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100 bonnes raisons de louper son bac

Le bac 2015, ça a démarré aujourd'hui avec la philo. La pression ? Non merci. Avoir son bac, c'est bien, mais il y a aussi de très bonnes raisons de le louper.

 

 

  • Parce qu’on est fils ou fille de.
  • Parce qu’on n’est pas encore vraiment sûr(e) : socio ou psycho?
  • Pour ne pas éveiller les soupçons.
  • Pour prouver que la réforme scolaire, ça marche pas.
  • Parce qu’un mois de révisions, c’est potentiellement un mois de vacances supplémentaire.
  • Parce qu’on est amoureuse d’un mec de première.
  • Parce que au prix qu’elle coûte, il faut bien la rentabiliser, notre calculatrice TI-89 Titanium.
  • Parce qu’il a son bac, Michel Drucker, peut-être?
  • Parce qu’elles sont vraiment bonnes, les frites de la cantine.
  • Parce qu’on n’aime pas l’idée de finir nos journées après 17h30.
  • Parce que réviser ou sortir, il faut choisir.
  • Parce que Roland-Garros.
  • Parce que le bac, on le donne à n’importe qui de nos jours, et nous, on n’est pas n’importe qui.
  • Parce que la prof d’espagnol, Mademoiselle Bosquet, est comme les frites de la cantine.
  • Parce qu’on est footballeur.
  • Parce qu’on a préféré revendre nos livres de cours chez Gibert Joseph.
  • Pour être back dans le bac l’année prochaine.
  • Parce qu’on veut faire actrice.
  • Parce qu’on s’est mariée à 15 ans avec Luc Besson.
  • Parce qu’on veut travailler à la BAC.
  • Parce que l’épuration commencera par les intellectuels.
  • Parce qu’on n’est pas pressé(e) d’être au chômage.
  • Parce qu’on s’était promis de perdre notre virginité au lycée.
  • Parce qu’on ne va pas tomber dans le panneau comme tout le monde.
  • Parce qu’on a déjà le bac blanc.
  • Parce qu’on a calé nos vacances un poil trop tôt.
  • Parce que Free devait passer entre 8h et 13h, en plein pendant l’épreuve de philo. C’est ballot.
  • Parce que faire le djihad en juin, c’est peut-être la meilleure période.
  • Parce qu’on ne comptait pas faire de vieux os, donc bon.
  • Parce qu’on a tout misé sur notre chaîne YouTube.
  • Parce que, en sécu, on a aussi pas mal misé sur le casting des Anges de la téléréalité.
  • Parce que, quoi qu’il en soit, on a déjà 100 000 followers sur Twitter.
  • Parce qu’on souhaite avoir un minimum de prise sur le présent.
  • Parce qu’on avait déjà réussi à louper notre brevet des collèges, ce serait dommage de tout gâcher.
  • Parce qu’on a tous un oncle bac+5 qui vit dans sa Twingo.
  • Par respect pour nos grands-parents qui n’ont même pas le “certif”.
  • Parce que, après, c’est l’engrenage: bac+3, bac+8, etc.
  • Parce que c’est déjà une victoire d’avoir réussi à se hisser en terminale sans savoir ni lire ni écrire.
  • Parce qu’on n’a pas besoin de bac pour ouvrir une téléboutique.
  • Parce que, aujourd’hui, toutes les solutions pour réussir sa vie sont sur des forums. Et ils parlent pas du bac.
  • Parce qu’on a décidé de faire fortune grâce aux options binaires après avoir regardé une vidéo sur Internet.
  • Parce qu’on a décidé de faire fortune grâce à Live Jasmin après avoir regardé une autre vidéo sur Internet.
  • Parce qu’on veut garder notre crédibilité de blogueuse mode.
  • Parce que Rachida Dati nous l’a appris: ce qui est important, c’est de dire qu’on a le diplôme, pas de l’avoir.
  • Parce que quitte à devoir bosser jusqu’à 75 ans, autant commencer le plus tard possible.
  • Parce que suivre son rythme naturel pour le sommeil, c’est le plus important dans la vie.
  • Parce que c’est pas si mal, la légion.
  • Parce que c’est décidé, demain on se lance dans le food truck!
  • Parce qu’on se prénomme Jean-Sébastien.
  • Parce qu’on compte sur Xavier Niel pour nous sauver.
  • Parce qu’on est un évier et qu’on en a déjà deux.
  • Parce que Gérard Depardieu.
  • Parce qu’on a quelques notions d’hygiène et que 40 adolescents qui transpirent dans une pièce, on sait ce que ça donne.
  • Parce que O.K. on a des facilités, mais c’est pas une raison pour étaler son talent.
  • Parce qu’on a toujours été un outsider.
  • Parce que ce brevet du 50 mètres dos crawlé accroché sur le mur de notre chambre nous satisfait pleinement.
  • Parce que Emmanuelle Devos, Fabrice Luchini et Michel Denisot.
  • Parce que Stéphane De Groodt, il l’a pas non plus, et ça l’empêche pas de faire des jeux de mots à la con pour autant.
  • Parce qu’on rêve tous de sortir cette fameuse phrase à nos gosses: “Regarde papa, il a pas fait d’études et pourtant, il roule en Cadillac! Bah alors?” 
  • Parce qu’on a déjà le bouc et un Bic, ça suffit amplement à notre bonheur.
  • Parce que dans Hélène et les garçons, ils sont à la fac. Et personne n’a envie de finir comme ça.
  • Pour laisser un an de plus à notre peau pour effacer cette vilaine acné avant d’affronter le monde étudiant.
  • Parce que : “What the fac?”
  • Parce qu’on est un enfant chinois exploité et qu’on travaille depuis qu’on a 5 ans.
  • Parce qu’on ne veut pas finir dans un bureau avec un monospace et une cravate fantaisie.
  • Parce que, avec les pourcentages de réussite, le rater est un défi, et nous, on aime les défis.
  • Pour pouvoir signer soi-même ses billets d’absence et de retard l’année prochaine.
  • Parce que être dans Les perles du bac 2015est notre seule chance d’être publié un jour.
  • Parce qu’on préfère faire des listes de 100 raisons de…
  • Parce que dans la vie, la fille ne part jamais avec l’intello. Le mec non plus.
  • Parce que l’horoscope du jour a dit qu’on allait cartonner et qu’on veut absolument prouver que l’astrologie, c’est que des conneries.
  • Parce qu’on est maso et qu’on aime l’idée d’être en phase terminale pour quelque temps encore.
  • Parce qu’on aime le flipper.
  • Parce qu’on adore les échecs.
  • Parce que Stéphanie Pierson n’a toujours pas répondu au mot qu’on a gravé au compas sur sa table.
  • Parce qu’un SDF sur cinq a le bac.
  • Parce que si notre nom finit dans le journal local, on va avoir des emmerdes. C’est papa qui l’a dit.
  • Parce que de toute façon, c’est truqué, ils le donnent qu’aux fils de francs-maçons et d’illuminati, on l’a lu sur Internet.
  • Parce que Patrick Bruel et Francis Cabrel ont l’air d’avoir une belle vie. Surtout quand on aime les femmes.
  • Parce qu’il paraît que le savoir est une arme. Et nous, on n’aime pas trop la violence.
  • Parce que avoir le bac en poche ne nous servira à rien : on se balade tout le temps en slip de bain.
  • Parce qu’on apprend plus de ses échecs que de ses succès, c’est bien connu.
  • Parce que d’après notre prof d’éco, “la France risque de rentrer dans un cycle long de Kondratiev”. On n’a rien compris, mais avec un blase pareil, on préfère rester planqué(e) tranquillement au lycée.
  • Parce qu’on a toujours rêvé d’habiter un mobile home. Eminem, pour nous.
  • Parce qu’on avait dit à notre grand amour en début d’année : “Il n’y a que toi qui comptes. Le reste, je m’en bats les couilles.” Et qu’on est quelqu’un de parole.
  • Parce qu’un faux diplôme du baccalauréat coûte 5 euros en Thaïlande.
  • Pour donner raison à tous nos professeurs unanimes depuis la seconde.
  • Pour faire comme papa et maman.
  • Parce qu’on est déjà enceinte et que ça ferait trop d’évènements à fêter d’un coup.
  • Parce que Jean-Luc Lahaye nous a dit sur Facebook que ça changerait rien entre lui et nous.
  • Pour gagner un pari. On est joueur ou on ne l’est pas.
  • Pour ne pas avoir à foutre en l’air notre réseau de trafic de drogue mis en place depuis la 4e.
  • Parce que se retrouver l’année prochaine dans la même classe que notre frère de 28 ans perturberait l’équilibre familial.
  • Parce que, de toute façon, une expulsion du territoire nous menace.
  • Parce qu’on s’est fait tatouer “Dieu seul me juge”.
  • Parce qu’être noté par des gens qui gagnent moins que nous, ça nous pose problème.
  • Parce que les personnages de Seconde B sont restés trois saisons en seconde et que ça ne gênait personne. Kader Jazouli forever.
  • Parce que, à 18 ans, le seul diplôme qui a une valeur, c’est le permis de conduire.
  • Paske sa serre a rien.
  • Parce qu’on préfère réussir sa vie.

Article publié dans le magazine Society #7.
Tous les quinze jours, retrouvez les 100 bonnes raisons de… dans Society.

Par la rédaction

DIRECTIF

Trois cent mille et puis s’en va pas

Le 4 juin dernier, le collectif Informer n’est pas un délit et Élise Lucet lançaient une pétition visant à “stopper” la directive Secret des affaires. Aujourd’hui, malgré les plus de 300 000 signatures récoltées en dix jours, le texte a été adopté. Virginie Marquet, avocate et co-créatrice du collectif, explique pourquoi tout n’est pas terminé.

“Les députés européens ignorent 300.000 signatures des citoyens qu’ils représentent. Agissons !” Le titre de la mise à jour de la pétition Ne laissons pas les entreprises dicter l’info – Stop à la Directive Secret des Affaires ! n’est pas vraiment aussi enthousiaste que le communiqué de Constance le Grip, auteure du rapport, faisant suite à l’adoption par la commission JURI au Parlement européen, aujourd’hui, d’un texte contesté  : “Aujourd’hui, nous avons posé la première pierre d’un socle juridique européen commun pour lutter contre l’espionnage industriel et protéger l’innovation, tout en préservant les libertés fondamentales, au premier rang desquelles la liberté d’expression et d’information.”

Le 4 juin dernier, le collectif Informer n’est pas un délit lançait avec Élise Lucet une pétition mettant en garde contre une directive, celle du Secret des affaires. “C’est une directive visant à mettre en place des moyens de lutter contre l’espionnage industriel, les entreprises pouvant décider de ce qu’elles considèrent comme des informations secrètes, explique Virginie Marquet, avocate spécialisée en droit de la presse et co-créatrice du collectif. L’argument avancé, c’est que la directive protègerait les PME, leur compétitivité. Nous entendons cet argument. Le problème – j’en viens immédiatement au problème parce que c’est important – c’est qu’il y a un effet pervers évident. Cette directive est une arme de dissuasion, et même d’auto-censure. Ce qui est en jeu, c’est l’accès à l’information.”
L’avocate, qui a passé douze ans à la direction juridique de France Télévisions, insiste sur les conséquences “très graves” du texte : “OK, les informations pourront être utilisées, mais ce sera alors au journaliste de prouver leur intérêt, de démontrer leur utilité publique. Les entreprises détermineront elles si ces infos sont sous le sceau secret et pourront demander des dédommagements ‘à hauteur du préjudice’.” Elle qui travaille régulièrement avec des journalistes, notamment sur Cash Investigation ou Complément d’enquête est également inquiète concernant l’auto-censure : “Aujourd’hui, déjà, il y a une grosse pression qui vient des grands groupes concernant la révélation d’informations. Mais demain, si un journaliste enquête sur une affaire économique et qu’au moment du montage, il vient me consulter pour me demander de le conseiller, je vais devoir lui dire : ‘En diffusant ces informations, tu seras peut-être condamné à payer des milliers, voire des millions d’euros.’ Plus personne ne prendra le risque.”

