Le bac 2015, ça a démarré aujourd'hui avec la philo. La pression ? Non merci. Avoir son bac, c'est bien, mais il y a aussi de très bonnes raisons de le louper.
Par la rédaction
Parce qu’on est fils ou fille de.
Parce qu’on n’est pas encore vraiment sûr(e) : socio ou psycho?
Pour ne pas éveiller les soupçons.
Pour prouver que la réforme scolaire, ça marche pas.
Parce qu’un mois de révisions, c’est potentiellement un mois de vacances supplémentaire.
Parce qu’on est amoureuse d’un mec de première.
Parce que au prix qu’elle coûte, il faut bien la rentabiliser, notre calculatrice TI-89 Titanium.
Parce qu’il a son bac, Michel Drucker, peut-être?
Parce qu’elles sont vraiment bonnes, les frites de la cantine.
Parce qu’on n’aime pas l’idée de finir nos journées après 17h30.
Parce que réviser ou sortir, il faut choisir.
Parce que Roland-Garros.
Parce que le bac, on le donne à n’importe qui de nos jours, et nous, on n’est pas n’importe qui.
Parce que la prof d’espagnol, Mademoiselle Bosquet, est comme les frites de la cantine.
Parce qu’on est footballeur.
Parce qu’on a préféré revendre nos livres de cours chez Gibert Joseph.
Pour être back dans le bac l’année prochaine.
Parce qu’on veut faire actrice.
Parce qu’on s’est mariée à 15 ans avec Luc Besson.
Parce qu’on veut travailler à la BAC.
Parce que l’épuration commencera par les intellectuels.
Parce qu’on n’est pas pressé(e) d’être au chômage.
Parce qu’on s’était promis de perdre notre virginité au lycée.
Parce qu’on ne va pas tomber dans le panneau comme tout le monde.
Parce qu’on a déjà le bac blanc.
Parce qu’on a calé nos vacances un poil trop tôt.
Parce que Free devait passer entre 8h et 13h, en plein pendant l’épreuve de philo. C’est ballot.
Parce que faire le djihad en juin, c’est peut-être la meilleure période.
Parce qu’on ne comptait pas faire de vieux os, donc bon.
Parce qu’on a tout misé sur notre chaîne YouTube.
Parce que, en sécu, on a aussi pas mal misé sur le casting des Anges de la téléréalité.
Parce que, quoi qu’il en soit, on a déjà 100 000 followers sur Twitter.
Parce qu’on souhaite avoir un minimum de prise sur le présent.
Parce qu’on avait déjà réussi à louper notre brevet des collèges, ce serait dommage de tout gâcher.
Parce qu’on a tous un oncle bac+5 qui vit dans sa Twingo.
Par respect pour nos grands-parents qui n’ont même pas le “certif”.
Parce que, après, c’est l’engrenage: bac+3, bac+8, etc.
Parce que c’est déjà une victoire d’avoir réussi à se hisser en terminale sans savoir ni lire ni écrire.
Parce qu’on n’a pas besoin de bac pour ouvrir une téléboutique.
Parce que, aujourd’hui, toutes les solutions pour réussir sa vie sont sur des forums. Et ils parlent pas du bac.
Parce qu’on a décidé de faire fortune grâce aux options binaires après avoir regardé une vidéo sur Internet.
Parce qu’on a décidé de faire fortune grâce à Live Jasmin après avoir regardé une autre vidéo sur Internet.
Parce qu’on veut garder notre crédibilité de blogueuse mode.
Parce que Rachida Dati nous l’a appris: ce qui est important, c’est de dire qu’on a le diplôme, pas de l’avoir.
Parce que quitte à devoir bosser jusqu’à 75 ans, autant commencer le plus tard possible.
Parce que suivre son rythme naturel pour le sommeil, c’est le plus important dans la vie.
Parce que c’est pas si mal, la légion.
Parce que c’est décidé, demain on se lance dans le food truck!
Parce qu’on se prénomme Jean-Sébastien.
Parce qu’on compte sur Xavier Niel pour nous sauver.
Parce qu’on est un évier et qu’on en a déjà deux.
Parce que Gérard Depardieu.
Parce qu’on a quelques notions d’hygiène et que 40 adolescents qui transpirent dans une pièce, on sait ce que ça donne.
Parce que O.K. on a des facilités, mais c’est pas une raison pour étaler son talent.
Parce qu’on a toujours été un outsider.
Parce que ce brevet du 50 mètres dos crawlé accroché sur le mur de notre chambre nous satisfait pleinement.
Parce que Emmanuelle Devos, Fabrice Luchini et Michel Denisot.
Parce que Stéphane De Groodt, il l’a pas non plus, et ça l’empêche pas de faire des jeux de mots à la con pour autant.
Parce qu’on rêve tous de sortir cette fameuse phrase à nos gosses: “Regarde papa, il a pas fait d’études et pourtant, il roule en Cadillac! Bah alors?”
Parce qu’on a déjà le bouc et un Bic, ça suffit amplement à notre bonheur.
Parce que dans Hélène et les garçons, ils sont à la fac. Et personne n’a envie de finir comme ça.
Pour laisser un an de plus à notre peau pour effacer cette vilaine acné avant d’affronter le monde étudiant.
Parce que : “What the fac?”
Parce qu’on est un enfant chinois exploité et qu’on travaille depuis qu’on a 5 ans.
Parce qu’on ne veut pas finir dans un bureau avec un monospace et une cravate fantaisie.
Parce que, avec les pourcentages de réussite, le rater est un défi, et nous, on aime les défis.
Pour pouvoir signer soi-même ses billets d’absence et de retard l’année prochaine.
Parce que être dans Les perles du bac 2015est notre seule chance d’être publié un jour.
Parce qu’on préfère faire des listes de 100 raisons de…
Parce que dans la vie, la fille ne part jamais avec l’intello. Le mec non plus.
Parce que l’horoscope du jour a dit qu’on allait cartonner et qu’on veut absolument prouver que l’astrologie, c’est que des conneries.
Parce qu’on est maso et qu’on aime l’idée d’être en phase terminale pour quelque temps encore.
Parce qu’on aime le flipper.
Parce qu’on adore les échecs.
Parce que Stéphanie Pierson n’a toujours pas répondu au mot qu’on a gravé au compas sur sa table.
Parce qu’un SDF sur cinq a le bac.
Parce que si notre nom finit dans le journal local, on va avoir des emmerdes. C’est papa qui l’a dit.
Parce que de toute façon, c’est truqué, ils le donnent qu’aux fils de francs-maçons et d’illuminati, on l’a lu sur Internet.
Parce que Patrick Bruel et Francis Cabrel ont l’air d’avoir une belle vie. Surtout quand on aime les femmes.
Parce qu’il paraît que le savoir est une arme. Et nous, on n’aime pas trop la violence.
Parce que avoir le bac en poche ne nous servira à rien : on se balade tout le temps en slip de bain.
Parce qu’on apprend plus de ses échecs que de ses succès, c’est bien connu.
Parce que d’après notre prof d’éco, “la France risque de rentrer dans un cycle long de Kondratiev”. On n’a rien compris, mais avec un blase pareil, on préfère rester planqué(e) tranquillement au lycée.
Parce qu’on a toujours rêvé d’habiter un mobile home. Eminem, pour nous.
Parce qu’on avait dit à notre grand amour en début d’année : “Il n’y a que toi qui comptes. Le reste, je m’en bats les couilles.” Et qu’on est quelqu’un de parole.
Parce qu’un faux diplôme du baccalauréat coûte 5 euros en Thaïlande.
Pour donner raison à tous nos professeurs unanimes depuis la seconde.
Pour faire comme papa et maman.
Parce qu’on est déjà enceinte et que ça ferait trop d’évènements à fêter d’un coup.
Parce que Jean-Luc Lahaye nous a dit sur Facebook que ça changerait rien entre lui et nous.
Pour gagner un pari. On est joueur ou on ne l’est pas.
Pour ne pas avoir à foutre en l’air notre réseau de trafic de drogue mis en place depuis la 4e.
Parce que se retrouver l’année prochaine dans la même classe que notre frère de 28 ans perturberait l’équilibre familial.
Parce que, de toute façon, une expulsion du territoire nous menace.
Parce qu’on s’est fait tatouer “Dieu seul me juge”.
Parce qu’être noté par des gens qui gagnent moins que nous, ça nous pose problème.
Parce que les personnages de Seconde B sont restés trois saisons en seconde et que ça ne gênait personne. Kader Jazouli forever.
Parce que, à 18 ans, le seul diplôme qui a une valeur, c’est le permis de conduire.
Paske sa serre a rien.
Parce qu’on préfère réussir sa vie.
Article publié dans le magazine Society #7. Tous les quinze jours, retrouvez les 100 bonnes raisons de… dans Society.
Par la rédaction
Le 4 juin dernier, le collectif Informer n’est pas un délit et Élise Lucet lançaient une pétition visant à “stopper” la directive Secret des affaires. Aujourd’hui, malgré les plus de 300 000 signatures récoltées en dix jours, le texte a été adopté. Virginie Marquet, avocate et co-créatrice du collectif, explique pourquoi tout n’est pas terminé.
Par Noémie Pennacino
“Les députés européens ignorent 300.000 signatures des citoyens qu’ils représentent. Agissons !” Le titre de la mise à jour de la pétition Ne laissons pas les entreprises dicter l’info – Stop à la Directive Secret des Affaires ! n’est pas vraiment aussi enthousiaste que le communiqué de Constance le Grip, auteure du rapport, faisant suite à l’adoption par la commission JURI au Parlement européen, aujourd’hui, d’un texte contesté : “Aujourd’hui, nous avons posé la première pierre d’un socle juridique européen commun pour lutter contre l’espionnage industriel et protéger l’innovation, tout en préservant les libertés fondamentales, au premier rang desquelles la liberté d’expression et d’information.”
Le 4 juin dernier, le collectif Informer n’est pas un délit lançait avec Élise Lucet une pétition mettant en garde contre une directive, celle du Secret des affaires. “C’est une directive visant à mettre en place des moyens de lutter contre l’espionnage industriel, les entreprises pouvant décider de ce qu’elles considèrent comme des informations secrètes, explique Virginie Marquet, avocate spécialisée en droit de la presse et co-créatrice du collectif. L’argument avancé, c’est que la directive protègerait les PME, leur compétitivité. Nous entendons cet argument. Le problème – j’en viens immédiatement au problème parce que c’est important – c’est qu’il y a un effet pervers évident. Cette directive est une arme de dissuasion, et même d’auto-censure. Ce qui est en jeu, c’est l’accès à l’information.” L’avocate, qui a passé douze ans à la direction juridique de France Télévisions, insiste sur les conséquences “très graves” du texte : “OK, les informations pourront être utilisées, mais ce sera alors au journaliste de prouver leur intérêt, de démontrer leur utilité publique. Les entreprises détermineront elles si ces infos sont sous le sceau secret et pourront demander des dédommagements ‘à hauteur du préjudice’.” Elle qui travaille régulièrement avec des journalistes, notamment sur Cash Investigation ou Complément d’enquête est également inquiète concernant l’auto-censure : “Aujourd’hui, déjà, il y a une grosse pression qui vient des grands groupes concernant la révélation d’informations. Mais demain, si un journaliste enquête sur une affaire économique et qu’au moment du montage, il vient me consulter pour me demander de le conseiller, je vais devoir lui dire : ‘En diffusant ces informations, tu seras peut-être condamné à payer des milliers, voire des millions d’euros.’ Plus personne ne prendra le risque.”
Ne rien lâcher
Le mouvement contestataire est également mené par les syndicats français et européens, l’Association européenne des droits de l’homme, Julian Assange ainsi que des ONG. Notamment Corporate Europe Observatory, à qui l’on doit une analyse approfondie depuis la genèse de cette directive. Ce qu’il en ressort : “Trois cabinets ont régulièrement été consultés lors de l’élaboration du texte, explique l’avocate. Baker & McKenzie,White & Case et Knowlton Hill Stratégie. Trois cabinets d’affaires. La preuve qu’on est plutôt sur un texte pour protéger le monde des affaires.”
Pourtant, Virginie Marquet n’est pas fataliste. “Cette adoption du texte n’est que la première étape. C’est un processus européen, c’est long et compliqué. La suite : des trilogues entre le Conseil européen, le Parlement européen et la Commission européenne, d’où sortira un premier jet de texte. Puis, une assemblée plénière et la décision du Conseil européen, soit la représentation des ministres de chaque État membre.” Selon elle, il ne faut “rien lâcher” : “Il n’y a pas de délai précis concernant l’adoption définitive. Mais ils veulent vraiment faire passer le texte, donc ce serait assez rapide, à la rentrée. Il faut continuer de se battre, sensibiliser les députés à ces risques et espérer un vote de rejet en assemblée plénière.” Et de conclure : “On nous reproche de toujours tout remettre en cause, même les textes qui ne concernent pas forcément les journalistes. Mais ce que l’on dit, c’est que les journalistes et leurs sources ne sont pas protégés. Faites une directive sur la protection des sources d’abord”, rappelant que les 300 000 signatures ne sont pas toutes celles de journalistes. “C’est une énorme mobilisation citoyenne.”
Hier soir, quelque part dans le XIe arrondissement de Paris, l’association Pour l’émancipation politique et sociale invitait Olivier Besancenot et Thomas Piketty à venir tailler le bout de gras sur le livre de ce dernier, Le Capital au XXie siècle, immense et improbable succès de librairie, surtout pour 900 pages consacrées à un sujet aussi old school. Pourtant, ceux qui avaient été attirés par l’odeur du sang d’un éventuel clash entre le révolutionnaire médiatique et la star réformiste en furent pour leur déception.
Par Nicolas Kssis-Martov
Le CICP, Centre international de culture populaire, est niché au bout d’une rue tranquille et sans véritable charme, pas très loin de Nation. Le bâtiment, qui sert en temps normal de refuge (boîte postale, salle de réunion, etc.) à de nombreuses structures engagées, des éditions Libertalia à Génération Palestine, est surtout connu pour ses concerts de solidarité du dimanche après-midi. Ska militant et oi! revendicative au programme. Après la porte blindée, puis quelques marches d’escalier, le minuscule hall d’entrée se présente, bordé d’un présentoir de tracts et autres objets de propagande qui font écho aux autocollants sur la machine à café en matière de poésie révolutionnaire –“Mangez les fafs, pas les animaux”. Une ambiance perdue quelque part entre la salle polyvalente de lycée autogéré et les bonnes années de la fac de Tolbiac. Il faudra patienter ensuite devant la grande salle, en équilibre sur des chaises hautes de cafétéria, en attrapant au vol des bribes de conversation parsemées d’imparables “comme disait Lénine”. Un porteur de t-shirt “Podemos” violet (presque la seule touche de fantaisie en matière de couleur) disserte dans la langue de Cervantes avec un sosie de Gael Garcia Bernal. Nous sommes clairement au bon endroit.
Aucune angoisse
La précédente réunion se termine, respectant scrupuleusement sa réservation. Les premiers arrivés investissent les lieux et disposent dans la bonne humeur les rangées de sièges. L’autogestion commence par la discipline librement acceptée. Le public, petit à petit, remplit l’espace. La moyenne d’âge s’avère plutôt élevée. Les jeunes, étudiants ou non, souvent en couple, viendront s’installer au dernier moment, debout contre le mur pour beaucoup.
Je ne sais pas qui est le plus révolutionnaire de nous deux, moi, je veux juste réussir la révolution
Thomas Piketty
Thomas Piketty se fraie un chemin, tout sourire, iPhone à la main, chemisette, pantalon impeccable et droit, un quasi-look de mod, coupe comprise. Aucune angoisse ne transparaît alors que son ouvrage concentre un feu nourri d’une gauche radicale qui le voit au mieux en miroir aux alouettes de la contestation, au pire en trompe-l’œil keynésien face aux nécessités de la révolution. La modératrice des débats annonce qu’Olivier Besancenot aura quelques minutes de retard, son bureau de poste est en grève et il n’a donc pas pu partir à l’horaire habituel. Un petit rire part sur le coté droit : “Ils travaillent plus à La Poste quand ils sont en grève.” Il semblerait que les fondamentaux soient à revoir.
Des membres d’Attac se pointent en voisins et font poser dès son arrivée le leader du NPA sur une des chaises dont on apprend qu’elles ont été réquisitionnées à la succursale HSBC de Bayonne… Olivier Besancenot se charge de l’intro. Ou plutôt, nous livre sa fiche de lecture. Sérieuse et appliquée. Qui ne tarit pas d’éloges pour le pavé de Piketty. Pour le sérieux du travail et surtout la “bouffée d’oxygène” que constitue ce best-seller, notamment “dans le contexte actuel”. Cet hommage est l’occasion d’envoyer quelques piques à ceux qui trimballent leur obsession “bismarckienne” ou enfilent “des marinières pour se donner un genre”. Et aussi à sa propre famille politique : “On peut se demander pourquoi un tel livre ne vient pas de chez nous” – comprendre de chez les marxistes.
“Troïka m’a tuer”
Thomas Piketty ne boude pas son plaisir et s’offre quelques gourmandises de circonstance dans ses réponses : “Je ne sais pas qui est le plus révolutionnaire de nous deux, moi, je veux juste réussir la révolution.” L’assistance écoute attentivement. Lorsque viendra l’heure des questions, personne ne troublera la convention toute scolaire des échanges. À part quand le traditionnel militant sans âge avec fort accent anglais de la Ligue trotskiste de France, secte marxiste-léniniste, qui vend son organe, Le Bolchevik, à la sortie de tous les manifestations ou événements vaguement de gauche fera lâcher à l’animatrice un soupir résigné en se levant avec son journal dans les mains. Ou lorsque la modératrice décidera de donner la parole aux femmes, renvoyant dans les cordes de leur machisme exacerbé les messieurs qui râleront de se sentir ainsi obligés de céder leur tour au nom de la parité.
Pour le reste, cela questionne sévère sur la Grèce, à coups de “Troïka m’a tuer”. La dette est disséquée, la création monétaire invoquée, Podemos se grime en Barça de la radicalité (tout le monde aime sans savoir pourquoi) et le rôle du politique face à l’économique cisèle l’ensemble des propos d’une précieuse dentelle théorique. Le tout dans les strictes limites de la politesse. La seule attaque : une vague accusation d’être “mainstream”.
Finalement , Thomas Piketty s’offrira le luxe d’un petit hara-kiri symbolique auprès des sympathiques militants en face de lui : “Vous savez, je ne suis qu’un chercheur en sciences sociales, et qu’est-ce que c’est ? C’est un citoyen qui a la chance d’être payé à consulter des archives et des données.”
Par Nicolas Kssis-Martov
Alors que Jurassic World, la nouvelle mouture de Jurassic Park, vient de réaliser la meilleure sortie mondiale de tous les temps, le festival Cinema Paradiso débute demain. Dix jours de films cultes et de soirées clubbing. L’occasion pour MK2 de rendre un hommage en grande pompe au classique de Spielberg : mercredi, à 21h50, les rugissements des dinosaures résonneront sous la nef du Grand Palais. Des bruits qui ont valu les Oscars du meilleur son et du meilleur mixage sonore à Gary Rydstrom. Et pour cause, il a fallu faire preuve d’imagination pour les faire gronder, les dinos.
Par Arthur Cerf, Léa Lestage et Agate Loze
On est au début des années 90. Steven Spielberg passe une commande à Gary Rydstrom : pour son futur blockbuster, le réal’ a besoin d’une dizaine de bruits de dinosaures. “Quand j’ai vu l’offre pour la première fois, ça m’a fait peur, il y avait tellement de dinosaures sur cette liste ! assurait le sound designer à Vulture en 2013, à l’occasion des 20 ans de la sortie du film. Mais pour un designer sonore, il n’y avait pas meilleur terrain de jeu que Jurassic Park.” Rydstrom relève le défi et passe les mois suivants à enregistrer différents animaux. Deuxième étape : mixer et modifier les sons, histoire d’obtenir des bruits à la fois fascinants et effrayants, connus et inconnus, surréalistes et organiques. Quiconque a grandi dans les années Club Dorothée se souvient de la scène d’évasion du T-Rex. Le verre d’eau qui tremble, la pluie qui bat sur le pare-brise de la Ford Explorer jaune et vert, les barrières qui s’ouvrent en grinçant. Puis, le tyrannosaure qui apparaît et pousse un rugissement déchirant.
