À l’ombre des grands courants politiques du moment, ils tentent discrètement de faire porter leurs voix pour élargir les débats de société. Avec un objectif prioritaire : convaincre que la croissance industrielle et économique n’est pas viable pour la planète, ses habitants et leurs sociétés. Et pas seulement en adoptant un style de vie à contre-courant.
“C’est là, le regroupement des décroissants ? Mais pourquoi il n’y a personne?” Derrière son épaisse moustache blanche, Jean-Yves, la soixantaine bien entamée, ne cache pas sa colère. Chez lui, on ne rigole pas avec la ponctualité. “Le rendez-vous, c’était 10h, il est 10h05 ! Il ne s’agit pas d’exiger une obéissance militaire, mais on n’avancera pas sans un minimum de rigueur ! Moi qui croyais être en retard, j’ai même dû emprunter l’autoroute. Déjà que je déteste prendre la voiture.” Habitant de Fontenay-le-Comte, Jean-Yves a passé une heure et quart dans son véhicule pour venir participer à la petite rencontre régionale des “décroissants” prévue à Nantes. Pendant deux jours, une dizaine d’“objecteurs de croissance” vont discuter, débattre et organiser les prochains événements dans une vieille salle charmante à l’ambiance contre-culture, située au-dessus d’un éco-garage et décorée d’affiches militantes.
Ce genre de regroupement n’est pas si rare. Aux quatre coins de la France, des décroissants se réunissent régulièrement pour penser la société de demain. Qui sont-ils ? Des jeunes, des vieux, des femmes, des hommes, des chômeurs, des salariés, des indépendants, qui ne cautionnent pas du tout le système capitaliste basé sur la croissance économique et industrielle. Que veulent-ils ? Sensibiliser tous ceux qui pourraient écouter leurs revendications réclamant un changement des habitudes de notre société en revenant, notamment, à un mode de vie global plus simple, et en réduisant drastiquement la consommation et la production.
De Gandhi à Benoît Hamon
Né dans les années 1970, le terme décroissance renvoie à une critique de la croissance économique, qui ne serait finalement qu’un désastre pour la société. Partant du principe qu’une croissance infinie dans un monde fini est intenable à long terme, et que le système actuel ne sert que les plus riches au détriment de la planète et des populations précaires, les décroissants ne cessent de développer leurs théories et de proposer des fonctionnements sociétaux différents. D’Albert Jacquard à Serge Latouche en passant par Gandhi et Benoît Hamon lors des dernières élections politiques, nombreuses sont les personnalités, à travers le temps, à soulever les méfaits de la politique de croissance.
“Les médias nous présentent toujours de la même façon : le chevelu qui habite dans la forêt, qui ne fait plus ses courses, qui n’a ni frigo, ni voiture, ni téléphone et qui utilise une bougie pour s’éclairer”
Thierry, cofondateur de l’association Décroissance-MOC
Ces dernières années, les médias se sont de plus en plus intéressés aux décroissants. “Mais on nous présente toujours de la même façon, c’est pathétique, regrette Thierry, cofondateur de l’association Décroissance-MOC. À la télévision et dans les journaux, on va toujours à la rencontre du stéréotype et de son mode de vie arriéré : le chevelu qui habite dans la forêt, qui ne fait plus ses courses, qui n’a ni frigo, ni voiture, ni téléphone et qui utilise une bougie pour s’éclairer.” Si le quotidien des décroissants est bien sûr calqué sur leurs valeurs idéologique –consommation de fruits et légumes de proximité, utilisation du vélo pour se déplacer–, le cliché est effectivement dépassé. Preuve s’il en faut, aucune personne présente au regroupement de Nantes ne porte de cheveux longs. “Le drame de notre mouvement, c’est que certains de ceux qui se disent décroissants n’ont pas encore compris que l’aspect collectif primait sur l’individualité, assure Jean-Yves. Quand on présente les décroissants en montrant avant tout leur style de vie, on dénature donc le mouvement.”
Car l’idée prioritaire des décroissants est de se revendiquer comme un mouvement politique –et non un parti– ne pouvant faire entendre sa voix qu’à travers une réflexion et des actions collectives. Raison pour laquelle sont organisés des regroupements comme celui de Nantes, qui débute finalement avec une heure de retard. Autour d’un jus de pomme fait maison par Thierry –qui précise que son breuvage “n’ira jamais à la vente”–, on prépare les (f)Estives 2017 de la décroissance, qui auront lieu en juillet prochain à Saligny-sur-Roudon, dans l’Allier, ainsi que la tenue du stand des décroissants au prochain rassemblement de Notre-Dame-des-Landes. On réfléchit au contenu des tracts. On projette de retaper une grange qui accueillerait de prochains rendez-vous. Et on débat, bien sûr. De ces aéroports toujours plus nombreux et de ces avions polluants omniprésents qui “sont un fléau”. De ce tourisme de masse qui provoque “un impact écologique désastreux”. De la place des outils techniques au quotidien. De cette “fausse liberté actuelle” qui ne permettrait pas de vivre collectivement. Du pacte écologique de Laurent Fabius, allègrement moqué. Du film Demain, “complètement faussé”, dont les solutions technologiques environnementales entrevues seraient “une véritable escroquerie”. “Il y a des gens que l’on éloigne par notre radicalité”, admet finalement Jean-Yves, alors que ses camarades affirment vouloir en priorité fédérer. Une chose est sûre, ce soir, Jean-Yves rentrera chez lui par la route nationale.
PAR FLORIAN CADU
Roger Défossez est comédien. Un comédien fidèle. Depuis presque 60 ans, ce Parisien né au cœur du sixième art joue le même rôle, dans la même pièce. Rencontre chez lui : au théâtre.
Texte et photo : William Thorp
Roger Défossez défie toutes les règles.
Sur lui, un veston marron qui couvre une chemise blanche et une cravate beige. Devant lui, un peu moins d’une centaine de spectateurs. Assis à droite de la scène, il déroule rapidement son texte: “Elle a des traits réguliers et pourtant on ne peut pas dire qu’elle est belle. Elle est trop grande et trop forte. Ses traits ne sont pas réguliers et pourtant on peut dire qu’elle est très belle. Elle est un peu trop petite et trop maigre.” Les propos sont incohérents, exactement comme ils ont été écrits. Il a le ton juste. Le parler correct. Ses mouvements sont contrôlés. Il “maîtrise”. Et pour cause, “cela fait 59 ans” queRoger Défossez est “Mr Smith” dans La Cantatrice chauve de Ionesco. “Un record.”
C’est donc l’histoire d’un homme qui a joué pas moins de 6 000 fois le même rôle, dans la même pièce. “Un homme d’exception”, aime-t-il à répéter. Après tout, c’est “unique au monde”, c’est un “fait exceptionnel”. Sorte de prédestination, Roger Défossez a vu le jour –ou plutôt la lumière– “dans un théâtre”, comme il le raconte posé sur un canapé de la cave du théâtre de la Huchette, dans le Ve arrondissement de Paris. Ses parents étaient concierges à l’Opéra-Comique, et y
Ça fait longtemps que je n’ai plus le trac
Roger Défossez
habitaient un appartement de fonction. C’est d’ailleurs là qu’il fait ses premiers pas sur scène. Il joue Dolore dans Madame Butterfly, de Giacomo Puccini. Il a alors 5 ans. “On peut dire que je suis tombé dedans quand j’étais petit, résume-t-il, simplement. S’ensuivent, d’autres opéras, comme Carmen, de Georges Bizet, et des études “de comédie”. Puis cette rencontre en 1957 avec Nicolas Bataille, comédien et metteur en scène de pièces de théâtre. Roger, dans la vingtaine, est encore un artiste en devenir. Ils sympathisent. Bataille lui propose d’être la doublure de Claude Mansard, qui joue l’un des personnages principaux de cette pièce qu’il met en scène au théâtre de la Huchette. Défossez dit oui. Il attend son tour. Pas longtemps, un an à peine. L’acteur fétiche de Jean-Pierre Mocky va fouler d’autres planches. Et donc, alors qu’Édith Piaf connaît la gloire à New York, que Jean-Luc Godard commence tout juste sa carrière de réalisateur et que Charles de Gaulle va reprendre le pouvoir, Roger Défossez devient Mr Smith. “J’étais bien jeune. J’avais encore les cheveux bruns, je devais me blanchir les tempes pour me vieillir, se remet-il en touchant sa longue tignasse désormais blanche et peignée en arrière. Ça fait longtemps que je n’ai plus le sentiment maintenant, mais à ce moment-là je montais sur scène la boule au ventre. J’avais le trac.”
Le temps passe, rien ne change
Il faut dire que les débuts ne sont pas faciles. C’est l’histoire d’un homme, mais aussi d’une époque. Et d’une pièce incomprise. “Un autre temps, lâche-t-il un peu médusé. Il n’était pas rare que les gens quittent la salle et sortent engueuler la caissière. Ils lui disaient : ‘Mais de qui se moque-t-on? C’est ignoble, immonde!’” Les critiques sont dures. Le 13 mai 1950, le Figaro écrivait même : “[…] admirons le surhumain courage de ceux qui, sans une faute, ont retenu, interprété, incarné, sublimé l’antitexte de M. Ionesco. Que ne feront-ils le jour où, poussés par leurs conquêtes et l’exaltant parfum des Terres Nouvelles, ils découvriront ou Molière ou Vitrac? En attendant, ils font perdre des spectateurs au théâtre…” Rien d’anormal, à écouter l’acteur aujourd’hui. Après tout, La Cantatrice chauve a “révolutionné l’art théâtral” avec son aspect absurde. “Dans les années 50, le théâtre était quelque chose d’embourgeoisé, continue-t-il en dégainant une Gauloise. Et puis d’un coup, la pièce a été un pavé dans la mare. Cela n’avait jamais été fait, cela remettait tout en question. Les gens étaient déboussolés.” Roger laisse donc courir, prend son mal en patience. Il ne fait plus
En mai 68, le public ne s’enfuyait pas du théâtre : il ne venait pas
Roger Défossez
attention à “ces couples” qui “deux, trois fois par semaine” s’échappent de la salle, rouges de colère. Il dit qu’il en a vu d’autres avec le temps. Des plus dures. Mai-68, par exemple. Le public ne s’enfuyait pas : il ne venait pas. “Les gens n’osaient plus sortir, ils avaient peur, reprend l’homme. Moi même, j’ai failli me faire massacrer par des CRS. Je sors du théâtre après une représentation, clope au bec, et je vois trois flics foncer sur moi. Je suis vite rentré, et j’ai fermé la porte avant de me cacher dans les coulisses. Ils sont entrés avec leurs matraques, et donnaient des coups sur les portes. Je n’avais strictement rien fait, mais ils étaient énervés, les jeunes n’arrêtaient de leur crier dessus : “CRS SS!” Donc dès qu’ils voyaient quelqu’un, ils fonçaient.”
Même chose avec le 13-Novembre. Les salles se vident complètement les jours qui suivent, ou presque. “Il y avait quatre personnes par-ci, puis quatre autres par-là, le lendemain.” Rien, pourtant, n’arrête Défossez. Jamais. S’il intègre parfois quelques autres pièces, il ne quitte pas son personnage de Mr Smith. Il ne sait pas vraiment pourquoi. On lui a bien proposé un autre rôle dans une autre pièce, celui du professeur dans La Leçon, de Ionesco toujours, dans le même théâtre, mais il n’a “jamais eu le temps d’apprendre le personnage”. Roger préfère son personnage, qui le “passionne”. C’est pourquoi il y a une chose qui l’effraie: se séparer de lui. “Cela m’angoisse, oui. J’aurai un gros pincement au cœur le jour où cela se terminera définitivement.Je ne suis pas éternel, il arrivera un moment où je devrai arrêter parce que je perdrai la mémoire, ou parce que ça me fatiguera trop, dit-il, fataliste. Ou tout simplement parce que je serai mort.”
Texte et photo : William Thorp
À 46 ans, Emmanuelle Seyboldt est devenue, le 26 mai dernier, la première femme à la tête de l’Église protestante unie de France, pour un mandat de quatre ans. Son objectif : sortir sa communauté de son isolement relatif pour faire corps avec la société.
Par Benjamin Badache
Camaïeu.
Est-ce que vous pensiez à devenir présidente des protestants en buvant votre café chaque matin ?
Non, pas du tout, ça m’est tombé dessus. Mon prédécesseur avait déjà annoncé qu’il ne voulait pas faire un nouveau mandat. Il m’a contactée l’année dernière, je me demandais ce que j’avais fait. C’était assez stressant. Il est venu me voir à Besançon pour m’annoncer son souhait de me voir présidente. J’ai eu un mois de réflexion, mais j’ai très peu hésité. L’engagement religieux, c’est ma vie. Je suis née dans le protestantisme. Mes parents nous emmenaient au culte tous les dimanches. Dans mon enfance, j’ai eu un vrai questionnement sur l’existence de Dieu. L’injustice me révoltait au plus haut point et je ne la comprenais pas. Mais dans ma démarche, le refuge en Dieu m’a permis de supporter la cruauté du monde. C’est apparu très tôt chez moi. Dès l’école primaire, je disais à mes profs que je voulais devenir pasteure. L’instituteur a même convoqué mes parents : ça l’inquiétait. Après une scolarité religieuse, je me suis dirigée vers des études théologiques. J’ai tout fait pour intégrer ce master. Je me suis retrouvée pasteure à 23 ans, en Ardèche.
Pourquoi le choix s’est-il porté sur vous ?
D’une part, je connais très bien mon Église, j’ai beaucoup bougé. De la paroisse
L’engagement religieux,
c’est ma vie
Emmanuelle Seyboldt
rurale à la grande paroisse de ville à Besançon en passant par une paroisse intermédiaire. J’ai travaillé avec un hôpital, dans une gendarmerie et aussi en tant que rédactrice en chef d’un journal. Au-delà du parcours, quand j’écoute mes collègues, le fait que je sois une femme est positif. Je n’ai que les échos favorables. Mais dans notre Église – luthérienne –, 87% des paroisses dans le monde acceptent les femmes. Depuis la Seconde Guerre mondiale, on voit émerger des pasteures. Quand je suis née, c’était acquis. Aujourd’hui, des collègues me disent même : “C’est pas trop tôt.”
Que signifie le fait d’être protestant aujourd’hui ?
