Quand Bella Ciao a clos le week-end poitevin, il était déjà loin. Pas grave, son truc à lui, c’est plutôt Shaka Ponk, Led Zeppelin ou Oasis. En vrai, Jonathan Munoz était rentré depuis la veille chez lui, à Cognac, déjà lassé d’un congrès transformé en simple caisse enregistreuse des décisions de Solférino. “Je préfère rentrer chez moi voir ma famille. Tout ça n’a aucun intérêt”, dit ce père de trois enfants rencontré le samedi après-midi, juste avant qu’il ne fasse sa valise, à une table du village des militants planté au milieu du parc des expos de Poitiers. “Ce qui cloche, c’est que tout est déjà joué d’avance. Il n’y a pas de débat entre nous. Ce congrès, c’est des discours qui se suivent et finalement très peu de paroles de militants. Les vrais problèmes, à la fois internes au Parti socialiste, mais surtout des citoyens, on ne les aborde pas”, regrette Jonathan, dont le t-shirt Puma vert détonne au milieu des chemises bon ton apparemment de rigueur. “Le bilan du gouvernement n’est pas fait, les attentes des Français ne sont pas entendues. Donc, tout le monde a l’impression qu’on est un parti endormi. Et ce n’est pas qu’une impression.” Claude Bartolone passe à côté. Le soleil cogne, mais moins que la veille, lorsque la chaleur finissait d’assommer des prises de parole déjà pas très vivaces. Jonathan allume une cigarette. “Ce Congrès n’a pas d’enjeu. Cambadélis est aux ordres du gouvernement.”
Avant de faire un saut à Berlin pour voir triompher le Barça cher à son cœur et déclencher une polémique nationale, Manuel Valls a pris une heure pour prononcer le discours le plus attendu du week-end. Loyauté à François Hollande, amour des socialistes, poursuite des réformes : Manuel a un peu réveillé Poitiers. Avec le Premier ministre, Jonathan partage des origines espagnoles et l’amour du foot (FC Barcelone/FC Séville). Mais pas beaucoup plus. En partisan de la motion B, celle des frondeurs, le “dir cab” du maire de Cognac attend toujours un bon coup de volant à gauche. “Il a eu un bon moment sur la laïcité, l’esprit Charlie du 11-Janvier, ça fait partie des valeurs que l’on partage au sein du PS. Pour le reste, il n’y a pas eu de grande surprise. On reste sur notre faim. Ce n’est pas parce qu’on fait applaudir des ministres que le message passe auprès des citoyens.”
“Il aurait fallu organiser des tables rondes, des ateliers, des débats…”
Né en 1979 à Cognac, Jonathan est entré dans la famille socialiste en 2002, après un certain 21 avril qui lui est resté sur l’estomac. D’abord au sein du MJS (Mouvement des jeunes socialistes), puis au PS en 2006. À l’époque, il fait partie des “Ségolénistes”, dont le concept de “démocratie participative” le séduit. “Avec Ségolène Royal, il y avait des débats, des échanges, les militants étaient mis à contribution. Une chose qu’on ne voit plus du tout aujourd’hui. Ici, par exemple, il aurait fallu organiser des tables rondes, des ateliers avec des représentants d’autres partis de gauche, d’associations.”
Élu premier secrétaire fédéral du PS charentais en 2012, il a quitté ses fonctions jeudi (11 juin), après un mandat unique de trois ans. Patron des 600 militants socialistes de son département, il a vu le fossé se creuser entre la base et l’action du gouvernement, les militants rendre leur carte. “Trois ans, à ce rythme-là, c’est usant. C’est des luttes internes constantes, du combat au quotidien contre divers projets, notamment la réforme des retraites ou le CICE. Il faut pouvoir tenir. Le combat est long et dur.” Alors que la succession d’interventions minutées reprend à la tribune de la salle plénière, Jonathan se fait plus tranchant. Il évoque “un parti verrouillé qui sent la naphtaline, où la démocratie est ficelée, organisée du haut vers le bas”. Il dit : “Nous sommes un parti de vieux. Il n’y a pas assez de jeunes, pas de renouvellement. C’est ce qui nous tuera.”
“Qu’ils le veuillent ou non, du débat il va y en avoir”
Idéologiquement, le constat n’est pas beaucoup plus tendre : “On s’est enfermé entre nous, avec une forme de corporatisme. On a le monde enseignant, des gens qui sont issus du secteur public, mais pas suffisamment de gens ancrés ailleurs dans la société : des chefs d’entreprise, des salariés, des ouvriers qui font remonter d’autres problématiques”, dit celui qui a aussi monté une agence immobilière avec sa compagne. “C’est un peu la potion magique : on va mélanger un petit peu de social-libéralisme, un petit peu de gauche et, à un moment donné, on espère que la solution miracle arrivera”.
Blessé par ce qu’est devenu son parti, déçu par la tournure prise par le quinquennat Hollande, Jonathan n’envisage pourtant pas de quitter sa famille politique. Le gars est tenace. “Pour aller où ? Chez Jean-Luc Mélenchon ? Non, son attitude est trop brutale.” Ce qu’il veut, c’est redevenir simple militant. Parce qu’il y croit toujours. “Je pense qu’il y a encore des solutions avec Christian Paul, les députés frondeurs et les militants qui représentent aujourd’hui 30% avec la motion B.” Et même si la nouvelle direction “veut mettre tout le monde en rang, au garde-à-vous pour préparer 2017”, ce “citoyen engagé” promet de ne pas rendre les armes facilement. “Qu’ils le veuillent ou non, du débat il va y en avoir”. Ce qui est plus sûr, c’est que le Congrès de Poitiers risque d’être son dernier.