Jurassic Bark
La doublure de la plupart des sons émis par le géant du Crétacé ? Buster, le Jack Russell de Gary Rydstrom. “La manière dont ils animaient le T-Rex faisait penser à un chien, surtout quand il attrape le Galliminus et l’avocat, explique Rydstrom en 2013. Chaque jour, je voyais mon chien en train de jouer, il faisait la même chose avec un jouet en corde, il faisait comme s’il tuait sa proie.” Buster n’en est alors pas à son coup d’essai puisqu’il a déjà mis à contribution son animal de compagnie sur Terminator 2. Une manip’ inspirée par Ben Burtt, sound designer de Star Wars, qui avait ralenti les bruits produits par un chihuahua pour donner vie au Rancor de Jabba le Hutt dans le Retour du Jedi. Le secret ? Faire durer. “Une des choses amusantes dans la conception sonore est de prendre un son et de le ralentir. Il devient beaucoup plus grand”, livre le pro du dino. L’élément clé pour le rugissement du T-Rex, ça n’est pas un éléphant mais un éléphanteau. Prendre un bruit faible émis par un petit animal et le ralentir est plus intéressant que de prendre un bruit puissant.”
Le “chant” du brachiosaure
Le T-Rex n’est pas le premier dino à apparaître dans le film. Autre scène culte : le docteur Alan Grant est dans la voiture, tourne la tête vers la gauche, enlève son chapeau et retire ses lunettes de soleil, la main tremblante. Contre-champ : le grand brachiosaure mâche une branche et pousse son cri sur la musique de John Williams. “Le chant du brachiosaure est un de mes sons préférés dans le film, explique Gary Rydstrom, toujours à Vulture. Il est fait grâce à… un âne. Il y a un changement de hauteur dans le hennissement d’un âne ; en le ralentissant, vous obtenez un mugissement chantant.” Plus tard dans le film, quand la même bête éternue, le bon Gary a opté pour le souffle d’une baleine mixé au bruit d’une bouche d’incendie qui explose. Il fallait y penser.
Les vélociraptors
“Si les gens avaient su comment ont été faits les bruits des dinosaures de Jurassic Park, le film aurait été classé R (déconseillé aux moins de 17 ans, ndlr).” Pourquoi donc ? Pour communiquer entre eux, les vélociraptors s’aboient dessus, un bruit produit à partir de l’enregistrement de deux tortues en pleins ébats à Marine World. Mais le reptile n’est pas le seul animal mobilisé pour faire entendre les dinosaures les plus bruyants du film. Pêle-mêle, une oie, un cheval, une grue ont été mis à contribution pour produire le sifflement du raptor. Le designer sonore confie également que son ami Dietrich a participé. Scène de la cuisine, gros plan sur un raptor prêt à attaquer Lex Murphy. Le son, c’est lui, Dietrich.
Le dilophosaurus
Un dino qui crache du venin sur Dennis Nedry, le gros programmateur informatique incarné par Wayne Knight, ça vous parle ? Le rugissement du dilophosaurus a été produit grâce à un cygne, un faucon et un crotale.
Le tricératops
Des vaches ont permis de faire le tricératops. La respiration de l’animal lorsqu’il est malade est réalisée par… Rydstrom lui-même ! Pour l’imiter, il suffit de respirer dans un tube en carton : un son profond et bizarre rappellera celui du dinosaure.
Autant de sons qui ne sont ni plus ni moins que des spéculations, les découvertes paléontologiques ne permettant pas encore de remonter aux origines des bruits des dinosaures.
Pour redécouvrir le travail de Gary Rydstrom et participer aux soirées Cinéma Paradiso : www.mk2cinemaparadiso.com
Par Arthur Cerf, Léa Lestage et Agate Loze
Il était de passage à Paris pour une prestation attendue au festival We Love Green le 31 mai dernier, et son nom est dans toutes les bouches des grands du hip-hop américain. Mais qui est vraiment Joey Badass ?
Par Romane Ganneval
Joey Badass est affalé dans sa loge du festival We Love Green avec quatre potes. Un dort sur une banquette, l’autre roule un joint, le troisième examine chacun des faits et gestes du rappeur et le dernier est tranquillement assis sur un tabouret. En ce dimanche matin pluvieux, Jo-Vaughn Virginie Scott de son vrai nom, ne semble pas du tout disposé à répondre aux questions et s’amuse à expédier les interviews en sept minutes, peu enclin à s’excuser pour son manque de coopération.
Mais qui est vraiment Joey Badass ? “Je ne le sais pas moi-même. D’ailleurs, tout le monde l’ignore”, ne s’étale-t-il pas, derrière ses petites lunettes rondes, son sweat trop long et son minois endormi. Un mystère qui a le don d’exaspérer les critiques et les grands du hip-hop qui tentent de séduire le gamin – il vient de fêter ses 20 ans – de Brooklyn. Découvert en octobre 2010 grâce à une vidéo de rap freestyle, postée sur YouTube, il est tout de suite contacté par Jonny Shipes, boss du label indépendant Cinematic Music Groupe (K.R.I.T, Sean Kingston…), qui le signe. Dès la mise en ligne de ses premières mixtapes en 2012, il est acclamé par le public et la critique qui le nomment sans attendre héritier légitime de la plus noble tradition du rap. Badass, cracheur de feu au verbe bouillant, écrit des textes provocants qui s’inspirent “de la rue, de Brooklyn et des problèmes du quotidien.” Vite, tout s’accélère. Convoqué quelques mois plus tard par Jay-Z en haut de son building, il est impressionné, mais refuse le contrat à moins de trois millions de dollars. Son premier sursaut, sur lequel il semble vouloir s’expliquer : “Trois millions de dollars, c’est une somme quipourrait changer définitivement la vie de mes proches. Avec cet argent, je pourrais enfin acheter une maison à ma mère. En dessous, je ne suis pas à l’abri.”
Dix mille euros d’instruments à son ancien lycée
Son collectif, Progressive Era (Pro Era), de 47 jeunes gens dont il est la figure de proue, s’éloigne alors des majors. Ensemble, ils enchaînent les mixtapes et grimpent sans harnais vers le sommet du succès. Seule ombre au tableau : la
C’est la société de consommation dans laquelle nous vivons qui est trop violente
Joey Badass
journée du 24 décembre 2012. Capital Steez, le meilleur ami de Joey Badass depuis le lycée, avec qui il a sorti l’EP Peep une semaine plus tôt, se suicide ce jour-là, à 19 ans, après avoir posté un message sur Twitter : “The End.”
Une blessure dans le cœur du rappeur, qui peine à se refermer. Lorsqu’on demande à Joey Badass s’il a accepté le geste de son pote, il fait mine de ne pas comprendre, se referme sur lui-même. Ses proches font signe de changer de sujet : “Il est toujours très affecté par ce décès.” Badass finit par lâcher : “C’est la société de consommation dans laquelle nous vivons qui est trop violente.” Concerné par l’injustice et les problèmes de la police auxquels est confrontée la communauté afro-américaine, il ne développe pas pour autant. Lui a une destinée. Impossible de faire machine arrière. Mais pas question d’oublier les siens ni son quartier d’origine. Avec la J Dilla Foundation, il a déjà offert l’équivalent de 10 000 euros d’instruments à son ancien lycée.
Peace, love, unity and having fun
Le 20 janvier 2015, le jour de son vingtième anniversaire, est sorti son très attendu premier album,B4.Da.$$, dans une maison de disques indépendante. À la première écoute, on découvre un gamin aux goûts aiguisés : soul, jazz, samples de Jimi Hendrix, de 2Pac qui claquent ; l’album rappelle l’âge d’or du rap old school new-yorkais incarné un temps par le Wu-Tang Clan. Pour preuve, Badass a été fait membre – le même jour que Nas et Freddie Gibbs – de la Zulu Nation, mouvement pacifiste créé par Afrika Bambaataa, au début des années 70, dans le but de canaliser la violence des gangs.
Au quotidien, Joey Badass revendique un style de vie proche de la maxime “Peace, love, unity and having fun”. Un bon fond qui contraste avec ce qu’il veut bien montrer de lui. Et ce, pas seulement dans ses mauvais jours, où il expédie les interviews parce qu’elles le gonflent. Violent, il risque toujours la prison pour avoir frappé un agent de sécurité à un festival où il jouait en Australie début janvier. Pour le reste, même s’il négocie des contrats à “pas moins de 3 millions” derrière son masque de rappeur intouchable, Joey Badass gère la notoriété avec la naïveté de son âge, “un peucomme ça vient”.
Par Romane Ganneval
Ils se déplacent dans le XVIIIe arrondissement de Paris, d'expulsion en expulsion. Aujourd'hui, dans la capitale, des centaines de migrants dorment à la belle étoile. L'association du Bois Dormoy en a pris certains sous son aile, mais ce n'est pas vraiment son rôle.
Par Vincent Riou / Photos : Renaud Bouchez pour Society
Retour à la case départ, ou presque : une semaine après l’évacuation de 471 migrants –le plus souvent originaires de la corne de l’Afrique– du boulevard de la Chapelle, où ils campaient sous le métro aérien, une partie d’entre eux dort désormais à la belle étoile dans un “jardin partagé”, à une centaine de mètres de là, à vol d’oiseau. Combien ? “Entre 50 et 100 en permanence et plus de 150 hier au coucher ou lors de la distribution de nourriture”, selon Manuel Ménal, l’un des responsables de la section PCF du XVIIIe arrondissement. Cent cinquante migrants qui devront, dès demain, aller voir ailleurs. Encore.
C’est ce que l’on appelle dans l’immobilier une “dent creuse”. Suite à la démolition d’un immeuble, le terrain vague est devenu une “friche autogérée”, en attendant qu’un nouveau bâtiment sorte de terre. Si la parcelle appartient à la mairie, l’association du Bois Dormoy bénéficie d’une convention d’occupation temporaire, renouvelée tous les ans. En théorie. Deux projets sont dans les
Nous ne sommes pas des professionnels de l’humanitaire
Agathe Ferin-Mercury
tuyaux : une crèche et une maison de retraite. “Là, on est en sursis, même si on n’a pas encore reçu le préavis, explique la secrétaire générale de l’association, Agathe Ferin-Mercury. On a attaqué le permis de construire au contentieux et appelé à signer une pétition en ligne.” L’idée étant de pérenniser cette petite oasis de verdure dans l’arrondissement le moins vert de Paris. Mais pour l’heure, et Agathe en a bien conscience, l’urgence est ailleurs depuis minuit entre dimanche et lundi : “Nous avons fini par répondre favorablement aux sollicitations des associations pour que les migrants puissent dormir dans un endroit clos plutôt que sur les trottoirs, mais nous ne sommes pas des professionnels de l’humanitaire”, lâche-t-elle, un peu dépassée, lors de la visite de Bernard Jomier, aujourd’hui en début d’après-midi. Le but de la visite de l’adjoint à la mairie Europe Écologie Les Verts en charge de la Santé ? Mettre en place avec les associations une prise en charge sanitaire et sociale des migrants avec l’aide de Médecins du monde. C’est qu’il faut organiser le recensement et les flux, “pour qu’ils n’arrivent pas tous en même temps pour un bilan de santé ou des traitements au centre de Parmentier”, explique-t-il aux bénévoles. Quant à la proposition d’Anne Hidalgo d’ouvrir un centre d’accueil pour migrants à Paris, “ce n’est pas du ressort de la mairie mais de l’État”, insiste Xavier Vuillaume, conseiller santé au cabinet de la maire de Paris.
“Résidence, ça veut pas dire maison ?”
“La prise de position d’Hidalgo va dans le bon sens mais la vérité, c’est que ni la Ville ni l’État ne prend d’initiative par rapport à la situation d’urgence, déplore Alexandre Fleuret, du PCF. Ils prennent rarement le relais pour solliciter les associations sur tels ou tels besoinsC’est vrai pour la santé ou l’aide juridique mais
Les policiers nous souhaitent bon courage…
Alexandre Fleuret
aussi pour l’hygiène. Par exemple, il faut qu’on appelle pour le ramassage des ordures. Personne ne s’est dit qu’il y aurait des besoins supplémentaires, personne n’a eu l’idée d’envoyer un camion poubelle. Les policiers viennent toutes les trois heures voir comment ça se passe, si tout est O.K. Ils sont sidérés par cette situation, nous souhaitent bon courage…”
La police française, Adam Ali Ahmad, jeune Soudanais de 26 ans, diplômé en économie, n’en a pas une image particulièrement reluisante. En une semaine, il a vécu trois évacuations (La Chapelle, puis l’église Saint-Bernard et la halle Pajol). Toujours plus musclées. Comme beaucoup d’autres, il a rejoint l’Italie par bateau depuis la Libye. Débarquement à Lampedusa, traversée de l’Italie, Nice et enfin Paris. Il dit avoir passé 27 jours dans le centre de rétention administrative de Vincennes où on a “essayé de (l)e renvoyer au Soudan”. Grâce à un avocat de l’Oxfam, il est libre. Enfin, pas vraiment, selon lui. “Je ne suis pas libre, lâche-t-il en se plaignant du froid. Je sais que mon dossier est parti à la Cour européenne des droits de l’homme. Moi, si j’avais dû écrire quelque part, j’aurais écrit à la Cour européenne des droits de l’animal.” Il a à manger mais pas d’appétit. Il montre les deux papiers remis par la préfecture et esquisse un sourire. L’un indique qu’il n’est “pas en mesure de quitter le territoire”, l’autre fait mention d’une “assignation à résidence”. Il demande : “Résidence, ça veut pas dire maison ?”
Ultimatum du Bois Dormoy
L’interminable errance d’Adam et des autres migrants dans le nord parisien n’est pas terminée. À 17h25, l’association du Bois Dormoy envoyait aux rédactions un communiqué intitulé “Ultimatum du Bois Dormoy aux pouvoirs publics” dans lequel elle explique qu’elle “ne peut pas prolonger son accueil au-delà de jeudi 11 juin, 15h”. Soit demain. Elle ajoute des points sur les i : “L’association gestionnaire du jardin partagé du Bois Dormoy n’a pas la capacité de se substituer aux pouvoirs publics (État et Ville de Paris) dans le traitement des questions humanitaires, sanitaires et administratives liées à la situation des migrants.” À 19h30, Agathe Ferin-Mercury affirmait n’avoir eu aucun contact avec les pouvoirs publics et précisait : “Nous avons dépanné dans l’urgence mais il n’a jamais été question que ce soit une solution durable. Nous ne sommes ni des militants ni des professionnels de l’humanitaire, et pourtant on a l’impression que le pouvoir et l’administration se reposent sur nous.”
Par Vincent Riou / Photos : Renaud Bouchez pour Society
Ross Ulbricht, le créateur de "l'eBay de la drogue" Silk Road qui avait fait l’objet d’un long portrait dans le Society #1 (6 mars 2015) vient d'écoper de plusieurs peines de prison, dont deux à perpétuité. Sa mère mène un combat acharné pour le défendre depuis qu'il a été arrêté. Et cette condamnation ne l'empêchera pas de continuer.
Par Thomas Pitrel
Elle a passé une bien mauvaise fête des Mères, mais ce n’est ni la première ni a priori la dernière. Vendredi dernier, le 29 mai, Lyn Ulbricht a vu son fils être condamné par la justice américaine à cinq peines différentes, dont deux peines d’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de remise de peine. Les États-Unis aiment cumuler. Ce qui est reproché au fiston ? “Distribution de narcotiques par le biais d’Internet” ; “entreprise criminelle continuelle” ; “association de malfaiteurs dans le but de commettre, soutenir et encourager le piratage informatique” ; “association de malfaiteurs dans le but de trafiquer des documents d’identité frauduleux” et “blanchiment d’argent”. Lyn est en effet la maman de Ross Ulbricht, 31 ans, créateur de Silk Road, sorte d’eBay de la drogue qui a sévi entre février 2011 et novembre 2013 sur le deep web.
Depuis l’arrestation de son fils, il y a un peu plus d’un an et demi, Lyn Ulbricht n’a plus qu’un seul but : le faire sortir de sa geôle. Avec pas mal d’arguments à avancer. Selon elle, Ross n’était en effet plus derrière le pseudonyme de Dread Pirate Roberts (l’administrateur du site) lorsqu’il a été arrêté. Dans un article publié avant-hier sur le site de soutien FreeRoss, elle souligne également que les faits pour lesquels son fils est condamné sont des actes non violents (même s’il est par ailleurs accusé d’avoir commandité plusieurs meurtres) et que la peine est donc disproportionnée. Pour elle, Ross a été utilisé comme exemple pour montrer la détermination renouvelée de l’administration américaine dans sa fameuse “guerre contre les drogues”.
Qu’avez-vous ressenti quand vous avez entendu la condamnation ?
J’étais sous le choc. Je savais qu’il y avait une possibilité qu’il soit condamné à perpétuité mais vu que l’accusation n’avait pas demandé une peine de prison à vie, je pensais qu’il y avait bon espoir que la juge ne la lui donne pas. La punition ne correspond pas au crime, notamment pour sa conduite non violente.
Étiez-vous préparée à ça ou étiez-vous convaincue que la juge serait moins ‘draconienne’ comme vous l’avez dit ?
J’espérais qu’elle donnerait une chance à Ross d’avoir quelques années à la fin de sa vie. Il avait 26 ans quand il a commencé Silk Road. Évidemment, il sera une personne tellement différente à 51 ans. Il ne créerait certainement pas un autre Silk Road. La juge aurait pu lui donner le minimum obligatoire de 20 ans, ce qui aurait pris à Ross les années les plus productives et précieuses de sa vie, et, donc, aurait été une sanction sévère, mais tout en lui laissant un peu de temps pour vivre sa vie.
Vous pouvez demander un nouveau procès et faire baisser la condamnation de votre fils ?
Oui, Ross va faire appel de ce jugement.
Ces deux dernières années, vous vous êtes beaucoup battue pour votre fils. Qu’allez-vous donc faire désormais pour continuer votre combat ?
Je considère que mon combat pour Ross est aussi un combat pour d’autres cas importants. Comme par exemple l’horrible et vaine guerre que mène le gouvernement américain contre la drogue, les peines minimum inconstitutionnelles et l’atrocité du milieu carcéral américain qui gâche des vies humaines et qui prend pour des décennies des personnes non violentes comme Ross. J’ai prévu d’écrire et de parler de ces problèmes, tout comme du cas de Ross, dans l’espoir de sensibiliser le public.
Vous avez rencontré de nombreux défenseurs de Ross ces deux dernières années. Êtes-vous plus familière avec les idées libertariennes de votre fils désormais ? Et pensez-vous que cette condamnation est une preuve que ces idées sont les bonnes ?
Je n’étais pas étrangère aux idées libertariennes avant, mais j’en ai encore plus appris avec cette affaire. Je pense que la condamnation de Ross et son procès mettent en lumière la puissance du gouvernement américain et son empressement à violer les droits pendant une procédure pour obtenir ce qu’il veut.
Avez-vous vu Ross depuis sa condamnation ?
Oui, hier. C’était très dur de lui rendre visite. La réalité brutale de la vie derrière les barreaux sans libération conditionnelle possible pèse lourd sur Ross, ainsi que sur notre famille. Ross fait face du mieux qu’il peut, mais je peux voir que c’est une épreuve écrasante.
Pensez-vous toujours que Ross n’est pas Dread Pirate Roberts ?
J’ai plusieurs raisons de croire qu’il y avait différents Dread Pirate Roberts. Cela vient de mes recherches personnelles et de l’expérience d’autres personnes qui connaissaient bien Silk Road comme des vendeurs ou des architectes. Même le propre témoin du gouvernement, Jared Der-Yeghiayan, a dit qu’il pensait qu’il existait plusieurs Dread Pirate Roberts. Nous savons également maintenant que deux agents fédéraux corrompus avaient un accès privilégié au site Silk Road, avec la possibilité de prendre le contrôle du compte de Dread Pirate Roberts. Donc si Ross était Dread Pirate Roberts, je ne pense pas qu’il l’était tout le temps.
Sur votre blog, vous avez écrit que cette condamnation servait d’exemple pour la guerre contre la drogue, qui n’a ‘ni diminué ni empêché l’usage de drogues’. Surtout que certaines études montrent que Silk Road ‘réduisait certains dommages liés au milieu de la drogue et sauvait ainsi des vies’. Pensez-vous qu’un site comme Silk Road est, finalement, une meilleure façon de lutter contre le trafic de drogues que la politique du gouvernement en la matière ?
Je ne défends ni l’usage de drogues ni Silk Road. Cependant, il met en évidence l’échec de la guerre contre la drogue du gouvernement, qui n’est pas la bonne solution pour arrêter la consommation de drogues, pas plus que la prohibition empêchait la consommation d’alcool.
Par Thomas Pitrel
Quinze ans après Le Bilan, sept ans après leur dernière apparition, Jacky et Ben-J des Neg’ Marrons reprennent le mic’ pour soigner la préparation de leur cinquième album intitulé Valeurs sûres (sortie prévue à l’automne 2015), dont le deuxième titre sera dévoilé la semaine prochaine. Ils déroulent le bout de vie qui les a laissés à l’abri du rap game et prouvent, à base de punchlines affûtées, que leur tactique est toujours l’attaque. Entretien entre deux bouteilles de Caraïbos.