C’est avant tout un chrétien, quelqu’un qui reçoit par la Bible une parole qui le fait vivre. Cette parole se traduit, sous un mode protestant, par une indépendance de quiconque. La liberté est au cœur de notre croyance. Elle doit être équilibrée par la communauté. Nous sommes tous à égalité. En somme, liberté, égalité et communion fraternelle. En termes d’éthique, chacun fait du mieux qu’il peut. Nous n’allons pas nous positionner contre l’avortement parce qu’il y a toujours le souci du moindre mal. Le bien en tant que tel n’existe pas dans une vie humaine.
Le christianisme perd chaque année des fidèles. Pensez-vous pouvoir attirer un nouveau profil, plus féminin ?
Dans notre Église, 87% des paroisses dans le monde acceptent les femmes
Emmanuelle Seyboldt
En interne, c’est possible. Déjà, nous avons enregistré la venue d’une pasteure hollandaise car son Église aux Pays-Bas ne l’acceptait pas. De manière générale, ça interpelle, même en dehors du monde religieux. Nous sommes vus comme des gens archaïques et là, une femme présidente, c’est une belle preuve d’ouverture.
Vous avez un mandat de quatre ans. Quel est votre objectif principal ?
Le débat, proposer un lieu de parole. Nous ne devons pas rester entre nous. Il doit y avoir une perpétuelle interaction avec la société. Il faut renforcer ce va-et-vient de la parole. Ça passe par une meilleure communication, mieux travailler en réseau, s’approprier les réseaux sociaux. Nous sommes encore à l’âge du bronze dans ce domaine.
Vous voulez communiquer intensément avec la société. L’omniprésence du débat sur la laïcité et les religions apparaît comme un obstacle. Quelle est votre conception de la laïcité ?
Elle devrait être moins rigide. Il y a toujours un soupçon envers les croyants. Le discours majoritaire dans les médias est assez méprisant. Dans leur bouche, croire en Dieu signifie être ringard, dans le passé, presque ridicule. Il y a un côté “vous croyez encore en ces conneries ?”. Dans la vie de tous les jours, je n’ai pas à me plaindre. C’est surtout sur certaines émissions, dans des conférences ou des débats. Je me sens totalement en accord avec les associations pour les droits de l’homme, contre le racisme et les discriminations mais je pense qu’il faudrait y intégrer la question de la discrimination religieuse. Je ne suis pas agressive, je n’impose ma foi à personne. Je veux juste avoir le droit de vivre ma foi sereinement. Sans avoir ce discours permanent qui sous-entend que le monde se porterait mieux sans religion. L’argument “sans les religions, il n’y aurait pas de guerre” ne tient pas. L’humanité trouverait un autre prétexte, croyez-moi.
Par Benjamin Badache
À Bologne, le centre social XM24, situé juste au-delà des murs de la ville, accueillait le 10 juin dernier des boxeurs de toute la Botte, venus en découdre sur un ring monté pour l’occasion. Leur point commun ? L’antifascisme.
Nicolas Zeisler / Photos : NZ
Le ring.
Il est 18h et cela fait un bon moment que les bénévoles s’affairent. La cuisine tourne déjà à plein régime. Le barman a commencé à actionner sa pompe à bière. Quelques concerts de hard rock ont contribué à réchauffer un peu un samedi après-midi qui n’en demandait pas tant, le mercure frôlant les 30°C dans le chef-lieu de la région d’Émilie-Romagne. Le ring et la sono sont bientôt installés. La soirée, intitulée “Université de la boxe 3.0”, mobilise l’ensemble des troupes antifascistes de Bologne auxquelles s’ajoutent des camarades venus des quatre coins de l’Italie. “C’est un moyen d’attirer l’attention sur la situation du centre social. Historiquement, on est dans un quartier très populaire dont les loyers modestes attiraient une population d’immigrés en difficulté. Sauf qu’avec la gare à proximité, la zone est en train de s’embourgeoiser. La construction d’un complexe d’appartements luxueux est sur le point d’être bouclée, pile en face du centre social. La mairie voudrait nous mettre dehors pour installer un marché bio”, confie Francesco, un étudiant en master de lettres qui s’apprête à disputer son premier combat.
Il faut dire que le centre social fait tache dans ce quartier en pleine transformation : des anciens entrepôts désaffectés qui forment un gigantesque bloc de béton couvert de graffitis, de drapeaux et d’affiches rouge et noir. À l’intérieur, une cuisine populaire qui sert des repas aux nécessiteux, des cours de yoga et de boxe, une salle de concert, un potager, un atelier de réparation de vélo et même une école italienne pour les étrangers. Tout cela accessible sans avoir à débourser un centime. Ipselon Ande est arrivé du Sénégal il y a quelques mois. Il apprécie de pouvoir s’appuyer sur le centre. “Ici, ils m’ont appris à apprendre à parler et à écrire l’italien. Ils m’aident même pour mes papiers administratifs”, explique-t-il en sirotant une canette de bière au soleil. Devant la menace d’une expulsion, le centre social s’organise. Francesco se prépare à des vacances chargées : “Ils vont sans doute essayer de nous expulser en août, pendant les grandes vacances. On va camper à tour de rôle pour faire en sorte qu’il y ait toujours des gens sur place.”
Circuit alternatif et autogestion
Depuis quinze ans, c’est un véritable circuit alternatif à celui de la fédération de boxe qui a vu le jour. Plus d’une vingtaine de salles de boxe populaire sont nées un peu partout en Italie, bien souvent rattachées aux activités d’un centre social. Stefano, soudeur à la ville, a fait le voyage Turin-Bologne avec l’une des boxeuses de la Palestra Popolare Antifa Torino. Il explique le principe de la boxe populaire : “On veut créer une alternative au sport mercantilisé et promouvoir nos valeurs : antifascisme, antisexisme, antiracisme et lutte contre l’homophobie. Ce qui compte, ce n’est pas d’être les plus forts mais de bien boxer. À Turin, on a construit la salle de nos propres mains, dans un immeuble du quartier populaire de Vanchiglia, occupé par le centre social Askatasuna. On accueille les jeunes du quartier, les réfugiés et tous ceux qui se reconnaissent dans notre projet. En échange, on leur demande un peu d’aide pour maintenir la salle et, s’ils le souhaitent, de participer à l’organisation d’évènements.” Ici, l’autogestion fait partie du quotidien, on ne reçoit aucune subvention des pouvoirs publics.
Pu a encore toutes ses dents.
Paolo, surnommé “Pu”, s’entraîne lui aussi à la salle de Turin. Il a avalé le trajet au volant de sa Clio avec Marco, son entraîneur et sosie officiel de John Turturro. Beau gosse, la trentaine, graphiste en free-lance, Pu a déjà boxé dans le circuit amateur de la fédération où le niveau est a priori un peu plus relevé. Il préfère désormais mettre les gants à la Palestra Popolare : “J’habite à Vanchiglia, c’était donc naturel de m’entraîner là-bas. J’ai tout de suite adoré l’ambiance. On ne dépend de personne et puis, ici, aucun risque de croiser un fascistone, crâne rasé et regard mauvais.” À quelques heures de son combat, la pression monte : “Ce n’est pas lié à mon adversaire, mais plutôt au contexte. C’est un événement ‘antifa’, je vais boxer devant mes amis, dans mon monde, et je ne veux pas les décevoir.”
“Boxez tranquille”
À 20h, tout est prêt pour le début des festivités. Une ambulance de la Croce Verde est sur place pour intervenir en cas de blessure. Les boxeurs ont été auscultés par un médecin. L’assistance patiente devant un spectacle de breakdance. La pompe à bière tourne à plein régime. Des chiens pissent dans les coins pour marquer leur territoire. Six combats sont programmés. L’un d’entre eux est en passe d’être annulé. Gerald, de Plaisance, et Matteo, de Florence, doivent s’affronter au poids de 80 kilos. Mais le premier en rend huit au second. Il veut tout de même combattre. Un camarade le raisonne : “Ce n’est pas équilibré. On est dans un contexte de boxe populaire, on doit boxer sur un pied d’égalité.” Fin de la discussion.
“On veut créer une alternative au sport mercantilisé et promouvoir nos valeurs : antifascisme, antisexisme, antiracisme et lutte contre l’homophobie. Ce qui compte, ce n’est pas d’être les plus forts mais de bien boxer”
Stefano
Ceux qui ont passé l’épreuve de la pesée se retrouvent dans une petite salle obscure pour un dernier briefing. Alessandro prend la parole : “Offrons au public une soirée de belle boxe. Boxez tranquille, faites-vous plaisir, sans agressivité.” Alessandro sait de quoi il parle, avant de fonder la Palestra Popolare Teofilo Stevenson au cœur du centre social XM24 en novembre 2014, il faisait partie de l’équipe italienne de boxe amateur. Une blessure à l’œil, le boulot et un faible pour les spaghetti al ragù ont eu raison de sa carrière. Son nouveau cheval de bataille : faire entrer la boxe populaire dans les quartiers. “La Palestra Stevenson est un succès, mais en l’installant dans un centre social, on touche surtout des militants. C’est pourquoi on a créé une autre salle, au pied d’un immeuble dans une zone difficile. On donne des cours de boxe gratuitement. On ne filtre personne à l’entrée. Peu à peu, les gens du coin découvrent la boxe, mais avec nos valeurs.” Ses poulains, âgés de 8 à 12 ans, sont d’ailleurs les premiers à se produire dans le cadre d’une exhibition où les coups ne sont pas appuyés. Ils prennent ensuite place au bord du ring pour encourager les boxeurs. Les combats commencent dans une ambiance bon enfant. L’arbitre n’hésite pas à intervenir pour laisser un boxeur en difficulté respirer ou à demander aux combattants de baisser le niveau d’engagement d’un ton. Deux combats féminins sont également prévus. C’est important pour Alessandro : “Il y a 20 ans, quand les premières salles de boxe populaire ont vu le jour, on a été parmi les premiers à donner leur chance aux femmes. Elles enfilent un casque et elles vont se tester sur le ring.” Vers 23h, la boxe est remplacée par les sets des DJ. Assis sur les bancs et tables en bois, certains discutent politique à bâtons rompus. Stefano, le Turinois, est attablé avec un pote de Calabre et une nouvelle connaissance, tout juste arrivée de Plaisance. Des numéros de téléphone sont échangés, des projets évoqués. Il explique : “On organise aussi ce genre d’évènement pour mieux se connaître, mais aussi échanger des idées et s’entraider.” Cette fois, sans prendre de gants.
Nicolas Zeisler / Photos : NZ
Elles seront sur scène lors du festival Peacock Society les 7 et 8 juillet prochains et elles animent le troisième dimanche de chaque mois une émission sur la webradio PiiAF. Le concept : parler musique autour d’une sélection conçue à partir d’un thème improbable –“géologie” ou “paradis fiscal”– ou carrément jouissif, tel “guilty pleasure”, un épisode mémorable de deux heures consacré aux tubes les plus addictifs des dernières années. Rencontre avec Miley Serious, DJ Ouai, Oklou et Carin Kelly, les quatre DJ –et productrices– derrière le TGAF Crew.
Par Grégoire Belhoste / Photos : Charlotte Robin
De gauche à droite : DJ Ouai, Carin Kelly, Oklou et Miley Serious
Comment vous êtes-vous rencontrées ?
Miley Serious : On s’est toutes rencontrées il y a deux ans, parce qu’on avait des amis communs.
DJ Ouai : Avec Miley, on s’est rencontrées parce qu’on était toutes les deux sur “Le Sanctuaire”, un minigroupe Facebook de partage de musique. Maintenant, il y a beaucoup de monde dessus, mais avant c’était plus intimiste. C’est là que j’ai vu passer son blase pour la première fois.
Et l’émission de radio sur PiiAF, c’est venu comment ?
Oklou : PiiAF m’avait invitée pour que je fasse un mix de deux heures. On m’a dit que je pouvais inviter qui je voulais. J’ai cru que ça voulait dire : “Invite tes potes, il y aura des micros, on va tous parler.” Alors j’ai proposé aux filles, on s’est donné un nom et on a trouvé un concept pour l’émission. On en a fait une, les mecs de la radio ont kiffé et on a gardé le créneau.
Quels sont vos premiers émois radiophoniques ?
En choeur (sauf Miley Serious) : Skyrock !
Carin Kelly : Au collège, j’avais un appareil pour enregistrer la radio. Je me faisais des compil’ de chansons sur cassette, et je priais pour que personne ne parle à la fin du morceau.
DJ Ouai : C’était tout le temps les mêmes titres en boucle. J’étais fan de RnB US mais aussi français, Wallen et tout ça.
Miley Serious : Moi pas du tout, c’était NRJ. Je me jetais sur Move Your Body d’Eiffel 65 quand ça passait. L’expérience radio qui m’a le plus torturée, c’est lorsque je suis tombée sur J’voulais de Sully Sefil, une nuit où j’écoutais la radio en cachette. Cette chanson m’a rendue tellement malheureuse ! J’ai compris qu’il ne fallait peut-être pas que j’écoute la radio tous les soirs.
Oklou : À partir de la 5e, j’étais contre Skyrock, je trouvais ça débile. Je crois que suis devenue un peu conne.
À quel moment avez-vous repris goût à ce genre de hits ?
Oklou : Ce moment où j’ai été conne a duré longtemps… À l’époque, j’étudiais le
Au lycée, tout le monde se foutait de moi parce que j’écoutais Sean Paul
DJ Ouai
classique dans une école. En musique classique, ils utilisent un terme assez représentatif de ce clivage bizarre : ils disent que leur musique est “savante”, et que tout le reste est de la musique populaire. Pour plein de musiciens, de techniciens du son, il n’est pas évident d’apprécier des choses plus populaires à leur juste valeur. J’ai traversé cette phase, mais je suis allée à l’extrême dans cette façon de penser, ça m’a dégoûtée. Je me rappelle certains jugements que portaient les autres élèves lors des soirées. Je ne comprenais pas. Au lycée, j’avais déjà des gros kifs pop. J’aimais le coté sexy du RnB.
Carin Kelly : J’ai eu l’impression de réestimer la pop à travers ma pratique artistique. Je fais de la photo et de la vidéo. Dans mon travail, je m’intéresse à la vie quotidienne et à la région d’où je viens, dans le Poitou. L’an dernier, par exemple, j’ai fait un docu sur le twirling baton, un sport assez populaire qui mélange la gym, la danse, le côté majorette. Il y a un âge où tu parles de ce qui t’a construit, et on en revient à ce truc-là, ce goût pour les hits.
