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Uplust, le réseau social qui met tout le monde à nu

D'un côté, il y a Instagram qui supprime la photo d'une fille qui a ses règles ; de l'autre, il y a Uplust, le premier réseau social pour adultes certifié 100 % amateur et non censuré. En ligne depuis 2013, et présent dans plus de 200 pays, Uplust donne une nouvelle dimension à la fois au web 2.0 et au monde du X, mais aussi à l'économie avec sa propre monnaie virtuelle. Décryptage d’une plateforme qui a conquis un public étonnant : les gens lambda.

Il est à l’image des jeunes entrepreneurs dont la France raffole. Quentin Lechemia, 25 ans, lyonnais, diplômé d’une école de commerce, a déjà plusieurs start-up à son actif. Avec Uplust, il a poussé ses ambitions un peu plus loin : se faire une place dans le très fermé monde du X.
L’aventure commence en 2013. “Je me suis dit: ‘C’est quand même trop con qu’une fille qui a envie de montrer ses seins sur Instagram ne puisse pas le faire.’ Et je me suis tout simplement mis en tête de créer un Instagram pour adultes, sans censure. En seulement quatre mois, lui et son équipe codent l’intégralité du site.

“Je me suis dit: ‘C’est quand même trop con qu’une fille qui a envie de montrer ses seins sur Instagram ne puisse pas le faire’
Quentin Lechemia

La machine est lancée. Quinze mille fans se préabonnent, avant même l’ouverture de la plateforme, dont le nom, à l’époque, ne laisse aucune place au doute : Pornostagram. “C’était tellement facile de sortir un site comme ça, avec un nom comme ça. On n’avait même pas besoin d’expliquer le concept.” Mais un an après, Instagram négocie avec Quentin un changement de nom. “Ça s’est fait sans douleur.” Au contraire, Quentin se réjouit. C’est l’occasion de retirer l’étiquette pornographique. Après un sondage mené auprès des internautes, c’est le nom Uplust qui l’emporte à 73,8 % contre Hurrycam. Pornostagram devient donc Uplust. Up pour upload, lust pour désir sexuel. Un changement de nom qui a d’ailleurs particulièrement bien marché aux États-Unis. “Porn, c’est très latin comme racine, explique Quentin Lechemia. Les Américains, ils tapent pas “porn”. Uplust, c’est plus catchy, le site a pris une nouvelle dimension. Pas étonnant que le patron s’intéresse particulièrement aux mœurs outre-Atlantique : les États-Unis représentent le premier marché pour Uplust. Suivis de près par le Mexique, puis le Brésil. La France se classe tranquillement 4e, Marseille tout en haut du top des villes de l’Hexagone.
Uplust en 2016, c’est plus de 400 000 membres actifs dans le monde entier, trois millions de photos affichées par jour, 25 % de filles, 95 % d’amateurs. “Sur Uplust, c’est vraiment monsieur et madame Tout-le-monde”, se réjouit Quentin. Monsieur et madame tout nus, surtout.

Hashtag fessier

“Le jour, je m’occupe d’enfants au travail ; le soir, je m’occupe d’adultes sur Uplust.” Il est 18h. Margaux, 23 ans, inscrite depuis 2013, et déjà plus de 7 000 followers, sort du travail. Trente minutes plus tard, elle est connectée. Comme on checke ses mails, Margaux, elle, prend connaissance de ses notifications. Puis, son copain la photographie. Un cliché qui finira dans quelques heures sur le réseau. En espérant qu’il plaise.
Si le réseau social joue sur les codes d’Instagram, il surfe aussi sur les phénomènes de société en parodiant Candy Crush avec sa version sexy, Booty Crush, ou encore en proposant Game of Boobs, un jeu qui consiste à deviner à quelle actrice de Game of Thrones appartient la paire de seins qui s’affiche à l’écran. Les utilisatrices peuvent aussi faire des #dediboobs à d’autres anonymes, et/ou tenter de remporter des challenges hebdomadaires dont les catégories s’affichent sous forme de hashtags explicites : #whippedcream, #bed, #ass…

“Il y a Margaux  sur Internet et il y a quelqu’un d’autre dans la ‘vraie vie’”
Margaux, utilisatrice

C’est simple, Uplust fonctionne comme un réseau social classique où chacun cherche à faire sa place et à se divertir en mettant ses photos en ligne, sauf que la communauté est anonyme. “La plupart des personnes s’inscrivent avec une adresse mail créée juste pour Uplust”, explique Quentin. Margaux confirme : “J’ai tout séparé.  Il y a Margaux  sur Internet et il y a quelqu’un d’autre dans la ‘vraie vie’. J’aime pas dire la vraie vie… Dans la vie réelle, la vie hors ligne.” Narboc, 27 ans, photographe professionnel, a pris moins de précautions “Narboc, c’est un pseudo, mais inspiré de mon nom.” Comme Margaux, il ne dévoile que très rarement son visage. Malgré cela, les utilisateurs choisissent bien souvent d’en parler à leur entourage. Au cas où… “Mon chéri, il prend mes photos donc il est plus qu’au courant. Ma mère, elle, a eu un peu plus de mal à l’accepter, mais elle respecte mon choix”, explique Margaux. Pour Narboc, c’est pareil : “Mes potes s’en amusent. C’est encore revenu sur la table ce week-end. Ils vont chercher des photos de moi, tout en sachant très bien ce qu’ils vont trouver. Et j’ai l’impression que certains d’entre eux sont tentés de s’inscrire aussi.”