Par Matthieu Amaré
En 2008, on se demandait déjà où vous étiez passés avant la sortie de votre quatrième album, Les Liens sacrés. Et voilà que vous mettez sept ans à revenir. Pourquoi vous faites d’aussi longs breaks à chaque fois ?
Jacky : Pour le public, pour les gens qui nous suivent, ça peut paraître long. Mais nous, ces sept années, on ne les a pas vues passer. On a défendu Les Liens sacrés aux quatre coins du monde. Et puis, on a produit. On est continuellement en studio depuis une bonne quinzaine d’années. On a aussi pris du temps pour nous, avec la famille. Il fallait faire un petit break pour se retrouver et kiffer. Enfin, au moment de revenir en studio, il a fallu trouver la bonne ligne artistique pour le prochain disque. La musique a changé, l’écoute des gens a changé et on ne voulait pas arriver avec un truc qu’on avait déjà fait. On veut aussi se confronter à la nouvelle scène.
Vous êtes revenus avec un single, Fast Food Music, dans lequel vous taclez la scène rap actuelle. Qu’est-ce qui vous agace exactement ?
Ben-J : La musique vite faite, vite consommée, vite digérée. Et les pages vite tournées. Fast Food Music, c’est un titre pour recadrer tout ça. Même si les nouvelles technologies permettent une diffusion plus rapide de la musique, elles permettent aussi d’enregistrer plus rapidement, plus facilement. Les maisons de disques ont aussi besoin de cette musique vite faite et de faire signer des artistes sur des clics. Mais il ne faut pas oublier l’essence même de la musique qui reste l’artistique. Il faut dire des choses, faire passer des messages, réveiller des émotions chez les gens. N’oublions pas ça.
De la “fast food music”, il y en a donc plus qu’avant ?
Ben-J : Mais carrément ! Parce qu’il y a aussi un problème de culture. Le hip-hop est une musique qui vient des quartiers et qui est née pour dénoncer la misère
Le “c’était mieux avant”, ça dépend de l’époque où tu te places
Jacky
sociale de la rue. Quand on a écrit nos premiers textes, c’était pour dénoncer des injustices. Aujourd’hui, on côtoie des artistes de la nouvelle génération qui avouent ne pas savoir quoi raconter dans leurs textes. Ils n’ont rien à dire. Du coup, les mecs se recentrent sur eux et ça donne beaucoup d’ego trip. Parfois, ils s’inventent des vies. À l’arrivée, ça fait des morceaux qui ne perdurent pas et qui sont, malheureusement, assez médiocres.
Jacky : Après il y a du bon, on ne fustige pas tout le monde. C’est juste un état d’esprit général ou une manière de dire que l’industrie musicale part en live. En tant que “grands frères”, avant d’être des anciens, on a envie de dire à tout le monde : “Attention, les gars, il y a un cheminement, il y a des règles dans cette musique.” On ne peut pas faire n’importe quoi. C’est comme un match de foot, ça dure 1h30. Demain, tu vas pas venir et me dire : “Ton match, il dure 50 minutes maintenant.” On ne veut pas faire la morale à tout le monde non plus. On aime le son et l’énergie de ce morceau. On fait du ragga-hip-hop comme peu de personnes savent le faire en France. Et ce son, il annonce bien que les Neg’ Marrons sont opé pour un retour.
On a l’impression qu’en France, on dit depuis les années 2000 que le rap, c’était mieux avant. C’est quoi le vrai problème ?
Jacky : Franchement, c’est générationnel. Le “c’était mieux avant”, ça dépend de l’époque où tu te places. La question est plutôt de savoir, dans ce qui se fait aujourd’hui, ce qui est bon et ce qui ne l’est pas.
Vous avez traversé les générations. Pourquoi une majorité de personnes s’accordent-elles encore à dire que les années 90 étaient l’âge d’or du hip-hop ?
Ben-J : Avant, dans le rap, on mettait en avant l’écriture et le texte. Aujourd’hui, on est beaucoup plus dans la forme. Et pour moi, c’est une des différences majeures de l’époque. Je ne sais pas si c’était mieux. Si quelqu’un venais me faire écouter un truc de l’époque, je ne sais pas si je kifferais, même si je suis de l’ancienne école.
Jacky : Il est peut-être aussi trop tôt pour juger le son d’aujourd’hui. Peut-être qu’il faut attendre 20 ans pour juger le rap des années 2000. En 2025, on pourra dire qui est là, qui n’est plus là et ce qui a traversé les âges. Là, on pourra faire le bilan (calmement, ndlr).
Quelques années auparavant, beaucoup de choses tournaient autour du rap : une radio numéro 1 –Skyrock–, de grands rassemblements au Stade de France… Aujourd’hui, pensez-vous que le genre rassemble autant ?
Jacky : C’est vrai qu’on peut se poser la question. Pour le dernier Urban Peace, ils ont bradé les places. Le premier, elles partaient en cinq minutes. Il y a eu un changement. Les gens ont changé et ne kiffent plus les mêmes trucs. Maintenant, les jeunes sont obsédés par la trap music, par exemple.
Ben-J : Je pense que les médias ont un rôle à jouer dans tout ça. Aujourd’hui, on
Les jeunes pensent qu’Akhenaton est un vieux, alors qu’il a encore des choses intéressantes à leur dire
Ben-J
veut mettre un terme à toute une génération d’artistes en ne les diffusant plus. Du coup, ce que les jeunes entendent à la radio fait tout le temps référence aux mêmes sons, aux mêmes personnes. Il faut qu’on continue à mélanger les genres et surtout, il faut qu’on ait une discussion intergénérationnelle. Des rappeurs de l’ancienne école continuent à sortir leur album. Akhenaton a sorti son disque il y a six mois (Je suis en vie, ndlr) et il n’est pas beaucoup passé en radio. Du coup, les jeunes pensent que c’est un vieux, alors qu’il a encore des choses intéressantes à leur dire. Il ne faut surtout pas que la jeune génération se déconnecte de ses racines.
Jacky : Quand tu regardes les évènements hip-hop aux États-Unis, les old timers sont systématiquement invités. Ils côtoient la jeune génération et sont ultra-respectés.
Vous vous sentez déconnectés de cette jeune génération ?
Jacky : Non, parce qu’on baigne dans ce nouveau game. On suit le truc. Donc, tu vois, on n’est pas partisans du discours selon lequel il faudrait tout le temps regarder derrière. Il y a des nouvelles choses qui se font et il faut s’adapter. C’est comme si tu disais : “L’iPhone, ça me fait chier, je garde mon Motorola.” Les choses évoluent et nous, on cherche constamment l’adaptation. Parfois, quand je ne comprends pas le délire des jeunes artistes, j’essaie d’aller plus loin. Jouer aux vieux cons, ça sert à rien.
En octobre 2015, vous sortez votre cinquième album, Valeurs sûres. Quelle est l’idée derrière le titre ?
Ben-J : On a croisé beaucoup de monde pendant nos tournées qui nous disaient : “Revenez, on a besoin de vous, vous êtes une valeur sûre.” C’est un terme qu’on a beaucoup entendu à notre sujet. On a voulu faire un clin d’œil à ces gens-là. Ça qualifie aussi notre musique qui, pour nous, est une valeur sûre. Elle nous permet de nous évader, de faire passer des messages.
Jacky : On voulait exprimer quelque chose qui dure. Aujourd’hui, quand on parle des Neg’ Marrons, on parle d’un groupe qui a 20 ans de carrière, qui a fait plein de projets en parallèle et qui revient avec un cinquième album. On peut donc dire qu’on est une valeur sûre, une sorte de groupe classique dans lequel tu sais ce que tu vas trouver. T’as forcément un magasin de fringues préféré, non ? Eh ben tu sais très bien qu’en y allant, tu vas trouver ton bonheur.
En parlant de classique, on n’entend plus les Passi, Doc Gynéco, Stomy Bugsy… De l’époque dorée du Secteur Ä, il ne reste pratiquement que vous. Comment ça se fait ?
Ben-J : Ils reviennent tous ! Lino a ouvert la marche avec son album Requiem qui est sorti en janvier.
Jacky : Mais pour nous, c’est comme si ça ne s’était jamais arrêté. Tous ces mecs sont encore dans le game. “Discographiquement” parlant, c’est vrai qu’on a marqué un temps d’arrêt. Mais on n’a jamais pensé en termes de come-back. Cet album, il s’inscrit dans une continuité. Et puis, on n’est pas de la génération Internet. On n’a pas le réflexe d’aller tous les jours sur les réseaux sociaux pour raconter ce qu’on est en train de faire. Donc, les gens pensent qu’on roupille alors qu’on taffe. Grave.
Et pourquoi vous, vous êtes encore là ?
Jacky : Je pense qu’on a une place à part dans ce game. Notre style est un peu différent, c’est un mélange de hip-hop et de reggae. On a toujours réussi à naviguer entre les deux univers et c’est vrai qu’on est l’un des rares groupes qui peut venir à la fois dans un concert de hip-hop et dans un festival de reggae pour foutre le bordel.
Ben-J : Avec des singles comme Le Bilan, Petites îles ou Tout le monde debout, on est rentrés dans la case des artistes populaires. On a la chance de faire encore des festivals où se massent 20 000 personnes. Et quand on balance Le Bilan, tout le monde reprend.
Qu’est-ce qui vous indigne en ce moment ?
Ben-J : Ce qui m’indigne, c’est le décryptage de l’information effectué par les médias. Il sème la confusion et divise les communautés. On nous rabâche une information dans un sens qui n’est pas positif. Ça crée un climat de tension à la fois palpable et désolant. Du coup, chacun se retranche derrière sa communauté.
Jacky : Il y a quelques années, on nous parlait de diversité. Comme si on découvrait qu’on était dans un pays multiculturel. Nous, on n’avait pas besoin qu’on nous le dise. On savait qu’en France, il y avait des Polonais, des Arabes, des Portugais. Dans le quartier, on a grandi avec ses cultures sans faire de différence. Aujourd’hui, j’ai l’impression que le message qu’on nous renvoie, c’est l’inverse.
On n’a pas beaucoup entendu les rappeurs après les attentats contre Charlie Hebdo. C’est étrange, non ?
Jacky : Le problème de Charlie, c’est qu’il a plusieurs lectures. Et quand les gens veulent que tu en parles, ils s’attendent à ce que tu le fasses selon une seule
On vient d’une génération où si t’as rien à dire, mieux vaut fermer ta gueule
Jacky
lecture : la liberté d’expression. Pourtant, tu ne peux pas réduire Charlie à l’unique liberté d’expression. Selon moi, on a voulu récupérer les drames de janvier pour qu’on puisse tous affirmer : “Nous sommes Charlie.” En condamnant du même coup ceux qui ne l’étaient pas. Tout le monde doit être contre les barbaries commises, mais avant les attentats, très peu de gens cautionnaient ce que faisait Charlie Hebdo.
Vous aviez un avis sur Charlie Hebdo avant les attentats ?
Jacky : Franchement, je ne m’y intéressais même pas. Ça ne me parlait pas. Comme beaucoup de monde, hein. Les mecs, ils vendaient 15 000 exemplaires, ils intéressaient personne grosso modo. L’élan de solidarité au cours duquel la France s’est soulevée, c’était contre les attentats, pas pour prendre un abonnement à Charlie Hebdo.
Pourquoi très peu de rappeurs se sont soulevés, alors ?
Jacky : Parce que t’étais sur un fil ! Chaque fois que tu l’ouvrais, les médias te mettaient dans une case. Et si tu n’allais pas dans leur sens, tu te faisais tacler.
Ben-J : Booba est un des seuls qui en a parlé dans un texte. Et qu’est-ce qu’il s’est passé ? Les médias lui sont tombés dessus. Mais la liberté d’expression, elle est où alors ?
Jacky : Quand Luz fait son dessin sur Booba, une grande majorité de médias crie au génie. Booba répond, avec un dessin en plus, et on le cloue au pilori.
Faut dire que le dessin…
Jacky : Ouais mais le problème est ailleurs : quand un rappeur exprime un avis, quelle que soit la manière, ça devient tout de suite un petit con qui n’a rien dans le crâne.
Vous retournez souvent à Garges-Sarcelles, le quartier où vous vous êtes rencontrés ?
Ben-J : Bien sûr. J’y suis né. J’ai encore tous mes potes là-bas, ma famille est là-bas, ça reste nos racines. Ça ne changera jamais.
Jacky : Après, si la question est de savoir si on est toujours assis au quartier, non. D’une part, on a plus le temps et d’autre part, ce n’est plus notre rôle. C’est quelque chose qu’on a fait il y a 20 ans et ce serait malheureux qu’on soit encore sur le bitume. Mais on continue à travailler avec des gens qui viennent essentiellement de Garges. Le lien est trop fort. Demain, je peux déménager au bout du monde, je resterai un mec du 9-5. On restera la voix du ghetto. À l’époque, on disait : “On n’est pas des porte-parole mais on est conscients que nos paroles portent?” Ça restera comme ça et de toute façon, on vient d’une génération où si t’as rien à dire, mieux vaut fermer ta gueule. Si on prend le micro, c’est pour dire quelque chose.
Par Matthieu Amaré
Jour après jour, Roland-Garros 2015 vu de l'intérieur par l'œil totalement subjectif de Pauline Parmentier (94e mondiale, 8e de finaliste 2014).
Par Pauline Parmentier
Vendredi 29 mai – Monter à la volée pour rester jeune
Nicolas Mahut est un serveur-volleyeur. Oui, ça existe encore. C’est un joueur que j’adore et que je respecte énormément. Il est passé par de grosses galères, des blessures vraiment inquiétantes, mais il n’a jamais perdu son sourire, jamais rien lâché. Depuis deux ans, il revient à son meilleur niveau. Il a fait finale en double en 2013 à Roland-Garros. Cette année, il s’est préparé avec notre entraîneur de Fed Cup, l’espagnol Gabi Urpi, pour pouvoir gagner sur terre. Ça a payé : il a battu Coppejans en trois sets puis Gulbis en quatre sets et a joué cet après-midi un match incroyable – perdu en cinq sets – contre Gilles Simon. Physiquement, il m’a impressionnée grave. Il est monté plus de 100 fois à la volée, c’est monstrueux. C’est un joueur fin mais qui connaît son corps et qui change souvent d’entraîneur pour apporter à chaque fois un petit plus dans son jeu. On rigole toujours avec lui car on fait partie des joueurs qui ont le plus changé de coach dans leur carrière ; on se chambre là-dessus. Je sais pas comment il fait. Moi, j’aurais la tête a l’envers, lui, il l’a a l’endroit.
Des joueurs qui partent à l’assaut du filet, il y en a eu : Noah, Becker, Sampras, Rafter mais aussi Weaton, Balcells ou encore, évidemment, Federer… Nico, lui, n’arrête pas de monter au filet, et c’est quasiment le dernier ou presque. On a parlé de tout cela après le match : “Le ralentissement moyen des surfaces il y a dix ans n’a pas aidé, explique-t-il. Après, les modèles de joueurs d’aujourd’hui qui en découlent – Rafa, Djokovic, Murray, Nishikori – ne vont peut-être pas inciter les jeunes joueurs à monter.” Ce qui frappe chez lui par rapport aux autres volleyeurs, c’est que ça ne semble pas être une débauche d’énergie folle d’un type qui part à l’abordage mais un style très lucide, un peu comme Edberg, qu’il a copié, gamin: “J’ai eu parfois du mal à assumer que je voulais monter à la volée, surtout sur les surfaces lentes vu que je suis moins fort que les autres du fond du court, concède-t-il. De fait, j’ai pris le parti d’exploiter au maximum mes qualités et de proposer des variations : service volée, montée en deux temps, chip puis balle rapide, etc.” Cet hiver, il a connu une première sélection en Coupe Davis. À 33 ans. Posez-lui la question si vous le croisez dans les allées, il en parle avec fraîcheur, c’est beau. Moi, je vais continuer à aller le voir jouer. Parce que ce qu’il fait, c’est un plaisir immense qu’il offre aux spectateurs. Et il lui reste plein de matchs à gagner.
Jeudi 28 mai – Arrêter le tennis à cause de Twitter
“Putain, t’es vraiment qu’une merde.”
C’est, en substance, le genre de message que je reçois en une quinzaine de versions à peu près similaires sur Twitter lorsque je perds un match. Mardi, ça n’a pas manqué.
J’ai créé mon compte en 2013. Quelques semaines plus tard, les premiers messages que je recevais lorsque je rallumais mon smartphone après un match étaient des insultes. Des messages en anglais, nombreux mais quasi identiques. Beaucoup d’hommes, d’Europe de l’Est souvent. Pas vraiment des messages de déception de gens qui vivent les défaites à ma place, non, plutôt des types qui parient en ligne. Sur mes matchs. Et qui perdent. Certains me précisent combien ils ont parié. Sincèrement, ça ne me fait jamais marrer. Un mec qui écrit sa frustration d’avoir perdu 10 euros, franchement, qu’est-ce que j’en ai à foutre ? C’est son problème. Je ne veux pas être la cible de ce genre de personnes. Entre le Café des sports des sites spécialisés de types qui écrivent qu’ils feraient mieux que moi et Twitter avec d’autres tarés qui me demandent de crever parce qu’ils ont perdu 1,50 euro, c’est de la folie pure. Les réseaux sociaux sont très pratiques pour les sponsors et pour communiquer sur notre carrière mais nous, les joueurs, ça nous rend plus facilement accessibles et donc plus vulnérables. Après, les instances considèrent qu’on est assez grands pour gérer notre compte tout seuls, ce qui est vrai.
J’ai bloqué les messages d’inconnus sur Facebook. Sur Twitter, parfois, je donne mon avis sur mon sport. Bien évidemment, je me fais massacrer. Lorsque Bouchard n’avait pas voulu serrer la main de son adversaire en Fed Cup avant le match et que j’avais écrit que c’était triste d’en arriver là, je m’étais fait pourrir. Quand j’avais tenté un trait d’humour sur le mariage de Murray, beaucoup l’ont pris au premier degré et m’ont traité de sous-merde qui n’avait rien compris. Surréaliste.
Quand je reçois ces messages, je ne relance pas, je ne relance plus. Je pense toujours à une joueuse vers la 200e place qui avait répondu : dans la foulée, elle a reçu des photos de cercueil et des messages du style “Je vais te retrouver.” Je pense aussi et surtout à Rebecca Marino, une joueuse canadienne qui a vécu la même chose et qui n’a pas pu tenir. Elle a arrêté sa carrière. Enfin, elle s’est éloignée des courts pour un temps indéterminé. C’est aussi ça, la vie sur le circuit.
Mercredi 27 mai – Jouer simple en double
Bon, quand ça veut pas, ça veut pas. Même quand je suis aidée, en l’occurrence par ma copine Julie Coin. On a perdu. On a joué ce matin en double, un peu pareil qu’hier avec un très bon premier set qu’on perd 7-6 et puis derrière, la roue de vélo (6-0). C’étaient des têtes de série en face, mais quand même… Étonnamment, on était vachement dans le plaisir, on s’est bien marrées, on s’entend super bien, ce qui fait que jouer avec une pote, c’est au moins un bon moment de pris. Jouer avec des gens que j’apprécient moins ou que je ne connais pas trop, c’est quand même moins l’éclate, et ça peut être encore plus chiant à regarder. J’ai longtemps cru que le double, c’était pas cool du tout, mais en fait, ça te fait encore progresser sur des points où tu peux te laisser aller par confort. L’œil, par exemple, a besoin d’être stimulé, au retour, à la volée aussi.
L’interception à la volée sur retour de service, c’est très complexe à maîtriser, les qualités requises sont multiples et quand tu vieillis, eh bien il faut te bouger pour te réinventer. En France, le double est très peu considéré, alors qu’aux États-Unis ou en Angleterre, c’est une discipline voire un sport à part entière. C’est dans leur culture, on le sent beaucoup dans les catégories de jeunes. Là-bas, ils sont au taquet dès le plus jeune âge. Sur les Grands Chelems, ils sont bien là, et sur les tournois américains, il y a beaucoup plus de spectateurs que chez nous. Les spectateurs qui te suivent, sur les tournois ou les réseaux, c’est un sujet en tant que tel. Demain, j’écrirai sur Twitter et ses conséquences sur le tennis. Une minirévolution. Et un beau bordel dans les têtes…
Mardi 26 mai – Entrer par la sortie
Trop vite, trop court, ce Roland. Je ne suis pas passée à côté de mon match, mais c’est quand même embêtant de dégager aussi vite cette année. J’ai perdu 4 et 3. J’étais bien, pas du tout bloquée par l’événement mais j’ai clairement manqué d’agressivité. Mon adversaire, l’espagnole Soler-Spinosa, était un peu mieux classée que moi (74e contre 94e) mais on avait un peu la même filière de jeu. Ma tactique était donc assez simple: celle qui prendrait le jeu tout de suite à son compte gagnerait le match. Bon, eh bien ça n’a pas été moi.