Oklou : ll n’y a pas si longtemps, j’étais en voiture à Poitiers avec mon père. Il râlait parce qu’un concert gratuit de Maître Gims était organisé dans la ville. Il disait : “Pourquoi ils mettent ça ? Ils pourraient mettre un truc bien, quand même.” Je lui ai dit que c’était trop bien, que plein de gens adoraient et étaient extrêmement heureux de voir Maître Gims en concert gratuit. Il a fait : “OK.” Donc je crois qu’il a compris.
DJ Ouai : Au lycée, tout le monde se foutait de moi parce que j’écoutais Sean Paul. J’étais un peu considérée comme la “pouf”, ça me faisait complexer. Du coup, j’ai eu une phase de déni, de snobisme envers les musiques plus populaires, avant de m’y intéresser de nouveau plus tard, parce que, au fond, c’est ce que j’aime.
Carin Kelly : À la fin de mes années lycée, le “digging” a pris toute une envergure avec les Blogspot : dans mon entourage, c’était la course pour trouver les morceaux les plus originaux, les plus underground. Le problème, c’est que tu étais toujours tout seul en train de chercher ta chanson et ça obstruait tout ce qui se passait dans le “monde normal”.
Miley Serious : Quand j’étais adolescente, je voulais absolument être différente. J’ai été fan d’Indochine. Hardcore fan à chialer ma vie. Je les ai suivis dans tous les patelins du Sud : Agen, Albi… Tout me soûlait, je voulais juste me différencier. Jusqu’au moment où j’ai réalisé que je n’étais pas née avec une culture underground. En 2006, je me suis remise à écouter et surtout à jouer des hits. Je venais d’avoir mon bac, j’ai commencé à mixer de l’eurodance à Toulouse, où je suis partie vivre. Pour les gens, ça faisait un peu les soirées “pouet pouet”, faut le dire. Mais ça a bien marché.
Tout le monde ne partage pas ce goût pour les tubes… Est-ce que vous avez des souvenirs de DJ sets un peu tendus ?
DJ Ouai : C’était une soirée techno dans un squat. Juste avant moi, les DJ ont joué de la techno, les gens kiffaient trop. Quand je me suis mise à jouer de la transe, un mec est monté sur scène et m’a demandé de jouer des morceaux “moins commerciaux”. Devant moi, plein de gens écrivaient “Techno STP” sur leur téléphone. Pour eux, les sonorités étaient “commerciales”. Alors qu’en vrai, pas du tout ! C’étaient des morceaux des années 90, 2000, de la transe historique. Je continuais à jouer, mais au fond de moi, j’étais dégoûtée… Les gens pensent que le DJ peut tout encaisser, qu’il est le roi –la reine– de la soirée, qu’on peut lui dire ce qu’on veut.
Quand j’étais adolescente, je voulais absolument être différente. J’ai été fan d’Indochine. Hardcore fan à chialer ma vie
Miley Serious
Miley Serious : On a déjà aussi eu un bon petit “casse-toi” et d’autres insultes en pleine soirée parce qu’on jouait du Jersey dans une soirée hip-hop.
DJ Ouai : Le public était particulier. C’étaient des ados qui attendaient de voir jouer leur groupe préféré. Tout ce qu’il y avait avant, pour eux, c’était du vent.
Miley Serious : Ils nous avaient bien allumées. Et puis Oklou est arrivée et leur a dit : “Oh les gars, il va falloir attendre!”
Oklou : J’avais l’impression d’être une monitrice de colo !
DJ Ouai : Après, on adore les tubes de la culture populaire, mais cela ne veut pas dire que l’on va jouer des sets entiers là-dessus. Souvent, ils servent de base pour faire des edit, des remix, pour ensuite être réadaptés à un esprit de club. C’est un bon moyen d’amener la culture populaire dans les clubs.
Carin Kelly : Si nous, on s’assume, le public s’assume aussi. Si on fait un set techno d’un côté et un set généraliste de l’autre, chacun reste dans son coin, ça ne bouge pas.
Que pensez-vous du terme “Internet Wave”, que l’on accole parfois à votre crew pour qualifier votre musique ?
Carin Kelly : C’est logique qu’il faille donner un nom à ce qu’on ne connaît pas. Le mot “Internet”, je comprends. C’est vrai qu’on n’est pas comme nos parents, on passe les trois quarts de notre temps sur Internet.
Oklou : Mais ce qui est bizarre, c’est que ça décrit tous les gens de notre génération… Tous les jeunes ont un ordinateur chez eux, communiquent par Internet et s’échangent des fichiers.
DJ Ouai : C’est trop large ! Il y a tout et rien dedans. Pour moi, c’est comme parler de “fax wave” ou de “téléphone wave”. En soi, c’est juste un moyen de communication utilisé par tout le monde. On n’arrive pas à comprendre le ciment qu’il y a, si ce n’est qu’on poste des musiques sur SoundCloud. J’en parlais avec un ami qui veut écrire une thèse sur le sujet : comment un courant s’est-il développé via Soundcloud et cette nouvelle géographie qu’est Internet ? C’est un genre large qui ne concerne pas seulement la France.
Miley Serious : La toute première vague Internet, c’était la Witch House (genre musical mêlant, entre autres, le hip-hop chopped and screwed, la musique bruitiste, la drone-music et leshoegazing, ndlr), et ça va faire dix ans…
Le lundi 19 juin se tenait la deuxième édition des Bêtes noires de la pub, une cérémonie destinée à “récompenser” chaque année les publicités des multinationales dupant le plus les consommateurs et exploitant les animaux. Reportage, entre humour végétarien, applaudissements vegans et annonces qui passent mal.
FLORIAN CADU
N’importe qui ne mange pas n’importe quoi.
“Bah non messieurs dames, La Vache qui rit ne rit pas !” Après avoir gentiment hué Rémi Gaillard, qui “ne mange plus de viande depuis six mois” mais s’autorise encore du fromage, la centaine de vegans présents dans la péniche La Nouvelle Seine se marrent doucement devant les blagues faciles de Christine Berrou, animatrice d’un soir, en compagnie de Guillaume Pot, journaliste de Rires et Chansons, qui présente d’entrée l’objectif de la soirée : dénoncer l’hypocrisie et les mensonges des publicités proposées par les grandes marques à l’égard des animaux et des consommateurs, en remettant des prix ironiques dans diverses catégories. En tout, sept “pipeau d’or” à distribuer, allant de celui du “Mauvais goûts” au “Prix spécial Suisse” en passant par “La victime consentante”.
Si la filière foie gras rafle le prix de “L’animal effacé” pour la deuxième fois consécutive grâce à sa pub télévisée où ni canard, ni maigre, ni obèse n’apparaissent à l’image, et Candia celui de “L’illusion de l’élevage heureux”, personne n’a daigné se déplacer pour récupérer la récompense. Ce qui fait plutôt sourire Benoît Thomé, président d’Animal Cross, l’association organisant l’événement : “On a invité toutes les entreprises nominées mais aucune n’a répondu positivement. Pas grave, on leur enverra par la poste !” Muni de son fameux t-shirt “Je suis n’importe qui”, Rémi Gaillard, l’un des deux parrains de la soirée avec la styliste Lolita Lempicka, souhaite même que cette initiative aille plus loin. “Ce qui serait vraiment top, ça serait d’aller chez ces grandes marques et leur apporter le pipeau d’or tout en se filmant !” propose celui qui préfère passer l’essentiel de la soirée à l’extérieur, au bord de la Seine, mais qui n’oublie pas d’envoyer quelques charmantes insultes envers la SPA de Montpellier, avec laquelle il est en litige après avoir pourtant récolté pour elle 200 000 euros en s’enfermant dans une cage durant trois jours et quatre nuits.
Sur un fond de Francis Cabrel
Mais Les Bêtes noires de la pub ne se limitent pas à une simple cérémonie banale devant des yeux végétariens. Entre chaque remise de prix, humoristes, youtubeurs, magiciens, musiciens et associations se relaient pour défendre la cause animale, chacun à leur façon. Dans une chaleur suffocante, les tours de passe-passe de Rémi David tentent d’expliquer comment la publicité prend les acheteurs pour des billes, Stéphanie Valentin et son violon reprennent La Corrida de Cabrel, David Azencot sort son plus bel humour noir pour chambrer les anti-viande, Jihem Doe montre ses vidéos pro-vegan et Guillaume Meurice diffuse une de ses chroniques diffusée sur France Inter.
On a invité toutes les entreprises nominées mais aucune n’a répondu positivement. Pas grave, on leur enverra le prix par la poste!
Benoît Thomé, président d’Animal Cross
“Dans ce genre de combat, tu peux rapidement faire chier, tu deviens rapidement moralisateur. Là, la soirée constituait une sorte de parodie qui m’a amusé. Ça consiste à dire : ‘Tiens, les pubs se foutent de nos gueules à longueur de temps, à nous de se foutre de leur tronche’”, apprécie le chroniqueur, végétarien, “pas encore vegan” –une pétition réclamant qu’il le devienne a récemment vu le jour sur Change.org– et présent dans plusieurs vidéos de l’association de protection animale L214. Il enchaîne : “Et puis, ce style d’événement participe d’un mouvement. On ne va pas changer tout d’un coup, mais ça permet de montrer que les gens qui sont là-dedans ne sont pas seuls. Et moi, je n’aime pas les luttes ‘individuelles’. Un peu comme dans certains débats de gauche, ou t’as toujours un mec qui veut pisser plus à gauche que toi. Dans des causes comme ça, on a tout intérêt à se bouger ensemble.” Après une petite séance photo improvisée, Rémi Gaillard, toujours en forme, tient à peu près le même discours, même s’il regrette que “les convaincus restent souvent entre eux, dans leur monde. Les associations semblent parfois en compétition. Là, on a regroupé tout le monde, on était tous ensemble. Le message, c’est qu’on est solidaire. Brel affirmait : ‘Le talent, c’est d’avoir envie de faire quelque chose.’ Eux, ils ont forcément du talent, puisqu’ils ont fait quelque chose.” Même les cookies et le punch.
FLORIAN CADU
Grâce à lui, la “poudre de perlimpinpin” d'Emmanuel Macron est devenue un hit et on ne peut plus dire "Ah" sans penser à Denis Brogniart. Sur Youtube, Khaled Freak a ponctué la dernière campagne présidentielle de remix colorés dont le succès n'est plus à faire et s'attaque désormais aux stars d'Internet comme Yepco, celui qui veut “appeler les hendeks”. Rencontre chez lui, dans le Sud de la France, là où il accepte de passer des heures derrière son écran au lieu de profiter du soleil, tout ça pour nous faire rire (et nous ancrer des sons techno dans la tête).
Texte et photo : Nejma Brahim
Khaled Freak et son t-shirt en hommage à Usher.
“Freak, ça veut dire ‘monstre’, ‘phénomène’ en anglais. J’aimais bien ce que ça disait de moi”, sourit-il, attablé en terrasse d’un café à La Ciotat, dans les Bouches-du-Rhône. Khaled Frik, 36 ans, n’était pas vraiment parti pour devenir Khaled Freak, le youtubeur aux quatre millions de vues qui jongle avec la ‘poudre de perlimpinpin’ d’Emmanuel Macron, fait danser Marine Le Pen et son père sur fond de raï, fait ressortir le thug president qui se cache en François Hollande et change Dominique Dord en roi du clash. Et pourtant.
Né à Annaba en Algérie, Khaled débarque en région parisienne avec sa mère à l’âge de 13 ans. Tous deux posent leurs valises à Bondy, “dans une cité”. Les débuts en France sont difficiles. “Un choc, ose-t-il. La banlieue, ce n’est pas vraiment l’image que l’on se fait de la France avant de venir.” Cela n’empêche pas l’adolescent de décrocher, quelques années plus tard, un bac pro informatique avant de mettre le cap vers le Sud, où il retrouve la chaleur de la Méditerranée et la bise à tous les coins de rue. “C’était un pur hasard ! J’avais une vingtaine
Je crois sincèrement que j’étais un mauvais beatmaker
Khaled Freak
d’années et j’étais venu en vacances chez mon père qui vivait à La Ciotat. Je n’en suis jamais reparti.” Là, posé entre Saint-Cyr-sur-Mer et Marseille, il s’improvise beatmaker. Tente de trouver sa patte, un style qui le démarquerait des autres. En vain. “Je crois sincèrement que j’étais un mauvais beatmaker, confesse-t-il. D’ailleurs, si j’avais été bon, on m’aurait repéré, non ?” Lucide, le jeune Khaled arrête net les dégâts. Mais il ne s’éloigne pas de son éternelle passion, la musique –“J’ai toujours aimé ça. À 6 ans, j’avais déjà un clavier chez moi, sur lequel je jouais tout le temps”, et se lance comme producteur électro. Puis, il commence à remixer. Si le jour, il est informaticien, la nuit, il “bouffe des tutos” sur YouTube. Des vidéos auxquelles viennent s’ajouter des cours en ligne, pour lesquels l’apprenti paie un abonnement mensuel et qui lui permettent d’acquérir toutes les ficelles du métier. Entre-temps, l’ancien mauvais beatmaker est devenu père de famille. “C’était éreintant. Je ne dormais que trois heures par nuit.” Bien loin des huit heures de sommeil réparateur conseillées, passant celles qui lui manquent dans son studio, qui n’est autre que “[so]n ancienne chambre d’ado”. Une pièce d’environ neuf mètres carrés située au dernier étage d’un immeuble du centre-ville, juste au-dessus de l’appartement de son père, que Khaled décore petit à petit, les écrans, les baffles, la sono et le clavier venant tenir compagnie aux vieilles peluches du désormais grand gaillard.
Entre 20 et 35 heures de travail
Pour une vidéo de quelques minutes, Khaled passe en moyenne entre 20 et 35 heures à recueillir, monter, synchroniser, tuner. Il va même jusqu’à réaliser ses propres compositions musicales. “Les gens n’imaginent pas la difficulté de mon travail. La langue française n’est pas simple, et on ne peut pas faire ce genre de remix avec tout le monde”, poursuit-il, citant par exemple Poutou ou Lassalle. Sa première prouesse n’a rien à voir avec ses œuvres actuelles. “C’était en 2013, je crois. J’avais fait un remix intitulé Fellous Titiou qui passait sur toutes les radios algériennes”, se souvient-il, sourire pas peu fier aux lèvres. Une reprise de la célèbre chanson enfantine Poussin Piou. “J’ai pensé que ça pouvait être drôle de la traduire en arabe. Et attention! c’est moi qui chantais, hein !” Khaled découvre ensuite le monde merveilleux des remix de vidéos politiques. “C’est un ami qui
Parfois, on me sort : ‘Tu me dis quelque chose toi !’ ou ‘T’as pas perdu un chat ?’