Ne rien lâcher

Le mouvement contestataire est également mené par les syndicats français et européens, l’Association européenne des droits de l’homme, Julian Assange ainsi que des ONG. Notamment Corporate Europe Observatory, à qui l’on doit une analyse approfondie depuis la genèse de cette directive. Ce qu’il en ressort : “Trois cabinets ont régulièrement été consultés lors de l’élaboration du texte, explique l’avocate. Baker & McKenzie, White & Case et Knowlton Hill Stratégie. Trois cabinets d’affaires. La preuve qu’on est plutôt sur un texte pour protéger le monde des affaires.” 

Pourtant, Virginie Marquet n’est pas fataliste. “Cette adoption du texte n’est que la première étape. C’est un processus européen, c’est long et compliqué. La suite : des trilogues entre le Conseil européen, le Parlement européen et la Commission européenne, d’où sortira un premier jet de texte. Puis, une assemblée plénière et la décision du Conseil européen, soit la représentation des ministres de chaque État membre.” Selon elle, il ne faut “rien lâcher” : “Il n’y a pas de délai précis concernant l’adoption définitive. Mais ils veulent vraiment faire passer le texte, donc ce serait assez rapide, à la rentrée. Il faut continuer de se battre, sensibiliser les députés à ces risques et espérer un vote de rejet en assemblée plénière.” Et de conclure : “On nous reproche de toujours tout remettre en cause, même les textes qui ne concernent pas forcément les journalistes. Mais ce que l’on dit, c’est que les journalistes et leurs sources ne sont pas protégés. Faites une directive sur la protection des sources d’abord”, rappelant que les 300 000 signatures ne sont pas toutes celles de journalistes. “C’est une énorme mobilisation citoyenne.”

Pour signer la pétition : Change.org

Par Noémie Pennacino

Piketty vs Besancenot

Hier soir, quelque part dans le XIe arrondissement de Paris, l’association Pour l’émancipation politique et sociale invitait Olivier Besancenot et Thomas Piketty à venir tailler le bout de gras sur le livre de ce dernier, Le Capital au XXie siècle, immense et improbable succès de librairie, surtout pour 900 pages consacrées à un sujet aussi old school. Pourtant, ceux qui avaient été attirés par l’odeur du sang d’un éventuel clash entre le révolutionnaire médiatique et la star réformiste en furent pour leur déception.

Le CICP, Centre international de culture populaire, est niché au bout d’une rue tranquille et sans véritable charme, pas très loin de Nation. Le bâtiment, qui sert en temps normal de refuge (boîte postale, salle de réunion, etc.) à de nombreuses structures engagées, des éditions Libertalia à Génération Palestine, est surtout connu pour ses concerts de solidarité du dimanche après-midi. Ska militant et oi! revendicative au programme.
Après la porte blindée, puis quelques marches d’escalier, le minuscule hall d’entrée se présente, bordé d’un présentoir de tracts et autres objets de propagande qui font écho aux autocollants sur la machine à café en matière de poésie révolutionnaire –“Mangez les fafs, pas les animaux”. Une ambiance perdue quelque part entre la salle polyvalente de lycée autogéré et les bonnes années de la fac de Tolbiac. Il faudra patienter ensuite devant la grande salle, en équilibre sur des chaises hautes de cafétéria, en attrapant au vol des bribes de conversation parsemées d’imparables “comme disait Lénine”. Un porteur de t-shirt “Podemos” violet (presque la seule touche de fantaisie en matière de couleur) disserte dans la langue de Cervantes avec un sosie de Gael Garcia Bernal. Nous sommes clairement au bon endroit.

Aucune angoisse

La précédente réunion se termine, respectant scrupuleusement sa réservation. Les premiers arrivés investissent les lieux et disposent dans la bonne humeur les rangées de sièges. L’autogestion commence par la discipline librement acceptée. Le public, petit à petit, remplit l’espace. La moyenne d’âge s’avère plutôt élevée. Les jeunes, étudiants ou non, souvent en couple, viendront s’installer au dernier moment, debout contre le mur pour beaucoup.

Je ne sais pas qui est le plus révolutionnaire de nous deux, moi, je veux juste réussir la révolution
Thomas Piketty

Thomas Piketty se fraie un chemin, tout sourire, iPhone à la main, chemisette, pantalon impeccable et droit, un quasi-look de mod, coupe comprise. Aucune angoisse ne transparaît alors que son ouvrage concentre un feu nourri d’une gauche radicale qui le voit au mieux en miroir aux alouettes de la contestation, au pire en trompe-l’œil keynésien face aux nécessités de la révolution. La modératrice des débats annonce qu’Olivier Besancenot aura quelques minutes de retard, son bureau de poste est en grève et il n’a donc pas pu partir à l’horaire habituel. Un petit rire part sur le coté droit : “Ils travaillent plus à La Poste quand ils sont en grève.” Il semblerait que les fondamentaux soient à revoir.

Des membres d’Attac se pointent en voisins et font poser dès son arrivée le leader du NPA sur une des chaises dont on apprend qu’elles ont été réquisitionnées à la succursale HSBC de Bayonne… Olivier Besancenot se charge de l’intro. Ou plutôt, nous livre sa fiche de lecture. Sérieuse et appliquée. Qui ne tarit pas d’éloges pour le pavé de Piketty. Pour le sérieux du travail et surtout la “bouffée d’oxygène” que constitue ce best-seller, notamment “dans le contexte actuel”. Cet hommage est l’occasion d’envoyer quelques piques à ceux qui trimballent leur obsession  “bismarckienne” ou enfilent “des marinières pour se donner un genre”. Et aussi à sa propre famille politique : “On peut se demander pourquoi un tel livre ne vient pas de chez nous” – comprendre de chez les marxistes.

“Troïka m’a tuer”

Thomas Piketty ne boude pas son plaisir et s’offre quelques gourmandises de circonstance dans ses réponses : “Je ne sais pas qui est le plus révolutionnaire de nous deux, moi, je veux juste réussir la révolution.” L’assistance écoute attentivement. Lorsque viendra l’heure des questions, personne ne troublera la convention toute scolaire des échanges. À part quand le traditionnel militant sans âge avec fort accent anglais de la Ligue trotskiste de France, secte marxiste-léniniste, qui vend son organe, Le Bolchevik, à la sortie de tous les manifestations ou événements vaguement de gauche fera lâcher à l’animatrice un soupir résigné en se levant avec son journal dans les mains. Ou lorsque la modératrice décidera de donner la parole aux femmes, renvoyant dans les cordes de leur machisme exacerbé les messieurs qui râleront de se sentir ainsi obligés de céder leur tour au nom de la parité.
Pour le reste, cela questionne sévère sur la Grèce, à coups de “Troïka m’a tuer”. La dette est disséquée, la création monétaire invoquée, Podemos se grime en Barça de la radicalité (tout le monde aime sans savoir pourquoi) et le rôle du politique face à l’économique cisèle l’ensemble des propos d’une précieuse dentelle théorique. Le tout dans les strictes limites de la politesse. La seule attaque : une vague accusation d’être mainstream”.

Finalement , Thomas Piketty s’offrira le luxe d’un petit hara-kiri symbolique auprès des sympathiques militants en face de lui : “Vous savez, je ne suis qu’un chercheur en sciences sociales, et qu’est-ce que c’est ? C’est un citoyen qui a la chance d’être payé à consulter des archives et des données.”

 

 

Par Nicolas Kssis-Martov

CINEMA

Des bruits et des dinos

Alors que Jurassic World, la nouvelle mouture de Jurassic Park, vient de réaliser la meilleure sortie mondiale de tous les temps, le festival Cinema Paradiso débute demain. Dix jours de films cultes et de soirées clubbing. L’occasion pour MK2 de rendre un hommage en grande pompe au classique de Spielberg : mercredi, à 21h50, les rugissements des dinosaures résonneront sous la nef du Grand Palais. Des bruits qui ont valu les Oscars du meilleur son et du meilleur mixage sonore à Gary Rydstrom. Et pour cause, il a fallu faire preuve d’imagination pour les faire gronder, les dinos.

On est au début des années 90. Steven Spielberg passe une commande à Gary Rydstrom : pour son futur blockbuster, le réal’ a besoin d’une dizaine de bruits de dinosaures. “Quand j’ai vu l’offre pour la première fois, ça m’a fait peur, il y avait tellement de dinosaures sur cette liste ! assurait le sound designer à Vulture en 2013, à l’occasion des 20 ans de la sortie du film. Mais pour un designer sonore, il n’y avait pas meilleur terrain de jeu que Jurassic Park. Rydstrom relève le défi et passe les mois suivants à enregistrer différents animaux. Deuxième étape : mixer et modifier les sons, histoire d’obtenir des bruits à la fois fascinants et effrayants, connus et inconnus, surréalistes et organiques. Quiconque a grandi dans les années Club Dorothée se souvient de la scène d’évasion du T-Rex. Le verre d’eau qui tremble, la pluie qui bat sur le pare-brise de la Ford Explorer jaune et vert, les barrières qui s’ouvrent en grinçant. Puis, le tyrannosaure qui apparaît et pousse un rugissement déchirant.

Jurassic Bark

La doublure de la plupart des sons émis par le géant du Crétacé ? Buster, le Jack Russell de Gary Rydstrom. “La manière dont ils animaient le T-Rex faisait penser à un chien, surtout quand il attrape le Galliminus et l’avocat, explique Rydstrom en 2013. Chaque jour, je voyais mon chien en train de jouer, il faisait la même chose avec un jouet en corde, il faisait comme s’il tuait sa proie.”  Buster n’en est alors pas à son coup d’essai puisqu’il a déjà mis à contribution son animal de compagnie sur Terminator 2. Une manip’ inspirée par Ben Burtt, sound designer de Star Wars, qui avait ralenti les bruits produits par un chihuahua pour donner vie au Rancor de Jabba le Hutt dans le Retour du Jedi. Le secret ? Faire durer. “Une des choses amusantes dans la conception sonore est de prendre un son et de le ralentir. Il devient beaucoup plus grand”, livre le pro du dino. L’élément clé pour le rugissement du T-Rex, ça n’est pas un éléphant mais un éléphanteau. Prendre un bruit faible émis par un petit animal et le ralentir est plus intéressant que de prendre un bruit puissant.”

Le “chant” du brachiosaure

Le T-Rex n’est pas le premier dino à apparaître dans le film. Autre scène culte : le docteur Alan Grant est dans la voiture, tourne la tête vers la gauche, enlève son chapeau et retire ses lunettes de soleil, la main tremblante. Contre-champ : le grand brachiosaure mâche une branche et pousse son cri sur la musique de John Williams. “Le chant du brachiosaure est un de mes sons préférés dans le film,  explique Gary Rydstrom, toujours à Vulture. Il est fait grâce à… un âne. Il y a un changement de hauteur dans le hennissement d’un âne ; en le ralentissant, vous obtenez un mugissement chantant.” Plus tard dans le film, quand la même bête éternue, le bon Gary a opté pour le souffle d’une baleine mixé au bruit d’une bouche d’incendie qui explose. Il fallait y penser.

