“Excusez moi, je vous entends mal. On est dans un aéroport.” Dans le brouhaha des annonces de vol, Camille Mackler Winter prend une pause pour parler de son combat. Car si la jeune Française se trouve à ce moment-là au John Fitzgerald Kennedy International Airport, à New York, ce n’est pas pour partir en voyage. Mais plutôt pour aider ceux qui en reviennent: “Le gouvernement Trump a signé le décret vendredi (le 27 janvier, ndlr), et on pensait qu’il lui faudrait quelques mois pour tout mettre en place.” Ce décret, c’est celui qui interdit aux réfugiés et ressortissants de sept pays à majorité musulmans ( Syrie, Irak, Iran, Lybie, Soudan, Somalie, Yémen) de se rendre sur le territoire américain pendant une durée plus ou moins longue. Camille Mackler Winter, avocate installée aux États-Unis depuis de nombreuses années et membre de la New York Immigration Cohalition, soupire. “En fait, c’était effectif en quatre heures.”
Marge de manœuvre limitée
Dès l’application du texte, des avocats de la ville de New York se mettent à échanger entre eux par e-mails ou conversations groupées WhatsApp. “J’étais au milieu de tous les messages, et je devais déposer ma fille à dix minutes de l’aéroport
samedi, raconte Me Mackler Winter. Alors j’y ai fait un saut pour voir ce qui se passait.” Elle découvre là-bas un chaos plein de colère et d’incompréhension, des voyageurs désorientés, mais aussi plusieurs dizaines de jeunes avocats déjà à pied d’œuvre pour aider les personnes touchées par le décret anti-immigration. Assis dans des cafés avec leurs MacBooks, des textes juridiques sous la main, ils attendent l’arrivée des avions dans lesquels se trouvent des passagers concernés par ce qui se fait déjà appeler “Muslim ban”, tout en conseillant les proches de ceux qui sont coincés à la douane, venus sur place pour en savoir plus. “On fait en sorte d’être présents avec des pancartes écrites en anglais, arabe et farsi à la sortie de tous les vols, décrit Camille Mackler Winter. Et on reste avec les familles jusqu’à ce que ceux qu’ils attendent soient autorisés à sortir.”
En dépit de leur bonne volonté, la marge de manœuvre des avocats bénévoles reste quand même limitée: “On est plus là pour du soutien. Tant que les gens n’ont pas passé la douane, on ne peut rien faire. Mais, par exemple, si un interrogatoire dure plus de six heures, on peut établir un habeas corpus que l’on transmet ensuite à la Cour fédérale pour demander la libération des interrogés.” Six heures? “Un ordre de la Cour de New York oblige la police à libérer les gens arrivés sur le sol américain, mais elle ne le fait qu’après de longs interrogatoires.”
Mouvement sur le long terme
Des séances de questions qui peuvent même s’étaler sur plus de sept heures, durant lesquelles les policiers vont fouiller dans les informations personnelles des “bannis”. “D’après ce que les gens interrogés nous ont dit, la police leur demande s’ils sont musulmans, s’ils soutiennent Daech, rapporte Camille Mackler Winter. Les agents prennent même leur téléphone et vont consulter leur profil Facebook ou essayent d’appeler certains de leurs contacts.” Elle s’agace : “À la frontière, la loi ne dit pas que c’est illégal. Mais il y aura des poursuites en justice!”
À l’extérieur du restaurant Central Diner dans le Terminal 4, c’est un vrai cabinet d’avocats improvisé qui s’est formé: “Médias”, “Traduction”, “Inscriptions”, “Technologie”… À chaque table son service dédié. Le mouvement est même mis en avant sur les réseaux sociaux via un site et un hashtag, #NoBanJFK. “On s’est organisés en plusieurs équipes et on a ouvert une ligne téléphonique d’assistance pour les familles ainsi que des formulaires en ligne pour que les avocats inscrivent
leurs disponibilités.” Depuis samedi dernier, ils sont une trentaine à se relayer jour et nuit dans l’aéroport pour recevoir les nouveaux arrivants. Certains avocats ont été libérés par leurs employeurs pour apporter de l’aide, tandis que d’autres ont pris des jours de congés pour se rendre à JFK. Camille Mackler Winter explique qu’“il y a une consternation énorme au sein de [sa] profession, ces décrets sont passés de manière arbitraire sans aucun aval. Mais ça redonne espoir de voir toutes ces manifestations”. La mobilisation pourra-t-elle durer? L’avocate voit sur le long terme: “Le système que l’on a créé, c’est quelque chose que l’on va réutiliser. Dans le contexte de l’aéroport, ça ne pourra pas être indéfini, c’est une façon de répondre à une crise.” Elle prend une pause. “Et des crises, on sait que l’on va en vivre pas mal durant les quatre prochaines années.”