BPM

UVB : “Ma musique est une musique torturée”

Il a sorti son premier EP, What I’ve Learned, en 2014. Quelques semaines plus tard, il jouait pour la première fois en live au Tresor, un club emblématique de Berlin, sa nouvelle ville d’adoption. Depuis, Sébastien Michel aka UVB, Marseillais de 25 ans, est en passe de créer son propre label, a déjà livré plus de 80 sets partout dans le monde et sera dimanche à l’aéroport du Bourget, à Paris, pour le Weather Festival. Un ancien téléconseiller pour Playstation reconverti dans la techno industrielle qui a des choses à dire sur sa musique, son mouvement, la souffrance de composer et la boîte de nuit de toutes les folies : le Berghain.
UVB, photo de profil.

Pour la deuxième fois de ta courte carrière, tu seras dimanche au Weather Festival. Les organisateurs sont ceux qui s’occupent du club Concrete, où tu as également joué plusieurs fois. Alors, pour un Marseillais, le public parisien, il est comment ?

Il est chaud ! Depuis quelques années, on connaît un renouveau de la techno. Je trouve que la France est un des pays qui le véhicule le plus. Pas seulement à Paris, d’ailleurs. Pourquoi ? J’ai une théorie : les racines de la techno datent du début des années 80, mais au début des années 2000, le truc a flanché. Jusqu’à ce qu’une nouvelle génération, qui a longtemps eu du mal à acquérir une identité musicale, prenne la relève. Il y a beaucoup d’argent dans ce business. Mais la techno, c’est encore l’occasion de voir des artistes encore très sincères avec ce qu’ils font, encore underground on va dire.

Selon toi, pourquoi les jeunes ont du mal à ‘acquérir une identité musicale’, comme tu dis ?

Il y a plus de merdes de nos jours, j’ai l’impression. Si tu regardes ce qui passait sur MTV il y a 20 ans et aujourd’hui, un truc a carrément changé. Avant, ils passaient des clips d’Aphex Twin ou du Wu-Tang Clan ; maintenant tu n’en verras jamais la couleur. Pour parler de la techno, son renouveau est dû selon moi à une nouvelle vague venue de Berlin, avec des tempos plus lents, au ralenti. Un gros changement. Même si les morceaux pouvaient être les mêmes, le fait de les ralentir de 10 ou 15 BPM, ça a débloqué une nouvelle dimension.

Une dimension que tu affectionnes ?

Pas trop. Avec ce qui se fait aujourd’hui, je me fais souvent chier au bout d’une minute alors qu’avant, les mecs se prenaient beaucoup plus la tête dans l’exactitude de ce qu’ils voulaient transmettre. Tu sais, je fais des trucs qui ne sont pas du tout nouveaux. J’ai 25 ans, quand j’ai commencé à écouter de la techno, c’était déjà très lent. Je n’ai pas eu cette effervescence des années 2000 à 145 BPM. Je n’ai pas assez entendu en club les sons que je kiffais.

C’est quoi ta came alors ?

Ma came, c’est la techno industrielle autant de Birmingham que de Détroit. Un mélange des deux, quoi.

Au Berghain, il y a des types qui arrivent le samedi et repartent le lundi matin

De la musique physique plus que mentale, dans un esprit de dystopie, par opposition à l’utopie. Une sorte de fête pessimiste. Les mecs qui me fascinent comme Regis ou Jeff Mills, ils jouent sur la répétition, et mettent de la pertinence dans la répétition. Franchement, la techno est une musique faite au scalpel que tout le monde est capable de faire avec un bon logiciel informatique. J’attends donc beaucoup de cette musique. Je ne veux pas m’arrêter à une boucle qui marche. Je veux une boucle qui me mette sur le cul.

Mais qui sont ceux qui ont voulu ralentir le tempo de la techno ?

Ce sont des labels et les artistes de Berlin comme ceux de Ostgut Ton et leur ancien club hardcore gay, Ostgut, qui a été remplacé par le Berghain. Ils ont commencé à passer de la techno minimale, plus lente donc, qui groove davantage. J’en ai écouté pendant un temps. Mais je ne sais pas, je suis jeune, j’ai de l’énergie, il faut que la musique me prenne. Je n’ai pas envie de me consacrer sur le petit élément qui peut me faire tripper si je l’écoute pendant quinze minutes…

Tu vis à Berlin depuis 2012. C’était pour apprendre l’allemand ou rejoindre ‘la capitale européenne de la techno’ ?