Le premier set se joue en partie sur un truc improbable: à 5-4 pour elle, je sers une balle qui est let mais l’arbitre ne réagit pas. J’arrête le point. C’était tellement évident, pour le public aussi ! Mais l’arbitre considère que je le perds. Tout le monde l’a entendu, c’était dingue, surtout l’arbitre de chaise, c’est impossible autrement. À Roland Garros, ce sont les meilleurs, mais aujourd’hui, il y a eu un bug. Le problème, c’est que la machine qui est censée l’informer n’a pas réagi. Aujourd’hui, avec tous les dispositifs électroniques, le hawk eye et cette foutue machine automatique sur le filet, les arbitres ne prennent plus aucune décision d’eux-mêmes sur ces sujets. Il ne s’en remettent plus à leurs sens, encore moins à leur bon sens. Moi, j’ai confiance dans les gens, mais là… Je trouve ça assez triste, et cette question dépasse le cadre du tennis.
Après, ce match perdu, c’est de ma faute : je dois jouer, tenter, chercher, créer et trouver, je dois pas m’attendre à ce que la fille soit fair-play et me dise : “Mais oui, tu as raison, évidemment qu’elle est let ta balle…” Je me suis crue dans le monde des Bisounours, je n’ai pas été lucide du tout.
Reste la conférence de presse. Tout comme Gilles Simon qui en avait marre qu’on ne lui parle que de son dos en permanence, moi, c’est la huitième journée consécutive où l’on me demande si je n’ai pas la pression cette année par rapport à mon tournoi de l’année dernière et aux points que je risquerais sûrement de perdre. Même si je voulais en faire abstraction, c’était impossible. Tous les jours, j’ai croisé au moins un mec qui considère que son travail, c’est de me mettre un peu plus la tête dans le sac. C’est hallucinant tellement les questions ne sont pas constructives ni utiles au jeu lui-même ! Et je ne parle pas que pour moi. Je ne comprendrai jamais cette quête non pas de la petite phrase mais de la même petite phrase. Le tennis reste mon sport, un truc fabuleux qui m’arrive mais on passe par des moments de bonheur et de doute si extrêmes que c’est très usant Mais c’est beau. Ça sert à quoi d’être passionnée, sinon ? Demain, je joue le double avec Julie Coin. Peut-être que la machine à let sera en panne !
Lundi 25 mai – Servir à la cuillère
Aujourd’hui, mes petits cousins avaient ramené leur raquette pour le déjeuner, donc je n’avais pas vraiment le choix: j’ai préparé mon premier tour avec eux.
J’ai grandi à Berck-sur Mer, sur la Côte d’Opale. Un terrain du club de la ville porte désormais mon nom, et j’en suis super-fière. Une partie de ma famille (une douzaine de personnes) est venue à Paris hier et aujourd’hui pour me voir jouer mon premier tour. Résultat ? Je suis programmée pour demain, et tout le monde sera reparti. On dirait une blague, non ? J’ai quand même bien profité d’eux aujourd’hui, la veille de mon match ; on se voit tellement peu souvent… J’ai terminé ma – vraie – session d’entraînement dans mon club du TC Paris à 13h30, on s’est donc mis à table très tard.
J’ai résisté à la tentation de passer beaucoup de temps à Roland-Garros aujourd’hui, ça use. Je suis juste allée voir la couturière du stade pour qu’elle me floque les badges de mes sponsors habituels sur mes nouvelles tenues. Il y a parfois des marques qui me contactent quand mon match est télévisé. Là, je joue sur le court n° 2. Le téléphone n’a pas sonné.
Sinon, ce matin, BFMTV a presque oublié de parler du tableau féminin – “Ah oui, et il y a aussi Cornet qui va jouer” –, on a vu mieux. Ce sont pourtant les filles qui ont fait parler d’elles aujourd’hui. Alizé, donc, qui s’est qualifiée malgré une “partie du court toute pourrie” comme elle l’a exprimé cash (il fallait que ça sorte), mais aussi Amandine Hesse. Amandine est une jeune joueuse trop sympa qui n’a pas beaucoup de victoires dans le top 100 donc c’est super pour elle. Il n’y a pas vraiment de rivalité profonde entre joueuses, on est dans le même bateau. Chacune trace sa route, chacune se fait son cocon. Ça doit être sympa de se retrouver en fin de carrière, en ayant mis de côté les aléas de la compétition. Moi, j’ai 29 ans donc forcément, je n’ai plus vraiment l’âge pour n’être que dans la rivalité. J’aimerais bien servir à la cuillère comme Virginie Razzano, par exemple. Elle a eu du cran, elle. Elle a toujours eu du cran, de toute façon. Ce qu’elle a tenté, c’est top. Je croyais qu’elle l’avait fait à cause de ses petits pépins aux abdos mais apparemment, ce serait à cause du soleil. Moi, je verrai bien s’il fait beau demain…
Dimanche 24 mai – Rater un selfie
J’adore les selfies, Roger est quelqu’un de très cool mais pour être honnête, je comprends sa réaction aujourd’hui : même si c’est spontané, c’est assez flippant de voir débarquer un troll et son smartphone sur le terrain à la fin de son match.
Cela dit, ça devient quand même de plus en plus compliqué de rater un selfie. À Roland Garros, cette année, il suffit d’aller sur un drôle de stand qui a été installé pour se prendre en photo avec les joueurs. J’y suis allée ce midi. Au début, dans mon agenda, j’avais noté que c’était une rencontre avec le public. J’étais persuadée que c’était une table et des posters pour signer des autographes. Complètement à la rue, la fille. En fait, l’idée, c’est de passer un bracelet électronique devant une machine, de se positionner sur une chaise à côté d’un joueur et d’attendre que le cliché arrive automatiquement sur son smartphone. Il faut regarder la boîte blanche, fixe, celle où tout se passe. À deux mètres. On est loin du bras tendu avec le smartphone au bout, ce n’est même pas un selfie mais c’est quand même très cool, peut-être juste parce que c’est nouveau, je ne sais pas vraiment. À côté du spectateur venu se faire tirer le portrait, c’est tentant de faire les oreilles de lapin mais je suis restée très pro : on a tourné toutes les vingt minutes avec d’autres joueurs.
Dans les allées, les selfies ont remplacé les autographes, c’est juste fou. Moi, j’ai beaucoup de chance, les gens sont polis, donnent du “un selfie, s’il vous plaît”. Ce midi, j’ai dû en prendre un moi-même avec un groupe de filles parce qu’elles avaient des bras trop courts ! Je ne pense vraiment pas avoir le bras long non plus… même si je suis grave fan de la barre de fer, j’avoue (voir la photo, avec l’équipe de France de Fed Cup). C’est un cadeau, hein, je n’allais pas le refuser. C’est un ami chinois qui me l’a offert, et je n’ai pas vraiment prévu de me les mettre à dos, lui et ses potes. Mon grand regret : ne pas savoir faire de duckface, sinon, je n’arrêterais pas, j’en ferais tout le temps, c’est tellement drôle. Il ne faut pas jouer au vieux con, c’est quand même cool, les selfies. Bon, allez, faut que j’arrête de trouver tout cool, ça devient bizarre cette histoire.
PS : une grosse pensée pour Patrice Dominguez et sa famille.
Samedi 23 mai – Faire des ménages
Ce qui est bien lors du Kid’s Day sur le Central de Roland-Garros, c’est que les femmes de ménage peuvent travailler tranquillement : les vestiaires sont presque vides.
Dans les travées, il y a du monde partout. C’est la journée des enfants, mais aussi, et surtout, des hommes : des joueurs en nombre mais très peu de joueuses, idem dans le numéro de L’Équipe Magazine du jour.
Le principe de matchs-exhibitions avec de la musique est très sympa, même si ce sont toujours les mêmes joueurs qui sont concernés. C’est dur d’être à l’aise sur le terrain, ça se sent vachement pour certains. Pour la Monf’ ou pour Mansour Barhami, c’est inné mais pour d’autres, on sent bien qu’il faut jouer un rôle. C’est quand même bien de le faire parce que c’est pour le plaisir des gens, et c’est ça le plus important, donc ça passe !
Des ménages, les joueurs – les meilleurs – en font, et ça fait complètement partie du métier. Sharapova a passé pas mal de temps avec sa Porsche cette semaine mais ce n’est pas la seule : les tops du top bossent depuis lundi pour les marques qu’ils représentent parce que, ensuite, une fois que le tournoi est lancé, c’est rideau.
Un autre qui fait des ménages, c’est l’invité du jour sur le Central : Cyril Hanouna. Ultra, ultra populaire. Quand je suis entrée sur le terrain, le public est resté assis, tranquille, peinard. Quand Hanouna est arrivé, c’était de la folie. Hanouna, qu’on l’aime ou pas, faut bien reconnaître qu’il arrive à faire passer quelque chose. Finalement, avant le tournoi, tout le monde joue un rôle, en fait. Mais la compétition arrive : place aux vrais coups de balai !
Par Pauline Parmentier
Certains arrivent à concilier plaisir et vie professionnelle en ayant fait de leur passion leur métier. Willi, 50 ans, fait partie de ceux-là. Grâce au latex.
Par Nicolas Corman et Eudora Berniolles
Willi est un quinquagénaire suisse, propriétaire d’une corniche au-dessus d’une plage paradisiaque de Japaratinga, dans le Nordeste brésilien. Au début des années 90, il y construit une maison aux allures de lupanar, où il s’installe avec son ex-femme. Une maison bunker, aujourd’hui à moitié abandonnée, aux chambres lubriques avec vue panoramique sur mer turquoise. Des corps de femmes sont sculptés dans les murs aux moulures improvisées par un artisan du coin et sur des colonnes stylisées sont accrochés des hamacs de jeunes hippies.
Vue sur mer.
Willi a besoin d’argent. Un autre expatrié suisse qui vit non loin de là lui propose alors de construire sur son terrain une usine de ballons de baudruche. La matière première, le latex, vient bien du Brésil (Hevea Brasiliensis) mais à cette époque, la fabrication de ballons gonflables est encore délocalisée et ces produits manufacturés coûtent cher. Son idée est de diversifier par la suite la production avec des gants de cuisine et autres produits quotidiens en latex.
Des gants.
Willi est motivé mais pas très convaincu et lui suggère une affaire bien plus lucrative : la fabrication de tenues érotiques et sado-maso. Mais il ne s’agit pas d’une simple velléité pécuniaire. L’intérêt de Willi pour le latex et la sous-culture BDSM (Bondage et Discipline, Domination et Soumission, Sadisme et Masochisme) est plus profond. Pour lui, les gants de cuisine en latex lui permettent dès l’enfance d’outrepasser l’interdit –attraper des orties, s’amuser avec des excréments ou encore mettre son doigt dans le cul d’une vache. Il parle d’un sentiment de puissance face à la morale de sa campagne suisse. À l’adolescence, avec la masturbation, il reprend contact avec le subterfuge. “La sensation de plaisir venait de la désobéissance, du pouvoir de ne pas se salir mais aussi de l’expérience sensorielle du latex, un peu comme une deuxième peau”, dit-il.
Pas de bottes ni de tabliers blancs.
Avec l’âge, il se met à considérer ses pratiques bizarres et décide d’arrêter pendant un moment, avant de redécouvrir le milieu du latex, notamment avec sa femme, dans des soirées consacrées aux déguisements BDSM. Là, il commence à utiliser de vraies combinaisons et autres accessoires. Il se rend compte qu’il n’est pas tout seul, qu’il existe une grande communauté.
Batman.
Son intérêt pour le latex devient un véritable fétichisme. Une passion qu’il développe en participant à des rites mais aussi à travers la collection de revues spécialisées telles que Zeitgeist, Skin Two, O, Marquis –le titre des deux dernières faisant référence à notre marquis de Sade national et au roman français Histoire d’O de Dominique Aury, alias Pauline Réage.
Baigné dans cette culture, Willi crée la marque Fetisso, qui reprend le nom d’objets religieux africains et embrasse les étymologies portugaises du fétichisme : feitiço-sortilège et feitiço-artifice.
Fetisso.
À côté du palace ostentatoire, il construit dans le même environnement idyllique une discrète fabrique de granit gris pour produire les tenues élastiques. On enlève ses chaussures en entrant, comme dans un temple, pour éviter toute poussière vagabonde. La forte odeur du latex traité à l’ammoniaque prend tout de suite à la gorge. L’atmosphère est confinée. Tout est carrelé d’un blanc de chambre froide mais il y fait très chaud malgré quelques ventilateurs.
Les Mains sales.
Pas de bottes ni de tabliers blancs, quelques ouvriers portent parfois un masque à gaz. Les employés trempent des moules lisses et blancs dans des bacs gris fermés, vaporisent un produit dessus pour le séchage, les pendent sur des barres formant ainsi d’inquiétantes séries de membres noirs: des pénis, des boules rondes ou en forme de sabot pour enfermer les mains, des gants de toutes longueurs, des cagoules aveugles et muettes, des combinaisons, des sous-vêtements, des corsets ; ils les démoulent dans de grands éviers remplis de talc pour éviter que les bords ne se collent entre eux et les rincent ensuite à l’eau.
Encore des gants.
À l’étage, un doux grésillement de radio. Quelques femmes vérifient les pièces et effectuent les découpes: trous pour les tétons sur les soutiens-gorge, pour le sexe sur les bas ; elles les enduisent ensuite de silicone pour les rendre luisantes. La marque Fetisso, rouge et légèrement en relief, se retrouve sur l’envers des articles.
Matériel au repos.
Aujourd’hui, 80% de la production est vendue à l’export en Europe, en Russie, aux États-Unis, au Japon, en Australie. Willi explique que l’activité était plus intéressante dans les années 90 qu’aujourd’hui, ce commerce étant moins démocratisé à l’époque. Cependant, l’entreprise ne rencontre pas de problèmes de vente. Elle a ses grossistes, agents marketing, chaînes de distribution et un catalogue avec une cinquantaine d’articles différents. Il y a d’ailleurs souvent du retard dans la production et les commandes doivent être prises plus de trois mois à l’avance. Dans les conditions actuelles, il n’est pas possible d’augmenter la production, mais là n’est pas l’important pour Willi, son ambition est ailleurs.
La vérité est au bout du couloir.
Un peu comme dans les débuts du Burning Man, dit-il, à côté de séminaires ésotériques et de rites d’Ayawaska qu’il organise déjà tout au long de l’année, Willi a le projet d’exploiter son terrain paradisiaque pour un festival annuel sur le sexe non traditionnel, faisant le pont entre le tantrisme et le monde BDSM.
Non, vraiment, le blanc, c’est chiant, ça se salit trop vite.
*Photos argentiques (Canon AE1) et numériques.
Par Nicolas Corman et Eudora Berniolles
C’est dans l’arrière-salle d’un restaurant de viande du centre-ville cannois que le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, a donné rendez-vous. Au programme : un point à l’occasion de son deuxième et dernier jour, discret, au festival de Cannes pour parler droit d’auteur, voir La Marseillaise, de Jean Renoir, et évoquer la projection du lendemain, celle du film La Loi du Marché, de Stéphane Brizé.
Par Brieux Férot / Photo : DR / IHS-CGT
Manifestation du 1er mai 1971 / Michel Piccoli et Louis Daquin
Après s’être arrêté sur le stand de la Fédération CGT du spectacle, situé dans les galeries du Marché du film du festival de Cannes, le secrétaire général de la CGT s’est attablé à L’Entrecôte avec les salariés de l’hôtellerie et de la restauration, comme si de rien n’était : “La CGT doit être ici, il faut être à Cannes : au-delà du côté bling-bling, il y a un accès à des films pour le plus grand nombre possible afin que ça ne soit pas les mêmes qui aillent au cinéma. On a tenu à être présents au festival parce que la CGT et le cinéma ont le même âge : 120 ans, rappelle Philippe Martinez, bien calé sous ses nouvelles moustaches de fonction. C’est l’occasion pour nous de saluer les salariés du cinéma, les salariés qui contribuent à la réussite du festival, ceux qu’on voit et ceux qu’on ne voit pas dans le Palais, dans les palaces aussi…” Des palaces qui, dans un passé tout proche, ont été le théâtre de grèves pendant le raout cinéphile : “Les salariés se défendent aussi lorsqu’ils ne sont pas contents”, sourit-il. La CGT a invité cette année des salariés, des “privés d’emplois”, des jeunes et des retraités cinéphiles, “une quinzaine de camarades ont assisté à la projection du film Mon Roi (!), de Maïwenn”. Fleur Pellerin était également présente le même jour pour un colloque sur l’avenir du droit d’auteur en Europe. Manuel Valls, lui, était carrément dans le Grand Théâtre Lumière au moment de la projection, déclarant à l’AFP à sa sortie et sans aucun lien “regretter les coupes budgétaires dans le domaine de la culture”. Philippe Martinez en prend acte : “Il regrette beaucoup, il regrette souvent mais il n’inverse pas souvent ses décisions, soupire-t-il. Emmanuel Macron regrettait qu’autant de dividendes soient versés aux actionnaires, les politiques doivent agir pour inverser la situation, ça ne nous suffit pas, les regrets.” Et de s’emporter contre le poujadisme “anticulture” du moment : “Cette tendance qui consiste à en parler comme de privilégiés à cause de statuts et droits acquis, c’est proprement scandaleux.” Le slogan de la CGT depuis plusieurs années ? “Vivre de son métier.”
“Ça arrive qu’on parle encore des travailleurs en sélection”
Denis Gravouil, secrétaire général de la Fédération CGT du spectacle, de l’audiovisuel et de l’action culturelle (FNSAC-CGT) condamne, sans trop de mise en perspective, les coupes budgétaires, droite et gauche confondues, dans le domaine de la culture et la pression engendrée sur les finances des collectivités locales, pour un résultat qui consiste à “baisser les bourses du travail et annuler plus de 180 manifestations culturelles, plus petites que celles de Cannes”. Et d’enfoncer le clou par une image aux traits un peu forcés, sur laquelle la CGT sait jouer à plein : “De la même manière qu’il n’y a plus de bureaux de poste dans les petits bleds, il n’y a plus de festivals non plus.” Aussi surprenant que cela puisse paraître, l’histoire de la CGT est liée à celle du festival, dont elle est cofondatrice. La confédération se dit d’ailleurs en
On a tenu à être présents au festival parce que la CGT et le cinéma ont le même âge : 120 ans
Philippe Martinez
première ligne dans la “défense des accréditations pour les salariés et les cinéphiles lambdas” de par sa présence au… conseil d’administration du festival, depuis 1946. Aujourd’hui, la CGT serait derrière son nouveau président : “On a soutenu le choix de Pierre Lescure, sa capacité à faire travailler les gens ensemble et sa grande culture, précise Gravouil, et pour l’instant, les relations sont plutôt bonnes…” Reste le festival lui-même : l’esprit initial des militants de la CGT est-il encore vivace dans la sélection ? “Il est plus discret qu’avant, c’est sûr, concède Denis Gravouil, mais ça arrive qu’on parle encore des travailleurs en sélection. Cette année, il y a La loi du marché de Stéphane Brizé. “Et ça, eh bien, les salariés, ça leur parle”, coupe Philippe Martinez. Et Gravouil d’évoquer les films qui ont marqué l’histoire de sa formation, “des films de Duvivier à ceux de Clément, et plus récemment Alain Guiraudie, qui avait fait avant L’Inconnu du Lac, le film Ce vieux rêve qui bouge… Même Robert Guédiguian, avec qui nous ne sommes pas toujours d’accord sur les conventions collectives, fait de très beaux films : Les Neiges du Kilimandjaro, ça reste formidable.”
“C’était une volonté de la CGT d’avoir un festival ici en France”
La veille, la CGT avait pris connaissance du bilan 2014 du CNC : “Il nous est présenté de manière très positive, s’en amuse Gravouil. Beaucoup de films se font, c’est bien, mais les conditions dans lesquelles ils se font ne prêtent pas à sourire : malgré des dispositions fiscales, nous n’arrivons pas à garder les tournages en France dans les studios, et cette bataille dure depuis les années 30.” Il cite, bien avant la négociation sur l’assurance chômage, “qui sera très dure à la fin de l’année”, celle concernant les studios de la SFP à Bry-sur-Marne, en insistant plus que de raison sur les ateliers de décors de cinéma, “qui n’existent pas chez Luc Besson car les questions d’aération de la menuiserie ne le permettent pas”. Reste que les représentants de la CGT auront passé plus de temps la veille au festival des “camarades” du CCAS, Visions sociales, ainsi qu’au festival “ceux du rail” des cheminots cinéphiles qu’au Palais cannois. Pourtant, “c’était une volonté de la CGT d’avoir un festival ici en France, de la création jusqu’aux petites mains qui ont construit le Palais des festivals, rappelle son secrétaire général. C’est tout cela que nous voulions symboliser.”
