplacements sont limités, il perfectionne son coup de pinceau. “Quand je sortais, j’étais toujours accompagné de quatre ou cinq surveillants avec des oreillettes, comme dans les films”, se souvient Jean-Claude Pautot. Mais, les années passent et il pense à ses deux enfants qu’il n’a pas vus grandir. “À un moment, je me suis demandé comment je pouvais sortir : ‘Je leur présente un dossier de pizzaiolo ? Pfff, ils vont rigoler’, balaye-t-il. Soit je sortais sur mon projet et proprement, soit je ne sortais pas. C’est là que germe l’idée de devenir artiste. En prison, Jean-Claude se démène pour obtenir plus de temps à l’atelier, il multiplie les tableaux et organise même un vernissage. Son obstination paye et il obtient une peine aménagée en 2015, assortie d’un bracelet électronique pendant un an.

Aujourd’hui en liberté conditionnelle pour deux ans encore, il partage son temps entre l’atelier et des visites au parloir. “Ce que je veux, c’est permettre à l’art de rentrer plus facilement en prison.”  Alors qu’un deuxième tome de BD sur sa vie se prépare, Pautot réfléchit déjà à une adaptation en série. Pêle-mêle, il balance ses contacts : Jean Rachid, le producteur de Grands Corps malade ; l’artiste JR ; le rappeur Lacrim, “des mecs de banlieue comme [lui]” que la prison a parfois rapprochés. Récemment, ce sont Louis Garrel et Roberto d’Angelis, le cadreur de Michael Mann, qui l’ont contacté. Même ses relations avec les directeurs de prison, autrefois houleuses, sont devenues amicales. Jean-Claude Pautot brandit fièrement son téléphone où s’affichent les félicitations de la directrice du SPIP du Val-de-Marne, Marie Deyts. “Avant, mon nom était associé à marginal. Maintenant, on me considère comme un artiste. Mes enfants sont fiers. Son ami Philippe est sûr de lui : “Si c’était le Jean-Claude d’avant, croyez-moi, il y a longtemps qu’il aurait foutu le camp.” La vie de gangster de Jean-Claude Pautot est désormais derrière lui. Il l’entrevoit parfois, quand il jette un regard par-dessus son épaule. Mais elle ne l’intéresse plus.

Texte et photos : Louis Chahuneau