Les vélociraptors

“Si les gens avaient su comment ont été faits les bruits des dinosaures de Jurassic Park, le film aurait été classé R (déconseillé aux moins de 17 ans, ndlr).” Pourquoi donc ? Pour communiquer entre eux, les vélociraptors s’aboient dessus, un bruit produit à partir de l’enregistrement de deux tortues en pleins ébats à Marine World. Mais le reptile n’est pas le seul animal mobilisé pour faire entendre les dinosaures les plus bruyants du film. Pêle-mêle, une oie, un cheval, une grue ont été mis à contribution pour produire le sifflement du raptor. Le designer sonore confie également que son ami Dietrich a participé. Scène de la cuisine, gros plan sur un raptor prêt à attaquer Lex Murphy. Le son, c’est lui, Dietrich.

Le dilophosaurus

Un dino qui crache du venin sur Dennis Nedry, le gros programmateur informatique incarné par Wayne Knight, ça vous parle ? Le rugissement du dilophosaurus a été produit grâce à un cygne, un faucon et un crotale.

Le tricératops

Des vaches ont permis de faire le tricératops. La respiration de l’animal lorsqu’il est malade est réalisée par… Rydstrom lui-même ! Pour l’imiter, il suffit de respirer dans un tube en carton : un son profond et bizarre rappellera celui du dinosaure.

Autant de sons qui ne sont ni plus ni moins que des spéculations, les découvertes paléontologiques ne permettant pas encore de remonter aux origines des bruits des dinosaures.

Pour redécouvrir le travail de Gary Rydstrom et participer aux soirées Cinéma Paradiso : www.mk2cinemaparadiso.com

Par Arthur Cerf, Léa Lestage et Agate Loze

FESTIVAL

Joey Badass, destiny’s child

Il était de passage à Paris pour une prestation attendue au festival We Love Green le 31 mai dernier, et son nom est dans toutes les bouches des grands du hip-hop américain. Mais qui est vraiment Joey Badass ?

Joey Badass est affalé dans sa loge du festival We Love Green avec quatre potes. Un dort sur une banquette, l’autre roule un joint, le troisième examine chacun des faits et gestes du rappeur et le dernier est tranquillement assis sur un tabouret. En ce dimanche matin pluvieux, Jo-Vaughn Virginie Scott de son vrai nom, ne semble pas du tout disposé à répondre aux questions et s’amuse à expédier les interviews en sept minutes, peu enclin à s’excuser pour son manque de coopération.

Mais qui est vraiment Joey Badass ?  “Je ne le sais pas moi-même. D’ailleurs, tout le monde l’ignore”, ne s’étale-t-il pas, derrière ses petites lunettes rondes, son sweat trop long et son minois endormi. Un mystère qui a le don d’exaspérer les critiques et les grands du hip-hop qui tentent de séduire le gamin – il vient de fêter ses 20 ans – de Brooklyn. Découvert en octobre 2010 grâce à une vidéo de rap freestyle, postée sur YouTube, il est tout de suite contacté par Jonny Shipes, boss du label indépendant Cinematic Music Groupe (K.R.I.T, Sean Kingston…), qui le signe. Dès la mise en ligne de ses premières mixtapes en 2012, il est acclamé par le public et la critique qui le nomment sans attendre héritier légitime de la plus noble tradition du rap. Badass, cracheur de feu au verbe bouillant, écrit des textes provocants qui s’inspirent de la rue, de Brooklyn et des problèmes du quotidien.”
Vite, tout s’accélère. Convoqué quelques mois plus tard par Jay-Z en haut de son building, il est impressionné, mais refuse le contrat à moins de trois millions de dollars. Son premier sursaut, sur lequel il semble vouloir s’expliquer : “Trois millions de dollars, c’est une somme qui pourrait changer définitivement la vie de mes proches. Avec cet argent, je pourrais enfin acheter une maison à ma mère. En dessous, je ne suis pas à l’abri.”

Dix mille euros d’instruments à son ancien lycée

Son collectif, Progressive Era (Pro Era), de 47 jeunes gens dont il est la figure de proue, s’éloigne alors des majors. Ensemble, ils enchaînent les mixtapes et grimpent sans harnais vers le sommet du succès. Seule ombre au tableau : la

C’est la société de consommation dans laquelle nous vivons qui est trop violente
Joey Badass

journée du 24 décembre 2012. Capital Steez, le meilleur ami de Joey Badass depuis le lycée, avec qui il a sorti l’EP Peep une semaine plus tôt, se suicide ce jour-là, à 19 ans, après avoir posté un message sur Twitter : “The End.”
Une blessure dans le cœur du rappeur, qui peine à se refermer. Lorsqu’on demande à Joey Badass s’il a accepté le geste de son pote, il fait mine de ne pas comprendre, se referme sur lui-même. Ses proches font signe de changer de sujet : “Il est toujours très affecté par ce décès.” Badass finit par lâcher : “C’est la société de consommation dans laquelle nous vivons qui est trop violente.” Concerné par l’injustice et les problèmes de la police auxquels est confrontée la communauté afro-américaine, il ne développe pas pour autant. Lui a une destinée. Impossible de faire machine arrière. Mais pas question d’oublier les siens ni son quartier d’origine. Avec la J Dilla Foundation, il a déjà offert l’équivalent de 10 000 euros d’instruments à son ancien lycée.

Peace, love, unity and having fun

Le 20 janvier 2015, le jour de son vingtième anniversaire, est sorti son très attendu premier album,B4.Da.$$, dans une maison de disques indépendante. À la première écoute, on découvre un gamin aux goûts aiguisés : soul, jazz, samples de Jimi Hendrix, de 2Pac qui claquent ; l’album rappelle l’âge d’or du rap old school new-yorkais incarné un temps par le Wu-Tang Clan. Pour preuve, Badass a été fait membre – le même jour que Nas et Freddie Gibbs – de la Zulu Nation, mouvement pacifiste créé par Afrika Bambaataa, au début des années 70, dans le but de canaliser la violence des gangs.
Au quotidien, Joey Badass revendique un style de vie proche de la maxime “Peace, love, unity and having fun”. Un bon fond qui contraste avec ce qu’il veut bien montrer de lui. Et ce, pas seulement dans ses mauvais jours, où il expédie les interviews parce qu’elles le gonflent. Violent, il risque toujours la prison pour avoir frappé un agent de sécurité à un festival où il jouait en Australie début janvier. Pour le reste, même s’il négocie des contrats à “pas moins de 3 millions” derrière son masque de rappeur intouchable, Joey Badass gère la notoriété avec la naïveté de son âge, “un peu comme ça vient”.

Par Romane Ganneval

SOCIAL

Les damnés de La Chapelle

Ils se déplacent dans le XVIIIe arrondissement de Paris, d'expulsion en expulsion. Aujourd'hui, dans la capitale, des centaines de migrants dorment à la belle étoile. L'association du Bois Dormoy en a pris certains sous son aile, mais ce n'est pas vraiment son rôle.

Retour à la case départ, ou presque : une semaine après l’évacuation de 471 migrants –le plus souvent originaires de la corne de l’Afrique– du boulevard de la Chapelle, où ils campaient sous le métro aérien, une partie d’entre eux dort désormais à la belle étoile dans un “jardin partagé”, à une centaine de mètres de là, à vol d’oiseau. Combien ? “Entre 50 et 100 en permanence et plus de 150 hier au coucher ou lors de la distribution de nourriture”, selon Manuel Ménal, l’un des responsables de la section PCF du XVIIIe arrondissement. Cent cinquante migrants qui devront, dès demain, aller voir ailleurs. Encore.

C’est ce que l’on appelle dans l’immobilier une “dent creuse”. Suite à la démolition d’un immeuble, le terrain vague est devenu une “friche autogérée”, en attendant qu’un nouveau bâtiment sorte de terre. Si la parcelle appartient à la mairie, l’association du Bois Dormoy bénéficie d’une convention d’occupation temporaire, renouvelée tous les ans. En théorie. Deux projets sont dans les

Nous ne sommes pas des professionnels de l’humanitaire
Agathe Ferin-Mercury

tuyaux : une crèche et une maison de retraite. “Là, on est en sursis, même si on n’a pas encore reçu le préavis, explique la secrétaire générale de l’association, Agathe Ferin-Mercury. On a attaqué le permis de construire au contentieux et appelé à signer une pétition en ligne.” L’idée étant de pérenniser cette petite oasis de verdure dans l’arrondissement le moins vert de Paris. Mais pour l’heure, et Agathe en a bien conscience, l’urgence est ailleurs depuis minuit entre dimanche et lundi : “Nous avons fini par répondre favorablement aux sollicitations des associations pour que les migrants puissent dormir dans un endroit clos plutôt que sur les trottoirs, mais nous ne sommes pas des professionnels de l’humanitaire”, lâche-t-elle, un peu dépassée, lors de la visite de Bernard Jomier, aujourd’hui en début d’après-midi. Le but de la visite de l’adjoint à la mairie Europe Écologie Les Verts en charge de la Santé ? Mettre en place avec les associations une prise en charge sanitaire et sociale des migrants avec l’aide de Médecins du monde. C’est qu’il faut organiser le recensement et les flux, “pour qu’ils n’arrivent pas tous en même temps pour un bilan de santé ou des traitements au centre de Parmentier”, explique-t-il aux bénévoles. Quant à la proposition d’Anne Hidalgo d’ouvrir un centre d’accueil pour migrants à Paris, “ce n’est pas du ressort de la mairie mais de l’État”, insiste Xavier Vuillaume, conseiller santé au cabinet de la maire de Paris.

“Résidence, ça veut pas dire maison ?”

“La prise de position d’Hidalgo va dans le bon sens mais la vérité, c’est que ni la Ville ni l’État ne prend d’initiative par rapport à la situation d’urgence, déplore Alexandre Fleuret, du PCF. Ils prennent rarement le relais pour solliciter les associations sur tels ou tels besoins C’est vrai pour la santé ou l’aide juridique mais

Les policiers nous souhaitent bon courage…
Alexandre Fleuret

aussi pour l’hygiène. Par exemple, il faut qu’on appelle pour le ramassage des ordures. Personne ne s’est dit qu’il y aurait des besoins supplémentaires, personne n’a eu l’idée d’envoyer un camion poubelle. Les policiers viennent toutes les trois heures voir comment ça se passe, si tout est O.K. Ils sont sidérés par cette situation, nous souhaitent bon courage…”
La police française, Adam Ali Ahmad, jeune Soudanais de 26 ans, diplômé en économie, n’en a pas une image particulièrement reluisante. En une semaine, il a vécu trois évacuations (La Chapelle, puis l’église Saint-Bernard et la halle Pajol). Toujours plus musclées. Comme beaucoup d’autres, il a rejoint l’Italie par bateau depuis la Libye. Débarquement à Lampedusa, traversée de l’Italie, Nice et enfin Paris. Il dit avoir passé 27 jours dans le centre de rétention administrative de Vincennes où on a “essayé de (l)e renvoyer au Soudan”. Grâce à un avocat de l’Oxfam, il est libre. Enfin, pas vraiment, selon lui. “Je ne suis pas libre, lâche-t-il en se plaignant du froid. Je sais que mon dossier est parti à la Cour européenne des droits de l’homme. Moi, si j’avais dû écrire quelque part, j’aurais écrit à la Cour européenne des droits de l’animal.” Il a à manger mais pas d’appétit. Il montre les deux papiers remis par la préfecture et esquisse un sourire. L’un indique qu’il n’est “pas en mesure de quitter le territoire”, l’autre fait mention d’une “assignation à résidence”. Il demande : “Résidence, ça veut pas dire maison ?” 

