Il est un peu plus de 15h dans la rade de Toulon samedi et la barrière qui garde l’accès principal du port militaire n’en finit plus de s’affoler. La faute à une petite tente installée à l’entrée qui, à défaut d’afficher les emblèmes de la Marine nationale, arbore le logo de la marque qui donne des ailes. Une tente qui sert surtout de point de rendez-vous à tous les acteurs de ce Red Bull King of The Rock. “C’est n’importe quoi aujourd’hui ! Journée portes ouvertes ! Surtout qu’on est en Vigipirate rouge…”, bougonne l’homme chauve que l’on peut qualifier de physio des lieux et qui, avec son marcel laissant apparaître la Corse ainsi que l’écusson au muguet du Rugby Club Toulonnais accompagné de la mention “Parce que Toulon” tatoués sur ses biceps, ne porte pas tout à fait l’uniforme réglementaire. Bref. Une fois “La Boule” locale contournée, c’est le lieutenant de vaisseau, Magali Chaillou, qui, en sa qualité d’officier de communication de la force d’action navale, fait faire le tour du propriétaire.
Dix minutes de trajet où l’on apprend que la base est une “ville dans la ville qui s’étend sur près de 270 hectares et fait travailler environ 12 000 personnes”. Mais surtout que “la Marine nationale se réjouit d’accueillir un tel événement sur l’un des fleurons de sa flotte”. Le fleuron, justement, le voici qui pointe enfin le bout de son quai d’amarrage : le BPC Mistral, pour Bâtiment de projection et de commandement. Soit 22 000 tonnes d’acier qui servent, pêle-mêle, de porte-hélicoptères, de plate-forme de commandement, d’hôpital et qui renferment aussi “des engins amphibies permettant aux troupes de débarquer sur une plage. Exactement comme en Normandie pendant la Seconde Guerre mondiale”, dixit le lieutenant Chaillou. Sauf que cet après-midi, c’est un tout autre débarquement que les 180 marins du Mistral attendent de pied ferme.
Barack Obama, Rudy Gobert et pompons rouges
Créé en 2010, le Red Bull King of The Rock est un tournoi de streetball en un contre un. C’est surtout le premier et seul événement sportif à avoir été organisé… dans l’enceinte de la prison d’Alcatraz, aka “The Rock”, d’où son nom. Délocalisé ensuite à Taïwan puis Istanbul pour ses éditions 2014 et 2015, l’événement regroupe tout simplement les meilleurs joueurs de one on one de la planète, sélectionnés dans 21 pays allant de l’Angola à la Moldavie, en passant par la Chine, l’Argentine, le Liban ou encore la Russie. Et, donc, la France, Toulon accueillant la finale nationale après des qualifications organisées dans six villes de l’Hexagone.
Dans le réfectoire du porte-hélicoptère, qui sert de salle de vie à l’équipage, les calots et autres pompons rouges de la Marine ont laissé place aux New Era siglées Red Bull. Entre le papier peint bambou/bouddha qui aide peut-être les soldats à trouver la plénitude par mer agitée et le cuistot qui colle des vannes à ses “invités”, l’ambiance est décontractée. “On a essayé de s’inspirer de ce qui se fait dans le championnat universitaire américain, où la NCAA (National Collegiate Athletic Association, ndlr) a pour coutume d’organiser des matchs sur un porte-avions de l’armée US, détaille Ibrahima Kandé, l’organisateur de l’événement. Là-bas, c’est tellement important que même Obama vient y assister.” Ici, en revanche, ça l’est un peu moins. Pas de trace de François Hollande. Même Monsieur le Maire et son adjoint aux sports n’ont pas daigné se déplacer. Idem concernant le parrain de l’évènement, Rudy Gobert (joueur français du Jazz d’Utah en NBA), retenu aux États-Unis par sa franchise et qui a dû déclarer forfait au dernier moment. Tant pis pour eux.
Les quatre fantastiques
Les règles sont simples : l’engagement se joue au shifumi, les matchs durent cinq minutes, avec une prolongation de deux minutes prévue en cas d’égalité. Si un joueur prend un 11-0 sec, il sort direct et n’a plus qu’à se jeter à la mer sous les huées du public. Un saut d’une vingtaine de mètres, tout de même, auquel même les plus showmen ont vite renoncé.
Sur les cinquante joueurs qui font leur entrée ce jour-là sur le pont par le monte-charge réservé habituellement aux hélicoptères de combat, quatre ne sont pas passés par les qualif’. Et pour cause, ces quatre fantastiques font partie de la Marine nationale, ont été sélectionnés par l’état-major et invités au tournoi sur wildcard. Anthony, qui va bientôt devenir détecteur anti sous-marin ; Cédric, second maître ; Valmy, le seul marin affecté au Mistral ; et surtout Pierre-Lucas, second maître affecté sur la frégate Guépratte et très bon joueur amateur qui devrait disputer les Jeux mondiaux militaires de basket organisés en Corée du Sud du 2 au 9 octobre prochains.
