On entend peu parler du tatouage 3D, et plus spécifiquement quand il s’agit de reconstitution mammaire. Comment ça se passe ?
La technique du tatouage 3D joue avec les ombres et les lumières pour donner un côté réaliste. J’utilise la même encre que pour le tatouage traditionnel pour que le résultat soit définitif, contrairement au tatouage médical qui disparaît avec le temps. La première séance dure deux heures. La patiente garde ensuite un pansement transparent pendant trois jours et elle revient trois mois après pour les retouches. Lors de cette dernière séance, je vois déjà un changement. Quand elles reviennent, les patientes sont allées chez le coiffeur, elles ont perdu du poids, elles ont changé leur manière de s’habiller. Elles ont retrouvé leur féminité et l’envie de prendre soin d’elles.
Pourquoi choisissent-elles cette option, sachant qu’il existe des procédés médicaux de reconstruction ?
Je suis face à des femmes qui ont subi un processus très lourd. Elles s’adressent à
moi pour différentes raisons. Par exemple, je me souviens d’avoir tatoué une jeune femme qui venait d’avoir un bébé. Elle n’avait pas envie de se faire réopérer. Elle voulait juste en finir avec tout ça. Le tatouage de téton n’est pas un geste qu’il faut faire en 20 minutes entre deux tables. L’idée est d’accompagner ces femmes qui ne demandent qu’à passer à autre chose, à partir du moment où elles ont fait le deuil du relief du mamelon. Il faut les accueillir dans un lieu dédié, parce qu’elles n’auraient jamais poussé les portes ni d’un salon de tatouage classique ni d’un cabinet esthétique. Nous ne pouvons pas discuter d’une reconstruction émotionnelle après une épreuve comme le cancer au milieu de femmes qui se font poser des masques sur le visage ou épiler les mollets.
La dimension psychologique est très présente dans votre quotidien. Comment avez-vous appréhendé cet aspect du métier ?
J’ai déjà travaillé avec des malades auparavant. Ça s’est donc fait naturellement. Il ne faut pas avoir une empathie dégoulinante en pleurant sur le sort des patientes , il faut garder une marge de manœuvre. Mais je n’ai pas de problème à pleurer de joie avec elles quand elles sont satisfaites du résultat, par exemple. Je leur consacre au moins trois heures lors de la première consultation pour discuter de ce qui est possible, en fonction de la contrainte physique. J’ai déjà eu une patiente pour qui le tatouage n’a pas pris la première fois, une grande partie avait disparu parce que la cicatrice l’avait absorbé. Il a fallu recommencer et ça a fonctionné. Je ne veux pas leur faire de fausse promesse. Je dois être objective pour qu’elles puissent accepter leur sein reconstruit. Je sais aussi refuser quand je vois que la peau est trop abîmée. Je leur conseille alors un tatouage temporaire.
Comment expliquez-vous être la seule en France et en Europe à pratiquer cette activité, courante aux États-Unis ?
Aucun tatoueur n’a choisi ce créneau-là. Certains ont été sollicités par des femmes et ont répondu à leur demande mais ils ne sont pas spécialisés. Beaucoup refusent, et c’est plutôt à leur crédit, car ils ne maîtrisent pas bien cette technique. Il n’est pas facile de tatouer sur une peau qui a subi de la radiothérapie, de la chimiothérapie, sur laquelle il y a des cicatrices. J’ai choisi de me lancer après avoir suffisamment acquis de connaissances.
Pourquoi avez-vous choisi d’apprendre cette technique, et comment s’y forme-t-on puisque c’est encore inexistant dans notre pays ?
Quand j’ai fait de la recherche en clinique, j’ai pu être en contact direct avec des
patients, engager un vrai dialogue, jusqu’à accompagner leur fin de vie. Cette relation me manquait. Je suis tombée sur la vidéo du travail de Vinnie Myers (la référence en tatouage 3D de reconstruction mammaire, ndlr), c’est alors devenu une obsession. Je n’étais ni médecin ni infirmière mais j’avais la volonté de soigner autrement. Le tatouage s’enseigne par apprentissage avec un formateur. Je me souviens d’avoir commencé à tatouer des pattes de chat, des signes infinis, des étoiles… Chaque petit dessin me rapprochait de mon objectif. Pour exercer ce métier, il faut avoir une bonne fibre artistique, conjuguée à une super technique. Et une connaissance de la reconstruction mammaire.
Comment votre démarche est-elle reçue dans le milieu médical ?
Il a fallu travailler en collaboration avec le milieu médical au départ fermé, inquiet quant à l’innocuité du geste. J’ai pu créer un lien et introduire le tatouage grâce à mon passé de scientifique. J’ai dû rassurer sur mon travail pour prouver qu’il y a bien un suivi et des résultats. Je veux aussi montrer que c’est une alternative économique. Cette technique coûte trois à quatre fois moins cher (il faut compter 400 euros pour le tatouage d’un sein ndlr) qu’une reconstitution chirurgicale, qui se chiffre en milliers d’euros. Aujourd’hui, le tatouage n’est pas pris en charge mais la situation est en train d’évoluer. Les médecins se mobilisent aussi et les chirurgiens m’invitent à leurs conférences. C’est très encourageant. Ils sont d’accord pour dire que je viens magnifier leur chirurgie.
Quel est l’avenir de cette pratique ? Pensez-vous qu’elle puisse servir dans d’autres domaines ?
L’idée, bien sûr, est de former d’autres tatoueurs sur un modèle bien précis, avec un type d’accueil et de prise en charge particulier. Je pense qu’il n’en faut pas 50. Il en faut juste un nombre raisonnable pour que les femmes n’aient pas à aller trop loin pour accéder à ce service. C’est aussi un plaisir d’imaginer appliquer la technique à d’autres besoins. Nous pouvons pratiquer le tatouage 3D à la suite d’une augmentation ou d’une réduction mammaire ou pour les grands brûlés, au niveau du torse. Nous imaginons aussi reconstruire des nombrils après une plastie abdominale ou des ongles sur un doigt amputé. En réalité, la technique peut s’appliquer à tout ce qui fait appel au réalisme. J’ai d’ailleurs été contactée par des transsexuels. Ils ont besoin de se créer une nouvelle identité avec une poitrine adaptée à leur nouveau genre.