Ultimatum du Bois Dormoy

L’interminable errance d’Adam et des autres migrants dans le nord parisien n’est pas terminée. À 17h25, l’association du Bois Dormoy envoyait aux rédactions un communiqué intitulé “Ultimatum du Bois Dormoy aux pouvoirs publics” dans lequel elle explique qu’elle “ne peut pas prolonger son accueil au-delà de jeudi 11 juin, 15h”. Soit demain. Elle ajoute des points sur les i : “L’association gestionnaire du jardin partagé du Bois Dormoy n’a pas la capacité de se substituer aux pouvoirs publics (État et Ville de Paris) dans le traitement des questions humanitaires, sanitaires et administratives liées à la situation des migrants.” À 19h30, Agathe Ferin-Mercury affirmait n’avoir eu aucun contact avec les pouvoirs publics et précisait : “Nous avons dépanné dans l’urgence mais il n’a jamais été question que ce soit une solution durable. Nous ne sommes ni des militants ni des professionnels de l’humanitaire, et pourtant on a l’impression que le pouvoir et l’administration se reposent sur nous.” 

 

 

Par Vincent Riou / Photos : Renaud Bouchez pour Society

INTERVIEW EXCLUSIVE

Lyn Ulbricht : “J’ai plusieurs raisons de croire qu’il y avait différents Dread Pirate Roberts”

Ross Ulbricht, le créateur de "l'eBay de la drogue" Silk Road qui avait fait l’objet d’un long portrait dans le Society #1 (6 mars 2015) vient d'écoper de plusieurs peines de prison, dont deux à perpétuité. Sa mère mène un combat acharné pour le défendre depuis qu'il a été arrêté. Et cette condamnation ne l'empêchera pas de continuer.

Elle a passé une bien mauvaise fête des Mères, mais ce n’est ni la première ni a priori la dernière. Vendredi dernier, le 29 mai, Lyn Ulbricht a vu son fils être condamné par la justice américaine à cinq peines différentes, dont deux peines d’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de remise de peine. Les États-Unis aiment cumuler. Ce qui est reproché au fiston ? “Distribution de narcotiques par le biais d’Internet” ; “entreprise criminelle continuelle” ; “association de malfaiteurs dans le but de commettre, soutenir et encourager le piratage informatique” ; “association de malfaiteurs dans le but de trafiquer des documents d’identité frauduleux” et “blanchiment d’argent”. Lyn est en effet la maman de Ross Ulbricht, 31 ans, créateur de Silk Road, sorte d’eBay de la drogue qui a sévi entre février 2011 et novembre 2013 sur le deep web.

Depuis l’arrestation de son fils, il y a un peu plus d’un an et demi, Lyn Ulbricht n’a plus qu’un seul but : le faire sortir de sa geôle. Avec pas mal d’arguments à avancer. Selon elle, Ross n’était en effet plus derrière le pseudonyme de Dread Pirate Roberts (l’administrateur du site) lorsqu’il a été arrêté. Dans un article publié avant-hier sur le site de soutien FreeRoss, elle souligne également que les faits pour lesquels son fils est condamné sont des actes non violents (même s’il est par ailleurs accusé d’avoir commandité plusieurs meurtres) et que la peine est donc disproportionnée. Pour elle, Ross a été utilisé comme exemple pour montrer la détermination renouvelée de l’administration américaine dans sa fameuse “guerre contre les drogues”.

Qu’avez-vous ressenti quand vous avez entendu la condamnation ?

J’étais sous le choc. Je savais qu’il y avait une possibilité qu’il soit condamné à perpétuité mais vu que l’accusation n’avait pas demandé une peine de prison à vie, je pensais qu’il y avait bon espoir que la juge ne la lui donne pas. La punition ne correspond pas au crime, notamment pour sa conduite non violente.

Étiez-vous préparée à ça ou étiez-vous convaincue que la juge serait moins ‘draconienne’ comme vous l’avez dit ?

J’espérais qu’elle donnerait une chance à Ross d’avoir quelques années à la fin de sa vie. Il avait 26 ans quand il a commencé Silk Road. Évidemment, il sera une personne tellement différente à 51 ans. Il ne créerait certainement pas un autre Silk Road. La juge aurait pu lui donner le minimum obligatoire de 20 ans, ce qui aurait pris à Ross les années les plus productives et précieuses de sa vie, et, donc, aurait été une sanction sévère, mais tout en lui laissant un peu de temps pour vivre sa vie.

Vous pouvez demander un nouveau procès et faire baisser la condamnation de votre fils ?

Oui, Ross va faire appel de ce jugement.

Ces deux dernières années, vous vous êtes beaucoup battue pour votre fils. Qu’allez-vous donc faire désormais pour continuer votre combat ?

Je considère que mon combat pour Ross est aussi un combat pour d’autres cas importants. Comme par exemple l’horrible et vaine guerre que mène le gouvernement américain contre la drogue, les peines minimum inconstitutionnelles et l’atrocité du milieu carcéral américain qui gâche des vies humaines et qui prend pour des décennies des personnes non violentes comme Ross. J’ai prévu d’écrire et de parler de ces problèmes, tout comme du cas de Ross, dans l’espoir de sensibiliser le public.

Vous avez rencontré de nombreux défenseurs de Ross ces deux dernières années. Êtes-vous plus familière avec les idées libertariennes de votre fils désormais ? Et pensez-vous que cette condamnation est une preuve que ces idées sont les bonnes ?

Je n’étais pas étrangère aux idées libertariennes avant, mais j’en ai encore plus appris avec cette affaire. Je pense que la condamnation de Ross et son procès mettent en lumière la puissance du gouvernement américain et son empressement à violer les droits pendant une procédure pour obtenir ce qu’il veut.

Avez-vous vu Ross depuis sa condamnation ?

Oui, hier. C’était très dur de lui rendre visite. La réalité brutale de la vie derrière les barreaux sans libération conditionnelle possible pèse lourd sur Ross, ainsi que sur notre famille. Ross fait face du mieux qu’il peut, mais je peux voir que c’est une épreuve écrasante.

Pensez-vous toujours que Ross n’est pas Dread Pirate Roberts ?

J’ai plusieurs raisons de croire qu’il y avait différents Dread Pirate Roberts. Cela vient de mes recherches personnelles et de l’expérience d’autres personnes qui connaissaient bien Silk Road comme des vendeurs ou des architectes. Même le propre témoin du gouvernement, Jared Der-Yeghiayan, a dit qu’il pensait qu’il existait plusieurs Dread Pirate Roberts. Nous savons également maintenant que deux agents fédéraux corrompus avaient un accès privilégié au site Silk Road, avec la possibilité de prendre le contrôle du compte de Dread Pirate Roberts. Donc si Ross était Dread Pirate Roberts, je ne pense pas qu’il l’était tout le temps.

Sur votre blog, vous avez écrit que cette condamnation servait d’exemple pour la guerre contre la drogue, qui n’a ‘ni diminué ni empêché l’usage de drogues’. Surtout que certaines études montrent que Silk Road ‘réduisait certains dommages liés au milieu de la drogue et sauvait ainsi des vies’. Pensez-vous qu’un site comme Silk Road est, finalement, une meilleure façon de lutter contre le trafic de drogues que la politique du gouvernement en la matière ?

Je ne défends ni l’usage de drogues ni Silk Road. Cependant, il met en évidence l’échec de la guerre contre la drogue du gouvernement, qui n’est pas la bonne solution pour arrêter la consommation de drogues, pas plus que la prohibition empêchait la consommation d’alcool.

Par Thomas Pitrel

CHANSON FRANÇAISE

Neg’ Marrons : “Jouer aux vieux cons, ça sert à rien”

Quinze ans après Le Bilan, sept ans après leur dernière apparition, Jacky et Ben-J des Neg’ Marrons reprennent le mic’ pour soigner la préparation de leur cinquième album intitulé Valeurs sûres (sortie prévue à l’automne 2015), dont le deuxième titre sera dévoilé la semaine prochaine. Ils déroulent le bout de vie qui les a laissés à l’abri du rap game et prouvent, à base de punchlines affûtées, que leur tactique est toujours l’attaque. Entretien entre deux bouteilles de Caraïbos.

En 2008, on se demandait déjà où vous étiez passés avant la sortie de votre quatrième album, Les Liens sacrés. Et voilà que vous mettez sept ans à revenir. Pourquoi vous faites d’aussi longs breaks à chaque fois ?

Jacky : Pour le public, pour les gens qui nous suivent, ça peut paraître long. Mais nous, ces sept années, on ne les a pas vues passer. On a défendu Les Liens sacrés aux quatre coins du monde. Et puis, on a produit. On est continuellement en studio depuis une bonne quinzaine d’années. On a aussi pris du temps pour nous, avec la famille. Il fallait faire un petit break pour se retrouver et kiffer. Enfin, au moment de revenir en studio, il a fallu trouver la bonne ligne artistique pour le prochain disque. La musique a changé, l’écoute des gens a changé et on ne voulait pas arriver avec un truc qu’on avait déjà fait. On veut aussi se confronter à la nouvelle scène.

Vous êtes revenus avec un single, Fast Food Music, dans lequel vous taclez la scène rap actuelle. Qu’est-ce qui vous agace exactement ?

Ben-J : La musique vite faite, vite consommée, vite digérée. Et les pages vite tournées. Fast Food Music, c’est un titre pour recadrer tout ça. Même si les nouvelles technologies permettent une diffusion plus rapide de la musique, elles permettent aussi d’enregistrer plus rapidement, plus facilement. Les maisons de disques ont aussi besoin de cette musique vite faite et de faire signer des artistes sur des clics. Mais il ne faut pas oublier l’essence même de la musique qui reste l’artistique. Il faut dire des choses, faire passer des messages, réveiller des émotions chez les gens. N’oublions pas ça.

De la “fast food music”, il y en a donc plus qu’avant ?

Ben-J : Mais carrément ! Parce qu’il y a aussi un problème de culture. Le hip-hop est une musique qui vient des quartiers et qui est née pour dénoncer la misère

Le “c’était mieux avant”, ça dépend de l’époque où tu te places
Jacky

sociale de la rue. Quand on a écrit nos premiers textes, c’était pour dénoncer des injustices. Aujourd’hui, on côtoie des artistes de la nouvelle génération qui avouent ne pas savoir quoi raconter dans leurs textes. Ils n’ont rien à dire. Du coup, les mecs se recentrent sur eux et ça donne beaucoup d’ego trip. Parfois, ils s’inventent des vies. À l’arrivée, ça fait des morceaux qui ne perdurent pas et qui sont, malheureusement, assez médiocres.