Khaled Freak
m’a dit que ça existait aux États-Unis. J’ai regardé et j’ai testé.” S’il s’inspire – “sur le concept, pas sur la technique”– de Schmoyoho, la chaîne YouTube du groupe américain The Gregory Brothers, le youtubeur aime “fonctionner au feeling”, et attend que quelque chose de “viral et inspirant” se présente à lui. “Je ne regarde pas les débats à la télévision, avoue-t-il. Non, ce qu’il faut, c’est écouter la communauté.” Soit les envies qui émergent sur les réseaux sociaux. Même si ces derniers ne lui sont pas toujours reconnaissants. Comme cette fois – la seule– où il tente un remix d’un discours de Marine Le Pen, et où les réactions de sa “communauté” et les commentaires des Insoumis, notamment, sont assassins. Remix qu’il retirera de sa chaîne moins de 24 heures après publication, ne supportant pas qu’on l’assimile aux idées du FN ou qu’on l’accuse de faire sa promotion. Quant à ceux qui lui reprochent d’avoir fait de la pub à Mélenchon pendant la présidentielle –le leader de La France insoumise a repris ses remix par la suite–, Khaled est mitigé : “Je reste un artiste militant et engagé, même si j’essaie de ne pas mélanger art et politique. J’aime promouvoir des idées, des combats rassembleurs, pas des personnes.”
Tout le monde le connaît, personne ne le reconnaît
La présidentielle passée, le Ciotaden se montre lucide : “Tout ça, c’est momentané, ce n’est qu’une étape !” L’idée, c’est donc d’élargir son public en lui offrant trois univers : la politique, les memes* et les youtubeurs. “La politique, c’est vendeur pour les médias, pas tellement pour les jeunes. Là au moins, je mets en accord les différents groupes de ma communauté”, explique-t-il, stratégique. Et ça marche : sa vidéo Je suis pas venue ici pour souffrir, ok ? a fait cinq millions de vues, dépassant ainsi Perlimpinpin. Le “ah!” de Denis Brogniart, de son côté, en est à trois millions. Et Yepco, le jeune youtubeur qui s’est filmé en disant “appelez les hendeks” car on l’agressait, l’a lui-même invité à faire un remix de sa vidéo.
Aujourd’hui, malgré ses 356 000 abonnés, Khaled dit passer encore “incognito”.“Mes collègues n’y croyaient pas jusqu’à ce qu’ils voient mon minois à la télé”, ironise-t-il. À La Ciotat, tout le monde le connaît, personne ne le reconnaît. “Parfois, on me sort : ‘Tu me dis quelque chose toi !’ ou ‘T’as pas perdu un chat ?’”, rit-il. Mais n’en déplaise à ceux qui ne sont pas physionomistes, le trentenaire, en plus de voir ses gains grimper sur YouTube, a été repéré : “J’ai reçu un message privé sur Twitter de Schmoyoho, ils me demandent un featuring !” Il vient également de signer son tout premier Label avec Juston Records pour Perlimpinpin. Le remix en marche.
Texte et photo : Nejma Brahim
Après l’échec retentissant de Paris 2012, l’olympisme français a retenu une leçon: sa prochaine candidature devra être portée par un sportif. En l’occurrence, l’élu s’appelle Tony Estanguet. Triple champion olympique mais moins connu que les Pérec ou Killy, ce gendre idéal a abandonné son canoë pour naviguer dans les eaux tout aussi agitées de l’olympisme. Et pourquoi donc?
ALEXANDRE PEDRO / PHOTOS : IORGIS MATYASSY POUR SOCIETY
Pour la candidature de Paris aux JO 2024, Tony Estanguet a enfilé son bleu de chauffe.
La France de 2017 sera donc celle des “presque quadra”. Ce 16 mai dernier, sur le perron de l’Élysée pour sa deuxième matinée de président élu, Emmanuel Macron, 39 ans et cinq mois, pose pour le selfie de rigueur avec les membres de la commission d’évaluation du CIO en visite d’examen à Paris. Celui qui tient le smartphone lui rend à peine six mois et pas grand monde non plus ne misait sur sa présence en ces lieux cinq ans plus tôt. Si Paris est préférée à Los Angeles le 13 septembre prochain à Lima pour organiser les Jeux olympiques de 2024, ce sera pourtant en grande partie grâce à lui. Tony Estanguet est le coprésident de la candidature française pour ces JO et avec Emmanuel Macron, ils sont déjà en marche. “Voir un jeune leader dynamique, ouvert sur le monde, qui porte des valeurs très fortes et qui a envie de faire gagner la France à l’international, ça nous aide forcément”, sourit le triple champion olympique de canoë en slalom à propos du nouveau grand patron. Tony Estanguet sourit souvent. Tout au long de ces trois journées promotionnelles en tout cas, il a généreusement montré ses dents. Sous la tour Eiffel, en vélib avec Anne Hidalgo, sur la piste du Stade de France. Les journalistes étrangers ont bien aimé. Ils en ont parlé comme d’un “good guy” dynamique, avenant et pas rattrapé pas les rondeurs de l’après-carrière. Et tant pis si certains d’entre eux ne savaient pas dire exactement à quelle discipline il doit ses bras musculeux (“il faisait du canoë en ligne ou en slalom?”, interroge un confrère américain), ils ont bien vu le temps de ces trois jours que c’était lui le boss.
Leçon de lobbying avec les Anglais
Tony Estanguet a accepté la mission il y a déjà un certain temps. Fin mars dernier, le champion a donné rendez-vous chez lui, à Pau, entre deux avions. “Je ramasse en ce moment”, dit-il. La veille, il a eu à peine le temps de descendre d’avion que ses trois fils l’attendaient déjà avec leurs paires de ski pour profiter d’un dernier dimanche de poudreuse sur les pistes de Gourette, et sous le soleil. Depuis, Tony ne lâche plus son tube de Biafine. Mais chez les Estanguet, on ne dit jamais non à une journée de sport –foot, judo, canoë bien sûr, basket, gym et même biathlon l’hiver. En ce lundi, il vient d’apprendre qu’il devra effectuer seul une présentation importante en fin de semaine à Aarhus, au Danemark, pour le “Davos du sport”. Et puis après une interview dès potron-minet avec France Télévisions, il a fallu enchaîner sur une visioconférence avec les équipes de Paris 2024. Loin du confort des bureaux parisiens du boulevard Haussmann, Estanguet pose son ordinateur dans un des préfabriqués de la base du stade d’Eaux-vives à la sortie de Pau, qui sert de QG à un autre comité d’organisation, celui des mondiaux de canoë-kayak prévus fin septembre et dont il coiffe aussi la casquette de président. La discussion coule en anglais et le coprésident doit composer avec un wi-fi petit bras pour capter le briefing d’un certain Mike Lee. De l’échec de Paris 2012, la candidature française a retenu l’idée que lobbying n’était pas un gros mot, mais d’abord un mot anglais. Voilà pourquoi ce gourou en la matière a été embauché douze ans après avoir contribué à la victoire de Londres. À l’ordre du jour, le jugement de Salomon que prononcera le CIO à Lima, en répartissant les Jeux de 2024 et 2028 entre Paris et Los Angeles. Quel est le message à envoyer? “Il faut faire comprendre qu’il est préférable de commencer par Paris. Et c’est mieux si ce sont les médias d’autres pays qui font passer ce message, parce qu’ils sont perçus comme plus objectifs”, théorise Estanguet. Développer ses points forts, gommer ses faiblesses et le tout “sans jamais dire du mal de son adversaire, c’est règle du CIO”, voilà sa nouvelle navigation au quotidien. Et il avoue comme une impression permanente de “marcher sur des œufs. C’est de la politique. C’est parfois l’enfer, mais je m’éclate là-dedans”.
Ce projet olympique nous sort de cette idée du petit pays que l’on serait devenu, qui devrait se refermer sur lui-même
Tony Estanguet
Sans doute parce que Tony Estanguet imagine mal sa vie sans les JO. “La différence entre être olympique ou pas pour un sport comme le mien est énorme. J’ai l’impression de tout devoir aux Jeux”, concède-t-il. En 2000, il avait pagayé contre son frère aîné Patrice (médaillé de bronze à Atlanta en 1996) pour un billet pour Sydney. “Psychologiquement, c’était la semaine la plus terrible de ma carrière, remet-il. On s’entraîne, on se déplace, on mange ensemble, mais on ne se parle plus de la même manière. Je m’étais mis à faire attention à ce que je disais devant lui.” D’Australie, il reviendra couvert d’or. Idem en 2004, puis en 2012. Tout ce temps-là, malgré les médailles, Tony Estanguet n’a jamais oublié l’avertissement de son père, lui-même ancien champion de canoë: “Ne rêve pas, il n’y a pas d’argent à gagner dans ce sport.” Alors il a préparé son professorat de sport pour marcher sur les traces du paternel. Chez les Estanguet, on donne dans la fonction publique en semaine (sa mère est infirmière, sa femme institutrice) et dans l’associatif le week-end. Sauf que le champion, lui, n’a pas forcément la vocation de l’enseignement. Alors que le petit monde du canoë-kayak cultive son entre-soi, caché aux pieds des montagnes –“On nous expliquait qu’il ne fallait pas parler aux médias alors qu’il devait y avoir un journaliste présent. C’était présenté comme une menace”–, Estanguet, lui, assure ses propres relations presse, monte des dossiers pour démarcher des sponsors (Adidas, Ferrero, Mennen, EDF). En 2005, il finit par prendre la tangente et part suivre un master en marketing du sport à l’ESSEC. “Je venais d’une discipline où il n’y avait pas d’argent, où c’était un tabou. Je voyais pendant les JO des machines à brasser de l’argent pour développer le sport. Ça m’intéressait d’avoir ces outils marketing, comprendre comment ça marchait”, justifie-t-il avec le recul. Une formation utile aussi pour devenir l’un de ces sportifs dont les entreprises s’arrachent les services afin d’égayer les séminaires de leurs cadres en manque d’esprit d’équipe. En 2008 en Chine, pourtant, ce n’est pas encore ça. Porte-drapeau de la délégation française, Estanguet sent une chape de plomb peser sur ses épaules. Il n’arrive pas à apprivoiser le plan d’eau, coule en demi-finale, lui l’immense favori, et préférerait “aller se noyer” plutôt que de répondre à la centaine de journalistes présents.
Est-ce du storytelling quand il assure qu’il ne serait peut-être pas devenu membre du CIO et coprésident de Paris 2024 sans “Pékin”? Sans doute un peu. Mais à Londres en 2012, le voilà changé. Il est élu membre de la commission des athlètes du CIO. “Mauresmo, Douillet, Dénériaz avaient été battus par le passé, c’est une élection très compliquée où il faut un gros travail en amont, cadre Jean-Philippe Gatien, vice-champion olympique de tennis de table en 1992. C’est comme une élection politique, mais réservée aux athlètes du village. Il faut faire campagne, présenter un programme, mobiliser des représentants dans les différents sports.” Quand ses malheureux prédécesseurs ont pensé que leur nom ou leur palmarès suffiraient, lui a mouillé le maillot, serré des mains, enchaîné les championnats du monde dans différents sports pour élargir son réseau. Et missionné des émissaires, comme Tony Parker, chargé d’assurer sa promo auprès des basketteurs. “Il m’a vendu, il leur a dit que j’étais un mec bien et comme les basketteurs aiment bien Parker, ils ont voté pour moi. C’était important d’avoir une unité au niveau français pour voir que j’étais soutenu.” Alors que le sportif s’apprête à prendre congé, le politique perce déjà. “Après, le côté politique, ce n’est pas ce que je recherchais dans le job. Faire campagne ce n’est pas ce qui m’éclate, c’est d’abord un moyen pour entreprendre d’autres choses.” Avec Paris 2024, il est gâté. Au CIO, il est très vite de toutes les commissions, améliore son anglais –“Je me débrouillais mais je n’étais pas un king au début”– et tisse des relations utiles. Pour la candidature parisienne, il produit des rapports, accepte les missions fastidieuses ; bref, se rend incontournable. “C’est le travail qui fait la différence, enfonce-t-il. Au début, on m’a proposé des dossiers pas forcément sexy, j’ai dû faire mes preuves là-dessus, je suis allé me le chercher, ce poste de coprésident. On ne m’a pas choisi pour ma notoriété.”
Tony contre le déclinisme français
Retour à la sortie de Pau, à Bizanos, chez la famille Estanguet. Pendant que les enfants engloutissent les aiguillettes de canard préparées par leur mère, le devoir appelle encore leur père, qui enfile une troisième casquette, celle de membre de la commission des athlètes du CIO. Le PC cette fois installé dans la chambre de ses deux fils aînés au pied du lit superposé, le Français participe comme tous les deux mois à la réunion de coordination entre les différentes commissions. Lui cornaque celle sur la lutte antidopage. Il relit en urgence ses notes avant de présenter les propositions de son groupe de travail. Dans l’une des fenêtres de discussion, on reconnaît la perchiste russe Yelena Isinbayeva, dans une autre le basketteur argentin Luis Scola. Estanguet évoque le cas des athlètes qui récupèrent des médailles à la suite du déclassement d’adversaires pour dopage. “On doit s’assurer qu’ils aient aussi été contrôlés.” Au bout de deux heures de visioconférence, il accuse un peu le coup –“Je crois que tout le monde en a un peu marre”–, mais tente de s’impliquer dans la discussion quand est évoqué le contenu de la toute récente chaîne télé du CIO ou la qualité de la restauration au village olympique dont tout le monde s’accorde à dire qu’à Rio, elle “n’était pas terrible”.
Peu importent la fatigue, l’éloignement, les réunions qui s’enchaînent en tunnel et la langue de bois qu’il faut parfois débiter par copeaux, Estanguet encaisse au nom d’une conviction bien ancrée en lui: ce sont les sportifs qui peuvent changer le sport. Il sait qu’il risque de passer “pour un naïf”, mais il assume quand il cherche à convaincre sur les valeurs du sport, qu’il rappelle que 18 millions de Français pratiquent une activité sportive, qu’il prêche sur ses mérites en matière d’éducation, de santé, de vivre-ensemble, et donc de l’importance d’apporter les JO à la France. “J’entends ce discours, de dire: ‘On a peut-être mieux à faire.’ Mais ce projet olympique nous sort de cette idée du petit pays que l’on serait devenu, qui devrait se refermer sur lui-même. Je pense que l’on est dans un moment où il faut casser cette dynamique.” Il est 17h, le coprésident de Paris 2024 prend congé et remonte dans son 4×4 familial. Il doit amener ses fils au judo et au basket, c’est marqué sur le frigo.
