Le Mzansi Sound ou les musiques électro sud-africaines à la conquête du monde

Depuis quelques années, il est partout. Dans les bars branchés du centre-ville de Cape Town, dans les street parties organisées au cœur des townships de Durban ou encore dans les taxi-bus blindés qui foncent dans les rues et emmènent les travailleurs d’un bout à l’autre de Johannesburg. Le Mzansi Sound a envahi tous les dancefloors d’Afrique du Sud. Et chaque ville tient son identité musicale.
Mo Laudi (© Aurore VInot )

Il n’a pas touché à son café. Assis au bar d’un coffee shop de Cape Town, le producteur Shane Cooper se rappelle la première fois qu’il a entendu le gqom, la musique électro originaire de Durban. Les yeux grands ouverts, il regarde dans le vide et se refait le film de la soirée. “C’était il y a quelques années, au Kitchener’s à Johannesburg”, pose le trentenaire, également bassiste dans un groupe de jazz. À l’époque, il débarque tranquillement dans ce club installé dans un bâtiment victorien datant du début du siècle dernier. “J’ai entendu ce truc et j’ai halluciné! C’était brut, plus lent, avec un beat renversé, qui ne respectait aucune règle. C’était très hypnotique. Ça rendait les gens dingues.” Il balaye l’air d’une main sèche, comme pour souligner une évidence: “D’ici dix ans, le monde entier reconnaîtra l’Afrique du Sud comme le pays le plus créatif sur la scène électro.”

Fin de l’apartheid et technologies bon marché

Et pourtant, la petite histoire du Mzansi Sound ne remonte pas à hier. “La house a toujours été un gros truc dans ce pays”, assure Mohato Lekena, 26 ans, producteur originaire, aussi connu sous le nom de WiLDEBEATS. Gamin, Mohato traversait à pied tout le quartier d’Alberton à pied, au sud du centre d’affaires de “Jo’burg”, histoire de se rendre chez ses potes. “Mes deux meilleurs amis avaient des frères qui étaient déjà dans la house. L’un d’eux s’appelait DJ ZEE. Il ramenait sans arrêt des nouveaux vinyles, les dernières compiles, de rap et d’électro. Il empruntait aussi un peu de matériel pour qu’on puisse jouer. Donc, on enregistrait dans une petite pièce, sur un vieil ordi avec moniteur CRT, on faisait des compétitions de DJ dans cette pièce. C’était incroyable! C’était après l’école, nos parents bossaient jusque tard donc il n’y avait que des gamins dans le quartier, on n’avait jamais d’ennuis.”

La musique a pas mal souffert des divisions héritées du passé. Pendant longtemps, les radios noires ne passaient pas d’artistes blancs en se disant que ça ne ferait pas d’audience, et inversement
Mohato Lekena

C’est donc dans cette petite pièce d’Alberton que Mohato découvre le Kwaito, variante de la house mêlant des sonorités africaines traditionnelles. “C’est un genre de disco ralentie avec un beat de house, un côté funk et des paroles à moitié rappées, à moitié chantées. Il y a quelque chose de commun avec le rap actuel”, analyse WiLDEBEATS. Quand il était au lycée, le zigue empruntait donc le matériel de ses cousins, histoire de rythmer les soirées de ses potes organisées dans des garages. Pour produire, il utilise alors l’ordinateur de son père sur lequel il installe les logiciels de mixage. “La disponibilité des technologies a eu un impact considérable sur l’effervescence de la scène électro en Afrique du Sud”, commente Shane Cooper. Avant, il y avait de fortes inégalités dans l’accès à la création musicale parce qu’il fallait des cours, une guitare, un instrument, etc. Maintenant, il suffit d’un ordi. Internet, Soundcloud, ça a changé la donne.” L’accessibilité des technologies aurait ainsi permis à la jeunesse des townships d’exprimer toute sa créativité musicale. “On est un pays avec une culture de la danse et de la fête extrêmement forte”, pose Cooper. “C’est lié à notre histoire, les gens ont toujours beaucoup souffert ici, ils ont toujours été obligés de vivre dans la restriction. Et ils ont toujours cherché des manières de s’amuser et d’exprimer leur énergie malgré ça.”