Jacky : Après il y a du bon, on ne fustige pas tout le monde. C’est juste un état d’esprit général ou une manière de dire que l’industrie musicale part en live. En tant que “grands frères”, avant d’être des anciens, on a envie de dire à tout le monde : “Attention, les gars, il y a un cheminement, il y a des règles dans cette musique.” On ne peut pas faire n’importe quoi. C’est comme un match de foot, ça dure 1h30. Demain, tu vas pas venir et me dire : “Ton match, il dure 50 minutes maintenant.” On ne veut pas faire la morale à tout le monde non plus. On aime le son et l’énergie de ce morceau. On fait du ragga-hip-hop comme peu de personnes savent le faire en France. Et ce son, il annonce bien que les Neg’ Marrons sont opé pour un retour.

On a l’impression qu’en France, on dit depuis les années 2000 que le rap, c’était mieux avant. C’est quoi le vrai problème ?

Jacky : Franchement, c’est générationnel. Le “c’était mieux avant”, ça dépend de l’époque où tu te places. La question est plutôt de savoir, dans ce qui se fait aujourd’hui, ce qui est bon et ce qui ne l’est pas.

Vous avez traversé les générations. Pourquoi une majorité de personnes s’accordent-elles encore à dire que les années 90 étaient l’âge d’or du hip-hop ?

Ben-J : Avant, dans le rap, on mettait en avant l’écriture et le texte. Aujourd’hui, on est beaucoup plus dans la forme. Et pour moi, c’est une des différences majeures de l’époque. Je ne sais pas si c’était mieux. Si quelqu’un venais me faire écouter un truc de l’époque, je ne sais pas si je kifferais, même si je suis de l’ancienne école.

Jacky : Il est peut-être aussi trop tôt pour juger le son d’aujourd’hui. Peut-être qu’il faut attendre 20 ans pour juger le rap des années 2000. En 2025, on pourra dire qui est là, qui n’est plus là et ce qui a traversé les âges. Là, on pourra faire le bilan (calmement, ndlr).

 Quelques années auparavant, beaucoup de choses tournaient autour du rap : une radio numéro 1 –Skyrock–, de grands rassemblements au Stade de France… Aujourd’hui, pensez-vous que le genre rassemble autant ?

Jacky : C’est vrai qu’on peut se poser la question. Pour le dernier Urban Peace, ils ont bradé les places. Le premier, elles partaient en cinq minutes. Il y a eu un changement. Les gens ont changé et ne kiffent plus les mêmes trucs. Maintenant, les jeunes sont obsédés par la trap music, par exemple.

Ben-J : Je pense que les médias ont un rôle à jouer dans tout ça. Aujourd’hui, on

Les jeunes pensent qu’Akhenaton est un vieux, alors qu’il a encore des choses intéressantes à leur dire
Ben-J

veut mettre un terme à toute une génération d’artistes en ne les diffusant plus. Du coup, ce que les jeunes entendent à la radio fait tout le temps référence aux mêmes sons, aux mêmes personnes. Il faut qu’on continue à mélanger les genres et surtout, il faut qu’on ait une discussion intergénérationnelle. Des rappeurs de l’ancienne école continuent à sortir leur album. Akhenaton a sorti son disque il y a six mois (Je suis en vie, ndlr) et il n’est pas beaucoup passé en radio. Du coup, les jeunes pensent que c’est un vieux, alors qu’il a encore des choses intéressantes à leur dire. Il ne faut surtout pas que la jeune génération se déconnecte de ses racines.

Jacky : Quand tu regardes les évènements hip-hop aux États-Unis, les old timers sont systématiquement invités. Ils côtoient la jeune génération et sont ultra-respectés.

Vous vous sentez déconnectés de cette jeune génération ?

Jacky : Non, parce qu’on baigne dans ce nouveau game. On suit le truc. Donc, tu vois, on n’est pas partisans du discours selon lequel il faudrait tout le temps regarder derrière. Il y a des nouvelles choses qui se font et il faut s’adapter. C’est comme si tu disais : “L’iPhone, ça me fait chier, je garde mon Motorola.” Les choses évoluent et nous, on cherche constamment l’adaptation. Parfois, quand je ne comprends pas le délire des jeunes artistes, j’essaie d’aller plus loin. Jouer aux vieux cons, ça sert à rien.

En octobre 2015, vous sortez votre cinquième album, Valeurs sûres. Quelle est l’idée derrière le titre ?

Ben-J : On a croisé beaucoup de monde pendant nos tournées qui nous disaient : “Revenez, on a besoin de vous, vous êtes une valeur sûre.” C’est un terme qu’on a beaucoup entendu à notre sujet. On a voulu faire un clin d’œil à ces gens-là. Ça qualifie aussi notre musique qui, pour nous, est une valeur sûre. Elle nous permet de nous évader, de faire passer des messages.

Jacky : On voulait exprimer quelque chose qui dure. Aujourd’hui, quand on parle des Neg’ Marrons, on parle d’un groupe qui a 20 ans de carrière, qui a fait plein de projets en parallèle et qui revient avec un cinquième album. On peut donc dire qu’on est une valeur sûre, une sorte de groupe classique dans lequel tu sais ce que tu vas trouver. T’as forcément un magasin de fringues préféré, non ? Eh ben tu sais très bien qu’en y allant, tu vas trouver ton bonheur.

En parlant de classique, on n’entend plus les Passi, Doc Gynéco, Stomy Bugsy… De l’époque dorée du Secteur Ä, il ne reste pratiquement que vous. Comment ça se fait ?

Ben-J : Ils reviennent tous ! Lino a ouvert la marche avec son album Requiem qui est sorti en janvier.

Jacky : Mais pour nous, c’est comme si ça ne s’était jamais arrêté. Tous ces mecs sont encore dans le game. “Discographiquement” parlant, c’est vrai qu’on a marqué un temps d’arrêt. Mais on n’a jamais pensé en termes de come-back. Cet album, il s’inscrit dans une continuité. Et puis, on n’est pas de la génération Internet. On n’a pas le réflexe d’aller tous les jours sur les réseaux sociaux pour raconter ce qu’on est en train de faire. Donc, les gens pensent qu’on roupille alors qu’on taffe. Grave.

Et pourquoi vous, vous êtes encore là ?

Jacky : Je pense qu’on a une place à part dans ce game. Notre style est un peu différent, c’est un mélange de hip-hop et de reggae. On a toujours réussi à naviguer entre les deux univers et c’est vrai qu’on est l’un des rares groupes qui peut venir à la fois dans un concert de hip-hop et dans un festival de reggae pour foutre le bordel.

Ben-J : Avec des singles comme Le Bilan, Petites îles ou Tout le monde debout, on est rentrés dans la case des artistes populaires. On a la chance de faire encore des festivals où se massent 20 000 personnes. Et quand on balance Le Bilan, tout le monde reprend.

 Qu’est-ce qui vous indigne en ce moment ?

Ben-J : Ce qui m’indigne, c’est le décryptage de l’information effectué par les médias. Il sème la confusion et divise les communautés. On nous rabâche une information dans un sens qui n’est pas positif. Ça crée un climat de tension à la fois palpable et désolant. Du coup, chacun se retranche derrière sa communauté.

Jacky : Il y a quelques années, on nous parlait de diversité. Comme si on découvrait qu’on était dans un pays multiculturel. Nous, on n’avait pas besoin qu’on nous le dise. On savait qu’en France, il y avait des Polonais, des Arabes, des Portugais. Dans le quartier, on a grandi avec ses cultures sans faire de différence. Aujourd’hui, j’ai l’impression que le message qu’on nous renvoie, c’est l’inverse.

On n’a pas beaucoup entendu les rappeurs après les attentats contre Charlie Hebdo. C’est étrange, non ?

Jacky : Le problème de Charlie, c’est qu’il a plusieurs lectures. Et quand les gens veulent que tu en parles, ils s’attendent à ce que tu le fasses selon une seule

On vient d’une génération où si t’as rien à dire, mieux vaut fermer ta gueule
Jacky

lecture : la liberté d’expression. Pourtant, tu ne peux pas réduire Charlie à l’unique liberté d’expression. Selon moi, on a voulu récupérer les drames de janvier pour qu’on puisse tous affirmer : “Nous sommes Charlie.” En condamnant du même coup ceux qui ne l’étaient pas. Tout le monde doit être contre les barbaries commises, mais avant les attentats, très peu de gens cautionnaient ce que faisait Charlie Hebdo.

Vous aviez un avis sur Charlie Hebdo avant les attentats ?

Jacky : Franchement, je ne m’y intéressais même pas. Ça ne me parlait pas. Comme beaucoup de monde, hein. Les mecs, ils vendaient 15 000 exemplaires, ils intéressaient personne grosso modo. L’élan de solidarité au cours duquel la France s’est soulevée, c’était contre les attentats, pas pour prendre un abonnement à Charlie Hebdo.

Pourquoi très peu de rappeurs se sont soulevés, alors ?

Jacky : Parce que t’étais sur un fil ! Chaque fois que tu l’ouvrais, les médias te mettaient dans une case. Et si tu n’allais pas dans leur sens, tu te faisais tacler.

Ben-J : Booba est un des seuls qui en a parlé dans un texte. Et qu’est-ce qu’il s’est passé ? Les médias lui sont tombés dessus. Mais la liberté d’expression, elle est où alors ?

Jacky : Quand Luz fait son dessin sur Booba, une grande majorité de médias crie au génie. Booba répond, avec un dessin en plus, et on le cloue au pilori.

Faut dire que le dessin…

Jacky : Ouais mais le problème est ailleurs : quand un rappeur exprime un avis, quelle que soit la manière, ça devient tout de suite un petit con qui n’a rien dans le crâne.

Vous retournez souvent à Garges-Sarcelles, le quartier où vous vous êtes rencontrés ?

Ben-J : Bien sûr. J’y suis né. J’ai encore tous mes potes là-bas, ma famille est là-bas, ça reste nos racines. Ça ne changera jamais.

Jacky : Après, si la question est de savoir si on est toujours assis au quartier, non. D’une part, on a plus le temps et d’autre part, ce n’est plus notre rôle. C’est quelque chose qu’on a fait il y a 20 ans et ce serait malheureux qu’on soit encore sur le bitume. Mais on continue à travailler avec des gens qui viennent essentiellement de Garges. Le lien est trop fort. Demain, je peux déménager au bout du monde, je resterai un mec du 9-5. On restera la voix du ghetto. À l’époque, on disait : “On n’est pas des porte-parole mais on est conscients que nos paroles portent?” Ça restera comme ça et de toute façon, on vient d’une génération où si t’as rien à dire, mieux vaut fermer ta gueule. Si on prend le micro, c’est pour dire quelque chose.

Par Matthieu Amaré

ROLAND-GARROS

Le journal de Pauline

Jour après jour, Roland-Garros 2015 vu de l'intérieur par l'œil totalement subjectif de Pauline Parmentier (94e mondiale, 8e de finaliste 2014).

