CYCLE

Fix’ and Furious

Les Alleycats, ce sont ces défis entre course de vitesse et course d'orientation que les coursiers de métier se lancent ponctuellement, prenant alors d'assaut les rues de la ville. Immersion dans l'avant-dernière rencontre parisienne de l'année.

L’Alleycat du 31 octobre est annoncée pour le 8 novembre. Sûrement une manière pour les organisateurs de rester discrets –en plus de celles qui consistent à être injoignables ou à dissiper des informations importantes sous forme de mots de passe–, car c’est bien le soir d’Halloween qu’une dizaine de coursiers ont ramené leur fixie sous le pont de la Concorde, côté Assemblée nationale, loin de l’effervescence des stands de street food qui poussent un peu partout sur les berges. Certains ont fait l’effort d’enfiler des masques de catcheur mexicain, bob Ricard vissé sur la tête, mais la grande majorité est seulement un peu maquillée. On n’est pas là pour quémander des friandises. À quelques minutes du départ de la course, l’excitation est palpable. Les coureurs se réchauffent en descendant une à une des cannettes de bière.

Initiées dans les années 80 par des coursiers canadiens, les Alleycats (littéralement “chats de gouttière”) sont des courses d’orientation à vélo sauvages et souvent nocturnes qui consistent à se rendre le plus rapidement possible à une dizaine de checkpoints dispersés aux quatre coins de la ville. Les participants ne découvrent le parcours qu’à la dernière minute. Et si sur le papier, l’Alleycat est une occasion de plus de découvrir les recoins d’une ville, c’est surtout une opportunité unique de

L’Alleycat, c’est un truc d’arracheur de dents
Nicolas, organisateur

dépasser ses limites physiques. Tu joues contre toi-même, il faut se fier à son instinct et à sa bonne connaissance des passages secrets de la ville”, détaille Nicolas Daumin, l’un des organisateurs de la course parisienne. Au début, “c’étaient des mecs qui se réunissaient après une journée de boulot. Le premier arrivé dans un bar gagnait la manche. Et il fallait tenir toute la nuit.” Avec le temps, la course s’est codifiée. “Sur une année, tu as sept courses, de mars à novembre, explique Nicolas. Le but est de faire le plus grand nombre de bons résultats sur l’ensemble de la saison. Une première place rapporte 17 points, puis c’est dégressif jusqu’à la dixième place. Le classement est régulièrement mis à jour et chaque participant sait où il en est en temps réel.” 

Petits plans, petits défis, grand plaisir

Sous le pont, les coureurs, tout bien alignés, attendent les instructions de Nicolas, qui sont précises : Vous avez tous un manifeste différent dans les rayons. Vous devez faire les trois blocs dans l’ordre. À la fin de chaque bloc, vous revenez ici. S’il vous manque une adresse, c’est l’élimination direct. Il faut respecter les flèches dans les blocs.” Indignation générale. “L’Alleycat, c’est un truc d’arracheur de dents, c’est tous des tricheurs, explique Nicolas. Dès qu’il y a moyen de carotter, ils le font. C’est à nous, en tant qu’organisateur, de faire en sorte d’éviter ça.
Heure H. Le top est lancé, des petits plans de Paris s’ouvrent dans tous les sens. Il paraît que “c’est plus rapide qu’avec un téléphone. Tu as meilleure vision

C’est ce qui permet l’émulsion de la communauté et d’y adhérer surtout
Fabien, participant

d’ensemble du quartier que tu vas devoir traverser et surtout tu es à la bonne échelle.” À condition de “ne pas être trop vieux”, c’est écrit petit. Pour le reste, chacun sa technique –qui va souvent avec l’expérience. Les premiers partent bille en tête, laissant les autres prendre le temps de bien analyser leur carte. Sur la feuille, il est inscrit qu’il faut se rendre à l’angle de la rue Bichat sur le canal Saint-Martin, à la boutique La Bicyclette, rue Crozatier, puis dans le Ve, “ça fait une boucle à l’est de Paris”. Ensuite, il y a cinq adresses dans le désordre, et un aller-retour à Vanves. Ils n’ont pas tous le même parcours mais ils parcourent tous la même distance. Et pour être sûr que chaque adresse a été trouvée, les participants doivent récolter des tampons, des signatures ou répondre à des questions dont on ne trouve pas les réponses sur Google. “Si un coureur veut un tampon, il devra boire un shot ou faire des pompes, chacun donne son petit défi”, explique Romain, organisateur lui aussi. Le macadam file sous les roues des fixies, qui semblent posséder la route, slaloment et laissent les voitures sur place. Le vainqueur terminera la course en 1h55, le dernier arrivera deux heures plus tard. Fabien, qui a découvert le milieu à 15 ans “en regardant un reportage de l’émission Des Racines et des Ailes sur les coursiers new-yorkais” a participé à sa première course seulement trois semaines après avoir signé son contrat de coursier. “C’est un truc dont on parle entre nous, et c’est ce qui permet l’émulsion de la communauté et d’y adhérer surtout. On est tous rentrés là par hasard, et on va tous en sortir avec une expérience de vie hors normes.”

Par Romane Ganneval / Photos : Ryosuke Kawai