“C’est très exhib’, très amateur”

Uplust, c’est en fait le trait d’union entre l’évolution des mœurs et les nouveaux moyens technologiques. “C’est très paradoxal mais dans la sphère publique, il n’y a jamais eu autant de conservatisme, constate Grégory Dorcel, fils de Marc Dorcel et actuel directeur général de… Dorcel. Dans les années 80, les entrées en salle de films X représentaient 30 % du chiffre d’affaires des cinémas en France. Vous aviez cinq ou six magazines de sexe qui paraissaient avec toutes les stars du cinéma sans que personne ne crie au scandale. Vous aviez les chansons de Gainsbourg. Aujourd’hui, le sexe a disparu de la sphère publique. Pour mieux s’exprimer de

Du contenu posté sans but lucratif par des non-professionnels, par monsieur et madame Tout-le-monde, ça n’a jamais existé. On a trouvé ça fantastique”
Grégory Dorcel

façon décomplexée dans la sphère privée? Pour Grégory Dorcel, la réponse est oui. “C’est de moins en moins tabou de se faire plaisir comme on l’entend, de jouir, de profiter. Les femmes ont repris leur sexualité en main. Avant, c’était l’apanage des hommes. Maintenant, elle se disent : ‘Et pourquoi pas ?’ “On peut tomber sur une nana libertine qui met son plan cul du samedi soir à trois, quatre, six ou dix. Tout le monde est libre”, confirme Margaux.
Dorcel, géant du X pour qui tout a commencé dans les années 70 avec le roman érotique, a tout de suite compris l’énorme potentiel de la girl next door. C’est en 2015 que Quentin croise Grégory, sur un plateau d’Europe 1. “Je lui ai envoyé un mail qui disait : ‘Il faut qu’on se rencontre. Il faut investir dans ce qui est pour moi le futur, la démocratisation du nu’”, raconte Quentin. “Dans le domaine du X, il y a le saint Graal, c’est d’avoir du contenu amateur. Du contenu posté sans but lucratif par des non-professionnels, par monsieur et madame Tout-le-monde, pour bien connaître toutes les ficelles de ce métier-là, ça n’a jamais existé. On a trouvé ça fantastique”, explique Grégory. Bref, son mail à lui dit oui. Et en septembre dernier, Dorcel investit dans le capital d’Uplust. Mais la multinationale veut quand même garder ses distances “pour une raison qui est simple : ils font ce [qu’elle] n’a jamais su faire”.

Uplust, c’est donc aussi un monde sans censure ni barrières. Dans une société où “tout ce qui est beau est bon”, le réseau social d’un autre genre change les codes. “Aujourd’hui, il faut être mince, blonde, avec de gros seins, pas de gras au ventre… Quand j’ai commencé à poster des photos sur ce site, plein de mecs me disaient : ‘T’es trop belle, t’es trop bonne.’ Je pensais qu’il n’y aurait que des gros pervers, mais c’est pas le cas”, explique Margaux. Et la flatterie des ego ne s’arrêtent pas là. “Sur les sites comme YouPorn par exemple, si t’as deux commentaires, t’es content. Sur Uplust tu peux taper les 1 000 likes, et c’est ça qui attire de plus en plus de monde”, ajoute Quentin.

Et c’est pas fini

Narboc, lui est un peu déçu par cette évolution. S’il s’est inscrit sur Uplust, c’est pour pouvoir poster des photos érotiques. Très rapidement, il a pris goût à tout ça : “Je cherchais du beau, de l’intéressant, du design…” Ce qu’il a trouvé. Enfin, au début. Car depuis quelques mois, il se connecte moins. “Ça manque de plus en plus de style, c’est très exhib’, très amateur. Pour moi, la girl next door, elle a un peu plus de classe, elle a quelque chose. Elle poste des photos un peu plus recherchées, même si c’est amateur, ça doit rester joli et sexy. La girl next door ne serait donc pas toujours à la hauteur des fantasmes qu’elle génère.

N’en déplaise à ce photographe utopiste, Uplust a décidé de passer à la vitesse supérieure. Il y a six mois, une version premium a été mise en ligne. Le but : monétiser certaines activités en créant une monnaie virtuelle, le lust. Les utilisateurs peuvent flouter leurs photos et vidéos, et les “déflouter” moyennant un certain montant en lusts, partagé ensuite 50/50 entre la plateforme et l’utilisateur. Un système qui, d’après Quentin, fonctionne bien pour le moment.

Par Diane Tamalet