Enquête

Merci QI?

Comme à chaque rentrée, les enseignants ont vu ces dernières semaines venir frapper à leur porte des parents persuadés que leurs enfants étaient surdoués. Ou plutôt HPI, pour “haut potentiel intellectuel”, le terme désormais employé. Gonflée par des séries et ouvrages grand public et convoitée pour l'argent qu'elle génère, cette bulle des enfants précoces révèle surtout les limites de l'hyper-parentalité et les maux d'une école publique attaquée de toutes parts.
  • Par Antoine Mestres et Léo Ruiz
  • 14 min.
  • Enquête
Un personnage assis sur un pot lisant un journal, avec une cigarette fumante posée à côté.
Illustrations : Jules Le Barazer pour Society

Comme avant chaque rentrée, Sandra* était encore en vacances quand sa boîte mail professionnelle a commencé à chauffer. Des messages de parents insistants, aux avant-postes derrière les grilles pour le premier jour d’école. “Leurs enfants savent compter jusqu’à dix ou réciter l’alphabet, alors ils sont persuadés qu’ils sont HPI (pour ‘haut potentiel intellectuel’, ndlr), sauf que c’est juste du par cœur, ça ne veut pas dire qu’ils ont compris”, s’amuse cette directrice d’école maternelle de la banlieue lyonnaise.

Les hauts potentiels, “les vrais”, Sandra sait les reconnaître. Ses trois enfants le sont. Elle-même et son mari aussi, probablement, même s’ils n’ont jamais été diagnostiqués. “On est nés dans les années 1970, ça ne se faisait pas à l’époque”, dit-elle. Ses deux grands, eux, sont passés par les étapes désormais courantes: 450 euros pour des tests de QI –au Centre Psyrene, le spécialiste lyonnais– qui ont confirmé le diagnostic (un QI supérieur à 130), aucun suivi proposé derrière et des heures passées sur Internet ou à feuilleter les Pages jaunes pour trouver de l’aide. “Au niveau scolaire, tout allait bien pour ma fille, mais elle était hypersensible et avait beaucoup d’angoisses. Elle est désormais en sport-étude et consulte un psychiatre chaque semaine. Pour mon fils, c’était plus compliqué, il avait des attitudes inappropriées en classe. On l’a fait tester assez tard, à 14 ans. On pensait que mettre des mots sur ses difficultés pouvait l’aider, sauf que pas du tout. Ça lui a juste mis une étiquette, et il a perçu ça comme ‘je ne suis pas comme les autres’, confie Sandra, qui à son propos raconte une vie à se sentir déphasée, instable professionnellement, avec un rapport à l’autorité délicat. “Tous ces parents ne se rendent pas compte qu’être HPI, ce n’est vraiment pas un cadeau, souligne-t-elle. Dans notre école, il y en a un seul et sa famille n’avait jamais rien demandé. C’est moi qui suis allée vers eux, du fait de mon expérience personnelle. Avec les autres parents, on temporise, on leur dit qu’on en reparlera dans deux ou trois mois. La plupart du temps, leurs gamins sont juste trèsscolaires, il n’y a rien de bizarre. Ils ne connaissent pas le nom de tous les nuages et ne parlent pas avec les fourmis dans la cour, contrairement aux miens.” La grande majorité des collègues de Sandra l’ont aussi constaté: une “mode HPI” s’est emparée des parents d’élèves. Le sujet monte depuis déjà quelques années et la même blague circule en salle des profs lorsqu’il est mis sur la table: “Les vrais ou les faux?”

Enfants terribles

Society #190

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