ALEXANDRE PEDRO / PHOTOS : IORGIS MATYASSY POUR SOCIETY
Elles s’étaient souvent croisées en soirée, mais jamais vraiment rencontrées. Chloé et AZF se découvrent pourtant de nombreux points communs: la musique électronique, évidemment, leurs souvenirs des années folles du Pulp et, surtout, la même vision de ce que devrait être un artiste en 2017.
PAR BRICE BOSSAVIE / PHOTOS : BB
AZF et Chloé.
Audrey, ton premier lien avec la musique électronique, c’est le club du Pulp.
AZF: Oui. J’ai grandi en banlieue, et vers 18, 20 ans, c’était l’endroit où j’allais, spécialement le jeudi aux soirées Kill The DJ de Chloé, et les autres parce que c’était le seul endroit queer à Paris. Le jeudi, c’était vraiment un truc à part : il y avait de tout, des hétéros, des gouines, des pédés, des trans’… C’était vraiment mélangé. Et même au niveau de la musique, c’est là où j’ai vu pour la première fois des filles aux platines, en l’occurrence Chloé et Jennifer Cardini.
Comment as-tu été amenée à entendre parler du Pulp?
AZF: À la base, j’écoutais du rap et je suis ensuite allée dans des freeparties. La musique électronique me permettait de faire le pont entre les deux. Et puis de toute façon, à cette époque, quand tu étais en région parisienne, que tu étais homo et que tu aimais la musique électronique, il n’y avait pas des millions de trucs. J’ai un peu fui la banlieue en quelque sorte…
Chloé: À cet âge-là, je peux comprendre que quand tu as un besoin d’émancipation et que tu te cherches, tu as plutôt envie de fuir un endroit comme ça et trouver un environnement qui te comprenne. Cette musique n’était pas encore acceptée, je me souviens que mon entourage ne comprenait vraiment pas du tout ce que je faisais de mes week-ends. On entendait parler de la musique électronique qu’en de très mauvais termes. La politique n’y voyait que des gens qui se “droguaient dans des champs”. Il y avait une vision très réductrice de ce qui était en train de se passer.
Mais à quel moment on en est arrivé au point de se dire qu’un artiste ne devait pas être politique? Durant la campagne présidentielle, on n’a jamais entendu parler de culture
AZF
Faire de la musique électronique à l’époque, c’était presque un acte politique et militant?
Chloé: Si tu remets ça dans ce contexte-là, vu que cette musique n’était pas encore démocratisée, oui, ça l’était.
AZF: C’était forcément être en marge, quoi. Alors qu’aujourd’hui, tu peux faire de la musique électronique sans être militant du tout, même si j’ai énormément de mal à concevoir la chose comme ça. Et puis c’est aussi un business qui pèse énormément d’argent. Après, tu as aussi des gens, dans la musique électronique, qui se battent contre ce système-là. Tu as du clubbing de gauche et du clubbing de droite…
Chloé:(elle sourit) Ça me fait marrer d’entendre quelqu’un comme toi dire ça parce que ça veut dire que ce genre de débat, qui existait aussi à mes débuts, au milieu des années 90, subsiste encore aujourd’hui. Avec sa démocratisation, l’électro est aussi devenue aujourd’hui un business, et j’ai l’impression que ça devient parfois plus important que l’artistique.
Il y a de la politique dans votre musique?
AZF: Chloé produit, moi pas encore. Mais quand je sortirai mon premier EP, il sera sûrement très politisé, oui. Être DJ, c’est se mettre au service de quelque chose, d’un moment. C’est créer un espace pour que des gens dansent. Et dans la production, il y a déjà un engagement politique plus marqué.
Chloé: Je ne le fais pas consciemment, mais il y a certainement quelque chose de politique, ne serait-ce que dans la démarche dans laquelle je m’inscris. Ça passe par mes choix artistiques, de collaborations, les soirées que tu fais, le refus d’aller vers la simplicité, et l’envie par moment de bousculer tout ça.
D’ailleurs, que pensez-vous de la polémique autour de Laurent Garnier passant Porcherie des Bérurier noir au Rex? (Il avait publié la vidéo sur son profil Facebook, attirant la véhémence de sympathisants FN, ndlr)
Chloé: Garnier a toujours affirmé son antifascisme et je trouve ça très bien qu’il le dise encore aujourd’hui. Il rappelle d’où vient la musique électronique, et quelles sont ses valeurs! Moi, ce qui me rend dingue, ce sont les commentaires. Ça m’a choquée de voir qu’on en est encore là! Un DJ, c’est quelqu’un qui pense, pas juste un pousse-bouton.
AZF: Les gens lui disaient: ‘T’es un artiste, t’es un DJ, tu n’as pas à faire de politique.’ Mais à quel moment on en est arrivé au point de se dire qu’un artiste ne devait pas être politique? Durant la campagne présidentielle, on n’a jamais entendu parler de culture. Donc c’est encore plus aux artistes de faire valoir ça.
Cette réaction des gens sur cette vidéo, ce n’est pas un peu la limite de la démocratisation de la musique électronique? On est passé des années 90 où c’était une musique mal vue mais engagée, à un genre aujourd’hui répandu mais plus aseptisé.
Chloé: La démocratisation n’a pas fait que du bien à l’électro, comme à toutes les musiques d’ailleurs. C’est devenu un business et on a droit à tout. En tout cas, ça me paraît important de continuer à rappeler que les valeurs que la musique électronique prône depuis ses débuts sont des valeurs de respect, de partage et de tolérance. Tout l’inverse du fascisme.
AZF: C’est clair. On se bat pour que quelque chose soit reconnu et partagé par le plus grand monde, mais quand tu arrives à ce niveau, ça brasse évidemment plus large. Après, est-ce que c’est pour ça qu’il faut que l’on retourne tous dans nos caves? Je n’en suis pas sûre. Il faut continuer à éduquer les gens, rappeler ce qu’est cette musique à la base, pour que les personnes d’extrême droite comprennent qu’ils n’ont pas la bonne philosophie quand ils viennent sur un dancefloor.
Avec sa démocratisation, l’électro est aussi devenue aujourd’hui un business, et j’ai l’impression que ça devient parfois plus important que l’artistique
Chloé
Qu’est-ce qui vous différencie le plus sur le plan musical? Peut-être le mélange des genres?
AZF: Moi, mes sets ne sont pas du tout mélangés!
Chloé: Le truc cool avec Audrey, c’est qu’elle écoute du rap mais joue de la techno. Après, pour répondre à la question, c’est vrai que ça ne se faisait pas trop de mélanger les genres et les artistes en soirée, le Pulp était sûrement le seul endroit à Paris qui le permettait. En revanche, dans les free, il y avait des salles avec un style différent dans chacune d’elles. Mais ça ne se fait plus aujourd’hui.
AZF: Après, je n’ai pas envie que tout devienne de la musique fusion non plus, il y a un équilibre à trouver. Pour moi, la techno doit correspondre à certains codes. Mais tu peux la mélanger à plein de choses…
Pour vous, ça serait quoi le club parfait?
AZF: C’est un équilibre compliqué à trouver. C’est faire passer des gens que j’aime bien, des gros artistes, et être en même temps un endroit ancré dans la scène locale avec une porte sympa, des consos pas trop chères… Je traîne dans le milieu depuis dix ans, donc je m’inspire de tout ce que je vois. Mais je ne me sens pas encore capable de monter des projets comme ça. Ça arrivera si ça doit arriver.
Chloé: Ce sont aussi des histoires de rencontres.
AZF: Oui. Et puis je ne suis pas vraiment dans les calculs. Au grand dam de mon manager (rires).
À voir: Chloé et AZF se produiront au festival Le B:On Air à Marseille, du 2 au 4 juin 2017
À écouter: Le nouvel EP de Chloé, The Dawn, chez Lumière Noire Records Et AZF sur Soundcloud
PAR BRICE BOSSAVIE / PHOTOS : BB
Entre ses révélations sur la NSA dans une chambre d’hôtel d’Hong Kong et sa fuite à Moscou à l’été 2013, Edward Snowden s’était caché dans les quartiers populaires de l’ancienne colonie britannique, hébergé chez des immigrés originaires du Sri Lanka ou des Philippines. L’histoire a été racontée dans Society #47. Depuis, ces familles sont harcelées par les autorités hongkongaises et risquent d’être expulsées après le rejet de leur demande d’asile.
Par Pierre-Philippe Berson, à Pékin / Photos : Emmanuel Serna pour Society
Ajith Pushpakumara a servi Snowden en tant que garde du corps pendant sa cavale.
Les dates butoirs font partie de la vie professionnelle de chacun : rendu d’un rapport, conclusion d’un contentieux, livraison d’un produit. La deadline de Robert Tibbo est fixée au 25 mai. Et elle est intenable. L’avocat d’Edward Snowden a beau être l’un des experts les plus réputés d’Hong Kong en matière de demande d’asile, les requêtes des autorités judiciaires du pays sont, de son aveu, “impossibles”. Il doit en effet présenter en appel le dossier de sept clients –quatre adultes et trois enfants– d’ici le 25 mai. “C’est irréaliste. Les délais sont trop courts. Résultat, je suis stressé. Les familles sont stressées. Ces derniers jours, la situation est infernale”, confie Me Tibbo, natif de Montréal et installé à Hong Kong depuis 2006. Pourquoi tant de tension ? En cas d’échec, s’il ne parvient pas à ficeler ces dossiers à temps, ses clients seront expulsés et renvoyés vers leur pays d’origine, les Philippines et le Sri Lanka. Où ils risquent l’emprisonnement, le viol ou la mort.
Oliver Stone et campagnes de crowdfunding
Les clients de Robert Tibbo ne sont pas des hommes ordinaires. Leurs noms s’étalent en une de la presse hongkongaise et mondiale depuis quelques mois. Ils s’appellent Ajith Pushpakumara, Vanessa Mae Bondalian Rodel, Supun Thilina Kellapatha et Nadeeka Dilrukshi Nonis. Certains ont des enfants et tous ont un point commun : ils ont aidé Edward Snowden durant ses quelques jours de cavale avant sa fuite vers Moscou. Vanessa l’a hébergé dans son minuscule appartement, Supun et Nadeeka ont fait de même. Quant à Ajith, il assurait la sécurité de l’ancien administrateur système de la NSA lors de ses déplacements dans les quartiers insalubres d’Hong Kong.
Leur contribution à l’évasion du lanceur d’alerte devait rester confidentielle. Ils n’en n’ont jamais parlé, jusqu’au jour de 2016 où le film d’Oliver Stone, Snowden, est sorti dans les salles du monde entier. Le biopic révélait une partie du stratagème mis en place par Robert Tibbo pour mettre à l’abri son célèbre client, entre le 10 et le 23 juin 2013. C’est là, où personne ne pouvait penser venir le chercher, dans les quartiers les plus défavorisés de la ville, que l’Américain avait réussi à échapper aux regards. Depuis, la vie des trois familles est devenue un incessant combat contre les autorités hongkongaises.
“Ce sont des gens bien qui sont partis de chez eux à cause de la torture, des viols, des abus, du chantage ou de la guerre”
Edward Snowden
Les policiers ont d’abord tenté d’obtenir des informations sur la cavale de l’Américain. Sans succès, les anges gardiens de Snowden ont tenu leur langue. Ensuite, les services sociaux ont réduit leurs aides. En tant que demandeurs d’asile, les familles bénéficiaient d’une allocation logement, de tickets de bus et de coupons d’alimentation. Une à une, ces mesures leur ont été retirées. “Ils survivent seulement grâce à la générosité des internautes qui versent des dons sur les sites de crowdfunding”, enrage leur avocat. Ce mouvement de générosité lancé sur les plateformes FundRazR et GoFundMe a été largement relayé par Edward Snowden en personne. Depuis Moscou où il réside encore aujourd’hui, il publie messages et vidéos de soutien, notamment sur Twitter, pour faire connaître la situation de ses anciens bienfaiteurs. Leur vie dans l’ancienne colonie britannique n’offre rien d’enviable. Elle est pourtant incomparablement moins périlleuse que leur existence dans leur pays d’origine. Comme le rappelle Edward Snowden : “Ce sont des gens bien qui sont partis de chez eux à cause de la torture, des viols, des abus, du chantage ou de la guerre.” Une expulsion de Hong Kong les replongerait dans ce cauchemar. “Ils risquent la persécution et la torture s’ils sont renvoyés dans leur pays”, estime aujourd’hui l’organisation de défense des droits de l’homme Amnesty International.
Robert Tibbo, l’avocat d’Edward Snowden.
Même si leur avocat parvient à déposer leur dossier à temps, les chances de voir leur situation s’améliorer sont minimes. Statistiquement, Hong Kong n’accorde l’asile qu’à 0,34% des demandes. “C’est honteux. Les autorités ne respectent pas leurs obligations internationales vis-à-vis des demandes d’asile, peste Robert Tibbo. Le gouvernement a intentionnellement conçu un système qui les marginalise, qui les sépare du reste de la population en créant une situation d’apartheid. Je ne vois pas d’autre mot. Les demandeurs d’asile sont mis à l’écart et ne bénéficient de presque aucun droit.”
La solution ? Un asile au Canada. Une demande a été déposée auprès du consulat canadien d’Hong Kong. Le pays a une tradition d’accueil et a récemment nommé Ahmed Hussen, un ancien réfugié originaire de Somalie, ministre de l’Immigration. D’ordinaire, la procédure dure 54 mois, mais face aux risques et compte tenu de la situation, les délais pourraient être raccourcis. “Il y a des raisons d’être optimistes”, sourit Robert Tibbo.
Par Pierre-Philippe Berson, à Pékin / Photos : Emmanuel Serna pour Society
Laurence Blisson est magistrate et secrétaire générale du Syndicat de la magistrature. Et en ce qui concerne le traitement des questions de justice par Emmanuel Macron et François Bayrou, elle demande à voir.
Par Barnabé Binctin / Photo : Renaud Bouchez pour Society
Que vous inspire la nomination de François Bayrou comme nouveau garde des Sceaux ?