Vendredi 29 mai – Monter à la volée pour rester jeune

FullSizeRender (10)Nicolas Mahut est un serveur-volleyeur. Oui, ça existe encore. C’est un joueur que j’adore et que je respecte énormément. Il est passé par de grosses galères, des blessures vraiment inquiétantes, mais il n’a jamais perdu son sourire, jamais rien lâché. Depuis deux ans, il revient à son meilleur niveau. Il a fait finale en double en 2013 à Roland-Garros. Cette année, il s’est préparé avec notre entraîneur de Fed Cup, l’espagnol Gabi Urpi, pour pouvoir gagner sur terre. Ça a payé : il a battu Coppejans en trois sets puis Gulbis en quatre sets et a joué cet après-midi un match incroyable – perdu en cinq sets – contre Gilles Simon. Physiquement, il m’a impressionnée grave. Il est monté plus de 100 fois à la volée, c’est monstrueux. C’est un joueur fin mais qui connaît son corps et qui change souvent d’entraîneur pour apporter à chaque fois un petit plus dans son jeu. On rigole toujours avec lui car on fait partie des joueurs qui ont le plus changé de coach dans leur carrière ; on se chambre là-dessus. Je sais pas comment il fait. Moi, j’aurais la tête a l’envers, lui, il l’a a l’endroit.
Des joueurs qui partent à l’assaut du filet, il y en a eu : Noah, Becker, Sampras, Rafter mais aussi Weaton, Balcells ou encore, évidemment, Federer… Nico, lui, n’arrête pas de monter au filet, et c’est quasiment le dernier ou presque. On a parlé de tout cela après le match : “Le ralentissement moyen des surfaces il y a dix ans n’a pas aidé, explique-t-il. Après, les modèles de joueurs d’aujourd’hui qui en découlent – Rafa, Djokovic, Murray, Nishikori – ne vont peut-être pas inciter les jeunes joueurs à monter.”
Ce qui frappe chez lui par rapport aux autres volleyeurs, c’est que ça ne semble pas être une débauche d’énergie folle d’un type qui part à l’abordage mais un style très lucide, un peu comme Edberg, qu’il a copié, gamin: “J’ai eu parfois du mal à assumer que je voulais monter à la volée, surtout sur les surfaces lentes vu que je suis moins fort que les autres du fond du court, concède-t-il. De fait, j’ai pris le parti d’exploiter au maximum mes qualités et de proposer des variations : service volée, montée en deux temps, chip puis balle rapide, etc.” Cet hiver, il a connu une première sélection en Coupe Davis. À 33 ans. Posez-lui la question si vous le croisez dans les allées, il en parle avec fraîcheur, c’est beau. Moi, je vais continuer à aller le voir jouer. Parce que ce qu’il fait, c’est un plaisir immense qu’il offre aux spectateurs. Et il lui reste plein de matchs à gagner.


 

Jeudi 28 mai – Arrêter le tennis à cause de Twitter

28maibisParmentier“Putain, t’es vraiment qu’une merde.”
C’est, en substance, le genre de message que je reçois en une quinzaine de versions à peu près similaires sur Twitter lorsque je perds un match. Mardi, ça n’a pas manqué.
J’ai créé mon compte en 2013. Quelques semaines plus tard, les premiers messages que je recevais lorsque je rallumais mon smartphone après un match étaient des insultes. Des messages en anglais, nombreux mais quasi identiques. Beaucoup d’hommes, d’Europe de l’Est souvent. Pas vraiment des messages de déception de gens qui vivent les défaites à ma place, non, plutôt des types qui parient en ligne. Sur mes matchs. Et qui perdent. Certains me précisent combien ils ont parié. Sincèrement, ça ne me fait jamais marrer. Un mec qui écrit sa frustration d’avoir perdu 10 euros, franchement, qu’est-ce que j’en ai à foutre ? C’est son problème. Je ne veux pas être la cible de ce genre de personnes. Entre le Café des sports des sites spécialisés de types qui écrivent qu’ils feraient mieux que moi et Twitter avec d’autres tarés qui me demandent de crever parce qu’ils ont perdu 1,50 euro, c’est de la folie pure. Les réseaux sociaux sont très pratiques pour les sponsors et pour communiquer sur notre carrière mais nous, les joueurs, ça nous rend plus facilement accessibles et donc plus vulnérables. Après, les instances considèrent qu’on est assez grands pour gérer notre compte tout seuls, ce qui est vrai.

28maiParmentier

J’ai bloqué les messages d’inconnus sur Facebook. Sur Twitter, parfois, je donne mon avis sur mon sport. Bien évidemment, je me fais massacrer. Lorsque Bouchard n’avait pas voulu serrer la main de son adversaire en Fed Cup avant le match et que j’avais écrit que c’était triste d’en arriver là, je m’étais fait pourrir. Quand j’avais tenté un trait d’humour sur le mariage de Murray, beaucoup l’ont pris au premier degré et m’ont traité de sous-merde qui n’avait rien compris. Surréaliste.
Quand je reçois ces messages, je ne relance pas, je ne relance plus. Je pense toujours à une joueuse vers la 200e place qui avait répondu : dans la foulée, elle a reçu des photos de cercueil et des messages du style “Je vais te retrouver.” Je pense aussi et surtout à Rebecca Marino, une joueuse canadienne qui a vécu la même chose et qui n’a pas pu tenir. Elle a arrêté sa carrière. Enfin, elle s’est éloignée des courts pour un temps indéterminé. C’est aussi ça, la vie sur le circuit.


 

Mercredi 27 mai – Jouer simple en double

FullSizeRender (9)Bon, quand ça veut pas, ça veut pas. Même quand je suis aidée, en l’occurrence par ma copine Julie Coin. On a perdu. On a joué ce matin en double, un peu pareil qu’hier avec un très bon premier set qu’on perd 7-6 et puis derrière, la roue de vélo (6-0). C’étaient des têtes de série en face, mais quand même… Étonnamment, on était vachement dans le plaisir, on s’est bien marrées, on s’entend super bien, ce qui fait que jouer avec une pote, c’est au moins un bon moment de pris. Jouer avec des gens que j’apprécient moins ou que je ne connais pas trop, c’est quand même moins l’éclate, et ça peut être encore plus chiant à regarder. J’ai longtemps cru que le double, c’était pas cool du tout, mais en fait, ça te fait encore progresser sur des points où tu peux te laisser aller par confort. L’œil, par exemple, a besoin d’être stimulé, au retour, à la volée aussi.
L’interception à la volée sur retour de service, c’est très complexe à maîtriser, les qualités requises sont multiples et quand tu vieillis, eh bien il faut te bouger pour te réinventer. En France, le double est très peu considéré, alors qu’aux États-Unis ou en Angleterre, c’est une discipline voire un sport à part entière. C’est dans leur culture, on le sent beaucoup dans les catégories de jeunes. Là-bas, ils sont au taquet dès le plus jeune âge. Sur les Grands Chelems, ils sont bien là, et sur les tournois américains, il y a beaucoup plus de spectateurs que chez nous. Les spectateurs qui te suivent, sur les tournois ou les réseaux, c’est un sujet en tant que tel. Demain, j’écrirai sur Twitter et ses conséquences sur le tennis. Une minirévolution. Et un beau bordel dans les têtes…


 

Mardi 26 mai – Entrer par la sortie

26maiParmentierTrop vite, trop court, ce Roland. Je ne suis pas passée à côté de mon match, mais c’est quand même embêtant de dégager aussi vite cette année. J’ai perdu 4 et 3. J’étais bien, pas du tout bloquée par l’événement mais j’ai clairement manqué d’agressivité. Mon adversaire, l’espagnole Soler-Spinosa, était un peu mieux classée que moi (74e contre 94e) mais on avait un peu la même filière de jeu. Ma tactique était donc assez simple: celle qui prendrait le jeu tout de suite à son compte gagnerait le match. Bon, eh bien ça n’a pas été moi.
Le premier set se joue en partie sur un truc improbable: à 5-4 pour elle, je sers une balle qui est let mais l’arbitre ne réagit pas. J’arrête le point. C’était tellement évident, pour le public aussi ! Mais l’arbitre considère que je le perds. Tout le monde l’a entendu, c’était dingue, surtout l’arbitre de chaise, c’est impossible autrement. À Roland Garros, ce sont les meilleurs, mais aujourd’hui, il y a eu un bug. Le problème, c’est que la machine qui est censée l’informer n’a pas réagi. Aujourd’hui, avec tous les dispositifs électroniques, le hawk eye et cette foutue machine automatique sur le filet, les arbitres ne prennent plus aucune décision d’eux-mêmes sur ces sujets. Il ne s’en remettent plus à leurs sens, encore moins à leur bon sens. Moi, j’ai confiance dans les gens, mais là… Je trouve ça assez triste, et cette question dépasse le cadre du tennis.
Après, ce match perdu, c’est de ma faute : je dois jouer, tenter, chercher, créer et trouver, je dois pas m’attendre à ce que la fille soit fair-play et me dise : “Mais oui, tu as raison, évidemment qu’elle est let ta balle…” Je me suis crue dans le monde des Bisounours, je n’ai pas été lucide du tout.

Reste la conférence de presse. Tout comme Gilles Simon qui en avait marre qu’on ne lui parle que de son dos en permanence, moi, c’est la huitième journée consécutive où l’on me demande si je n’ai pas la pression cette année par rapport à mon tournoi de l’année dernière et aux points que je risquerais sûrement de perdre. Même si je voulais en faire abstraction, c’était impossible. Tous les jours, j’ai croisé au moins un mec qui considère que son travail, c’est de me mettre un peu plus la tête dans le sac. C’est hallucinant tellement les questions ne sont pas constructives ni utiles au jeu lui-même ! Et je ne parle pas que pour moi. Je ne comprendrai jamais cette quête non pas de la petite phrase mais de la même petite phrase. Le tennis reste mon sport, un truc fabuleux qui m’arrive mais on passe par des moments de bonheur et de doute si extrêmes que c’est très usant Mais c’est beau. Ça sert à quoi d’être passionnée, sinon ? Demain, je joue le double avec Julie Coin. Peut-être que la machine à let sera en panne !


 

Lundi 25 mai – Servir à la cuillère

25maiParmentierAujourd’hui, mes petits cousins avaient ramené leur raquette pour le déjeuner, donc je n’avais pas vraiment le choix: j’ai préparé mon premier tour avec eux.

J’ai grandi à Berck-sur Mer, sur la Côte d’Opale. Un terrain du club de la ville porte désormais mon nom, et j’en suis super-fière. Une partie de ma famille (une douzaine de personnes) est venue à Paris hier et aujourd’hui pour me voir jouer mon premier tour. Résultat ? Je suis programmée pour demain, et tout le monde sera reparti. On dirait une blague, non ? J’ai quand même bien profité d’eux aujourd’hui, la veille de mon match ; on se voit tellement peu souvent… J’ai terminé ma – vraie – session d’entraînement dans mon club du TC Paris à 13h30, on s’est donc mis à table très tard.
J’ai résisté à la tentation de passer beaucoup de temps à Roland-Garros aujourd’hui, ça use. Je suis juste allée voir la couturière du stade pour qu’elle me floque les badges de mes sponsors habituels sur mes nouvelles tenues. Il y a parfois des marques qui me contactent quand mon match est télévisé. Là, je joue sur le court n° 2. Le téléphone n’a pas sonné.
Sinon, ce matin, BFMTV a presque oublié de parler du tableau féminin  – “Ah oui, et il y a aussi Cornet qui va jouer” –, on a vu mieux. Ce sont pourtant les filles qui ont fait parler d’elles aujourd’hui. Alizé, donc, qui s’est qualifiée malgré une “partie du court toute pourrie” comme elle l’a exprimé cash (il fallait que ça sorte), mais aussi Amandine Hesse. Amandine est une jeune joueuse trop sympa qui n’a pas beaucoup de victoires dans le top 100 donc c’est super pour elle. Il n’y a pas vraiment de rivalité profonde entre joueuses, on est dans le même bateau. Chacune trace sa route, chacune se fait son cocon. Ça doit être sympa de se retrouver en fin de carrière, en ayant mis de côté les aléas de la compétition. Moi, j’ai 29 ans donc forcément, je n’ai plus vraiment l’âge pour n’être que dans la rivalité. J’aimerais bien servir à la cuillère comme Virginie Razzano, par exemple. Elle a eu du cran, elle. Elle a toujours eu du cran, de toute façon. Ce qu’elle a tenté, c’est top. Je croyais qu’elle l’avait fait à cause de ses petits pépins aux abdos mais apparemment, ce serait à cause du soleil. Moi, je verrai bien s’il fait beau demain…


