INTERVIEW

“Tout le monde sait qu’il y a intérêt à rouvrir un dialogue en Iran”

Avocate iranienne spécialisée dans les droits de l’homme, elle a défendu nombre d’activistes et journalistes avant de se voir interdire d’exercer son métier. Nasrin Sotoudeh joue son propre rôle dans le nouveau film de Jafar Panahi, Taxi Téhéran, Ours d’or à Berlin cette année et actuellement en salle. L’occasion de faire le point sur l’évolution de son propre rôle dans la société iranienne.
Nasrin Sotoudeh

Taxi Téhéran brouille les pistes entre ce qui est vrai et ce qui est mis en scène. Ce dispositif satisfait-il l’avocate que vous êtes ?

Je ne suis pas d’accord. Je pense qu’il y a du vrai dans toutes les scènes : mêmes celles qui ne sont pas vraies sont représentatives de la réalité. Je ne veux pas me prononcer sur un plan artistique mais tout ce qui se passe à l’écran est ce qui se passe dans la société iranienne. La scène qui me concerne, au moment où je rentre dans la voiture, même si je n’étais pas vraiment en train de rendre visite à un prisonnier politique à ce moment-là, est réelle. Là, au moment où je vous parle, juste après cet entretien, je vais rendre visite à un activiste dont je viens d’entendre qu’il a subi une interdiction d’exercer son métier. C’est notre réalité qui est donnée à voir à travers ce film.

Agissez-vous différemment au quotidien depuis que vous êtes devenue un symbole aux yeux des autres ?

Non, je crois vraiment que je n’ai pas changé. Ma démarche est la même, ma façon de travailler est la même. Même si je ne peux plus exercer dans les tribunaux, je continue de me rendre à mon bureau et de recevoir les gens. Je donne des conseils juridiques. Je ne vois pas de différences.

Beaucoup de personnes qualifiées de ce pays se trouvent aujourd’hui en prison alors que leur expertise pourrait être bénéfique au gouvernement
Nasrin Sotoudeh

Est-ce votre incarcération ou le fait de ne plus exercer votre métier après une décision de vos collègues avocats qui vous a le plus meurtrie ?

J’ai été infiniment plus blessée par cette restriction professionnelle et par mes collègues, sous la pression du ministère de l’Information. Après, je comprends très bien les confrères et les consœurs qui ont dû prendre cette décision parce que je sais qu’ils l’ont prise après avoir subi des menaces de toutes parts. En fait, il y a cinq instances sécuritaires qui ont exercé des menaces sur eux : d’abord le procureur de Téhéran, puis le procureur général, le tribunal sécuritaire basé à la prison d’Evin, le gouvernement et le ministère de l’Information, qui n’a cessé de les harceler à mon sujet. Je peux donc tout à fait comprendre qu’ils aient fini par céder à ces pressions et prononcer cette sentence contre moi. Je dois dire qu’aussi bien avant, quand ils me faisaient part des pressions qu’ils subissaient, que depuis cette sentence, je continue de les rencontrer, d’avoir de bonnes relations avec eux et de les saluer aussi, en échangeant quelques mots.

En France, en ce moment, le conflit sur le nucléaire entre le régime iranien et l’administration Obama est présenté dans une phase de “détente. Vous êtes d’accord ?

Toute décision qui va dans le sens d’une stabilisation, d’un équilibre et du bon sens est forcément bénéfique pour nous. Évidemment que nous ne pouvons que nous réjouir de la fin de décennies d’hostilités et de tensions plus ou moins latentes. Le fait de voir que le régime iranien finit par céder sur le discours de l’hostilité pour ouvrir la voie à des négociations est quelque chose qui ne peut être que bénéfique pour l’Iran, même si on se doute que cette évolution ou cette prétendue entente ne va pas régler du jour au lendemain la question des droits de l’homme à l’intérieur du pays. Mais nous nous disons que si le régime renonce à l’hostilité et à la violence, alors cette démarche peut aussi avoir lieu avec les opposants politiques. Tout le monde sait qu’il y a intérêt à rouvrir un dialogue. Beaucoup de personnes qualifiées de ce pays se trouvent aujourd’hui en prison alors que leur expertise pourrait être bénéfique au gouvernement, y compris pour résoudre ses propres problèmes. Aboutir à une négociation plus souple serait au bénéfice de tous, même si nous savons qu’une détente de la part du gouvernement ne suffit pas. Pour aboutir à ce dialogue, il faut que la volonté de cette démarche vienne de la société civile.

Comment s’y prend-on pour diffuser à ses voisins et à ses enfants les droits de l’homme aujourd’hui en Iran ?

Quand ma fille a été interdite de quitter le territoire, je ne suis entrée dans aucun débat religieux pour convaincre qui que ce soit de quoi que ce soit. Il y a des conventions internationales qui défendent les droits de l’enfant. Les considérations entre un individu et un régime ne doivent pas lui infliger la peine de l’interdiction. Moi-même, lorsque je subis une interdiction, je défends mes droits en tant que citoyen. Je ne tiens pas à convaincre qui que ce soit sur le plan moral et religieux sur la justesse de ma démarche.

Comment se porte le mouvement féministe en Iran?

Incontestablement, c’est une subversion qui n’a cessé de s’exprimer depuis deux décennies maintenant en Iran, ça a été une lutte incessante. Peut-être que le mouvement est moins disons “d’opposition”, ou qu’il irrite moins qu’il ne le fait depuis vingt ans, mais tout le monde a pris acte du mouvement. La lutte est une lutte quotidienne. La subversion doit se déterminer en tenant compte de la légitimité. Il se peut que les personnes contre qui vous protestiez soient dans la loi et pas dans la légitimité. Ce n’est pas hors la loi, dès lors, de s’insurger contre eux. Et puis, il y a aussi la subversion qui s’assume en tant que telle, comme Martin Luther King ou Gandhi, pour faire valoir des droits et des principes. Il n’y a alors pas d’autres moyens que de s’inscrire hors la loi.

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Voir : Taxi Téhéran, de Jafar Panahi. Sur les écrans.

Par Brieux Férot