Ce n’est pas quelqu’un de particulièrement connu pour s’être impliqué sur les questions relatives à la justice. En 2012, lorsqu’il était candidat, nous lui avions adressé un questionnaire (lire les réponses de François Bayrou ICI). Sur certains points, la discussion reste bien plus ouverte que la droite sécuritaire : il semble notamment favorable à l’allègement de peines ou aux alternatives à l’incarcération. Sur d’autres, comme la rétention de sûreté, il faudra se montrer plus attentif. Lors de la passation hier, il est resté très convenu avec un discours général sur la moralisation de la vie publique. Il est encore trop tôt pour identifier le sens dans lequel va aller ce ministère. Mais on a déjà pu voir la volonté du ministère de l’Intérieur de le déborder : dans son discours, Gérard Collomb a demandé à ce que toutes les incivilités soient immédiatement sanctionnées. Le principal enjeu pour François Bayrou sera peut-être de savoir résister à ce genre de pression pour préserver l’indépendance de la justice.
L’indépendance de la justice a d’ailleurs été au cœur de la campagne. Que propose Emmanuel Macron sur cette question ?
Pas grand-chose. Si les débats pré-élection ont beaucoup mis en cause l’indépendance de la justice, ils n’ont pas démontré un grand attachement des candidats à l’assurer concrètement dans le droit et dans les faits. La seule
Il manque du contenu et un engagement fort pour assurer véritablement l’indépendance de la justice
Laurence Blisson
proposition d’Emmanuel Macron sur le sujet est de reprendre le projet de réforme constitutionnelle, lancé en 2013 et abandonné en 2016, qui consiste à aligner les modes de nomination des magistrats du parquet sur ceux du siège – c’est-à-dire qu’il y ait un avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Mais c’est une réforme absolument minimaliste, qui ne sera pas propre à assurer la pleine indépendance de l’autorité judiciaire. Il faudrait notamment que le ministère de la Justice ne soit plus pouvoir de proposition au stade des nominations, comme c’est le cas aujourd’hui, afin de couper clairement les liens avec l’exécutif.
Emmanuel Macron ne va pas aussi loin. Il affirme qu’il veut sacraliser le fait qu’il n’y a pas d’instruction individuelle dans les dossiers : c’est évidemment une bonne chose, mais on ne voit pas exactement à quoi cela renvoie. S’agit-il juste d’un engagement à respecter les textes de loi qui existent déjà ? Auquel cas, c’est une évidence… Il manque du contenu et un engagement fort pour assurer véritablement l’indépendance de la justice.
Quid des autres réformes de la justice, dont on entend souvent parler ?
Le programme de Macron n’envisage pas le travail judiciaire dans sa globalité, avec tous les enjeux qu’il représente. Il propose une sorte de réforme de la carte judiciaire qui supprimerait des tribunaux d’instance – qui fonctionnent pourtant bien aujourd’hui et restent essentiels à la vie du citoyen – pour les remplacer par des grands tribunaux dans un dispositif de plus grande flexibilité. Cette logique a deux risques : d’abord en matière d’indépendance de la justice, parce que le statut des magistrats et le fait qu’ils ne sont pas déplaçables comme ça est une garantie ; ensuite, c’est une remise en cause de ce service public de proximité pour le citoyen pour qui l’accessibilité est rendue plus compliquée par cette organisation.
Macron propose aussi une simplification par le numérique de plusieurs procédures. Alors oui, on a aujourd’hui un certain nombre d’outils désuets, mais la réponse est complètement à côté de la plaque. Pour les petits litiges de moins de 4 000 euros, il n’y aurait plus d’audience et on ferait la demande par Internet ? C’est ignorer le rôle du juge à l’audience qui est aussi d’aider les personnes à formuler leur demande, à faire correspondre cela à une demande juridique et donc d’assurer un rôle de protection – c’est un office beaucoup plus large et humain.
C’était d’ailleurs la même logique qui était à l’œuvre dans la loi travail : on retire toujours plus de pouvoirs aux juges prudhommales au profit des accords qui peuvent être passés. C’est une façon de nier qu’il y a des rapports sociaux inégalitaires dans lesquels l’intervention du juge est aussi faite pour compenser ces mêmes inégalités et assurer la protection des parties faibles. Dans ce domaine-là, il y a une vraie volonté de recul qui correspond à une philosophie
Gérard Collomb a demandé à ce que toutes les incivilités soient immédiatement sanctionnées. Le principal enjeu pour François Bayrou sera peut-être de savoir résister à ce genre de pression pour préserver l’indépendance de la justice
Laurence Blisson
très différente de la société, où l’on cherche à effacer ces rapports sociaux inégalitaires.
Sur le pénal, on a un discours vraiment caricatural : on entend “tolérance zéro”, “manque de suivi judiciaire immédiat”, etc. On est vraiment sur un “galimatias” – pour reprendre l’expression de Macron – d’idées très anciennes, sécuritaires. Et puis, comme chez beaucoup, on a cette idée fausse qu’il faudrait aujourd’hui construire des prisons… alors même que c’est dans le sens inverse que l’on doit tendre avec une décroissance pénale qui suppose de réfléchir à qui on pénalise, qui on envoie en prison, etc. Cela a été préconisé directement par un rapport récent du comité européen de la lutte contre la torture après sa visite des établissements pénitenciers en France, rapport qui invite à un changement très clair dans les politiques pénales pour aller vers une moindre pénalisation dans beaucoup d’actes de délinquance.
Il faut désormais essayer de reconnecter ce nouveau gouvernement avec la réalité judiciaire et les objectifs d’une justice plus accessible et plus protectrice. La logique gestionnaire de Macron est extrêmement dangereuse pour un service public aussi essentiel dans une démocratie.
Vous avez beaucoup combattu l’état d’urgence. Quelle est la position d’Emmanuel Macron à ce sujet ?
Il a été très flou sur cette question, mais il semblerait qu’il soit favorable à son maintien. C’est ce qui ressort de ses déclarations. On finit par tomber dans une sorte d’accoutumance à un régime d’exception, par ailleurs inefficace à lutter contre le terrorisme – on a malheureusement connu plusieurs attentats pendant l’état d’urgence – tout en créant des dérives. L’état d’urgence est encore utilisé dans le cadre de manifestations qui n’ont rien à voir avec le terrorisme, et plusieurs personnes assignées à résidence depuis maintenant plus d’un an n’ont toujours pas été mises en examen, ce qui montre bien qu’on est dans l’ordre d’une suspicion extrêmement vague. Il y a tout de même certaines idées qui ont infusé : pendant le débat de l’entre-deux-tours, Emmanuel Macron a quand même évoqué la possibilité de priver de libertés les personnes fichées S… Cela n’est pas acceptable dans une démocratie.
Par Barnabé Binctin / Photo : Renaud Bouchez pour Society
Cette année encore, la Paris Beer Week a drainé son lot d’amateurs de bières artisanales. Parmi les exposants du Grand Final ce samedi au Centquatre, le stand des Anglais de Beavertown Brewery est l’un des plus attendus. Logique, la marque est le symbole du renouveau de l’industrie brassicole outre-Manche, et son fondateur est le fils d’une rock star.
Par Marc Hervez / Photos : Christopher Nunn
SuperBrasseur.
Laurent et Micha sont ce que l’on appelle des beer enthusiasts, des passionnés de bière. Principalement d’ales, bières de fermentation haute, par opposition aux fadasses lagers industrielles. Une passion qui concerne essentiellement des trentenaires qui, parfois, parviennent à tirer profit de leur production au niveau local. Il y a peu, pourtant, ce milieu ne concentrait qu’une poignée d’amateurs. “On devait être quelques centaines en France à savoir ce qu’était une IPA (Indian Pale Ale, bière à fermentation haute, ndlr). Ce n’était absolument pas un truc de branchés. Et puis les urbains barbus et tatoués s’y sont intéressés”, résume Micha, qui brasse pour sa conso personnelle. Toute cette galaxie se réunit sous la bannière de la craft beer. “En français, le terme ‘artisanal’ fait un peu polémique. Pour beaucoup, la bière est un produit forcément industriel parce qu’on utilise des machines”, justifie Laurent Cicurel, gérant de La Fine Mousse, bar à bières “quali” du XIe arrondissement de Paris, et accessoirement co-organisateur avec d’autres professionnels de la Paris Beer Week, dont la quatrième édition s’est déroulée cette semaine. Ces dernières années, Micha et Laurent ont tous deux été témoins de la résurrection de la scène craft londonienne. Au sortir des années 50, la capitale anglaise a vu ses brasseries fermer les unes après les autres, avant de renaître de leurs cendres il y a environ cinq ans –Londres compte aujourd’hui plus de 70 brasseries actives, contre seulement sept en 2006. Beaucoup se sont implantées dans les quartiers tombés en désuétude de l’est. “Ces microbrasseries sont pour la plupart tenues par d’anciens cols blancs trentenaires qui ont préféré quitter leur emploi de bureau désincarné pour faire un métier à petite échelle où le résultat du labeur est concret, visible, avec une vraie dimension cool et fun”, analyse Thomas Thurnell-Read, professeur de sociologie à l’université du Leicestershire. Évidemment, cette mutation n’aurait pu s’opérer sans l’impulsion de quelques jeunes brasseurs, insufflant une nouvelle dynamique à l’industrie.
De la cuisine familiale à la production de 45 000 hectolitres par an
En première ligne de ces influenceurs, Beavertown Brewery et son fondateur, Logan. Avec ses cannettes multicolores et son univers à base de squelettes et d’extraterrestres, difficile de passer à côté de la marque lorsqu’on pousse la porte d’une boutique spécialisée aujourd’hui, même à Paris. “C’est l’une des bières craft anglaises qui a le plus de succès ici. C’est un super produit, et on le reconnaît au premier coup d’œil, le branding est excellent”, confirme Jaclyn, originaire de Floride, gérante du magasin Biérocratie dans le XIIIe arrondissement de Paris. “J’imagine que c’est un énième hipster londonien qui a commencé comme moi à toute petite échelle mais qui avait le budget pour investir dans des cuves de 100 hectolitres, et qui aujourd’hui se concentre sur le marketing et les collab’, vanne quant à lui Micha. En revanche, il faut avouer que les bières qu’il fait sont délicieuses et parfaitement équilibrées. Ça a du goût, quoi.”
“Si demain je m’assois dans un bar et qu’il n’y a que de la lager industrielle, je prends une limonade”
Logan Plant
L’intéressé préfère s’amuser de la description : “Je suis loin d’être un hipster, je suis juste un ennuyeux père de famille de 37 ans passionné par le fait de produire de la super bière.” Pour le reste, on n’est pas très loin de la vérité. Comme Micha, l’Anglais a bel et bien commencé par brasser des quantités infimes dans sa cuisine. C’était il y a six ans à peine. “Je revois mes enfants m’engueuler en rentrant de l’école. Je mettais un bazar monstre dans la maison, sans parler de l’odeur que ça laissait, tout ça pour parvenir péniblement à remplir 20 bouteilles.” C’est peu dire que du chemin a été parcouru depuis. Sa marque emploie aujourd’hui plus de 50 personnes et produit 45 000 hectolitres de bière par an. “Ce n’est pas assez, il faut qu’on déménage rapidement à cause de la demande”, prévient Lauren, la responsable des ventes, un brin stressée. Gérant d’une jeune société de négoce en bière et importateur exclusif de la marque sur le sol français, Quentin Blum tranche : “Le phénomène Beavertown, c’est presque miraculeux tellement ça va vite. Quand ils font un brassin unique comme ça arrive plusieurs fois dans l’année, leur service export nous envoie un mail:‘Voilà, nous avons fait telle bière, le stock qui vous est réservé est de tant de litres. Si vous le voulez, il faut l’acheter la semaine prochaine, sinon on le remet en vente.’ En gros, ce sont eux qui décident de ce qu’on fait. Pas toutes les brasseries n’ont ce luxe. Et tout ça, sans jamais utiliser l’histoire personnelle de Logan comme argument marketing.”
Profession du père : “musicien”
Car ce qui fait la particularité de Logan, c’est avant tout son patronyme: Plant. Comme Robert Plant, son père, et accessoirement ancien chanteur de Led Zeppelin, le mythique groupe de rock des années 70 aux 300 millions d’albums vendus, aux dizaines de chambres d’hôtel ravagées et aux multiples délires sataniques et orgiaques. “Il a dû m’emmener au pub pour la première fois lorsque j’avais 4 ans. Non, je blague, je devais avoir six mois, s’amuse le jeune chef d’entreprise. Pour le reste, j’ai eu une enfance normale avec un père normal, qui venait me voir au foot et m’aidait à faire mes devoirs. À l’école, sur la fiche de renseignement, en face de la case ‘profession du père’, je mettais un truc vague genre ‘musicien’.Les gens devaient croire qu’il était dans un tribute band.” Découvrir le plaisir de la bière très jeune, c’est de toute façon plus une tradition locale que familiale, selon lui. “J’ai grandi dans les West Midlands, ce qu’on appelle le Black Country. Une région avec une forte tradition brassicole de plus de 200 ans, poursuit Logan Plant. Là-bas, le pub est une extension de la maison, on y va en famille. Mon père mettait un chapeau, on filait au pub et on était juste des gens parmi d’autres. J’y ai formé mon palais à l’adolescence. J’ai commencé à m’intéresser à tout ça vers 18-19 ans, et je suis devenu un amateur de bière obsessionnel. À tel point que si demain je m’assois dans un bar et qu’il n’y a que de la lager industrielle, je prends une limonade.”