Sous le soleil au zénith, la délégation finira par s’éclipser pour la projection du film La Marseillaise, de Jean Renoir, dont la production et la sortie, en 1938, furent rendues possibles grâce à… une souscription lancée par la CGT, bien évidemment. “C’est peu connu, mais c’est un film qui est issu du Front populaire et qui a été financé en partie par des souscriptions des camarades”, lâchera Martinez avant de continuer, sans s’arrêter, sa prise du Palais et de la salle Buñuel, sa veste noire posée sur son épaule. Et de sourire tout en maîtrisant son effet : “Beaucoup de messages en une journée, hein ?”
Par Brieux Férot / Photo : DR / IHS-CGT
Maciej Dakowicz est un photographe, globe-trotter et galeriste polonais basé à Mumbai, en Inde. Il est l’un des fondateurs de la Third Floor Gallery à Cardiff et un membre de In-Public, le collectif international de street photography. Le 25 avril dernier, il était en déplacement à Katmandou, au Népal, là où la Terre a tremblé. Il raconte, en mots et en images.
“J’étais au Népal pour animer un atelier de street photography et photos de voyage d’une semaine. C’est le sixième jour que c’est arrivé, à 11h57.
On avait passé la matinée à marcher autour de Old City et Durbar Square à Katmandou. On a quitté Durbar Square aux alentours de 11h, puis on est retournés à l’hôtel. On y était, prêts à parler de nos photos quand tout à commencer à bouger, à 11h57. J’étais à l’intérieur de l’hôtel, au cinquième étage, sur le point de descendre les escaliers pour voir mes étudiants. Tout à coup, l’hôtel a commencé à bouger. Je me suis tenu à l’encadrement de la porte, sans vraiment comprendre ce qui était en train de se passer. Les secousses étaient vraiment fortes, j’avais peur que le plafond ne me tombe sur la tête, parce qu’il y avait une grosse fissure. Puis, ça s’est stoppé d’un coup. J’ai couru dans ma chambre, j’ai saisi mon matériel photo et je suis descendu chercher mes étudiants. Un était dans sa chambre, les autres étaient dans le jardin. On nous a dit d’aller dehors dans un espace plus grand, à quelques minutes de l’hôtel, là où les habitants se rassemblaient. On est allés là-bas, avec eux, sans savoir ce qui allait se passer. Il y avait des tremblements fréquents, les gens pleuraient, criaient, priaient quand le sol bougeait, appelaient leurs proches. Personne ne savait vraiment ce qui se passait, il y avait beaucoup de confusion. Parfois, on voyait des gens dans la rue avec des casques courir et transporter des personnes blessées.
Alors, j’ai décidé qu’il était temps d’aller voir ce qui se passait. J’ai couru dans la rue vers un autre endroit, où une maison s’était effondrée. Il y avait une action de sauvetage, les gens essayaient de trouver des personnes ensevelies sous les décombres. Ils ont trouvé une jeune femme, toujours en vie ; elle était sous les gravas avec sa cousine, morte. J’ai photographié la scène comme elle s'est déroulée devant moi, quand ils les ont trouvés. Je suis resté là à prendre des photos pendant un moment. Puis quelqu’un a dit que Durbar Square avait été endommagé. On ne pouvait pas y croire. Alors, on a décidé d’y aller pour voir ce qui s’y était vraiment passé. On n’en a pas cru nos yeux: de nombreux temples et monuments historiques étaient complètement détruits, ça ressemblait à une zone de guerre. Le chaos. Plusieurs personnes exploraient les débris, à la recherche de survivants. J’ai passé le reste de la journée au square, à essayer de capter la tragédie. Quand il a commencé à faire nuit, je suis retourné à l’hôtel. Les employés nous ont dit qu’il était trop dangereux de dormir à l’intérieur, le tremblement de terre pourrait encore frapper. On a dû dormir dans la rue, en face de l’hôtel. Beaucoup d’habitants de Katmandou ont passé la nuit dehors. Il faisait froid, il a rapidement commencé à pleuvoir, aussi. Avec d’autres personnes, on est rentrés dans le hall de l’hôtel. Le sol a continué à bouger, souvent, et on devait vite sortir à chaque secousse, de peur que l’hôtel ne s’effondre sur nous. Une nuit de frayeur. Sans dormir.
Le lendemain, il y a eu encore beaucoup de secousses et vers 14h, un autre tremblement de terre, aussi violent que le premier. Par chance, j’étais alors avec mes étudiants dans un restaurant en plein air, le seul servant de la nourriture qu’on ait trouvé ; on était en train d’attendre notre déjeuner. Le sol a commencé à fortement bouger. Encore. Mais aucun bâtiment ne s’est effondré autour de nous. J’ai encore photographié les actions de sauvetage ce jour-là, à Durbar Square et Dharahara Tower. La nuit, on a encore dormi sur le sol du hall de l’hôtel, on a encore couru dehors à chaque fois que l’on ressentait une secousse. Il y avait beaucoup de fissures sur les murs de l’hôtel.
Le jour suivant, les employés nous ont dit que l’on ne pouvait plus rester là, c’était devenu trop dangereux, l’hôtel était trop endommagé. La plupart de mes étudiants ont décidé de quitter Katmandou, ont essayé d’attraper un vol le plus tôt possible. J’ai décidé de rester. J’ai trouvé une petite maison d’hôte sur un étage. Il n’y avait pas d’électricité mais l’immeuble semblait solide. J’ai choisi de dormir à l’intérieur, dans la chambre, dans le lit. J’étais tellement fatigué après deux nuits sans dormir… J’ai dormi habillé, prêt à fuir aussi vite que possible au cas où un autre tremblement de terre surviendrait. Heureusement, rien de sérieux n’est arrivé, juste quelques petites secousses… Ce jour-là, un magazine allemand m’a demandé un travail à propos du tremblement de terre, et j’ai quitté Katmandou pour aller voir les dégâts causés dans les villages de montagne, près de l’épicentre. Mais c’est une autre histoire."
Par Maciej Dakowicz
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Rassemblement dans un petit square dans la zone de Chhetrapati quelques minutes après le tremblement de terre. Les gens fuient leurs maisons pour rejoindre des endroits où le risque d’effondrement est moindre.
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Une action de sauvetage dans une maison effondrée dans la zone de Chhetrapati, au centre de Katmandou, juste au sud du cœur touristique, Thamel. Quatre personnes sont alors probablement bloquées dans la maison. La femme au premier plan est décédée dans l’effondrement, l’autre a survécu. Cette photo a été prise une heure et demie après le tremblement de terre.
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Un homme extrait sauf d’un temple en ruines à Durbar Square et placé dans une ambulance.
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Les équipes de sauvetage et les bénévoles enlèvent des poutres et des gravas d’un temple ancien Kasthamandap effondré afin de pouvoir y chercher des survivants. Un programme de don du sang avait lieu dans le bâtiment à ce moment-là.
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Actions de destruction et de sauvetage à Durbar Square, le jour du tremblement de terre.
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Des touristes qui ont aidé lors des actions de sauvetage se prennent dans les bras à Durbar Square à la fin de la journée. De nombreux étrangers se sont joints aux secours dans tout le Népal.
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Opérations de sauvetage à Kasthamandap, un temple ancien détruit à Durbar Square.
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Les équipes de secours sortent des corps des débris du temple ancien Kasthamandap, à Durbar Square.
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Une jeune femme prend un selfie sur les ruines d’un temple ancien à Durbar Square.
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Un soldat népalais en haut d’un temple détruit, à Durbar Square.
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Des touristes étrangers dorment sur une route devant leur hôtel dans la zone de Chhetrapati, au centre de Katmandou, inquiets pour leur sûreté, la nuit après le tremblement de terre.
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Une famille à Durbar Square lit dans le journal le rapport sur le tremblement de terre, qui a eu lieu la veille. Elle a passé la journée et la nuit à cet endroit.
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Des personnes observent les opérations de sauvetage sur le site de la tour Dharahara, effondrée. “No More Earthquakes” est écrit sur le pare-brise sale d’une voiture garée tout près, dans la vieille ville, le lendemain du tremblement de terre. La tour était une attraction touristique populaire. En s’effondrant, elle a enseveli de nombreux visiteurs et autres personnes.
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Un homme cherche de la nourriture dans les ruines d’un magasin le lendemain du drame. La situation concernant la nourriture et l’eau a été vraiment difficile les premiers jours.
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Autour de Durbar Square.
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Le jour d'après.
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Un jeune couple d’étrangers assis sur le trottoir dessine les monuments endommagés à Durbar Square.
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Une équipe de secours de l'armée découvre un autre corps en haut d'un temple, plus de 24 heures après le drame. Au même moment, une télévision étrangère fait un reportage sur le site. Les médias ont commencé à arriver le lendemain du tremblement de terre.
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Un camp, dans une école, pour les habitants qui vivent dans la vieille ville, le deuxième jour qui a suivi le drame. Les gens sont restés là, à attendre que les répliques s'arrêtent. Ils y sont restés deux jour et deux nuits.
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Le deuxième jour après le tremblement de terre. Le sauvetage est organisé par les habitants et les touristes étrangers.
Vue sur le monument historique Gaddhi Baithak, à Durbar Square, le deuxième jour suivant le tremblement de terre.
Mourad Boudjellal est un homme stressé, mais un homme heureux. Le RC Toulon, dont il est le président depuis 2005, a remporté samedi son troisième titre européen de suite face à Clermont (24-18), une première dans l’histoire du rugby. Le Varois de 54 ans savoure et glisse quelques mots-clés : Columbo, Moyen Âge, picole et jet privé.
Par Matthieu Pécot
Mourad Boudjellal est heureux.
On a presque plus parlé du fait que vous étiez enfermé seul dans le vestiaire de Twickenham pendant tout le match que de la victoire du RCT en elle-même. Concrètement, vous avez fait quoi dans ce vestiaire ?
Je n’étais pas du tout au courant qu’on avait autorisé les caméras dans le vestiaire. Je ne sais pas qui de chez nous a pris cette décision ! Il y avait un petit écran pas loin de moi. Quand Clermont dominait, je me retournais, je ne voulais pas voir ça. Tant que le bruit dans le stade ne montait pas, c’était bon signe. Il n’y a que quand on avait le ballon que je regardais l’écran. Je suis sorti du vestiaire une ou deux minutes mais c’était impossible d’aller plus loin. J’ai fait demi-tour et je suis retourné dans le vestiaire jusqu’à la fin du match.
Vous avez pris le temps de revoir le match depuis ?
Oui. Et je regrette de ne pas l’avoir vu en direct, je suis vraiment con ! Là, je l’ai regardé comme un épisode de Columbo : je connaissais l’identité du coupable dès le début mais je me demandais comment on allait en arriver là.
Mais pourquoi le stress vous ronge-t-il à ce point ?
Je redoute ces matches dès le début de la saison. Enfin, d’abord, je redoute de ne pas y être ! Mais oui, savoir qu’on peut tout perdre sur un match, c’est une torture. Un match à élimination directe, c’est un vrai poison. J’ai investi 7 millions dans ce club. Si ça n’avait pas marché, ça aurait été une catastrophe. J’ai mis en danger ma famille. Et puis, j’ai pris des coups. On m’entend souvent parler avant les matches. Tout ça, je le fais pour protéger les joueurs. Je ne m’investis pas à moitié. Vraiment pas.
La fierté de ce troisième titre européen de suite, c’est quoi ? Avoir gagné sans Jonny Wilkinson ?
C’est d’avoir gagné avec une vraie équipe, une équipe multi-raciale. J’ai toujours dit que je me sentais plus proche de quelqu’un qui est né à 10 000 kilomètres de chez moi mais qui est sur la même longueur d’ondes que moi, plutôt qu’un voisin dont je n’ai rien à foutre. Le monde de demain, c’est ça. On est tous les mêmes. Aujourd’hui, tous les enfants de la planète ont les mêmes références culturelles. Tout s’universalise. On mettait plus de temps pour aller de Toulon à Paris au Moyen Âge qu’on en met aujourd’hui pour faire Paris-New York.
La joie de Mourad Boudjellal, en 1/2 finale face au Leinster, au Stade Vélodrome.
Une partie du public continue d’estimer que Toulon a une équipe de mercenaires et résume votre club à sa puissance financière…
Il y a des présidents de rugby richissimes, ce n’est pas une tare ! Seulement, certains ne l’ont pas encore compris. Déjà, par définition, le mercenaire est payé pour défendre une cause qui n’est pas la sienne. Or, là, on n’est pas dans ce cas de figure. À Toulon, on n’a pas de milliardaire qui nous aide. Au lieu de dire qu’on est un magnifique modèle économique, on nous reproche d’acheter de très bons joueurs. C’est une forme de racisme parce que ce sont à chaque fois les étrangers qui sont visés. Quand un international français va de Toulouse à Clermont, on entend moins ces critiques. Par les temps qui courent, ça me dérange. Au rugby, il y a un modèle très conservateur qui est en place. On a l’impression que le club est au service de l’équipe de France. Comme si on avait une mission de délégation publique !
On entend souvent vos joueurs, comme le Sud-Africain Bakkies Botha dimanche dernier, remercier tout le département du Var. Est-ce que partager votre amour pour le pays varois dès qu’un joueur arrive de l’étranger est votre secret pour l’intégrer au RCT ?
Quand Bakkies dit ça, il s’agit d’une démarche personnelle. Je ne donne aucune consigne. On n’a pas de spécialiste en communication chez nous. Quand un joueur arrive, on lui explique l’histoire de ce club, mais ça s’arrête là. Le rugby, c’est un théâtre. C’est une salle pleine qui vibre. La magie opère quand il se passe un truc entre les acteurs et le public. Mais il n’y a pas de stars à Toulon. Honnêtement, notre fonctionnement est celui d’un club de Fédérale 1. Jonny Wilkinson, si on devait faire douze heures de bus, eh ben il faisait douze heures de bus. Il ne faut pas croire qu’on passe notre vie à se déplacer en jet privé.
Au fait, à quoi a ressemblé votre journée de dimanche, le lendemain du triplé ?
On est arrivés à 5h15 à l’aéroport (de Hyères-Toulon, ndlr). À 6h15, je me couchais. Le réveil a sonné à 9h. Avant de boire mon café, je suis allé acheter la presse, en espérant qu’il reste des journaux. Ça fait partie des petits bonheurs car je m’attendais évidemment à ne lire que des choses positives. Puis, j’ai donc bu mon café en lisant, et en flattant mon ego. Je suis ensuite allé faire le marché du Mourillon. Après, j’avais privatisé un lieu pour qu’on puisse fêter ça, picoler un peu. J’ai remis ça le soir avec des amis très proches. À 21h50, j’ai reçu un SMS qui me disait que j’étais l’invité du Grand Journal le lendemain, alors j’ai arrêté de picoler. Voilà, la fête a duré un jour. Mais depuis, je ne pense qu’au prochain match de Top 14, contre Castres.
RCT-Castres Olympique, samedi à 14h45.
Par Matthieu Pécot
Aujourd'hui, c'est la journée mondiale Sans régime. Une sorte de permission de manger ce que l'on veut comme on veut, en oubliant la dictature de la minceur. Et comme la première chose que l'on cherche en emménageant dans un nouveau quartier, c'est le grec le plus proche, quelque part, c'est aussi un peu notre fête. La preuve.
Par Noémie Pennacino, Matthieu Pécot et Michaël Simsolo
On se demande pourquoi certains légumes s’appellent “légumes oubliés” et pas les autres.
Un repas, c’est du salé, puis du sucré. Triangolini de Belin et Pim’s orange, ça marche.
On commence à trouver ultra-chiantes les filles qui font du sport sur Instagram.
Devant Top Chef, on dit souvent “Quel nul, moi j’aurais plutôt fait une escabèche de foie gras avec une mousseline amande-betterave” tout en trempant nos coquillettes dans de la sauce samouraï.
Ah bon, y a du vinaigre dans la vinaigrette ?
Pour nous, la carbonara, c’est de la crème fraîche et des lardons. Et de la crème fraîche. Et des lardons.
Il manque un petit truc aux donuts pour qu’on les apprécie vraiment. Le milieu.
On peut rire de tout, mais pas blaguer avec la matière grasse.
On n’a jamais fini un sachet de salade.
Et non, on n’achète pas de “vraies salades”. On a tenté le coup une fois, ça nous a pris un rouleau d’essuie-tout entier pour l’essorer.
Pendant longtemps, on a cru que William Saurin était un ami de la famille, voire un cousin.
Notre repas d’hier soir : du jambon de poulet au four et aux herbes avec du maïs à poêler. Notre repas de ce midi : du jambon de poulet au four et aux herbes avec du maïs à poêler. Parce que si on attend trop, un paquet de quatre tranches de jambon ouvert, c’est deux tranches de jambon de perdues.
On apprécie de temps en temps un petit cassoulet en boîte, avec des biscottes émiettées dessus pour faire la panure.
On considère les Skittles comme des fruits.
On aime bien les pommes. C’est le truc sous le sucre rouge à la fête foraine, c’est ça ?
Puisqu’il y a de la pulpe dans l’Orangina, ça doit être du 100% pur jus pressé.
Le café n’a de sens qu’accompagné d’un petit chocolat. Ou de dix-huit.
Bien sûr qu’il faut faire attention à son beach body. Le nôtre est ready : tout plein de crème solaire.
Ah ça, c’est sûr qu’on va pas se plaindre de la mode des burgers.
Parfois, on est seul(e) mais on commande pour deux personnes pour pas que le livreur croie qu’on a une vie de merde.
Pour nous, la pizza est une entrée.
On n’a pas besoin de faire la vaisselle, on sauce.
Il paraît que les carottes rendent aimable et le poisson, intelligent. On est bête et méchant.
Le fromage blanc, c’est bon pour la santé. Tant mieux, le Caprice des Dieux est notre drogue préférée.
Le Coca-Cola n’est rien d’autre que de l’eau. Gazeuse et aromatisée.
Au restaurant, on consulte la carte des desserts en premier. Ensuite, on hésite entre les six pendant tout le repas.
Mine de rien, s’enfiler douze pains au chocolat en douze minutes, c’est du sport.
Salade, tomate, oignon. Ça fait déjà trois légumes en un seul repas.
“Selon des scientifiques de l’université de Californie du Sud, manger des fruits entraînerait une sensation de faim accrue.”
Notre catéchisme, on l’a fait avec le père Dodu.
On a beau préférer la mer à la campagne, entre la bouillabaisse et le pâté, on est infoutu(e) de faire un choix.
On prend tout ce qu’on nous dit au pied de la lettre, et comme apparemment, il n’y a pas d’heure pour en manger, du Bâton de berger…
After Eight, c’est Nine. Comme le nombre par lequel il faut les manger.
Quand on est six, on commande huit pizzas. Plus, ça ferait trop. Vu qu’il y a le plat et le dessert après, en plus.
On connaît la réponse à la question : “Entre la charcuterie et Roaccutane, qui gagne ?”
Mais t’avais dit qu’on ferait des Knackis 🙁
On a établi un classement très sérieux entre le Mc Chicken, le Long Chicken, le B.O.S.S. et le Crispy Chicken.
On a découvert y a pas longtemps que l’expression, c’était Thank God it’s Friday et pas Thank God it’s fries day.
Trente secondes dans la bouche, trente ans sur les hanches. Ça vaut tellement le coup.
Nos collègues nous appellent l’homme/la femme-sandwich. Et c’est pas parce qu’on s’habille avec des pancartes.
Si on ne pouvait emmener qu’une chose sur une île déserte, ça serait des cacahuètes.
On ne voit vraiment pas comment on peut faire du croquang gourmang sans gluten, ni huile de palme, ni lactose, ni calories.
On est limite un peu déçu(e) de pas avoir déposé le brevet des treize desserts de Noël.
On mange les croûtes de pizza des convives qui n’aiment pas ça.
On boit la pâte à crêpes.
La vie, c’est comme une boîte de chocolats : plein de petits bonheurs.
Par Noémie Pennacino, Matthieu Pécot et Michaël Simsolo
Amante de Jim Morrison, d’Ed Ruscha ou d’Harrison Ford, protégée de Grover Lewis, muse du château Marmont, Eve Babitz était “une petite blonde de 18 ans de Sunset Boulevard. [Elle est] aussi écrivain.” Gallmeister vient de traduire son deuxième roman : Jours tranquilles, brèves rencontres.