Les Mzansi Sounds plutôt que le Mzansi Sound

Vingt ans après le début de la démocratie sud-africaine, la musique électro a ainsi pris aux quatre coins du pays. “En vérité, l’expression ‘Mzansi Sound’ ne veut pas dire grand chose. ‘Mzansi’ signifie ’Afrique du Sud’ en Xhosa. Et chaque ville a sa singularité, sa particularité, son identité musicale. Ça vient du fait qu’on est un pays avec des cultures très différentes”, explique Spoek Mathambo, musicien de Jo’burg qui a réalisé un film intitulé Future Sound of Mzansi, un riche panorama des évolutions des musiques électroniques dans l’Afrique du Sud post-apartheid. “Les différences musicales entre les villes ont des origines profondes. Si on regarde un peu ce qui s’est passé avant qu’on obtienne la démocratie, on voit que des populations ont été déplacées du fait de la ségrégation. Puis, il y a beaucoup de cultures, de langues avec des danses et des influences très différentes. Donc, finalement, ce n’est pas une surprise si les villes ont des identités musicales différentes”, estime Mohato. Et d’expliquer: “Le gqom de Durban, plus brut, s’inscrit par exemple en réaction à la house de Johannesburg, les mecs se sont dits: ‘Allez, on renverse tout!’Mais il y a aussi la Bacardi house de Pretoria, dont le nom vient de la marque d’alcool que boivent les producteurs du coin avant de mixer. Ou le shangaan, originaire de la province rurale du Limpopo, au Nord-Est du pays, dont l’influence musicale traditionnelle est plus marquée. “La musique a pas mal souffert des divisions héritées du passé. Généralement, les artistes blancs étaient classés dans l’électro et les artistes noirs dans la house. Donc, pendant longtemps, les radios noires ne passaient pas d’artistes blancs en se disant que ça ne ferait pas d’audience, et inversement”, souligne Lekena.

Mais, petit à petit, les barrières tombent. Et les artistes sud-africains font leur trou sur la scène électro internationale. En Europe, le Mzansi Sound a ses ambassadeurs : Black Coffee ou DJ Spoko. Mais aussi Mo Laudi, installé à Paris depuis 2009. “J’étais fatigué d’entendre de la house. Quand tu vis en Afrique du Sud, c’est partout, je n’en pouvais plus. Je faisais de la com’ à l’époque, et je suis parti à Londres, dans un premier temps pour faire ça et faire un peu de musique, mais plutôt du rap et du punk.” Puis, Mo Laudi file à Paris où il se met à prendre l’EDM un peu plus au sérieux. “Au début, quand je mixais, les gens me disaient : ‘Sérieux, c’est africain ça ?’ Ils s’attendaient à entendre des tam-tam.”, assure-t-il en tapant sur une table du Très Particulier, un bar du XVIIIe arrondissement de Paris. “C’est une ville très spéciale, les gens ont un peu peur les uns des autres ici. Et puis, il y a cette division bizarre : les Parisiens résonnent en habitués. Il y a ceux qui veulent aller à la Concrete, ceux qui vont au Silencio au palais de Tokyo au Baron. C’est très intéressant d’essayer de faire tomber ces barrières avec la musique. Au début, je mets des trucs qu’ils connaissent, pour les rassurer, je mixe du Daft Punk avec des sonorités kwaito ou shangaan, par exemple. J’ai déjà fait deux heures de gqom au Ritz!”, affirme Mo Laudi. Le DJ sud-af’ fait rapidement son trou à Paris. “Ca a été vite parce que c’est un petit monde. Un mec comme Brodinsky est un gros fan de musique sud-africaine, il connaît tout par cœur. Un jour, au Silencio, Kavinsky m’a même présenté les Daft Punk. Ils étaient là juste en face de moi. Mais Kavinsky était complètement bourré et pendant dix minutes il a monopolisé la conversation en sortant des conneries du genre : ‘T’as vu le cul de la meuf là-bas?’ Les Daft Punk sont partis et je ne les ai plus jamais revus”, raconte-t-il en esquissant un sourire. “Mais la house sud-africaine est en train d’envahir le monde. Je pense que Diplo a pas mal été influencé par ça depuis quelques années. Même Beyoncé! Quand j’ai vu le clip de Run the World, j’ai halluciné. Elle danse exactement comme je dansais dans le township de Polokwane quand j’étais gamin!” Mo Laudi songe à rentrer en Afrique du Sud, pour six mois. Et pour cause, l’EDM sud-af’ est en train de changer de dimension.

“Ce qui est dingue, c’est que tout est en train de se mélanger, toutes les cultures, toutes les langues, toutes les influences musicales s’influencent les unes les autres en ce moment”, décrit Shane Cooper. Un constat partagé par Spoek Mathambo : “On va faire un deuxième film sur ce qui se passe en ce moment, ce mélange des cultures vaut un deuxième documentaire, trop de choses se sont passées et continuent de se produire dans la musique électro de ce pays.” Ce soir, Shane Cooper n’a pas l’intention de sortir. Pourtant, on est samedi soir, et il devrait écumer les boîtes de Long Street, l’artère du centre-ville de Cape Town, remplie d’étudiants qui filent d’un bar à l’autre, à la recherche de la meilleure soirée. “Il faut que je produise, je travaille une nouvelle musique et un concert à Cape Town la semaine prochaine”, s’excuse-t-il. Il rentre donc chez lui, et s’enferme dans la petite pièce où il compose. Quatre murs violets. Sur l’un d’eux, un poster de Las Vegas Parano. “C’est psychédélique, ça m’inspire un peu, souffle-t-il. En ce moment, j’essaye de mettre quelques idées rythmiques gqom dans ma house.” Un sourire gêné. “Sans copier non plus, c’est des essais, on en est qu’au tout début.”

 

Écoutez la playlist de Spoek Mathambo ICI

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#MeetSouthAfrica

Par Arthur Cerf