“À l’école, sur la fiche de renseignement, en face de la case ‘profession du père’, je mettais un truc vague genre ‘musicien’. Les gens devaient croire qu’il était dans un tribute band”
Logan Plant, fils de
Si niveau mœurs, Logan semble également se situer à des années-lumière de Robert lors de ses années de gloire (“Avec ma femme, on est ensemble depuis que l’on a 15 ans, et on se connaît depuis la maternelle”), il a, fut un temps, tenté d’emboîter le pas de son géniteur. La décennie 2000, Logan l’a traversée en tant que leader et chanteur des Black Country Bandits puis des Sons of Albion, à partir de 2006. Un groupe au succès confidentiel. À l’époque, il n’était pas très épanoui. “Est-ce que je souffrais de la comparaison? Peut-être un petit peu. Mais le fait est que je n’étais pas très heureux. Le style ne me correspondait pas, je chantais des trucs grunge et dark et je me disais: ‘Eh, mais je suis un mec joyeux, moi.’ Mais surtout, le pire, c’est que je ne pouvais pas boire de bière pendant les périodes de concerts, à cause de ma voix.” La révélation est venue en novembre 2010. Les Sons of Albion, qui sont alors en tournée aux États-Unis, sortent d’un concert à Brooklyn. Après leur set, Logan et le batteur s’en vont manger des travers de porc et boire une IPA dans un BBQ bar du quartier. “Ils avaient de la super craft beer locale. Je me régalais d’un pulled pork en buvant une bière exceptionnelle. Et là, j’ai eu un flash: ‘Putain, c’est ça que je veux faire!’” La suite: “On rentre en Angleterre. Je convoque le groupe: ‘Les gars, je crois que vous feriez mieux de vous asseoir, j’ai un truc à vous annoncer. Je quitte le groupe, je veux monter un BBQ bar, un truc où on boirait de la bière en mangeant de la viande grillée.’” Après quelques mois de recherche, c’est finalement dans le quartier de De Beauvoir, dans l’est de Londres, que le Duke’s Brew and Que ouvre ses portes en février 2012. Logan se met à brasser dans l’arrière cuisine et à servir sa propre bière aux clients, avant de déléguer la gestion du resto pour se focaliser uniquement sur sa nouvelle passion, et ainsi produire à plus grande échelle.
Si Beavertown Brewery a réussi à sortir du lot aussi vite, au moment même où tous les branchés de Londres se sont mis à faire la même chose, c’est qu’en plus d’avoir été très vite bien cotée par les médias spécialisés, la marque a pris le pari osé de mettre ses bières dans des cannettes en métal. Comme des vulgaires 8.6. Depuis, beaucoup l’ont imitée. “J’étais un peu inquiet, ça renvoie l’image cheap du pack de six pour cinq livres, confesse Logan Plant. Mais en réalité, pour le produit, c’est beaucoup mieux que la bouteille en verre. La bière, c’est un produit fragile, la levure continue à vivre, elle travaille. Donc moins la lumière entre à l’intérieur, mieux c’est. Heureusement, suffisamment de nos clients étaient des consommateurs ‘éduqués’.” C’est justement la principale caractéristique de l’amateur de craft beer, qu’il soit français, anglais ou américain: vouloir se démarquer du consommateur classique. Comme pour de nombreuses autres modes, la tendance qui émerge actuellement a mis plusieurs décennies à traverser l’Atlantique, admet Quentin Blum, avant de conclure: “Et puis Paris a copié Londres avec cinq ans de retard, comme toujours.”
Comment résister à la montée du populisme de droite? Pour la philosophe politique belge Chantal Mouffe, proche de Jean-Luc Mélenchon, une seule solution: inventer un populisme de gauche.
Par Victor Le Grand et Alexandre Pedro / Photo : Stéphane Lagoutte
Dernier grand meeting de Jean-Luc Mélenchon avant le premier tour de la présidentielle.
Vous avez théorisé le “populisme de gauche”. En quoi est-il aujourd’hui nécessaire en Europe selon vous ?
La priorité, pour moi, est de voir comment on peut répondre au développement du populisme de droite, car il avance dans tous les pays. Pour cela, il s’agit de comprendre ce qui pousse les classes populaires à voter pour Marine Le Pen, si on prend l’exemple de la France. Certains vous diront que les classes populaires sont, par atavisme, homophobes, sexistes, racistes, incultes… C’était l’analyse d’Hillary Clinton ou du think tank Terra Nova en France, qui avait conseillé au PS d’oublier les classes populaires. Or, la bataille implique au contraire, à mon sens, de voir quelles sont les douleurs et les revendications de ces classes populaires. Et pour y arriver, il faut les prendre au sérieux. Marine Le Pen a un discours d’empathie. Elle explique qu’elle comprend leurs souffrances et désigne les immigrés comme responsables de leur situation. Il faut donc avoir un autre discours qui reconnaît l’importance de leurs demandes, mais qui désigne le véritable adversaire. Et ce ne sont pas les immigrés, qui connaissent les mêmes problèmes qu’eux. L’adversaire, c’est le néolibéralisme, le capitalisme. C’est lui qu’il faut désigner.
C’est-à-dire ?
Ma thèse, c’est que nos sociétés sont en train de “s’oligarquiser”. C’est ce que l’on appelle la “post-démocratie” : derrière leur apparence démocratique –les élections ont bien lieu, la liberté d’expression et le pluralisme sont assurés, les partis politiques existent encore–, nos sociétés ne donnent plus aux citoyens la place qui leur revient. Les décisions sont prises ailleurs. Et cette post-démocratie découle de la globalisation néolibérale, qui crée dans nos sociétés une fracture de plus en plus importante entre les très riches et les classes dites populaires, mais
Derrière leur apparence démocratique –les élections ont bien lieu, la liberté d’expression et le pluralisme sont assurés, les partis politiques existent encore–, nos sociétés ne donnent plus aux citoyens la place qui leur revient. Les décisions sont prises ailleurs
Chantal Mouffe
aussi une prolétarisation de la classe moyenne. Et comme il existe la post-démocratie, il existe ce que j’appelle la “post-politique”. Autrement dit le fait qu’il n’existe plus de différence entre la gauche et la droite de gouvernement. C’était le cas du New Labour en Grande-Bretagne. Quand Tony Blair est arrivé au pouvoir, il n’a pas remis en question l’hégémonie libérale établie par Margaret Thatcher, il a simplement géré ça de manière plus humaine, avec un tout petit peu plus de redistribution. D’ailleurs, quand on a demandé à Margaret Thatcher quelle avait été sa plus grande victoire politique, elle a répondu : “Le New Labour de Tony Blair.” Car il était la preuve qu’elle avait gagné la bataille culturelle. Quand Thatcher est arrivée au pouvoir, les dirigeants du Labour pensaient que sa victoire n’était qu’un interlude. Ils disaient : “Quand le chômage dépassera la barre du million, les gens réagiront.” Mais la réaction n’est jamais arrivée. Entre-temps, Thatcher a construit son hégémonie. Et aujourd’hui, à l’image de Blair, Schröder en Allemagne ou Zapatero en Espagne, les partis sociaux-démocrates européens ont accepté l’idée qu’il n’existait pas d’alternative à l’hégémonie néolibérale. Voilà pourquoi on se retrouve dans une situation post-démocratique dans laquelle le citoyen, quand il va voter, se retrouve devant une absence de choix. Pour moi, les mouvements populistes sont des réactions à cette post-démocratie, avec des gens qui demandent à retrouver leur “voix”. Les Indignés en Espagne disaient : “Nous avons un vote, mais nous n’avons pas de voix.” Ou disons qu’on a le choix entre voter Coca-Cola et Pepsi-Cola.
En France, Jean-Luc Mélenchon est celui qui a su le mieux incarner ce populisme de gauche que vous défendez. Pourquoi lui ?
Parce que c’est quelqu’un qui construit la frontière. Celle du populisme : le peuple contre l’establishment. Le populisme consiste à établir une frontière entre le “eux” et le “nous”. Il y a quelque chose de commun entre Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon, et les populismes de droite et de gauche. Mais ce qui diffère, c’est la façon dont on construit le “nous” et le “eux”. Je veux insister là-dessus : le peuple, ça n’existe pas. Le peuple n’est pas une population, c’est une construction politique. Et le peuple de Marine Le Pen n’est évidemment pas le même que celui de Jean-Luc Mélenchon. En outre, en plus de dresser une frontière, Mélenchon dresse un horizon. Car créer un adversaire n’est pas suffisant ; il faut aussi créer un imaginaire. L’un des slogans de Mélenchon, c’est : “Fédérer le peuple pour refonder la gauche.” Quand il parle du peuple, il parle de l’articulation de toute une série de demandes démocratiques. La caractéristique du populisme de gauche, c’est de construire des thématiques transversales fortes. Comme l’écologie, qui est au cœur de son programme.
À l’inverse, comment expliquer l’échec de Benoît Hamon, qui avait aussi mis l’écologie au cœur de son programme et parlait d’un horizon ?
Hamon a peut-être dix ans d’avance, mais le revenu universel n’est pas un
Marine Le Pen ne va pas disparaître à cause du succès de Macron
Chantal Mouffe
objectif mobilisateur aujourd’hui. On ne peut pas créer un imaginaire autour de ça. Il y a eu une erreur par rapport à la psychologie des gens. Pour les mobiliser, il faut partir des gens comme ils sont, pas de comment ils devraient être. Il n’y a pas tellement de différences entre les programmes d’Hamon et Mélenchon, mais ce dernier a des qualités de leadership qu’Hamon n’a pas. Il est davantage “sud-américain” dans le style. Le charisme est très important dans la notion de populisme de gauche.
Aujourd’hui, Emmanuel Macron surfe à l’inverse sur cette idée qu’au lieu de dresser des frontières, il faut faire travailler ensemble les bonnes volontés de droite et de gauche. Et visiblement, c’est un discours qui rencontre un certain succès…
Il faut voir ce que cela va produire. Comme d’autres, je pense que cette victoire de Macron renforce le Front national. Je vois ça comme un épisode. Comme pour le cas de la Grande-Bretagne. Quand je disais au début des années 2000 que la post-politique créait les conditions pour le développement du populisme de droite, tout le monde me donnait comme contre-exemple la Grande-Bretagne, où il était très faible. Et je rétorquais que toutes les conditions étaient déjà là pour son développement. Je crois qu’une partie du succès du Brexit dans les classes populaires vient justement du fait qu’elles ne se sentaient plus représentées par le Labour. À plus ou moins long terme, ces expériences de consensus au centre vont renforcer le populisme de droite. Marine Le Pen ne va pas disparaître à cause du succès de Macron. Au contraire, élire Macron, c’est renforcer Marine Le Pen à l’avenir…
Lire : Construire un peuple, livre d’entretiens avec Inigo Errejon, cofondateur de Podemos, aux Éditions du Cerf
Par Victor Le Grand et Alexandre Pedro / Photo : Stéphane Lagoutte
Jean-Claude Pautot est un peintre. Une carrière entamée sur le tard, après une première vie de braqueur récidiviste dont ses tableaux figuratifs et colorés ne cessent de s’inspirer. Vingt-huit ans de taule et quinze ans de cavale plus tard, il est bien décidé à conquérir le monde du showbiz. Et sa renommée derrière les barreaux pourrait bien lui ouvrir des portes.
Texte et photos : Louis Chahuneau
Jean-Claude et ses Pautot.
Jean-Claude Pautot a l’œil vif de celui qui se sent surveillé. Pas une minute ne passe sans qu’il ne jette un regard par-dessus son épaule. Pourtant, dès qu’il franchit la porte de son atelier de la rue de Charenton dans le XIIe arrondissement de Paris, ses gestes et sa voix se font calmes. C’est au premier étage de ce grand centre de vie “ouvert à tous” qu’il passe le plus clair de son temps. Une sorte de sanctuaire où il laisse libre cours à son imagination. Ses tableaux colorés représentent des visages, des mains, de l’art brut en somme, avec toujours un œil Oudjat quelque part, en guise de signature. Il y a quelques jours, toutes ses toiles étaient rassemblées au vernissage de son exposition “De l’ombre à la lumière”, dans la très chic galerie Revel, à deux pas des Champs-Élysées. Bientôt, l’exposition sera délocalisée à Londres. L’accomplissement de plusieurs années de travail. Il faut dire que Jean-Claude doit beaucoup à l’art. Sans lui il serait toujours en prison.
De l’argent à voler et de l’énergie à revendre
Laurent Astier, auteur de BD comme L’Affaire des affaires qui revient sur Clearstream, a rencontré Jean-Claude Pautot par hasard en janvier 2012 lors d’un atelier dessin à la maison centrale de Saint-Maur, dans l’Indre. Jean-Claude y purge alors une peine de 17 ans pour une vieille histoire de braquage. Des neuf détenus inscrits au programme, il est le seul à se présenter. Ce n’est pas un hasard, “les ateliers sont les seuls moments où ils peuvent refuser un truc, où il y a du libre arbitre”, explique Laurent Astier. “Quand je suis arrivé, il était en train de peindre son premier tableau figuratif, se souvient-il. Il n’avait pourtant pas de connaissances. En général, c’est de l’art brut, primitif, avec des symboles, des trucs assez colorés. Il m’a demandé mon avis, des conseils, et le dialogue s’est installé comme ça.” Depuis cette rencontre, les deux hommes ne se sont plus quittés. Mieux, Laurent a tiré une BD de 200 pages du sulfureux passé de son ami, Face au mur. Une histoire “d’atomes crochus”, comme il dit. Ça aurait été quelqu’un d’autre que lui dans la même configuration, ça n’aurait sûrement rien donné”.
J’étais hyperactif. Mais le problème, c’est qu’à l’époque il n’y avait pas de réponse face à ça. Soit ils te mettaient des coups, soit ils disaient que t’étais fou
JC Pautot
Pendant cinq ans, Laurent Astier a joué le rôle de confident pour Jean-Claude Pautot. “Il me racontait ses histoires, me faisait des petits dessins sur le fonctionnement des braquos”, raconte l’auteur. Il faut dire que le grand banditisme, Jean-Claude, ça le connaît. À l’âge de 14 ans, un juge pour enfant l’envoie dans un ancien bagne à Belle-Île-en-Mer, à cause d’une violente bagarre. “J’étais hyperactif, raconte-t-il. Mais le problème, c’est qu’à l’époque il n’y avait pas de réponse face à ça. Soit ils te mettaient des coups, soit ils disaient que t’étais fou.” Jean-Claude tient trois mois avant de se faire renvoyer. Pour canaliser son énergie, il s’engage dans la légion étrangère, apprend à manier les explosifs et les armes, avant de déserter.
À 16 ans, un jour où il ne dévore pas un polar d’Auguste Lebreton pour combattre l’ennui, il braque une station-service. Coupé de sa famille, traqué par la police, le jeune homme enchaîne les mauvaises fréquentations et les peines de prison et, rapidement, se fait un nom dans le milieu du grand banditisme : “le Ouf” ou “FF” pour “fou furieux”. “C’est un écorché vif, il n’avait peur de rien”, explique Philippe El Shennawy, un ami de longue date rencontré en prison. En 1982, à 27 ans, après le braquage raté d’un Crédit Agricole à Lyon, Pautot est condamné à huit ans de prison à Saint-Joseph. Puis… il s’évade, une nuit de février 1983, en sciant les barreaux de sa fenêtre. Il se réfugie en Corse où il rencontre sa future femme. Mais la liberté sera de courte durée.