Évidemment, lorsqu’on leur demande qui a le plus de chance d’aller au bout, trois index pointent de concert vers ce dernier. À raison. Pierre-L, comme l’a surnommé Jamil, le speaker de l’événement, déchaîne les foules jusqu’à sa son élimination en huitièmes de finale face au vainqueur de la qualif’ parisienne. Deux victoires en prolongation font de lui la vraie star du tournoi, acclamée par ses collègues marins à chaque panier marqué. Tout comme Valmy, le régional de l’étape et seul marin à n’avoir jamais joué en club. “D’un autre côté, je suis le seul à avoir été formé uniquement sur les playgrounds. Le seul joueur de streetball de la Marine, c’est moi”, plaisante-t-il en montrant ses sneakers vintage époque Kevin Garnett. “Mes KG, je les ai achetées à Baltimore en 2001, la dernière fois que je les ai portées, c’était en 2004.” Ce qui tend à expliquer pourquoi, objectivement, Valmy est le joueur le moins talentueux du tournoi. Balayé dès le premier match en s’étant fait dunker deux fois sur le scalp. Pourtant, Valmy a reçu les encouragements (et donc une forme de coup de pression) du commandant Benoît de Guibert, seul et unique maître des lieux, et s’est préparé en poussant de la fonte dans la salle de muscu du Mistral, entre un poster du film 300 et des punchlines comme “Tout le monde veut gagner, mais pas tout le monde veut se préparer à gagner” ou “La douleur s’en va, la fierté reste” placardés sur les murs.
Monsieur l’ambassadeur
Autour du Mistral, un zodiac de la Marine patrouille sans relâche. “Pour éviter que des curieux ne s’approchent du navire, mais aussi pour venir en aide à quelqu’un qui tomberait”, explique Ibrahima Kandé. Au vrai, la patrouille secourra surtout deux ballons qui tenteront d’échapper aux 70 degrés qu’affichent les 200 mètres de tarmac brûlés par le soleil. Une véritable fournaise avec pour seule zone d’ombre une tente, où les organisateurs ont prévu beaucoup de Red Bull mais très peu d’eau. Santé oblige, au bout d’une demi-heure de compétition, même les joueurs en plein ramadan se mettent d’accord avec Dieu pour rattraper ce jour un peu plus tard. Dans sa cabine perchée sur une vieille hot-road siglée Red Bull toujours, DJ Bison Vinz enchaîne les classiques de rap US, un béret de la Marine sur la tête. Nas, Ice Cube, House of Pain, DMX, tout y passe. Histoire pour les joueurs d’esquisser quelques pas de danse pour mieux humilier l’adversaire. Un truc que maîtrisent bien certains participants quand d’autres préfèrent la jouer modeste et laisser à la foule le soin de faire craquer celui qui joue en face d’eux.
C’est le cas d’Arnaud, grand blanc barbu qui, après une série de dribbles aussi rapide qu’ambitieuse, met deux fois de suite son adversaire sur les fesses. Provoquant ainsi le seul envahissement de terrain du tournoi. Autre star de la journée : Stefan Ristic, joueur serbe qualifié à Paris et soutenu par l’ambassadeur de Serbie en personne, venu avec sa dame, une grande brune incendiaire beaucoup trop lookée pour l’occasion. Malgré ce soutien de poids, Ristic se fera écraser en huitièmes et mettra près de quinze minutes à s’en remettre. Heureusement pour lui, au moment de son élimination, Monsieur l’ambassadeur est la seule personne de la journée autorisée à descendre du bateau pour griller une clope. Car le commandant de Guibert a imposé une seule consigne : ne pas fumer sur le pont. On ne sait jamais, des fois qu’un mégot tomberait sur une tête nucléaire…
« Comme une pute en défense… »
Plus que du un contre un flashy et aérien, ce King of The Rock se transforme surtout assez rapidement en un concours d’impacts physiques où les gros enfoncent les autres sur du jeu dos au panier. Et dans ce domaine-là, certains ont eu plus de chance que d’autres. Sûr de son fait, Yunss Akinocho, un beau bébé d’une centaine de kilos pour près d’un double mètre et vainqueur de l’étape nantaise, ne daigne même pas s’échauffer. Surnommé “Baby Shaq” par une partie du public, il impressionne d’abord, beaucoup, avant de lui aussi tomber face à Djaoid Bouchaour, champion lillois et révélation de cette finale, sorte d’armoire à glace montée sur des sneakers rose bonbon. “Il a compris le truc, analyse Iban Raïs, sosie de Nicolas Bedos au basket élégant tout en feintes de corps. Il est tanké, arrive à se créer l’espace suffisant pour pouvoir shooter et joue comme une pute en défense.” Multiplier les fautes pour faire vriller l’adversaire : une technique bien connue de toutes les catins du sport mais surveillée de près par Ibrahima, (très) jeune arbitre particulièrement respecté car habitué du Quai 54, le plus prestigieux tournoi de streetball français.
La méthode Djaoid tiendra jusqu’en demi-finale, pour finalement craquer face à Yannick Konso, futur vainqueur du tournoi et grand acteur de la “street-scène” tricolore. Un Yannick qui viendra à bout de Thomas Mobisa en finale, histoire de venger son frère, Henrico Konso, finaliste de l’édition 2011 tombé dans l’autre demie. Yannick comme Thomas iront donc représenter la France à Istanbul pour la grande finale mondiale le 29 août. Mais le réel point d’orgue de la journée fut sans aucune contestation possible le concours de dunks précédant la finale. Un pur moment de folie pour les participants, comme pour les marins qui ont pu voir de très (trop ?) près ces nouveaux modèles d’hélicoptères décoller sur leur pont d’envol. Voire leur passer sur le corps. Et parce que toutes les bonnes choses ont une fin, celle de ce Red Bull King of The Rock se trame dans un pub de Toulon. Le Bar à Thym, rebaptisé “Bar à timp” par certains. Les autres, moins affamés, se contenteront de suivre la finale de la Copa America sur les écrans au-dessus du comptoir. Normal. Après l’effort, chacun son réconfort.