EN MARGE !

Parasexual activity

Il en existe de toutes les formes, de toutes les couleurs et à destination de toutes les orientations sexuelles. D’après l’IFOP, un Français sur quatre a utilisé un sextoy au moins une fois au cours de l’année 2016, pour un plaisir solitaire ou en couple. Pourtant, ils sont 2,3 millions à en être (presque) privés. Ils sont invalides, amputés, paraplégiques, tétraplégiques et à ce jour, il n’existe que deux dispositifs pensés pour eux. Rencontre avec ceux qui veulent d’un monde où le sexe est un droit fondamental.
L’IntimateRider.

“Il faut arrêter de penser que toutes les personnes en fauteuil sont impuissantes !” Vincent* est énervé. Paraplégique depuis presque trois ans à la suite d’un AVC, il a les jambes et le côté gauche du corps paralysés. Mais il n’est pas impuissant ! Même si un corps abîmé amène toutefois quelques nouvelles contraintes. “La première chose à laquelle vous pensez quand vous vous réveillez après l’accident, c’est: ‘J’ai failli mourir’, confie-t-il. Puis, vous vous demandez si vous êtes toujours humain. Vous n’avez plus vos érections matinales. On vous aide à pisser. On vous lave le gland. Tout est humiliant.Ce qui, bien sûr, engendre quelques changements sous la couette. “Dans l’acte, les hommes doivent parfois être dominants. Mais je ne peux plus. J’ai la chance d’avoir une femme qui a accepté la situation. Ce n’est pas le cas de tout le monde. Dans le centre de rééducation où j’étais, la moitié des couples se sont séparés.” Alors pour éviter l’issue fatale, Vincent et sa femme ont décidé de réapprivoiser leurs propres ébats. Et pour les pimenter un peu, ils utilisent parfois un sextoy connecté à un smartphone. Lui peut gérer l’intensité de la vibration à distance avec sa main pendant qu’elle prend son pied. Un petit appareil destiné surtout aux personnes en couple et ayant l’usage de leurs mains. Ce qui n’est pas le cas de toutes les personnes en situation de handicap.

Le HandyLover.

Seulement deux dispositifs dédiés

Cette problématique, Rodolphe Brichet s’y est attaqué, et propose HandyLover, un dispositif destiné aux personnes à mobilité réduite qui prend la forme d’un rail sur lequel est installé un support mobile où l’on peut s’asseoir ou s’allonger. Il est possible d’y fixer un ou deux sextoys phalliques ou un masturbateur masculin afin de simuler une relation sexuelle. Il convient aux hommes comme aux femmes, de toutes orientations sexuelles, seul(e)s ou en couple. “C’est le premier produit testé avec des personnes en situation de handicap”, souligne l’ancien champion de véhicule à propulsion humaine, vantant la modularité du produit, adaptable en fonction des envies et des besoins de chacun.
Comme ceux de Renaud Bertolin, par exemple. Invalide et contraint de marcher avec des béquilles, cet homme à l’accent du Sud a testé le HandyLover. Et son bilan est bon : “Même avec une mobilité restreinte, cela permet une masturbation. C’est une énorme avancée !” Selon lui, l’intérêt est encore plus grand en couple. “On ne subit plus la prise en charge par le ou la partenaire. On redevient actif. Et on peut retrouver 75% des pratiques sexuelles classiques”, s’enthousiasme-t-il. Comme la levrette, position préférée d’un français sur trois (source : Zava).

HandyLover est le premier –et le seul– dispositif français du genre. Et s’il “n’est qu’à 10% de ses capacités (il n’est pas motorisé et nécessite donc que l’utilisateur puisse générer un mouvement, ce qui est compliqué pour les paralysies les plus

Vous parlez de sexualité et de handicap. Ce sont deux choses qu’il est compliqué d’évoquer dans notre pays.
Nathalie Giraud Desforges, sexothérapeute

sévères), son créateur l’assure : tout est déjà pensé et breveté pour la suite. Ne manque que de la trésorerie. Jusqu’ici, la seule solution au plaisir sexuel des personnes handicapées était l’IntimateRider, un siège qui permet de reproduire un mouvement de va-et-vient grâce à un système de balancier contrôlé par un hochement de la tête, importé en France par Damien Letulle, ancien champion de tir à l’arc devenu tétraplégique à la suite d’une chute. Nathalie Giraud Desforges, sexothérapeute, travaille régulièrement avec des personnes en situation de handicap et traite le sujet sur son blog consacré à la sexualité. Pour elle, le tabou est double : “Vous parlez de sexualité et de handicap. Ce sont deux choses qu’il est compliqué d’évoquer dans notre pays. On pense souvent qu’une personne en situation de handicap est une personne privée de la capacité à avoir du plaisir. Il y a un mystère et une ignorance qui entoure cette sexualité.”

Combien ça coûte ?