Tu es déjà allé à Berlin ?

Non…

Bah tu comprendras de toi-même. Tu auras toujours des cons pour te dire ‘attends, Berlin, c’est plus ce que c’était’, mais tu verras que c’est relativement sans stress. Les gens travaillent, mais pas trop. C’est très, très chill. Ils sont assez ouverts, bien sûr, et la scène musicale est très développée. Puis le fait de vivre ici m’a permis de jouer dans des clubs qui m’auraient été inaccessibles autrement.

Lesquels ?

Le Tresor ! C’était la première fois que je jouais en club, a fortiori dans l’un des clubs que je respecte le plus. Ils m’ont booké un mercredi, le jour des soirées ‘News faces’, qui introduisent les nouveaux artistes, et ils ne m’auraient jamais programmé si j’étais resté à Marseille. C’est juste que je connais quelqu’un qui connaît quelqu’un… Et voilà quoi !

T’as déjà joué au Berghain, considéré comme le temple décadent de la musique électronique européen, voire mondial ?

Une fois. Pour moi, ce club définit toujours l’endroit, le lieu ultime pour la techno. Tu as l’impression que tout peut arriver. D’ailleurs, tout peut arriver. Tout est permis.

Ma came, c’est la techno industrielle, de la musique physique plus que mentale. Une sorte de fête pessimiste

Pour parler de la drogue, par exemple : à l’entrée, ils te fouillent vraiment, et bien, mais à l’intérieur, c’est très facile d’en prendre. Les rapports humains, aussi (rires). Au sous-sol, tu as un autre club qui s’appelle le Laboratory, un club gay hardcore qui fait des soirées SM, où seul Dieu sait ce qui s’y passe. Il y a cette aura de liberté, d’orgie… sonore (rires) ! Perso, j’ai dû faire dix heures max, j’en pouvais plus après. Mais il y a des types qui arrivent le samedi et repartent le lundi matin. En même temps, tu ne verras jamais quelqu’un ‘comater’, dormir par terre. Il n’y a jamais de problèmes à l’intérieur.

Le club est une centrale électrique désaffectée au style stalinien. Ça se ressent à l’intérieur ?

C’est haut de plafond, bétonné, l’atmosphère est très industrielle. Mais le plus impressionnant, c’est la qualité du son. Ils ont quatre tours de son, comme une espèce de carré, qui sont réglées par des ingénieurs qui bossent dans la techno, et pas des mecs qui font du rock le mercredi et de la bossa le dimanche.

Tout est finalement pensé pour tirer la quintessence de la techno…

J’aime bien la musique électronique, car tu as l’impression d’être un peintre devant son tableau, qui met des effets et différentes couleurs. Tu n’as pas de règles. Pas comme dans le rock où tu vas mettre les cymbales à gauche et le kick au milieu. Non, avec la techno, tu peux faire un bordel. Or, au Berghain, tu entends tous les détails grâce au son. Tu n’as plus qu’à pousser. Tu passes des heures à faire des morceaux au poil, alors putain ça fait du bien de les entendre parfaitement ! Enfin, il faut y aller pour comprendre.

Tu viens de Marseille. Entre nous, il y a vraiment une scène techno dans la cité phocéenne ?

J’ai des potes qui font en sorte que oui. Ils se sont regroupés autour d’un collectif appelé Métaphore. La dernière soirée qu’ils ont faite, c’était apparemment vraiment ‘ouf’. Ils ont fait ça dans un sauna gay. C’était plein, 400 personnes, un ‘mini Berghain’ m’ont-ils dit. Gays, hétéros, il y avait de tout. C’était très libre. Les gens étaient à moitié à poil. Donc pour répondre à ta question, je pense qu’il y a une scène. Je pense surtout que les gens en veulent. Ils en ont marre des mêmes soirées, des mêmes artistes depuis dix ans. Il y a une grosse relève, il faut juste lui donner sa chance.

C’est une grande souffrance pour toi de faire de la musique ?

Ouais, c’est très dur ! C’est une torture psychologique. Ce sont des perpétuelles crises d’identité, de doute. En même temps, la musique que j’aime et que je fais est une musique torturée. Tout est logique finalement. La boucle est bouclée.

Le Weather Paris Festival, les 3, 4 & 5 juin
https://www.facebook.com/events/1541741866140375/

Pour suivre UVB : https://www.facebook.com/uvbproject/
et pour l’écouter : https://soundcloud.com/uvb

PAR VICTOR LE GRAND