 

Dimanche 24 mai – Rater un selfie

24maiSociety-ParmentierJ’adore les selfies, Roger est quelqu’un de très cool mais pour être honnête, je comprends sa réaction aujourd’hui : même si c’est spontané, c’est assez flippant de voir débarquer un troll et son smartphone sur le terrain à la fin de son match.
Cela dit, ça devient quand même de plus en plus compliqué de rater un selfie. À Roland Garros, cette année, il suffit d’aller sur un drôle de stand qui a été installé pour se prendre en photo avec les joueurs. J’y suis allée ce midi. Au début, dans mon agenda, j’avais noté que c’était une rencontre avec le public. J’étais persuadée que c’était une table et des posters pour signer des autographes. Complètement à la rue, la fille. En fait, l’idée, c’est de passer un bracelet électronique devant une machine, de se positionner sur une chaise à côté d’un joueur et d’attendre que le cliché arrive automatiquement sur son smartphone. Il faut regarder la boîte blanche, fixe, celle où tout se passe. À deux mètres. On est loin du bras tendu avec le smartphone au bout, ce n’est même pas un selfie mais c’est quand même très cool, peut-être juste parce que c’est nouveau, je ne sais pas vraiment. À côté du spectateur venu se faire tirer le portrait, c’est tentant de faire les oreilles de lapin mais je suis restée très pro : on a tourné toutes les vingt minutes avec d’autres joueurs.
Dans les allées, les selfies ont remplacé les autographes, c’est juste fou. Moi, j’ai beaucoup de chance, les gens sont polis, donnent du “un selfie, s’il vous plaît”. Ce midi, j’ai dû en prendre un moi-même avec un groupe de filles parce qu’elles avaient des bras trop courts ! Je ne pense vraiment pas avoir le bras long non plus… même si je suis grave fan de la barre de fer, j’avoue (voir la photo, avec l’équipe de France de Fed Cup)C’est un cadeau, hein, je n’allais pas le refuser. C’est un ami chinois qui me l’a offert, et je n’ai pas vraiment prévu de me les mettre à dos, lui et ses potes. Mon grand regret : ne pas savoir faire de duckface, sinon, je n’arrêterais pas, j’en ferais tout le temps, c’est tellement drôle. Il ne faut pas jouer au vieux con, c’est quand même cool, les selfies. Bon, allez, faut que j’arrête de trouver tout cool, ça devient bizarre cette histoire.

PS : une grosse pensée pour Patrice Dominguez et sa famille.


Samedi 23 mai  – Faire des ménages

23mai_Parmentier_societyCe qui est bien lors du Kid’s Day sur le Central de Roland-Garros, c’est que les femmes de ménage peuvent travailler tranquillement : les vestiaires sont presque vides.
Dans les travées, il y a du monde partout. C’est la journée des enfants, mais aussi, et surtout, des hommes : des joueurs en nombre mais très peu de joueuses, idem dans le numéro de L’Équipe Magazine du jour.
Le principe de matchs-exhibitions avec de la musique est très sympa, même si ce sont toujours les mêmes joueurs qui sont concernés. C’est dur d’être à l’aise sur le terrain, ça se sent vachement pour certains. Pour la Monf’ ou pour Mansour Barhami, c’est inné mais pour d’autres, on sent bien qu’il faut jouer un rôle. C’est quand même bien de le faire parce que c’est pour le plaisir des gens, et c’est ça le plus important, donc ça passe !
Des ménages, les joueurs – les meilleurs – en font, et ça fait complètement partie du métier. Sharapova a passé pas mal de temps avec sa Porsche cette semaine mais ce n’est pas la seule : les tops du top bossent depuis lundi pour les marques qu’ils représentent parce que, ensuite, une fois que le tournoi est lancé, c’est rideau.
Un autre qui fait des ménages, c’est l’invité du jour sur le Central : Cyril Hanouna. Ultra, ultra populaire. Quand je suis entrée sur le terrain, le public est resté assis, tranquille, peinard. Quand Hanouna est arrivé, c’était de la folie. Hanouna, qu’on l’aime ou pas, faut bien reconnaître qu’il arrive à faire passer quelque chose. Finalement, avant le tournoi, tout le monde joue un rôle, en fait. Mais la compétition arrive : place aux vrais coups de balai !

Par Pauline Parmentier

PASSION

Latexpert

Certains arrivent à concilier plaisir et vie professionnelle en ayant fait de leur passion leur métier. Willi, 50 ans, fait partie de ceux-là. Grâce au latex.

Willi est un quinquagénaire suisse, propriétaire d’une corniche au-dessus d’une plage paradisiaque de Japaratinga, dans le Nordeste brésilien. Au début des années 90, il y construit une maison aux allures de lupanar, où il s’installe avec son ex-femme. Une maison bunker, aujourd’hui à moitié abandonnée, aux chambres lubriques avec vue panoramique sur mer turquoise. Des corps de femmes sont sculptés dans les murs aux moulures improvisées par un artisan du coin et sur des colonnes stylisées sont accrochés des hamacs de jeunes hippies.

Vue sur mer.
Vue sur mer.

Willi a besoin d’argent. Un autre expatrié suisse qui vit non loin de là lui propose alors de construire sur son terrain une usine de ballons de baudruche. La matière première, le latex, vient bien du Brésil (Hevea Brasiliensis) mais à cette époque, la fabrication de ballons gonflables est encore délocalisée et ces produits manufacturés coûtent cher. Son idée est de diversifier par la suite la production avec des gants de cuisine et autres produits quotidiens en latex.

Des gants.
Des gants.

Willi est motivé mais pas très convaincu et lui suggère une affaire bien plus lucrative : la fabrication de tenues érotiques et sado-maso. Mais il ne s’agit pas d’une simple velléité pécuniaire. L’intérêt de Willi pour le latex et la sous-culture BDSM (Bondage et Discipline, Domination et Soumission, Sadisme et Masochisme) est plus profond. Pour lui, les gants de cuisine en latex lui permettent dès l’enfance d’outrepasser l’interdit –attraper des orties, s’amuser avec des excréments ou encore mettre son doigt dans le cul d’une vache. Il parle d’un sentiment de puissance face à la morale de sa campagne suisse. À l’adolescence, avec la masturbation, il reprend contact avec le subterfuge. “La sensation de plaisir venait de la désobéissance, du pouvoir de ne pas se salir mais aussi de l’expérience sensorielle du latex, un peu comme une deuxième peau”, dit-il.

Pas de bottes ni de tabliers blancs.

Avec l’âge, il se met à considérer ses pratiques bizarres et décide d’arrêter pendant un moment, avant de redécouvrir le milieu du latex, notamment avec sa femme, dans des soirées consacrées aux déguisements BDSM. Là, il commence à utiliser de vraies combinaisons et autres accessoires. Il se rend compte qu’il n’est pas tout seul, qu’il existe une grande communauté.

Batman.
Batman.

Son intérêt pour le latex devient un véritable fétichisme. Une passion qu’il développe en participant à des rites mais aussi à travers la collection de revues spécialisées telles que Zeitgeist, Skin TwoO, Marquis –le titre des deux dernières faisant référence à notre marquis de Sade national et au roman français Histoire d’O de Dominique Aury, alias Pauline Réage.

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Baigné dans cette culture, Willi crée la marque Fetisso, qui reprend le nom d’objets religieux africains et embrasse les étymologies portugaises du fétichisme : feitiço-sortilège et feitiço-artifice.

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Fetisso.

À côté du palace ostentatoire, il construit dans le même environnement idyllique une discrète fabrique de granit gris pour produire les tenues élastiques. On enlève ses chaussures en entrant, comme dans un temple, pour éviter toute poussière vagabonde. La forte odeur du latex traité à l’ammoniaque prend tout de suite à la gorge. L’atmosphère est confinée. Tout est carrelé d’un blanc de chambre froide mais il y fait très chaud malgré quelques ventilateurs.

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Les Mains sales.

Pas de bottes ni de tabliers blancs, quelques ouvriers portent parfois un masque à gaz. Les employés trempent des moules lisses et blancs dans des bacs gris fermés, vaporisent un produit dessus pour le séchage, les pendent sur des barres formant ainsi d’inquiétantes séries de membres noirs: des pénis, des boules rondes ou en forme de sabot pour enfermer les mains, des gants de toutes longueurs, des cagoules aveugles et muettes, des combinaisons, des sous-vêtements, des corsets ; ils les démoulent dans de grands éviers remplis de talc pour éviter que les bords ne se collent entre eux et les rincent ensuite à l’eau.

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Encore des gants.

À l’étage, un doux grésillement de radio. Quelques femmes vérifient les pièces et effectuent les découpes: trous pour les tétons sur les soutiens-gorge, pour le sexe sur les bas ; elles les enduisent ensuite de silicone pour les rendre luisantes. La marque Fetisso, rouge et légèrement en relief, se retrouve sur l’envers des articles.

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Matériel au repos.

Aujourd’hui, 80% de la production est vendue à l’export en Europe, en Russie, aux États-Unis, au Japon, en Australie. Willi explique que l’activité était plus intéressante dans les années 90 qu’aujourd’hui, ce commerce étant moins démocratisé à l’époque. Cependant, l’entreprise ne rencontre pas de problèmes de vente. Elle a ses grossistes, agents marketing, chaînes de distribution et un catalogue avec une cinquantaine d’articles différents. Il y a d’ailleurs souvent du retard dans la production et les commandes doivent être prises plus de trois mois à l’avance. Dans les conditions actuelles, il n’est pas possible d’augmenter la production, mais là n’est pas l’important pour Willi, son ambition est ailleurs.

La vérité est au bout du couloir.
La vérité est au bout du couloir.

Un peu comme dans les débuts du Burning Man, dit-il, à côté de séminaires ésotériques et de rites d’Ayawaska qu’il organise déjà tout au long de l’année, Willi a le projet d’exploiter son terrain paradisiaque pour un festival annuel sur le sexe non traditionnel, faisant le pont entre le tantrisme et le monde BDSM.

Non, vraiment, le blanc, c'est chiant, ça se salit trop vite.
Non, vraiment, le blanc, c’est chiant, ça se salit trop vite.

*Photos argentiques (Canon AE1) et numériques.

Par Nicolas Corman et Eudora Berniolles

CINÉMA

Philippe Martinez : “La CGT doit être à Cannes !”