Et ce tabou a un prix. À 369 euros l’IntimateRider et 650 euros à plus de 1 000 euros le Handylover, coucher comme les autres n’est pas donné à tout le monde.“Pour les handicapés tout est supercher et nous, on n’a pas de sous, se plaint Alexandre, un quadragénaire paraplégique depuis 2013. Quand on bosse, on n’est pas forcément très bien payés et les pensions d’invalidité sont insuffisantes !” Pour lui, la question des sextoys adaptés est un “serpent qui se mord la queue” : “C’est bien mais le problème, c’est qu’il faut les développer. Le fabricant a besoin que son produit soit rentable donc le prix est élevé. Mais derrière, on ne peut pas se l’acheter.”
Comment briser ce cercle vicieux ? Une implication financière de la Sécurité sociale ? “Que l’on rembourse déjà nos fauteuils ! réagit Alexandre. Sur 4 000 euros, vous savez combien ils remboursent ? À peine 500 ! Juridiquement, rien ne contraint l’État à soutenir financièrement ce genre d’initiative, le plaisir sexuel n’étant pas considéré comme thérapeutique. D’un autre côté, la Sécurité sociale rembourse le Ferticare, un masturbateur à hautes fréquences qui aide les hommes à avoir une éjaculation. La différence ? Le Ferticare, vendu un demi-millier d’euros, est conçu pour la procréation et, à ce titre, considéré comme thérapeutique.
Pour Nathalie Giraud, la sexothérapeute, “c’est aux associations de prendre leurs responsabilités. L’une des solutions est qu’elles achètent un HandyLover et le louent.” Cette solution, Rodolphe Brichet y a déjà pensé. Mais il pense que celle de la prise en charge par l’État est, à terme, la meilleure. “J’espère qu’avec la reconnaissance institutionnelle et médicale du HandyLover, ce sera effectif un jour”, conclut l’entrepreneur.

Tout le monde a droit au Kamasutra.
Tout le monde a droit au Kamasutra.

Briculage

En attendant, certains bidouillent. Comme Clément Chaderon, paraplégique depuis huit ans : J’achète des sextoys du commerce, je les démonte et j’enlève les interrupteurs pour en installer des plus accessibles, puis je fais une ‘rallonge’ ou une grosse roue que l’on peut actionner avec la paume de la main et les sticks de fauteuils, par exemple.” Tout ça, bénévolement. Pour des “copains”, surtout. Mais

Pour Alexandre, paraplégique, la question des sextoys adaptés est un “serpent qui se mord la queue” : “C’est bien mais le problème, c’est qu’il faut les développer. Le fabricant a besoin que son produit soit rentable donc le prix est élevé. Mais derrière, on ne peut pas se l’acheter”
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ça ne l’empêche pas d’avoir parfois des demandes… étonnantes. Et niveau bricole, Clément a de la suite dans les idées. “Une femme tétraplégique souhaitait un dispositif pour pouvoir se masturber. J’ai fabriqué une sorte de main avec un doigt en silicone fixé sur une rallonge en bois pour le tenir dans la bouche et donner accès aux grandes lèvres de madame”, détaille-t-il. L’industrialisation n’est pas compliquée, selon lui. “Une fois que l’on a bidouillé quinze sextoys pour des handicaps différents, on peut rapidement proposer une gamme assez complète et accessible”, assure-t-il, avant d’avouer ne pas avoir le temps de concrétiser ce projet ni l’envie de monter une entreprise dans ce domaine.
Reste le cas des personnes les plus lourdement handicapées. Marcel Nuss, qui n’a de son corps que l’usage d’une main et de la parole, a écrit plusieurs livres sur un combat qu’il mène depuis de nombreuses années : la libération sexuelle des handicapés. Et il est formel : “Quand une personne est totalement immobilisée, comment voulez-vous qu’elle utilise des sextoys ? Sans parler de la discrimination envers les personnes qui ne sont pas en couple. On estime que le sexe est accessoire alors même que ceux qui décident cela sont des gens qui ont des relations sexuelles. Avec son Association pour la promotion de l’accompagnement sexuel (APPAS), il forme des assistants sexuels. Une pratique illégale en France mais autorisée dans plusieurs pays d’Europe comme l’Allemagne, les Pays-Bas, la Belgique ou encore le Danemark. C’est d’ailleurs son assistante sexuelle qui est devenue sa femme. Il n’attend qu’une chose : se faire attaquer en justice pour faire entendre son combat. Il n’est pas inquiet des sanctions judiciaires. “On pourrait même obtenir gain de cause!”

En 2018, deux évènements dédiés au sexe et au handicap vont tenter de faire évoluer les choses et les mentalités. D’abord, le festival Ma sexualité n’est pas un handicap, “fait par et pour des personnes en situation de handicap” comme le rappelle l’organisateur, Jean-Luc Letellier, se tiendra les 28, 29 et 30 juin à Paris. Puis le salon AmourS & HandicapS, organisé par l’Association des paralysés de France (APF) du Var en collaboration avec l’ADAPEI, devrait avoir lieu les 19 et 20 octobre à Hyères. Astrid Simoneau-Planes anime le groupe de parole Vie affective, sentimentale et sexuelle de l’APF du Var. Une fois par an, j’apporte un gros carton avec plein de sextoys que je montre aux personnes présentes”, explique-t-elle, pour appuyer son ambition d’aménager un espace dédié aux sextoys lors de ce salon. Car selon elle, parler de sexualité revient à se mettre face à sa propre sexualité “et pour beaucoup de personnes, c’est compliqué. Il y a un travail d’éducation à faire”. Ce n’est pas Alexandre qui dira le contraire. Lui qui a régulièrement de nouvelles partenaires –valides– constate souvent une grande méconnaissance. “Depuis le film Intouchable, toutes les filles me massent les oreilles. Mais moi, ça ne me fait aucun effet!”

*Le prénom a été changé

Par Thomas REMILLERET


Cet article est le fruit d’un partenariat avec le CFPJ, dont douze étudiants ont traité spécialement pour Society des sujets sur les thèmes suivants : "Révolution" et "En Marge !".