18 octobre 1963, Pasadena Art Museum de Los Angeles. Il est tôt quand arrive en voiture une jeune fille d’à peine 20 ans, les yeux bouffis d’alcool et le geste lourd. Quelques heures avant, elle sirotait du champagne avec le L.A. mondain à la soirée d’ouverture de la rétrospective consacrée à Marcel Duchamp. Mais elle n’a pas passé une bonne soirée : elle a trop bu, de rage, vexée de ne pas avoir été conviée au vernissage VIP, qui s’est déroulé quelques jours auparavant. Walter Hoops, curateur de l’exposition et accessoirement amant de 11 ans son aîné, a omis de l’inviter. Contrairement à Andy Warhol et Dennis Hopper. De toute façon, Walter ne répond plus à ses appels depuis que sa femme a débarqué. Sauf qu’aujourd’hui, elle, Eve Babitz, ingénue à peine sortie du lycée, a rendez-vous avec Julian Wasser, photographe au Time. Il n’est pas plus de 8h30 mais il fait déjà plus de trente degrés dans la salle principale, où il l’attend. À ses côtés, Marcel Duchamp tout de noir vêtu, au beau milieu de sa propre rétrospective, assis devant un jeu d’échec sur une table en bois. La jeune fille est invitée à s’asseoir face à l’auteur de Nu descendant un escalier et à enlever ses vêtements. Pour une partie d’échec. La photo est prise ; représentative de la révolution artistique de Duchamp, elle deviendra iconique. Eve s’en fout, elle sait à peine qui est ce Français avec qui elle parle de L’oiseau de Feu de Stravinsky – son parrain – pendant qu’il lui inflige trois échec et mat d’affilée. Elle tient sa revanche.
Si elle devient “the nude girl” un peu par hasard, Eve Babitz n’était certainement pas destinée à rester dans l’ombre bien longtemps. Née sur Bronson Avenue à Hollywood, d’un père premier violon de l’orchestre de la 20th Century Fox, Eve va à pied au lycée chic d’Hollywood High, où elle fume des joints avec les enfants de l’élite bobo. Dans ce Los Angeles “charmant où les lupins violets et les coquelicots rouges fleurissent sur les collines”, les deux filles Babitz “ont la liberté de descendre Hollywood Boulevard pour glisser leurs mains dans les traces de Marilyn Monroe”, se souvient aujourd’hui Mirandi, la cadette. Le week-end, leurs
Dans la vie de tous les jeunes hommes, il y a une Eve Babitz. Généralement, c’est Eve Babitz
Earl McGrath
parents les emmènent pique-niquer avec Charlie Chaplin et Greta Garbo. Vera Stravinski leur apprend à manger du caviar. Pendant que les sœurs bronzent à Venice, leur mère dessine au crayon les détours des buildings de Los Angeles. Cette ville qui obsédera les Babitz, et que Mirandi décrit aujourd’hui comme on parlerait de Paris dans les années 20 : “C’étaient plein d’intellectuels, d’artistes, de musiciens, de fêtes et d’alcool. Oui, un Paris des années 20 délocalisé à Nice pour la météo.” Avant même de quitter le lycée, Eve est l’une de ces it-girls dont les histoires commencent toujours par “J’étais là par hasard et j’ai rencontré Machin”. Mais elle n’est jamais vraiment là par hasard : elle est belle, voluptueuse, lit Virginia Woolf, a une tendance à dire oui à tout et un don pour reconnaître le talent. Le succès de Bret Easton Ellis, celui des musiciens Jim Morrison et Michael Franks, elle les avait vu venir. La rencontre Frank Zappa et Salvador Dalí, c’est elle. Quand arrivent les années 60, elle est déjà – selon la formule de Vanity Fair – une “Edie Sedgwick coupée avec Gertrude Stein avec un peu de Louise Brooks”. Comprendre une groupie professionnelle, moins bête qu’elle en a l’air, dont tous les garçons un peu intelligents tombent éperdument amoureux. Elle est la Lolita de toutes les coming-of-agestory du coin, la Penny Lane de tous les groupes de rock en ville. L’amante de Jim Morrison, d’Ed Ruscha, ou d’Harrison Ford. Earl McGrath, ancien directeur de Rolling Stone Records, résume le personnage ainsi : “Dans la vie de tous les jeunes hommes, il y a une Eve Babitz. Généralement, c’est Eve Babitz.”
Écrire pour le plaisir
Aujourd’hui, on ne croise plus l’ancienne muse au bar du château Marmont. Même pour parler de ses cinq romans. “Victime d’un très grave accident en 1997, Eve Babitz vit recluse depuis dix ans, ne parle quasiment à personne, ne sort quasiment pas de chez elle et alterne visiblement des phases de bonne humeur et de dépression. En plus, elle ne possède pas d’adresse e-mail”, pose d’emblée Gallmeister, l’éditeur Français de Jours tranquilles, brèves rencontres. Si désormais, elle n’écrit plus et que ses romans sont presque introuvables aux États-Unis, Babitz a su très en amont s’attirer de respectables admirateurs. Depuis qu’elle lui a écrit une courte lettre en 1961 – “Dear Joseph, je suis une petite blonde de 18 ans de Sunset Boulevard. Je suis aussi écrivain.” – Heller, l’auteur de Catch-22, est fan. Finalement, c’est Grover Lewis de Rolling Stone qui lui offre sa première publication, impressionné par le style de celle qui restera l’une de ses protégées. Puis vient 1974 et son premier roman, sobrement intitulé Eve’s Hollywood. Le New York Times l’adoube – “Babitz écrit avec la douloureuse urgence de l’adolescence et la perspective lucide d’une femme plus mature” – alors que le Los Angeles Times y voit une “Madame de Sévigné transposée au
Les gens avec un cerveau sont à New York, ceux avec un visage sont à l’Ouest
Eve Babitz
château Marmont, déjeunant, aimant et pleurant à Hollywood, ce Versailles des temps modernes”. On la compare à Nathanael West et Joan Didion pour le décor californien, à Scott Fitzgerald “dans l’élégance du phrasé, dans l’apparente simplicité qui font le style, et cette capacité à capturer une ambianceet une époque dans des livres qui ne vieillissent pas”, remet aujourd’hui son éditeur français Philippe Beyvin. De l’air du temps, Eve avait déjà les références pop culture (“Venice ressemblait cet été-là à une toile de Hopper”) et un sens inné de la punchline (“Le seul moment où les hommes tombent amoureux des roses, c’est dans les publicités pour les poires vaginales”). Pourtant, Los Angeles n’est pas une ville d’écrivain et Eve ne sait pas vraiment pourquoi elle écrit. D’ailleurs, quand on lui demande comment elle s’y prend, elle répond en souriant : “À la machine à écrire les matins où il n’y a rien d’autre à faire.” La tradition littéraire américaine réside plutôt sur l’autre côte, à New York où se croisent à l’époque Kerouac, Ginsberg et Burroughs. Selon ses propres mots : “Les gens avec un cerveau sont à New York, ceux avec un visage sont à l’Ouest.” Mais Hollywood, cette industrie qui a avalé nombre d’écrivains de talent, jusqu’à tuer Scott Fitzgerald, plaît à Eve. Elle y aime la chaleur, “cette immuable, maussade et détestable uniformité”, “ce temps de tremblement de terre”. D’après elle, “les gens qui aiment Los Angeles sont des gens sensuels”.
La facilité ne peut s’encombrer de la célébrité
Quand, en 1977, Jours tranquilles, brèves rencontres paraît, Eve a choisi une vie facile, elle ne cherche pas vraiment à réussir. Elle a 34 ans, prend du Quaalude pour se détendre, a beaucoup d’amis dépressifs. Le journaliste Dave Hickey explique à Vanity Fair pourquoi Eve n’est jamais devenue Fitzgerald : “Elle est souvent sous-estimée parce que son style est tellement serein. Il n’y a jamais une hésitation.” Lorsqu’elle écrit, tout paraît trop facile. Alors, Eve se contente de raconter ses journées, ses soirées, ses amants, ses théories. Entre autres : “Je pense que l’adultère est un art. En France, ils jouent plus ou moins cartes sur table et ennoblissent les liaisons amoureuses en tant qu’aventures créatives car pour la plupart des gens, ce sont les seules aventures créatives qu’ils vivront de leur vie.” Si elle n’a jamais pris sa carrière d’écrivain très au sérieux, en amour, Babitz a fait le tour de la question. D’ailleurs, elle est seule. Mais seule par choix, l’un de ceux qu’elle raconte dans ces mémoires déguisées en nouvelles : “En roulant vers chez moi, dos à la gigantesque chauve-souris orange du coucher de soleil à l’est d’Olympic Boulevard, à l’heure de pointe, je décidai que trop c’était trop – je me contenterais des couchers de soleil de Los Angeles et cesserais de chercher ce quelqu’un qui ne me dérangerait pas.”
L’ancienne it-girl des soirées privées ensoleillées n’est donc jamais devenue aussi connue que ceux qu’elle fréquentait. Vingt ans avant qu’arrive 1997 et l’accident de voiture qui lui fera renoncer à la compagnie du monde, elle avait déjà tiré un trait sur la question, sans regret : “J’ai compris que ce qu’il y avait de véritablement affreux avec le succès est qu’il ait représenté durant toutes ces années ce qui viendrait tout arranger.” “Je ne suis pas devenue célèbre, mais je m’en suis suffisamment approchée pour sentir les relents du succès. Ça sentait le tissu cramé et les gardénias rances.”
Par Hélène Coutard
Avant de se lancer dans le "combat du siècle" à corps perdu, mieux vaut se renseigner sur les termes qui le régissent.
Par Matthieu Pécot, Michaël Simsolo et Noémie Pennacino
La boxe : sorte de bagarre de Russes sur YouTube mais avec des règles de gentlemen.
Le direct : coup de poing dans la gueule.
Le crochet : coup de poing dans la gueule. Mais par le côté.
Le swing : coup de poing dans la gueule. Mais par le grand côté.
L’uppercut : coup de poing dans la gueule. Mais par le menton.
Le jab : coup de poing dans la garde.
La garde: meurt mais ne se rend pas.
La remise : application stricte de la loi du talion.
K-O : contraire de O.K.
Le K-O cérébral :cf. David Hasselhoff qui mange un burger à 4h du matin.
L’arbitre : mec qui prend les décisions, vêtu comme s’il allait au mariage de sa belle-sœur.
L’esquive : mouvement permettant d’éviter un coup. A permis à Kechiche de rafler quatre César.
Le round : période d’essai de trois minutes renouvelable.
Les chaises pliables : premières loges.
Le break : allégorie du divorce où l’arbitre (le juge aux affaires familiales) donne l’ordre aux deux combattants (les époux) de se séparer.
Le gant : abri à main. Souvent par paire.
Le pressing : lavage de cerveau.
Une touche : caresse qui compte.
Le cross : collision frontale entre deux poids lourds.
Jeté de serviette : lance les hostilités chez Patrick Sébastien, y met fin sur le ring.
La conférence de presse : “Je te tiens tu me tiens par la barbichette, le premier qui rira aura une tapette” sans tapette.
La corde à sauter : victoire de l’homme sur la fillette.
Le sparring-partner : punching-ball humain.
Le une-deux : crochet gauche dans la gueule – crochet droit dans la gueule.
La faute : quand la boxe redevient une bagarre de Russes sur YouTube.
Sauvé par la cloche : quand un boxeur en grande difficulté est sauvé par la fin d’un round. C’est à ce moment-là que la cloche entre en scène avec une pancarte dans les mains.
La feinte : simulation. Technique de footballeur.
La ceinture : couronne abdominale.
Le protège-dents : airbag buccal.
Le compte : allégorie inversée de la mise au lit d’un enfant. Ici, l’arbitre (le père) compte jusqu’à dix pour que le boxeur (l’enfant) se lève.
L’Oreille cassée : aventure de Tintin, mésaventure d’Evander Holyfield.
La maladie de Parkinson : complément retraite.
Le ring : poste de travail.
Les muscles : outils de travail.
L’Américain : sandwich comprenant du steak hâché et des frites.
Le Philippin : prédécesseur du Philippe II.
Arrêt de l’arbitre : décision de stopper le combat lorsqu’un des deux boxeurs se vide de son sang ou titube comme s’il sortait d’un bar PMU à 23h après y être entré à 14h30.
Par Matthieu Pécot, Michaël Simsolo et Noémie Pennacino
Parce que tout le monde n'a pas la chance d'être insomniaque, Society vous offre des conseils avisés afin de dompter la fatigue et les 12 000 chaînes du câble.
Par Matthieu Pécot, Noémie Pennacino et Michaël Simsolo
Samedi
12h40 : huit heures de sommeil pur, 40 minutes de snooze, le moment est venu de quitter ce matelas et de brosser ces dents qui sentent le vendredi soir. Compensez le chagrin d’avoir raté la finale des Z’amours en vous offrant dix minutes des Douze coups de midi avec Jean-Luc Reichmann sur TF1.
13h : si vous croisez votre silhouette dans le miroir de votre salle de bain, laissez-vous aller à une petite démonstration : jab, direct, uppercut, crochet du gauche. Regard noir. À côté de vous, Vincent Cassel est une mauviette. Pensez néanmoins à essuyer le dentifrice collé sur votre menton et demi.
13h30 : un grand rayon de soleil dehors ? Bullshit (foutaises). Organisez un parcours dans ce 30 mètres carrés de manière à y faire votre footing : quelque 600 tours de table basse peuvent faire l’affaire.
14h : prière de prendre une douche merci. Si vous croisez Vincent Cassel, ne vous laissez pas intimider et dites-lui que oui, c’est à lui que vous parlez.
14h30 : mangez des pâtes. Feuilletées, brisées, sablées, peu importe. Paraît que c’est comme ça que les champions s’alimentent. Et si votre smoothie de blancs d’oeufs a du mal à passer, rassurez-vous devant Cauchemar en cuisine sur Paris Première.
15h : vous méritez bien cette pause canapé. L’appel de la sieste vous fait zapper sans réfléchir. Jusqu’à ce qu’un programme proposé par RMC Découverte vous interpelle : Les bûcherons du marais. Passez votre chemin, pensez à votre influx nerveux. Le combat débute dans moins de quinze heures.
15h05 : la curiosité étant votre joli défaut depuis que vous avez laissé la gourmandise prendre le contrôle de votre vie, vous décidez quand même d’y jeter un œil. Déception, il ne s’agit pas d’un documentaire sur les Village People, mais bien d’une émission sur de vrais bûcherons, dans un vrai marais.
15h15 : rraaaah vous hésitez. TF1 vous titille avec La dernière prétendante, son “téléfilm de suspense” sans suspense. Mais prenez plutôt en marche le train du marathon Faites entrer l’accusé sur France 2. Une valeur sûre. Et c’est pas les frères Jourdain qui diront le contraire.
17h : qu’aurait été Mike Tyson sans Don King, Rocky Balboa sans Mickey Goldmill ou Georges-Alain Jones sans Matthieu Gonet ? Pas grand-chose. Puisque les vertus du travail d’équipe vous ont visiblement échappé, coltinez-vous 55 minutes de Tous Ensemble, présenté par Marc-Emmanuel sur TF1.
18h : un petit creux ? Ouvrez un paquet de noix de cajou, ce trait d’union entre l’après-midi et la soirée. Accordez-vous une parenthèse d’une demi-heure sur OFIVE, le temps de voir trois fois Actin Crazy d’Action Bronson. L’atmosphère aidant, retirez votre peignoir et faites une série de trente pompes.
18h30 : ben voilà, vous avez raté la première mi-temps de Clermont-Toulon sur France 2. De toute façon, c’est le RCT qui va l’emporter, vous le savez depuis le début. Profitez de ce manque de suspense pour vous poser une vraie question : si Manny Pacquiao (1,69 m, 65 kg) et Floyd Mayweather (1,73 m, 68 kg) croisent dans la rue Mathieu Bastareaud (1,83 m, 120 kg) et Bakkies Botha (2,02 m, 124 kg) et que le courant ne passe pas, qui gagne ?
23h12 : vous vous étiez promis de tenir le coup mais le sommeil est une maladie qui frappe sans prévenir et à côté de laquelle l’AVC est une récréation. Bref, vous avez la marque du coussin sur la moitié du visage et douze appels en absence. Mais surtout énormément faim. La facilité est de se tourner vers l’option bol de céréales mais vous n’avez plus 12 ans et plein d’idées. Va pour un coq au vin. Ou un sandwich Apéricube/blanc de dinde selon ce que vous propose votre frigo. Oubliez le coq au vin. Et remplacez les Apéricube par de la mayo KFC.
Dimanche
0h : Ding dong, c’est l’heure du journal du hard sur Canal+.
0h15 : Puisque Le Baiser d’Ovidie avec Tiffany Doll et Madison Young, vous l’avez déjà vu, filez sur M6 découvrir cette énième série de flics au soleil qui porte le nom du Skyblog que vous aviez lancé en 2003 : Hawaii 5-0 (vous habitiez dans la Manche à l’époque). Deux étoiles Télé Loisirs, quand même.
0h30 : Les Simpson sur W9. Ça faisait longtemps.
1h45 : À cette heure-là, le service télévisuel a décidé de vous emmerder. Allez faire un tour du côté des chaînes que vous n’avez pas, enfin pas toujours, enfin ça dépend, parfois sans faire exprès vous tombez dessus et ça marche sans que vous sachiez comment ni pourquoi. L’incroyable famille Karsashian, sur E!. C’est parfait. Ça vous réconciliera peut-être avec l’hypnose.
1h46 : À votre avis, c’est Bakkies Botha.
2h : Le timing va être serré mais sur beIN Sport 1, il y a le match 7 du premier tour des play-offs entre les Clippers et les Spurs. Avec un peu de chance, Kawhi Leonard va plier ce ringard d’albinos de Blake Griffin en une mi-temps et vous allez pouvoir arriver à l’heure à votre rendez-vous du siècle.
3h: au fait, avez-vous vérifié que vous aviez bien Ma Chaîne Sport ?
Par Matthieu Pécot, Noémie Pennacino et Michaël Simsolo
Lancé par l’ingénieur néerlandais Bas Lansdorp, le projet Mars One vise à installer une colonie humaine sur la planète rouge à l’horizon 2024. Il serait financé essentiellement par l’exploitation médiatique de l’expédition, façon téléréalité. Si de nombreux spécialistes ont de sérieux doutes sur l’aboutissement de l’opération, Tatiana Medvedeva, présente dans la short list des 100 candidats toujours en lice, y croit fort. Explications.
Par Vincent Riou
Tatiana regarde le Soleil depuis la Terre. Pour l’instant…
Où avez-vous grandi ? Quelle est votre histoire personnelle ?
Je suis née en Union soviétique, un pays qui n’existe plus. Et je n’ai jamais vécu plus de six ans au même endroit. Après avoir voyagé et travaillé dans énormément d’endroits, je me considère comme citoyenne du monde, même si, officiellement, je suis toujours russe.
Vous avez étudié en Russie ?
Oui, j’ai obtenu ma licence et mon master à l’Institut de physique et de technologie de Moscou. En parallèle, je travaillais dans un laboratoire de recherche à l’Institut de théorique et de physique expérimentale. Puis, je suis partie aux États-Unis, à l’université de Princeton, où j’ai obtenu un master et un doctorat. Je reste aujourd’hui attachée à cette université en tant que chercheuse post-doctorat, bien que je sois basée au Conseil européen pour la recherche nucléaire (CERN) à Genève. Donc, actuellement, je suis impliquée dans le développement de nouveaux détecteurs de particules.
Vous intéressez-vous depuis longtemps à l’espace ? Vous imaginiez-vous y aller un jour pour travailler ?
Je ne me suis jamais passionnée pour l’espace. En fait, je faisais partie des rares enfants qui ne rêvaient pas d’être un jour cosmonaute. Cependant, il y a quelques années l’Agence spatiale russe a ouvert les inscriptions à des civils pour devenir cosmonaute. À ce moment-là, je me suis dit ‘pourquoi pas ?’ Mais après y avoir réfléchi, j’ai décidé de ne pas le faire car selon moi, tous les projets portés par des agences spatiales gouvernementales sont totalement obsolètes.
Tous les projets portés par des agences spatiales gouvernementales sont totalement obsolètes
Tatiana Medvedeva
Vous savez que le tourisme spatial est le seul moyen pour vous d’aller dans l’espace. Rêviez-vous de gagner au loto pour pouvoir vous permettre ce genre de voyage ?
Je n’ai jamais souhaité devenir une touriste spatiale ni aller dans l’espace pour la gloire. Si je vais dans l’espace, il faut qu’il existe un but plus profond, plus significatif.
Quelle a été votre première réaction quand vous avez eu écho de cette opportunité ?
Encore une fois, je n’ai jamais réfléchi en termes d’opportunité. C’est juste que, cette fois, le projet est constructif pour l’humanité. Les scientifiques ont, en général, une pensée plus globale.
Pas de problème de logement sur Mars. Juste un peu de vis-à-vis.
Pour financer le voyage spatial des participants, Mars One est aussi un programme de téléréalité. Quel est votre avis sur là-dessus ?
Tout cela est faux. Mars One n’a rien à voir avec la téléréalité. C’est un projet scientifique, technologique, culturel et philosophique sans précédent. Donc il doit être scrupuleusement documenté et la télé sera l’une des meilleures façons de le faire.