C’est dans l’arrière-salle d’un restaurant de viande du centre-ville cannois que le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, a donné rendez-vous. Au programme : un point à l’occasion de son deuxième et dernier jour, discret, au festival de Cannes pour parler droit d’auteur, voir La Marseillaise, de Jean Renoir, et évoquer la projection du lendemain, celle du film La Loi du Marché, de Stéphane Brizé.
Manifestation du 1er mai 1971 / Michel Piccoli et Louis Daquin

Après s’être arrêté sur le stand de la Fédération CGT du spectacle, situé dans les galeries du Marché du film du festival de Cannes, le secrétaire général de la CGT s’est attablé à L’Entrecôte avec les salariés de l’hôtellerie et de la restauration, comme si de rien n’était : “La CGT doit être ici, il faut être à Cannes : au-delà du côté bling-bling, il y a un accès à des films pour le plus grand nombre possible afin que ça ne soit pas les mêmes qui aillent au cinéma. On a tenu à être présents au festival parce que la CGT et le cinéma ont le même âge : 120 ans, rappelle Philippe Martinez, bien calé sous ses nouvelles moustaches de fonction. C’est l’occasion pour nous de saluer les salariés du cinéma, les salariés qui contribuent à la réussite du festival, ceux qu’on voit et ceux qu’on ne voit pas dans le Palais, dans les palaces aussi…” Des palaces qui, dans un passé tout proche, ont été le théâtre de grèves pendant le raout cinéphile : “Les salariés se défendent aussi lorsqu’ils ne sont pas contents”, sourit-il. La CGT a invité cette année des salariés, des “privés d’emplois”, des jeunes et des retraités cinéphiles, “une quinzaine de camarades ont assisté à la projection du film Mon Roi (!), de Maïwenn”. Fleur Pellerin était également présente le même jour pour un colloque sur l’avenir du droit d’auteur en Europe. Manuel Valls, lui, était carrément dans le Grand Théâtre Lumière au moment de la projection, déclarant à l’AFP à sa sortie et sans aucun lien “regretter les coupes budgétaires dans le domaine de la culture”. Philippe Martinez en prend acte : “Il regrette beaucoup, il regrette souvent mais il n’inverse pas souvent ses décisions, soupire-t-il. Emmanuel Macron regrettait qu’autant de dividendes soient versés aux actionnaires, les politiques doivent agir pour inverser la situation, ça ne nous suffit pas, les regrets.” Et de s’emporter contre le poujadisme “anticulture” du moment : “Cette tendance qui consiste à en parler comme de privilégiés à cause de statuts et droits acquis, c’est proprement scandaleux.” Le slogan de la CGT depuis plusieurs années ? “Vivre de son métier.”

“Ça arrive qu’on parle encore des travailleurs en sélection”

Denis Gravouil, secrétaire général de la Fédération CGT du spectacle, de l’audiovisuel et de l’action culturelle (FNSAC-CGT) condamne, sans trop de mise en perspective, les coupes budgétaires, droite et gauche confondues, dans le domaine de la culture et la pression engendrée sur les finances des collectivités locales, pour un résultat qui consiste à “baisser les bourses du travail et annuler plus de 180 manifestations culturelles, plus petites que celles de Cannes”. Et d’enfoncer le clou par une image aux traits un peu forcés, sur laquelle la CGT sait jouer à plein : “De la même manière qu’il n’y a plus de bureaux de poste dans les petits bleds, il n’y a plus de festivals non plus.”
Aussi surprenant que cela puisse paraître, l’histoire de la CGT est liée à celle du festival, dont elle est cofondatrice. La confédération se dit d’ailleurs en

On a tenu à être présents au festival parce que la CGT et le cinéma ont le même âge : 120 ans
Philippe Martinez

première ligne dans la “défense des accréditations pour les salariés et les cinéphiles lambdas” de par sa présence au… conseil d’administration du festival, depuis 1946. Aujourd’hui, la CGT serait derrière son nouveau président : “On a soutenu le choix de Pierre Lescure, sa capacité à faire travailler les gens ensemble et sa grande culture, précise Gravouil, et pour l’instant, les relations sont plutôt bonnes…” Reste le festival lui-même : l’esprit initial des militants de la CGT est-il encore vivace dans la sélection ? “Il est plus discret qu’avant, c’est sûr, concède Denis Gravouil, mais ça arrive qu’on parle encore des travailleurs en sélection. Cette année, il y a La loi du marché de Stéphane Brizé. “Et ça, eh bien, les salariés, ça leur parle”, coupe Philippe Martinez. Et Gravouil d’évoquer les films qui ont marqué l’histoire de sa formation, “des films de Duvivier à ceux de Clément, et plus récemment Alain Guiraudie, qui avait fait avant L’Inconnu du Lac, le film Ce vieux rêve qui bouge… Même Robert Guédiguian, avec qui nous ne sommes pas toujours d’accord sur les conventions collectives, fait de très beaux films : Les Neiges du Kilimandjaro, ça reste formidable.”

“C’était une volonté de la CGT d’avoir un festival ici en France”

La veille, la CGT avait pris connaissance du bilan 2014 du CNC : “Il nous est présenté de manière très positive, s’en amuse Gravouil. Beaucoup de films se font, c’est bien, mais les conditions dans lesquelles ils se font ne prêtent pas à sourire : malgré des dispositions fiscales, nous n’arrivons pas à garder les tournages en France dans les studios, et cette bataille dure depuis les années 30.” Il cite, bien avant la négociation sur l’assurance chômage, “qui sera très dure à la fin de l’année”, celle concernant les studios de la SFP à Bry-sur-Marne, en insistant plus que de raison sur les ateliers de décors de cinéma, “qui n’existent pas chez Luc Besson car les questions d’aération de la menuiserie ne le permettent pas”. Reste que les représentants de la CGT auront passé plus de temps la veille au festival des “camarades” du CCAS, Visions sociales, ainsi qu’au festival “ceux du rail” des cheminots cinéphiles qu’au Palais cannois. Pourtant, “c’était une volonté de la CGT d’avoir un festival ici en France, de la création jusqu’aux petites mains qui ont construit le Palais des festivals, rappelle son secrétaire général. C’est tout cela que nous voulions symboliser.”
Sous le soleil au zénith, la délégation finira par s’éclipser pour la projection du film La Marseillaise, de Jean Renoir, dont la production et la sortie, en 1938, furent rendues possibles grâce à… une souscription lancée par la CGT, bien évidemment. “C’est peu connu, mais c’est un film qui est issu du Front populaire et qui a été financé en partie par des souscriptions des camarades”, lâchera Martinez avant de continuer, sans s’arrêter, sa prise du Palais et de la salle Buñuel, sa veste noire posée sur son épaule. Et de sourire tout en maîtrisant son effet : “Beaucoup de messages en une journée, hein ?” 

 

 

Par Brieux Férot / Photo : DR / IHS-CGT

PORTFOLIO

Katmandou, Népal, 25 avril 2015

Maciej Dakowicz est un photographe, globe-trotter et galeriste polonais basé à Mumbai, en Inde. Il est l’un des fondateurs de la Third Floor Gallery à Cardiff et un membre de In-Public, le collectif international de street photography. Le 25 avril dernier, il était en déplacement à Katmandou, au Népal, là où la Terre a tremblé. Il raconte, en mots et en images.


“J’étais au Népal pour animer un atelier de street photography et photos de voyage d’une semaine. C’est le sixième jour que c’est arrivé, à 11h57.

On avait passé la matinée à marcher autour de Old City et Durbar Square à Katmandou. On a quitté Durbar Square aux alentours de 11h, puis on est retournés à l’hôtel. On y était, prêts à parler de nos photos quand tout à commencer à bouger, à 11h57. J’étais à l’intérieur de l’hôtel, au cinquième étage, sur le point de descendre les escaliers pour voir mes étudiants. Tout à coup, l’hôtel a commencé à bouger. Je me suis tenu à l’encadrement de la porte, sans vraiment comprendre ce qui était en train de se passer. Les secousses étaient vraiment fortes, j’avais peur que le plafond ne me tombe sur la tête, parce qu’il y avait une grosse fissure. Puis, ça s’est stoppé d’un coup. J’ai couru dans ma chambre, j’ai saisi mon matériel photo et je suis descendu chercher mes étudiants. Un était dans sa chambre, les autres étaient dans le jardin. On nous a dit d’aller dehors dans un espace plus grand, à quelques minutes de l’hôtel, là où les habitants se rassemblaient. On est allés là-bas, avec eux, sans savoir ce qui allait se passer. Il y avait des tremblements fréquents, les gens pleuraient, criaient, priaient quand le sol bougeait, appelaient leurs proches. Personne ne savait vraiment ce qui se passait, il y avait beaucoup de confusion. Parfois, on voyait des gens dans la rue avec des casques courir et transporter des personnes blessées.

Alors, j’ai décidé qu’il était temps d’aller voir ce qui se passait. J’ai couru dans la rue vers un autre endroit, où une maison s’était effondrée. Il y avait une action de sauvetage, les gens essayaient de trouver des personnes ensevelies sous les décombres. Ils ont trouvé une jeune femme, toujours en vie ; elle était sous les gravas avec sa cousine, morte. J’ai photographié la scène comme elle s'est déroulée devant moi, quand ils les ont trouvés. Je suis resté là à prendre des photos pendant un moment. Puis quelqu’un a dit que Durbar Square avait été endommagé. On ne pouvait pas y croire. Alors, on a décidé d’y aller pour voir ce qui s’y était vraiment passé. On n’en a pas cru nos yeux: de nombreux temples et monuments historiques étaient complètement détruits, ça ressemblait à une zone de guerre. Le chaos. Plusieurs personnes exploraient les débris, à la recherche de survivants. J’ai passé le reste de la journée au square, à essayer de capter la tragédie. Quand il a commencé à faire nuit, je suis retourné à l’hôtel. Les employés nous ont dit qu’il était trop dangereux de dormir à l’intérieur, le tremblement de terre pourrait encore frapper. On a dû dormir dans la rue, en face de l’hôtel. Beaucoup d’habitants de Katmandou ont passé la nuit dehors. Il faisait froid, il a rapidement commencé à pleuvoir, aussi. Avec d’autres personnes, on est rentrés dans le hall de l’hôtel. Le sol a continué à bouger, souvent, et on devait vite sortir à chaque secousse, de peur que l’hôtel ne s’effondre sur nous. Une nuit de frayeur. Sans dormir.

Le lendemain, il y a eu encore beaucoup de secousses et vers 14h, un autre tremblement de terre, aussi violent que le premier. Par chance, j’étais alors avec mes étudiants dans un restaurant en plein air, le seul servant de la nourriture qu’on ait trouvé ; on était en train d’attendre notre déjeuner. Le sol a commencé à fortement bouger. Encore. Mais aucun bâtiment ne s’est effondré autour de nous. J’ai encore photographié les actions de sauvetage ce jour-là, à Durbar Square et Dharahara Tower. La nuit, on a encore dormi sur le sol du hall de l’hôtel, on a encore couru dehors à chaque fois que l’on ressentait une secousse. Il y avait beaucoup de fissures sur les murs de l’hôtel.
Le jour suivant, les employés nous ont dit que l’on ne pouvait plus rester là, c’était devenu trop dangereux, l’hôtel était trop endommagé. La plupart de mes étudiants ont décidé de quitter Katmandou, ont essayé d’attraper un vol le plus tôt possible. J’ai décidé de rester. J’ai trouvé une petite maison d’hôte sur un étage. Il n’y avait pas d’électricité mais l’immeuble semblait solide. J’ai choisi de dormir à l’intérieur, dans la chambre, dans le lit. J’étais tellement fatigué après deux nuits sans dormir… J’ai dormi habillé, prêt à fuir aussi vite que possible au cas où un autre tremblement de terre surviendrait. Heureusement, rien de sérieux n’est arrivé, juste quelques petites secousses… Ce jour-là, un magazine allemand m’a demandé un travail à propos du tremblement de terre, et j’ai quitté Katmandou pour aller voir les dégâts causés dans les villages de montagne, près de l’épicentre. Mais c’est une autre histoire."