Quel genre d’examens avez-vous dû passer pour être sélectionnée ?
Il y a eu des examens médicaux pour éliminer ceux qui avaient une mauvaise condition physique, des maladies chroniques ou des addictions à l’alcool, au tabac, aux médicaments, etc. Les recruteurs nous ont aussi fait passer des tests psychologiques pour vérifier notre résistance au stress, notre capacité à travailler au sein d’une équipe internationale, à réagir en cas de situation critique. Pour la dernière partie des tests, on nous a donné de la documentation sur la planète Mars : sa formation, ses particularités géologiques, son climat, son atmosphère et ses spécificités, l’histoire de son exploration, etc. L’entretien comprenait aussi des questions psychologiques visant à éliminer ceux qui n’avaient pas réalisé du tout que cette mission était une aventure collective et l’engagement de toute une vie, pas une courte aventure individuelle.
Vous allez bientôt savoir si vous ferez partie de ceux qui iront sur Mars. Êtes-vous nerveuse par rapport à ça ?
C’est un peu tôt pour être excitée. Surtout que même ceux qui seront présélectionnés et engagés par Mars One pour l’entraînement ne sont pas certains de partir où que ce soit. Il y a des années d’apprentissage et d’entraînement avant le départ et il n’y aura que quatre personnes dans le premier vaisseau spatial, pas 24. Un grand nombre d’excellents candidats seront éliminés avant que l’équipe définitive ne soit formée.
De nombreux experts portent des réserves techniques et humaines sur ce projet. Pensez-vous que de trop nombreux risques sont pris ?
Il y a toujours un risque d’insuccès quand on projette de faire quelque chose qui n’a jamais été fait. C’est comme ça que les grands accomplissements commencent. En tant que scientifique, j’ai l’habitude de tout ça. Aussi, de nombreux sports comportent des dangers. Pourtant, les athlètes n’abandonnent pas. Comme un alpiniste ou quelqu’un qui fait de l’escalade, je connais cette sensation.
Comment vous sentez-vous à l’idée de dire au revoir à vos amis et à votre famille ? Vont-ils accepter le fait que vous quittiez une vie normale pour quelque chose de dramatique, peut-être sans retour ?
(Rires) Ma vie n’a jamais été normale alors ce n’est pas le moment pour qu’elle commence à l’être. Et j’ai toujours aimé ça. C’est pour cela que je suis devenue scientifique. Je ne connais pas vraiment l’opinion publique mais mes proches sont plutôt optimistes et curieux à propos de cette mission.
Simple mais efficace.
Comprenez-vous que vivre sur une autre planète, dans une communauté restreinte que vous n’avez pas choisie est la définition même du cauchemar pour beaucoup de personnes ? Que leur diriez-vous pour les convaincre ?
Si c’est ainsi que vous imaginez notre avenir… Mais laissez-moi vous rappeler quelque chose : mis à part le fait que tous les candidats partagent la même passion, ils seront répartis dans des équipes basées sur leurs habitudes et leur compatibilité psychologique, puis, passeront des années à s’entraîner ensemble, renforçant ainsi leurs liens d’amitié et leur compréhension mutuelle. Donc, à la fin, l’un de nous devra passer le reste de sa vie avec trois autres personnes qui le connaîtront mieux que son conjoint, ses parents et même ses meilleurs amis. Ça semble plutôt sympa, non ? Ajoutez à ça que cette personne vivra dans un logement confortable avec la plus sophistiquée des technologies, sans jamais se soucier de la politique, de l’économie, des bas salaires, des prêts que l’on doit rembourser, de la nouvelle voiture qu’on doit acheter, des embouteillages, etc. Pour moi, ça ressemble au paradis.
Vous, comme les autres candidats, avez un haut niveau d’éducation et êtes prête à partir. Pensez-vous que les personnes lambda trouvent ça stupide ?
J’ai dit que si le projet retenait l’attention de tant de personnes surdiplômées,
Le futur de notre planète n’est pas très reluisant : nous sommes bientôt à court de pétrole et d’autres ressources
Tatiana Medvedeva
c’est qu’il devait y avoir quelque chose d’important. Tout ce que je peux faire, c’est partager mon opinion et le raisonnement qui m’a conduite à participer à cette aventure. Si l’on interroge vraiment tout le monde : qu’avez-vous fait pour les dix ou vingt générations qui arrivent ? Pourquoi cette question ? Tout simplement parce que le futur de notre planète n’est pas très reluisant : nous sommes bientôt à court de pétrole et d’autres ressources. Le jour du dépassement global (date dans l’année où les ressources renouvelables de la planète pour l’année sont consommées, ndlr) arrive plus tôt chaque année, les signes de réchauffement climatique sont de plus en plus évidents. Toutes ces choses peuvent détruire la civilisation humaine et les solutions pour éviter ça sont, entre autres, de trouver des idées pour renouveler notre propre planète, la Terre, ou trouver une nouvelle maison, une planète habitable, ailleurs.
Malheureusement, tous les dangers ne peuvent être contrôlés par les humains. De puissantes créatures ont déjà habité la Terre avant de s’éteindre. Comme les dinosaures, par exemple. On ne sait toujours pas vraiment ce qu’il leur est arrivé, mais quelque chose de similaire peut nous arriver. Que ce soit une énorme météorite, un âge de glace ou l’explosion d’une supernova. Dans chaque cas, la dispersion de l’espèce humaine sur différentes planètes semble être l’approche la plus sûre pour notre survie.
Est-ce que Mars One répond à tout ça ? Non, certainement pas. Mais c’est un grand pas dans la bonne direction. Les humains devront voyager d’étoile en étoile et peupler des planètes. Et ça passera certainement par des missions sans retour. Donc, voici notre chance de perfectionner notre colonisation dans un nouveau royaume de notre propre système solaire.
Par Vincent Riou
Avocate iranienne spécialisée dans les droits de l’homme, elle a défendu nombre d’activistes et journalistes avant de se voir interdire d’exercer son métier. Nasrin Sotoudeh joue son propre rôle dans le nouveau film de Jafar Panahi, Taxi Téhéran, Ours d’or à Berlin cette année et actuellement en salle. L’occasion de faire le point sur l’évolution de son propre rôle dans la société iranienne.
Par Brieux Férot
Nasrin Sotoudeh
Taxi Téhéran brouille les pistes entre ce qui est vrai et ce qui est mis en scène. Ce dispositif satisfait-il l’avocate que vous êtes ?
Je ne suis pas d’accord. Je pense qu’il y a du vrai dans toutes les scènes : mêmes celles qui ne sont pas vraies sont représentatives de la réalité. Je ne veux pas me prononcer sur un plan artistique mais tout ce qui se passe à l’écran est ce qui se passe dans la société iranienne. La scène qui me concerne, au moment où je rentre dans la voiture, même si je n’étais pas vraiment en train de rendre visite à un prisonnier politique à ce moment-là, est réelle. Là, au moment où je vous parle, juste après cet entretien, je vais rendre visite à un activiste dont je viens d’entendre qu’il a subi une interdiction d’exercer son métier. C’est notre réalité qui est donnée à voir à travers ce film.
Agissez-vous différemment au quotidien depuis que vous êtes devenue un symbole aux yeux des autres ?
Non, je crois vraiment que je n’ai pas changé. Ma démarche est la même, ma façon de travailler est la même. Même si je ne peux plus exercer dans les tribunaux, je continue de me rendre à mon bureau et de recevoir les gens. Je donne des conseils juridiques. Je ne vois pas de différences.
Beaucoup de personnes qualifiées de ce pays se trouvent aujourd’hui en prison alors que leur expertise pourrait être bénéfique au gouvernement
Nasrin Sotoudeh
Est-ce votre incarcération ou le fait de ne plus exercer votre métier après une décision de vos collègues avocats qui vous a le plus meurtrie ?
J’ai été infiniment plus blessée par cette restriction professionnelle et par mes collègues, sous la pression du ministère de l’Information. Après, je comprends très bien les confrères et les consœurs qui ont dû prendre cette décision parce que je sais qu’ils l’ont prise après avoir subi des menaces de toutes parts. En fait, il y a cinq instances sécuritaires qui ont exercé des menaces sur eux : d’abord le procureur de Téhéran, puis le procureur général, le tribunal sécuritaire basé à la prison d’Evin, le gouvernement et le ministère de l’Information, qui n’a cessé de les harceler à mon sujet. Je peux donc tout à fait comprendre qu’ils aient fini par céder à ces pressions et prononcer cette sentence contre moi. Je dois dire qu’aussi bien avant, quand ils me faisaient part des pressions qu’ils subissaient, que depuis cette sentence, je continue de les rencontrer, d’avoir de bonnes relations avec eux et de les saluer aussi, en échangeant quelques mots.
En France, en ce moment, le conflit sur le nucléaire entre le régime iranien et l’administration Obama est présenté dans une phase de “détente”. Vous êtes d’accord ?
Toute décision qui va dans le sens d’une stabilisation, d’un équilibre et du bon sens est forcément bénéfique pour nous. Évidemment que nous ne pouvons que nous réjouir de la fin de décennies d’hostilités et de tensions plus ou moins latentes. Le fait de voir que le régime iranien finit par céder sur le discours de l’hostilité pour ouvrir la voie à des négociations est quelque chose qui ne peut être que bénéfique pour l’Iran, même si on se doute que cette évolution ou cette prétendue entente ne va pas régler du jour au lendemain la question des droits de l’homme à l’intérieur du pays. Mais nous nous disons que si le régime renonce à l’hostilité et à la violence, alors cette démarche peut aussi avoir lieu avec les opposants politiques. Tout le monde sait qu’il y a intérêt à rouvrir un dialogue. Beaucoup de personnes qualifiées de ce pays se trouvent aujourd’hui en prison alors que leur expertise pourrait être bénéfique au gouvernement, y compris pour résoudre ses propres problèmes. Aboutir à une négociation plus souple serait au bénéfice de tous, même si nous savons qu’une détente de la part du gouvernement ne suffit pas. Pour aboutir à ce dialogue, il faut que la volonté de cette démarche vienne de la société civile.
Comment s’y prend-on pour diffuser à ses voisins et à ses enfants les droits de l’homme aujourd’hui en Iran ?
Quand ma fille a été interdite de quitter le territoire, je ne suis entrée dans aucun débat religieux pour convaincre qui que ce soit de quoi que ce soit. Il y a des conventions internationales qui défendent les droits de l’enfant. Les considérations entre un individu et un régime ne doivent pas lui infliger la peine de l’interdiction. Moi-même, lorsque je subis une interdiction, je défends mes droits en tant que citoyen. Je ne tiens pas à convaincre qui que ce soit sur le plan moral et religieux sur la justesse de ma démarche.
Comment se porte le mouvement féministe en Iran?
Incontestablement, c’est une subversion qui n’a cessé de s’exprimer depuis deux décennies maintenant en Iran, ça a été une lutte incessante. Peut-être que le mouvement est moins disons “d’opposition”, ou qu’il irrite moins qu’il ne le fait depuis vingt ans, mais tout le monde a pris acte du mouvement. La lutte est une lutte quotidienne. La subversion doit se déterminer en tenant compte de la légitimité. Il se peut que les personnes contre qui vous protestiez soient dans la loi et pas dans la légitimité. Ce n’est pas hors la loi, dès lors, de s’insurger contre eux. Et puis, il y a aussi la subversion qui s’assume en tant que telle, comme Martin Luther King ou Gandhi, pour faire valoir des droits et des principes. Il n’y a alors pas d’autres moyens que de s’inscrire hors la loi.
Voir : Taxi Téhéran, de Jafar Panahi. Sur les écrans.
Par Brieux Férot
Le 25 mars avait lieu la journée mondiale de la Procrastination. Et comme on enjambe tous les matins les cinq poubelles que l'on doit descendre pour pouvoir sortir de notre appartement, quelque part, c'était aussi un peu notre fête.
Par Alexandre Pedro, Noémie Pennacino et Michaël Simsolo
Demain.
Ça fait cinq jours que, toutes les heures, notre MacBook nous propose de faire la mise à jour de sécurité OS X et que, toutes les heures, on clique sur “Essayer dans une heure”.
La dernière fois qu’on a fait des abdos, c’est quand on en avait.
On connaît par cœur la grille de diffusion de W9 parce qu’il n’y a plus de piles dans la télécommande.
On se couche régulièrement vers 4h par flemme de se lever du canapé pour aller dans notre lit.
On a déjà renoncé plusieurs fois à commander une pizza parce qu’il fallait remplir un formulaire avec nos coordonnées.
Nos enfants s’appellent Alphonse, Aristide et Abigaïl parce qu’on n’est pas allé(e) jusqu’à la lettre B du Guide des prénoms.
On paye nos billets de train au tarif maximum.
On remercie l’inventeur des Petits Coraya de nous permettre de bouffer de la mayo même quand toutes les cuillères sont sales.
On est devenu(e) gothique pour avoir une raison de ne pas lancer une machine de blanc.
Pas aujourd’hui.
On avait prévu de reprendre notre vie en main, mais ça pourra bien attendre un peu.
On n’a pas du tout été choqué(e) par la “phobie administrative” de Thomas Thévenoud.
On a 28 brouillons de mails pas terminés.
Notre bureau de vote est à 800 kilomètres de chez nous mais on n’a jamais pensé à effectuer le changement d’adresse. Ça ferait trop de peine à nos parents de ne plus nous avoir à déjeuner les dimanches d’élection.
On a encore une adresse mail Wanadoo.
On tombe régulièrement sur cette layette qu’on avait achetée pour la fille de notre meilleur ami qui a aujourd’hui 6 ans.
Il y a plein de livres qu’on adorerait avoir lus. Ils sont tous sur notre table de nuit.
Demain, on peut pas, on doit fignoler une rédaction qu’on aurait dû rendre en 5e.
On a déjà annulé un rendez-vous à 20h parce qu’il était 18h54 et qu’on avait encore notre manteau à mettre et tout.
On a dix ans de retard sur nos vaccins. En même temps, quelle est la probabilité de mourir du tétanos en 2015?
On doit changer l’ampoule des toilettes depuis trois semaines, mais comme on a appris à uriner dans le noir, on ne voit plus trop l’urgence.
Il faudrait qu’on l’ouvre, peut-être, cette lettre des impôts. Si ça trouve, on est imposable.
« Bref. Je remets tout à demain. »
On défait nos lacets après avoir enlevé nos chaussures.
Parfois, on dort même habillé(e).
Parfois, on dort même habillé(e) avec la lumière allumée.
Parfois, on dort même habillé(e) avec la lumière allumée et la fenêtre ouverte.
La mode du no-poo et de la barbe de trois jours, c’est quand même bien pratique.
On connaît par cœur les paroles de Demain c’est loin.
Hier encore, on a laissé notre smartphone s’éteindre en plein texto parce que le chargeur était branché dans la cuisine.
Il faudrait qu’on pense à répondre à cette princesse nigérienne qui a sollicité notre aide par mail en 2013.
On a acheté au moins un milliard de quotidiens qu’on a pensé à lire trois jours après, donc qu’on n’a pas lus.
On télécharge illégalement les films qu’on aimerait voir au cinéma.
On fait bien la distinction entre se réveiller et se lever.
On a emménagé il y a deux mois et c’est toujours le nom de l’ancien locataire, M. Gallois, qui est noté à côté de la sonnette. On dit à nos invités: “Il faut sonner à Gallois.”
SAVOUREUX. CHIPS DE OMMES DE TERRE.
C’est vraiment dommage que mamie soit morte. On avait enfin prévu de l’appeler.
On n’est pas éjaculateur précoce.
Notre passeport est périmé depuis six mois, mais on trouve toujours une bonne excuse pour ne pas aller à la mairie, en bas de chez nous. Et puis, c’est quand même sympa les vacances à Valras-Plage.
On fait croire à tout le monde qu’on préfère travailler la nuit, sous pression, dans l’urgence.
Darling, faisons l’amour demain.
Comment ça y a pas de messe du dimanche le lundi?
On mangeait toujours au deuxième service à la cantine.
On sait qu’on est le 20, on sait que c’est l’anniversaire de notre sœur mais on l’appellera quand même à minuit quinze en disant: “Oh là là! Tu me connais, j’ai pas la mémoire des dates.”
On sort du bain quand l’eau est plus froide que l’air.
On appelle notre mère le vendredi pour lui dire qu’on est bien rentré(e) le mardi soir.
“Pourquoi tu ne te concentres pas sur quelque chose de productif?”
On n’a jamais compris le slogan Nike.
On arrive même à rater les soldes.
On s’est fait spoiler toutes les séries.
On mange sur nos genoux. La table basse est prise par les trucs qui devraient être sur la table du salon qui est prise par les trucs qui devraient être dans les tiroirs du bureau.
On part tard du boulot. Et ce n’est pas par excès de zèle. Le boss n’est plus là de toute façon.
On a déjà payé 300 euros de majoration qu’on aurait pu éviter en achetant un timbre à 68 centimes.
Notre tringle à rideaux est posée au pied de la fenêtre.
On n’a jamais eu l’appendicite. On fera une péritonite direct, quand on aura le temps.
Le taux d’abstention, c’est nous.
Par Alexandre Pedro, Noémie Pennacino et Michaël Simsolo
Entre Strasbourg et Mulhouse, un TER pas comme les autres traverse la campagne alsacienne. À son bord, plusieurs dizaines de professeurs des écoles qui n’ont pas vraiment eu le choix de leur affectation. Et qui auraient probablement rêvé d’une autre vie…
Par Pierre Boisson, à bord du TER 200 / Photos: Matthew Black
Le TER Alsace
Le TER 200 n°96203 file à travers la nuit, campagne alsacienne froide et plate à l’Est, Vosges enneigées à l’Ouest. À 181 km/h. À 194 km/h. À 201 km/h. “Il est bon, il est bon”, lance Sarah* en observant son téléphone portable posé sur la table d’un carré de train. Une application de mesure de vitesse affiche des chiffres blancs sur fond noir. Le record officiel est de 207 km/h. Autour, Emma et Chloé somnolent, mais jettent quand même un œil. Il doit être 6h30. “Il faut bien s’occuper, on commence à en avoir marre de ce train, dit Sarah. Bienvenue dans la vie du TER 200.” Le TER 200 tire son nom de sa vitesse maximale sur les plaines d’Alsace. Au total, six wagons corail tirés par une locomotive BB 26000 qui relient Strasbourg à Bâle en traversant le Haut-Rhin: Sélestat, Colmar, Mulhouse, Saint-Louis. Chaque matin, le TER 200 qui part de Strasbourg à 6h21 voit ses fauteuils bleu électrique envahis par une cohorte de voyageurs mal réveillés. Certains dorment, d’autres prennent leur petit-déjeuner, la plupart ouvrent des classeurs, découpent des feuilles, corrigent des cahiers au stylo rouge. Ce sont, comme Sarah, comme Chloé et Emma, des professeurs des écoles.“Le train en est rempli, siffle Sarah, 24 ans et débutante dans le métier. T’en as au moins dix par wagon.” Emmitouflée dans sa doudoune, la jeune femme salue collègues et anciens camarades de promo. Tout le monde se connaît. Elle dit: “Nous sommes les travailleurs de l’ombre.”
Les enseignants du train de 6h21 partagent un horaire et une hantise: le Haut-Rhin. Le département alsacien leur propose deux types de poste: les grands groupes scolaires des cités de Mulhouse ou les petites écoles des villages reculés, deux options qui font peu d’envieux. Emma est une jeune fille aux cheveux lisses, discrète. Deux ans plus tôt, quand elle a été reçue au concours de l’IUFM, elle a pleuré. Ce n’était pas de la joie. Admise de justesse, elle savait que les premiers avaient droit à Strasbourg et au Bas-Rhin, les autres à Mulhouse et au Haut-Rhin. “On me disait d’être heureuse mais je n’y arrivais pas, je chialais.J’ai atterri dans un petit village. Je ne savais même pas où c’était, j’ai dû chercher sur Google Maps. J’ai pensé à quitter Strasbourg mais c’est impossible, j’y ai mes amis et mon copain ; et ici il n’y a rien.” Cette année, la dernière place dans le Bas-Rhin a été distribuée au 112e des 160 reçus. Les suivants sont dans le train. Cholé prend la parole, soupire. “Avec Sarah, on a fini à quelques places près. T’imagines? Quelques points de plus ou de moins, ça te change la vie pour cinq ans, six ans, peut-être quinze ans.” Sarah corrige:“Ça te pourrit la vie.”
Jus de pomme, prime time et abstinence
Le mardi matin est unanimement reconnu comme le pire jour de la semaine par les trois filles: la fatigue du lundi dans le corps, le bout du tunnel trop loin pour voir la lumière. Quand le réveil a sonné à 4h55, Sarah a eu du mal à ouvrir les yeux. Elle a oublié sa carte bancaire et n’a pas eu le temps de préparer ses tartines et son jus de pomme habituels. Elle prie pour que le contrôleur ne passe pas, se repoudre les joues dont elle n’a pas eu le temps de s’occuper. “Je suis horrible, t’as vu les cernes? Hier, je me suis endormie sur mon ordinateur à 21h30 et je me suis réveillée au milieu de la nuit, j’avais encore la serviette mouillée sur les cheveux.” Emma n’est pas beaucoup plus en forme. “J’ai fait des gâteaux pour mes élèves jusqu’à minuit. Quelle idée! Pourquoi je fais ça? Ce matin, j’avais des vertiges.” Chloé? Chloé dort.“Vas-y, lève un index si tu nous entends, fait Sarah. J’y crois pas, elle pionce vraiment.”
Mulhouse, c’est la fin du sexe
Sarah, enseignante
La vie des enseignants du TER 200 est une course. Réveil, douche, café. Sprinter pour avoir le tram de 5h37 qui conduit à la gare ou pédaler dans le froid. Être sur le quai entre 6h05 et 6h15, le temps d’une cigarette avec les copines. À 6h19, monter à bord. Cinquante-trois minutes de trajet, descente du train le plus vite possible, nouvelle course dans la gare de Mulhouse pour se glisser dans le bus de 7h16. Dix minutes sous les lumières blanches du car. Dernière cigarette avant les photocopies et le début des cours: 7h50. Le soir, rebelote, en sens inverse, pour tenter d’avoir le premier train, à 16h16. Sinon, attendre 16h46 ou 17h16. La semaine finit par ne plus être qu’une question de temps, ou plutôt d’absence de temps. Que reste-t-il quand la journée de travail commence à 5h et se termine à 20h?“Moi, c’est douche-boulot-manger-dodo, détaille Chloé. En théorie, il faudrait se coucher à 21h pour être en forme.” Sarah: “L’autre jour, il y avait Intouchable à la télé, j’ai regardé, le lendemain j’étais morte.” Une feuille horaire sur laquelle il n’y a plus beaucoup de cases et peu de place pour les autres. Sarah, jeune mère d’une petite fille d’un an et demi, a un regard à la fois dur et malicieux et traverse la fatigue grâce à son humour pince-sans-rire. “Mulhouse, c’est la fin du sexe, plaisante-t-elle. La vérité, c’est que quand tu rentres le soir, tu as même plus la force de parler. Et forcément, tu te prends aussi plus la tête.” Chloé n’a même pas ce privilège. “Mon mec, il est cuistot, il travaille jusqu’à minuit. Ce matin, il m’a dit: ‘Peut-être à ce soir.’ Tu parles, on ne se voit jamais la semaine. Je lui ai dit: ‘À samedi.’”Emma sourit, dit que le sien se cogne toujours dans le lit quand il vient se coucher, que ça la réveille, que ça l’énerve. “Mais il est compréhensif, le soir il me fait à manger, il voit bien que je suis K.-O.”
“On nous rembourse seulement 70 euros. On y passe 20 heures par semaine”
Pour quitter cette vie, le Haut-Rhin et les allers-retours en train, il faut espérer un poste dans le Bas-Rhin, disponible à la seule condition qu’un enseignant fasse le chemin inverse. Le déséquilibre de la balance entre les deux départements est abyssal: il y a peu de places, et celles-ci se jouent à l’ancienneté. “On marque des points si on est marié, si on a des enfants, mais surtout avec les années d’expérience, récite Emma. Là, par exemple, j’ai un an de séparation de mon conjoint, avec qui je suis pacsée, et j’ai à peine 200 points alors que l’année dernière, ceux qui ont été mutés en avaient plus de 600. Faudrait que je fasse des gosses, mais bon…” Le train ralentit, une odeur de caoutchouc brûlé monte dans le wagon. “Les freins, mécanise Sarah. Le chauffeur a voulu aller trop vite. On arrive à Colmar, c’est déjà l’air pourri du Haut-Rhin.” Une question qui semble logique fait éclater de rire les filles: pourquoi ne pas s’installer à Mulhouse? Sarah riposte la première: “Ça va pas ou quoi? Tu ne connais pas la ville, on en reparle à la fin de la semaine.” Mulhouse est une ancienne cité ouvrière –c’est-à-dire beaucoup d’ouvriers mais plus de travail– où 31% des 280 000 habitants vivent sous le seuil de pauvreté. C’est dans l’une des nombreuses cités de la ville que Sarah et Chloé découvrent cette année l’enseignement. “On a que des cas”, dresse Sarah. Elles ont chacune dans leur classe des bêtes noires, des élèves en difficulté qu’il faudrait suivre quasi individuellement ou des durs qui sèment la terreur. Celui d’Emma s’appelle Eddy. “Pourvu qu’il soit malade”, ironise-t-elle en fermant les yeux, comme pour prier. Chloé soupire:“On peut pas se débarrasser d’un ou deux? Ce serait tellement pratique.”
On a plus de pression, à cause du train. Il faut optimiser son temps, gérer la fatigue
Sarah, enseignante
Pour Sarah et Chloé, cette année de TER est la première de leur vie d’enseignante. Elles se demandent si elles seront capables d’apprendre à lire, écrire, compter à des enfants. Elles gagnent 1 600 euros net par mois, dont 202 partent directement dans le train, qui ne quitte jamais vraiment leurs pensées. “On nous rembourse seulement 70 euros. On y passe 20 heures par semaine, a calculé Chloé. Ça fait presque deux jours de travail en plus par rapport à ceux qui sont dans le Bas-Rhin.” Sarah, la seule à être mère, se dit épuisée les dernières semaines avant les vacances. Aujourd’hui, elle arrive en classe sans avoir pu préparer ses leçons. “On a plus de pression, à cause du train. Il faut optimiser son temps, gérer la fatigue. La vérité, c’est qu’on ne peut pas en faire autant que les autres.” À la question de savoir si elles regrettent, elles répondent pourtant sans la moindre hésitation. “Bien sûr que non!” “J’adore mon métier et puis, j’ai rencontré les filles dans le train. Au moins, on se fait des amies”, souffle Emma. Il est 7h13. Le train décélère, annonçant l’arrivée en gare de Mulhouse. L’armée des professeurs des écoles se presse dans le couloir, les trois filles enfilent leur sac de randonneur sur le dos. Sarah sourit du reflet qu’elle entrevoit dans la vitre:“Les cahiers des élèves à corriger…” Quelques minutes plus tard, le contrôleur finit par passer. “Elles sont descendues les instits?, interroge-t-il.Je fais souvent ce trajet, c’est fou le nombre qu’il y a. Là, je viens de contrôler un groupe de six filles, sympas. Elles vont à Saint-Louis. Elles trouvent que c’est une ville de merde.”
*Les prénoms ont été modifiés.
Par Pierre Boisson, à bord du TER 200 / Photos: Matthew Black
La sortie, le 11 mars dernier, du recueil de chroniques et nouvelles inédites Un carnet taché de vin (Grasset) est l'occasion de revenir sur cette semaine où Bukowski a fait de Paris sa capitale.
Par Pierre Boisson, Raphaël Lizambard et Thomas Pitrel
Charles Bukowski boit un coup sur le plateau d’Apostrophes
Avant de se transformer en loup-garou, Charles Bukowski avait réussi à captiver et émouvoir son public. Après un repas bien arrosé avec ses deux éditeurs français, Raphaël Sorin et Gérard Guégan, il était déjà abîmé en arrivant sur le plateau. Mais interviewé en début d’émission, il avait su faire jouer sa voix nasillarde et son bidi mal allumé pour évoquer son étonnement de ne plus être un clochard, sa peur de la célébrité et sa volonté littéraire de rendre beau le moche. “J’habille la vérité, j’orne la vérité pour que la vérité devienne intéressante, traduisait en direct l’interprète Christopher Thiery. La vérité des philosophes, des grands esprits de tous les temps, (…) c’était une vérité tellement ennuyeuse que finalement, personne ne les a écoutés. J’essaie de faire en sorte que la vérité soit une jeune fille en très jolis petits dessous et en minijupe, de manière à ce que les gens la regardent.” Cinquante minutes et quelques godets plus tard, Buk se faisait virer du plateau d’Apostrophes par Bernard Pivot, après avoir tenté de regarder sous la jupe de l’écrivaine Catherine Paysan. Une fois de plus, ce 22 septembre 1978, l’alcool avait aidé Charles Bukowski à embellir la vérité.
« Le chef des punks »
Lorsque l’écrivain débarque en France une semaine plus tôt, flanqué de sa compagne Linda Lee et du photographe Michael Montfort pour faire la promo de L’Amour est un chien de l’enfer, les éditions du Sagittaire l’installent à l’hôtel des Saints-Pères, dans la rue du même nom. “Ah oui! Je m’en souviens, s’exclame aujourd’hui Françoise Salmon, la patronne de l’endroit. À l’époque, je n’étais que réceptionniste, je venais d’arriver. Disons que c’est un personnage plutôt marquant, on peut difficilement l’oublier. Il était d’origine polonaise, non? Allemande? Oui, ça se voyait à son allure. Et puis, il avait un visage abîmé, sûrement par l’alcool, déjà,
J’essaie de faire en sorte que la vérité soit une jeune fille en très jolis petits dessous de manière à ce que les gens la regardent
Charles Bukowski
il avait un fort penchant pour le vin blanc.” Une version confirmée par l’intéressé dans Shakespeare n’a jamais fait ça (13e Note Éditions), le récit de son séjour en Europe, publié en français le 7 mars 2012. “J’ai appelé la réception pour réclamer cinq bouteilles de vin et Linda Lee et moi, on s’est mis au lit pour picoler. Ces deux éditeurs français publiaient quatre de mes livres. Après une ou deux bouteilles, j’ai pris le téléphone pour les appeler.”
Bukowski ne sait pas encore que Sorin et Guéguan lui ont programmé un marathon d’interviews avec un large échantillon de la presse française. “Même L’Huma avait envoyé quelqu’un, rigole Sorin. Je l’avais mis là-dedans comme un fauve en cage, il est resté plus ou moins cloîtré pendant huit jours. Il commençait à en avoir assez. Je déjeunais avec lui, je le surveillais un peu, comme je savais bien qu’il avait la réputation d’être éruptif.” Parmi la douzaine de journalistes que rencontre Bukowski durant ces quelques jours, il en est un qu’il identifie comme “le chef des punks de Paris”. “Arrivé avec ses fringues en cuir constellées de fermetures éclair, il a déclaré être à plat et avoir besoin d’un peu d’héro pour remettre la machine en route, je lui ai expliqué que je n’avais rien sur moi.” Le hasard faisant bien les choses, Buk vient de rencontrer Alain Pacadis, ambassadeur du punk en France et “reporter de l’underground”, qui s’est fait remarquer plus tôt dans l’année en affirmant son attirance pour les perversions sexuelles en tout genre et son dégoût de l’amour sur le plateau… d’Apostrophes.
Lorsque Pacadis pose son minicassette Crown CTR 325 W sur la table du patio de l’hôtel des Saints-Pères, il commande une bière, Bukowski deux, et les loustics se lancent dans une discussion à bâtons rompus sur l’alcool, la drogue et les prostituées mais aussi sur Amanda Lear, “l’ex-petite amie de Dali, qui chante de la disco maintenant”. Et puis les deux hommes évoquent l’émission à venir dans un dialogue prémonitoire:
Alain Pacadis: “Tu dois passer à Apostrophes demain, c’est une émission que j’ai faite, il y a quelques mois.”
Charles Bukowski: “Oui, je crois que je vais boire beaucoup demain aussi.”
Alain Pacadis: “Fais très attention, parce que quand j’y suis passé, ils ont dit que je ne pouvais pas boire d’alcool avant la fin de l’émission, j’ai été obligé de ressortir pour trouver une bière.”
Charles Bukowski: “Heureusement que tu me préviens, j’apporterai mes deux bouteilles de vin. Ils m’ont dit que là-bas, il y aurait du vin, mais je ne l’ai pas cru!” (L’Écho des Savanes, novembre 1978)
Chronologie éthylique
Arrive ce vendredi 22 septembre, jour de l’émission qui doit clore la tournée promotionnelle de l’écrivain en France. En début d’après-midi, profitant d’un rare moment de répit, Bukowski parvient enfin à sortir faire un tour dans les rues parisiennes, fouetté par le vent froid de l’automne et accompagné de la photographe Sophie Bassouls. “Il était ému, très ému parce qu’il me disait: ‘Ça, c’est l’hôtel où est descendu Hemingway quand il est venu à Paris’, se rappelle Bassouls. Il m’a dit quelque chose comme ‘give me emotions’ et il voulait à tout prix que je le photographie devant l’hôtel. Il se sentait en osmose avec Hemingway.
On s’est baladés dans le quartier de Saint-Germain avant de s’arrêter dans un café qui s’appellait Le Rouquet. Il a pris un verre de vin blanc, peut-être deux. On est passé à Saint-Sulpice, on a fait un petit tour mais Bukowski n’était pas un grand marcheur, il s’arrêtait tout le temps pour regarder un truc.” Sophie Bassouls charge sa pellicule Kodak Safety film 5063, appuie sur son déclencheur et mitraille Bukowski dans les rues de Paris avant de le conduire dans l’appartement d’Edgar Reichmann, critique littéraire du Monde, pour la dernière interview de la presse écrite. “Il y avait une bouteille de whisky qui descendait à vue d’œil, raconte la photographe. Bukowski avait quand même une bonne capacité d’absorption, même si à la fin il était un peu… fatigué.” Reichmann, lui, a un souvenir un peu différent de la chronologie éthylique: “Il est arrivé à la maison ivre mort à un point invraisemblable. Je ne me souviens même plus de l’interview. J’ai fini par réussir à le faire sortir, il balbutiait…”
Lorsque Raphaël Sorin le récupère à son hôtel, sur le coup de 20h, il tente de le briefer avant l’émission, qui doit débuter aux alentours de 21h30. ”Je lui ai raconté qui il y aurait, détaille Sorin. J’ai beaucoup insisté sur Gaston Ferdière, parce que les Américains connaissent Antonin Artaud, donc je lui ai dit que c’était le psychologue qui avait un peu martyrisé Artaud avec des électrochocs. Du coup, il l’avait un peu dans le collimateur. Sinon, les autres, il ne savait pas qui ils étaient évidemment.” Les autres, ce sont donc Catherine Paysan et sa jupe fendue,
L’animateur (Bernard Pivot, ndlr) était censé être connu dans tout le pays mais il ne m’impressionnait pas des masses
Charles Bukowski
François Cavanna venu présenter ses Ritals, ainsi que l’ouvrier autogestionnaire Marcel Mermoz. Une quinzaine de minutes avant la prise d’antenne, Bukowski se présente dans les fameux studios de la rue Cognacq-Jay accompagné de deux bouteilles de vin blanc alsacien, auxquelles s’ajoutent les deux bouteilles de Sancerre fournies par une production conciliante. “On m’a demandé de m’asseoir en face du maquilleur, raconte Buk. Après m’avoir fardé de plusieurs poudres, vite aspirées par la peau grasse et grêlée de ma tronche, il a soupiré et m’a congédié d’un geste de la main. (…) L’animateur (Bernard Pivot, ndlr) était censé être connu dans tout le pays mais il ne m’impressionnait pas des masses. Je me suis installé à côté de lui, il tapait du pied. ‘Qu’est-ce qui va pas? je lui ai demandé. T’as le trac?’ Il n’a pas répondu. J’ai rempli un verre de vin que je lui ai collé sous le nez: ‘Allez, bois un petit coup… Ça te fera du bien au gésier.’ Avec dédain, il m’a fait signe de la boucler.”
“Un petit canif de rien du tout”
La suite est passée en boucle dans toutes les rétrospectives des grands moments de la télévision française. Au fur et à mesure d’une émission intitulée En marge de la société, alors qu’on s’intéresse de moins en moins à lui et que la bouteille se vide de plus en plus, Bukowski se met à grommeler jusqu’à ce qu’on cesse de traduire ce qu’il dit, recouvrant bientôt la voix des autres invités. Au-delà de l’alcoolémie, la traduction a d’ailleurs joué un rôle dans la montée de l’incompréhension entre les différents protagonistes, comme l’explique Leda Zuckerman, alors chargée de chuchoter à l’oreillette de l’homme de Los Angeles: “Par exemple, Pivot lisait des extraits de ses poèmes en français. Je devais donc lui traduire une traduction et faire en sorte qu’il comprenne duquel de ses textes il s’agissait…” Pour le grand public français qui n’a pas lu ses livres, Bukowski restera pourtant comme “celui qui a bu au goulot chez Bernard Pivot” ou comme “celui à qui Cavanna a dit de fermer sa gueule ». Le fondateur d’Hara Kiri avait d’ailleurs été sérieusement affecté par l’épisode, tant il appréciait l’écrivain qu’il a rabroué.
Éjecté du plateau, Bukowski n’est pas du genre à partir sur la pointe des pieds. Il dégaine son couteau et le brandit devant un membre de la sécurité. “Il y avait un type plus ou moins devant la sortie, se remémore Raphaël Sorin. Mais c’était un petit canif de rien du tout, c’était un geste purement symbolique. Il l’a fait comme
Est-ce que c’était volontaire de la part des éditeurs ou pas? Pour eux, ça a été un coup de pub formidable
Jean Cazenave, réalisateur de l’émission
ça. C’était un comédien, aussi.” Alors que la petite troupe s’éloigne des studios, Guégan reste sur place pour répondre aux reproches de l’animateur. “J’avais deviné que Pivot attendait le générique de fin pour laisser éclater sa colère contre le Sagittaire, attaque-t-il dans Ascendant Sagittaire: une histoire subjective des années soixante-dix. (…) Ce soir-là, il n’eut pas de mots assez durs contre ce ‘rustre aviné’ et sa maison d’édition. Sans perdre mon calme, je lui rétorquai que son émission venait d’entrer dans l’histoire.” Jean Cazenave, le réalisateur de l’émission, a une autre théorie sur la question: “Moi, je pense que c’était préparé, même si je n’en ai pas la preuve. Il était déjà plein en arrivant. Alors, est-ce que c’était volontaire de la part des éditeurs ou pas? Pour eux, ça a été un coup de pub formidable. Bernard Pivot était peut-être un peu complice de ça, mais à un moment, il a pris peur. Après l’émission, Pivot disait qu’il avait eu peur que ça aille trop loin, qu’il se mette à pisser ou à dégueuler sur le plateau, quoi.”
Standing ovation
Pendant que l’équipe d’Apostrophes débriefe l’événement à la brasserie Lipp de Saint-Germain-des-Prés, comme à son habitude, le “gang” de Bukowski s’éclate à La Coupole, du côté de Montparnasse, rejoint par Jean-François Bizot, fondateur du magazine Actuel et premier traducteur français de l’écrivain. Vers 2h, le héros du jour a même droit à une véritable standing ovation de la part des clients présents, avant de rentrer dans ses pénates. “Je ne travaillais pas quand il est rentré mais il était bien accompagné, croit savoir l’ex-réceptionniste Françoise Salmon. Et il ne pouvait pas arriver jusqu’à sa chambre sans aide.” Le lendemain, les coups de fil de journalistes affluent de toutes parts chez les éditeurs, “même de New York, où il n’était pas du tout connu”, d’après Raphaël Sorin. Bukowski, lui, ne se rappelle pas grand chose et sonde alors sa compagne Linda Lee: “Ben, t’as attrapé la jambe de la femme. Et tu t’es mis à boire au goulot. T’as dit des trucs. Des trucs pas mal du tout. Surtout au début. Et puis, l’animateur t’a empêché de parler. Il t’a mis la main sur la bouche en te disant: ‘La ferme!’” Voilà tout ce que l’auteur saura jamais de cet épisode.
Quelques jours plus tard, il en mesurera néanmoins les conséquences lorsque l’oncle de Linda, chez qui le couple devait se rendre à Nice, refusera de le rencontrer en raison du scandale déclenché. Si l’on en croit son récit dans Shakespeare n’a jamais fait ça, Bukowski filera ensuite en Allemagne pour quelques lectures et une visite familiale. Si l’on en croit certaines interviews données en France, il était en fait passé outre-Rhin avant d’arriver dans l’Hexagone. Difficile de faire la part des choses avec un écrivain qui n’aime rien plus que transformer la vérité, et ce n’est pas Raphaël Sorin qui pourra nous éclairer sur le sujet: “Je sais plus trop. Faut dire que moi, pendant ces huit jours, j’ai pas mal bu, j’ai pas toujours eu les idées très claires. Il fallait suivre quand même, quand quelqu’un boit, il faut boire avec lui.”
*Toutes les citations de Charles Bukowski sont issues de son livre Shakespeare n’a jamais fait ça.
Par Pierre Boisson, Raphaël Lizambard et Thomas Pitrel
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