“All eyez on me.”
Des barreaux aux pinceaux
Aujourd’hui encore, Jean-Claude Pautot a peu de regrets. “À part le mal que j’ai fait autour de moi… Mais ça, on ne le comprend qu’avec l’âge.”En 61 ans, le Ouf aura passé 28 ans en cellule. Et c’est en 1992 qu’il a une sorte de déclic. Il est alors emprisonné en Quartier de haute sécurité (QHS) à Saint-Maur. Dehors, son père, atteint d’un cancer, vit ses derniers instants. “Le pire a été de ne pas pouvoir l’accompagner. Mes parents ont toujours été là pour moi, et moi je ne pouvais pas leur rendre le minimum vital.” Défait, isolé des autres détenus et surveillé toute la journée, il se met à peindre. D’abord “juste du cinéma”, pour se faire oublier. En réalité, l’adrénaline que procurent les braquages lui manque cruellement. La preuve : à peine libéré, il attaque avec deux complices un fourgon blindé à Clichy-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis, et retourne une fois de plus derrière les barreaux, en ayant pris cinq balles dans le corps et frôlé la mort. Cette fois, le Ouf ne fait plus du tout rire les juges. Il est arrêté, condamné à 17 ans de prison et intégré au régime des Détenus particulièrement signalés (DPS) qui regroupe les 50 prisonniers les plus dangereux de France. L’art ne le quittera jamais. Aujourd’hui encore, il reconnaît que la peinture l’a “pris à son propre jeu”.
Avant, mon nom était associé à marginal. Maintenant, on me considère comme un artiste. Mes enfants sont fiers
JC Pautot
Dans sa solitude à Saint-Maur puis à Réau, où ses déplacements sont limités, il perfectionne son coup de pinceau. “Quand je sortais, j’étais toujours accompagné de quatre ou cinq surveillants avec des oreillettes, comme dans les films”, se souvient Jean-Claude Pautot. Mais, les années passent et il pense à ses deux enfants qu’il n’a pas vus grandir. “À un moment, je me suis demandé comment je pouvais sortir : ‘Je leur présente un dossier de pizzaiolo ? Pfff, ils vont rigoler’, balaye-t-il. Soit je sortais sur mon projet et proprement, soit je ne sortais pas.” C’est là que germe l’idée de devenir artiste. En prison, Jean-Claude se démène pour obtenir plus de temps à l’atelier, il multiplie les tableaux et organise même un vernissage. Son obstination paye et il obtient une peine aménagée en 2015, assortie d’un bracelet électronique pendant un an.
Aujourd’hui en liberté conditionnelle pour deux ans encore, il partage son temps entre l’atelier et des visites au parloir. “Ce que je veux, c’est permettre à l’art de rentrer plus facilement en prison.” Alors qu’un deuxième tome de BD sur sa vie se prépare, Pautot réfléchit déjà à une adaptation en série. Pêle-mêle, il balance ses contacts : Jean Rachid, le producteur de Grands Corps malade ; l’artiste JR ; le rappeur Lacrim, “des mecs de banlieue comme [lui]” que la prison a parfois rapprochés. Récemment, ce sont Louis Garrel et Roberto d’Angelis, le cadreur de Michael Mann, qui l’ont contacté. Même ses relations avec les directeurs de prison, autrefois houleuses, sont devenues amicales. Jean-Claude Pautot brandit fièrement son téléphone où s’affichent les félicitations de la directrice du SPIP du Val-de-Marne, Marie Deyts. “Avant, mon nom était associé à marginal. Maintenant, on me considère comme un artiste. Mes enfants sont fiers.” Son ami Philippe est sûr de lui : “Si c’était le Jean-Claude d’avant, croyez-moi, il y a longtemps qu’il aurait foutu le camp.” La vie de gangster de Jean-Claude Pautot est désormais derrière lui. Il l’entrevoit parfois, quand il jette un regard par-dessus son épaule. Mais elle ne l’intéresse plus.
Texte et photos : Louis Chahuneau
Dimanche soir, tout le monde n’était pas au Carrousel du Louvre. Dans le bois de Vincennes, le FN fêtait sa défaite autour de Marine Le Pen. Avec un sens de l’accueil très personnel.
ROBIN D'ANGELO / PHOTOS : YANN CASTANIER
Buffet froid.
C’est l’une des vedettes de la soirée: une immense boule à facettes signée du designer superstar Philippe Starck. Elle surplombe la grande piste de danse en parquet du Chalet du Lac, un établissement champêtre à l’orée du bois de Vincennes, qui accueillit en septembre 1976 un concert mythique des Sex Pistols, mais abrite surtout, désormais, des thés dansants réservés aux séniors. Mais ce dimanche, pas de cha-cha-cha ni de guinguette. Le pavillon accueille la soirée électorale de Marine Le Pen, et l’heure est plutôt au lancer de journalistes. “C’est bon, lâchez-moi, bordel! Je peux sortir tout seul!” crie le photographe envoyé par Society pour couvrir la soirée. Deux agents du DPS (Département protection sécurité, le service de sécurité du Font national) le traînent sur le dancefloor, leurs pieds enfoncés dans le creux de ses genoux. Après le passage de la mêlée, les portes battantes virevoltent comme dans un mauvais western. “Non, non, non! Vous, vous restez ici!” ordonne un agent de sécurité aux journalistes désireux de suivre l’altercation à l’extérieur du bâtiment. Une rangée de gros bras se poste devant la porte pour les empêcher de sortir, le temps que l’impétueux soit hors de vue. Leurs bras tendus obstruent l’objectif des appareils photo.
La soirée avait de toute façon plutôt mal commencé pour les journalistes au Chalet du Lac. Devant le chapiteau où la presse doit se présenter, une équipe de Quotidien, l’émission de Yann Barthès, ronge son frein. Comme Mediapart, ils sont bannis de l’événement, ainsi que de tous les meetings de Marine Le Pen depuis le début de la campagne. “Nous, ça va, on a l’habitude, mais là, je crois que ça concerne plus de monde que d’habitude”, commente un de leurs journalistes. Car pour cette dernière soirée électorale, la liste noire du FN s’est allongée: Rue89, Les Jours, Charlie Hebdo, BuzzFeed, StreetPress, Politis, et même… le Washington Post.
“Nous avons dû faire un tri pour des questions de sécurité. Le lieu est petit”
Alain Vizier, responsable presse du FN
Tous ont vu leurs demandes d’accréditation refusées. Cheveux grisonnants coiffés en arrière, lunettes rectangulaires et veste bleu roi sur les épaules, le monsieur presse du FN, Alain Vizier, se justifie: “Nous avons dû faire un tri pour des questions de sécurité. Le lieu est petit.” Le 27 avril dernier, une trentaine de rédactions signaient déjà une pétition pour dénoncer “les entraves à la liberté de la presse” du FN lors de cette campagne présidentielle. Elle intervenait après qu’un journaliste de Marianne, coauteur d’une enquête sur le financement du parti d’extrême droite, s’était vu refuser l’entrée à la soirée électorale du premier tour à Hénin-Beaumont. Par solidarité, plusieurs médias ont décidé de boycotter la fête, comme les Américains de Bloomberg ou encore Le Monde et Libération. “Tant mieux, ils ne nous manqueront pas!” continue Vizier.
Dans le bois de Vincennes, le raout pour Marine Le Pen ressemble plus à Fort Alamo qu’à la Foire du Trône. Tout autour du Chalet du Lac, un imposant dispositif policier filtre les allées et venues. Aux mitraillettes des hommes en bleu, il faut ajouter les chiens renifleurs des démineurs et, surtout, les pin’s à flamme et les casquettes à laurier des agents du DPS, omniprésents ce soir. Enfin, il y a ces hommes en complet noir qui semblent tout droit sortis de Reservoir Dogs? “Ah non! Nous, nous sommes les voituriers du Chalet du Lac!” rectifie l’un d’eux. Dans cette ambiance où les uniformes sont plus nombreux que les robes de soirée, l’heure n’est pas à la fête. Les journalistes n’ont d’ailleurs aucun sympathisant à se mettre sous la dent si ce n’est les éternels habitués. Rosine, fringante quadra d’origine ivoirienne et incontournable des événements parisiens du parti, enchaîne les interviews, moulée dans une robe zébrée. “Quel que soit le score, Marine a gagné l’élection. Une femme face à tous ces hommes, c’est la meilleure victoire pour les femmes du monde entier”, avance cette proche de Marie-Christine Arnautu, l’ancienne chef de file du parti en région parisienne. À l’intérieur du pavillon, une scène a été montée pour le discours de Marine Le Pen. Elle fait face à un espace délimité par un cordon de sécurité, où les photographes et les cadreurs sont parqués. Ils ont interdiction d’en sortir pour prendre des images. À une heure du résultat du scrutin, toujours aucun militant à l’horizon. L’autoproclamée candidate du peuple qui passe sa soirée électorale entourée de journalistes alors que son adversaire communie avec des milliers de sympathisants dans les jardins du Louvre? Voilà peut-être ce que son équipe de campagne ne souhaitait pas que l’on voit.
À lire: le numéro spécial élection de Society, en kiosque le mardi 9 mai.
ROBIN D'ANGELO / PHOTOS : YANN CASTANIER
Ce soir, la France aura un chef de l'État aux yeux bleus. Mais faudra-t-il s'habituer à dire "madame la présidente", ou bien un jeune cadre dynamique de moins de 40 ans s'emparera-t-il du Château ? Réponse à 20h.
Par Maxime Chamoux et Alexandre Doskov
SUIVEZ CETTE SOIRÉE EN LIVE ICI
Par Maxime Chamoux et Alexandre Doskov
Ils sont onze candidats, nous sommes quarante-sept millions d'électeurs. Le 23 avril est enfin arrivé, et sa grande soirée électorale avec. Le jour J, c'est ici et maintenant !
Par Maxime Chamoux et Alexandre Doskov / Illustration : Julien Langendorff
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Par Maxime Chamoux et Alexandre Doskov / Illustration : Julien Langendorff
De retour avec son album “Solide Mirage”, le groupe Frànçois and The Atlas Mountains dévoile ici, en avant-première, son nouveau clip: Apocalypse à Ipsos. Ou comment parler d'immigration avec légèreté et espoir en ces temps houleux d'élection...
F&TAM, comme on dit.
“Cette vidéo associe des photos prises au coeur de l’Europe à Bruxelles, et des images filmées d’un groupe de danseurs réfugiés en Belgique originaires de la bande de Gaza. Elle fait écho à la vidéo du Grand Dérèglement, sortie en janvier.
Ce morceau tout en légèreté, veut prendre le contre-pied des discours de méfiance et de négativité couramment associés à la question de l’immigration. En ces temps d’élection il est primordial d’apporter un peu de groove et d’entrain aux points de vue altruistes et humanistes.
Cette chanson était à la base une petite ballade folk écrite après une visite au château d’Angers pour voir la Tapisserie de l’Apocalypse selon saint Jean. Ces broderies montrent divers fléaux qui se répandent sur terre. L’un des désastres est la mauvaise parole. Elle détruit l’humanité en semant la discorde parmi les hommes. Elle est représentée sous forme d’un monstre crachant des grenouilles. Parce que les Anglais appellent les Français les ‘frogs’, cette image de l’hydre crachant des batraciens est venue s’associer dans mon esprit aux discours nationalistes qui enveniment la société française.
Certains accordent à cette tapisserie du XIVe siècle un caractère prémonitoire.
C’est très déroutant de retrouver cet animal en photo de profil de trolls d’extrème droite sur certains réseaux sociaux.
Pour des soucis de live, de l’obligation de faire danser le public, nous avions transformé cette ballade soporifique par un rythme de Calypso. Pou-tchapou- tcha pou-tchapou- tcha pou- tchapou-tcha … S’en est suivi le jeu de mot avec ‘calypso’ –le style de chanson jamaïcain qui permettait de répandre les nouvelles avant l’avènement de la télévision– et ‘Ipsos’ –l’institut de sondage qui récolte les opinions.”
Il y a un moyen très simple de savoir pour qui voter : le comparateur de programmes de voxe.org.
Illustration : Hector de la Vallée pour Society
Entre les casseroles des uns, les bourdes devenues mèmes Internet des autres et les vidéos de quatre heures de François Asselineau démontrant que l’UE est une création du FBI, c’est peu dire que vous suivez cette campagne présidentielle sur la toile avec passion. Sauf que c’est bientôt la fin de la récréation et qu’il va falloir faire un choix.
Pas de panique, grâce à Voxe.org, découvrez le programme de chaque candidat, et comparez-les !
Maquisarde terrée dans la jungle tropicale, puis “agent de liaison” à Saïgon, Tran To Nga a vécu la guerre du Viêt Nam de l’intérieur. Cinquante ans plus tard, elle assigne en justice une vingtaine de géants de l’industrie pétrochimique pour avoir répandu dans le pays de l'agent orange, un herbicide extrêmement toxique. Rencontre avec une septuagénaire prête à livrer son dernier combat.
Par Grégoire Belhoste / Photo : Zen Lefort
Aucun objet fétiche, pas la moindre trace d’albums photos jaunis par le temps. Dans son pavillon de Palaiseau, en région parisienne, Tran To Nga dit n’avoir conservé aucun souvenir du Viêt Nam, hormis peut-être ce cliché d’une sœur emprisonnée durant la guerre, accroché dans un coin. À 74 ans, elle n’a pourtant rien oublié de son pays natal, peut-être un peu à cause des stigmates physiques, qu’elle liste d’une voix douce, installée dans le fauteuil du salon: un diabète de type 2, un système immunitaire défaillant, des maux de tête et des nodules sous-cutanés. “Les mêmes pathologies que connaissent la plupart des gens âgés, mais en plus graves, en plus spéciales”, souffle-t-elle. Sur la table basse sont posées des coupures de presse. Toutes racontent la même histoire: celle d’une femme exposée à l’agent orange, un herbicide déversé par les bombardiers américains lors de l’opération Hadès (rebaptisée par la suite “Ranch Hand”) pour détruire les
Quand l’ennemi pose le pied au seuil de la patrie, même les femmes combattent
proverbe vietnamien
feuilles formant la couche végétale sous laquelle vivaient les Vietcongs. Cinquante ans plus tard, les fruits ont pris des formes bizarroïdes, quand ils n’ont pas doublé de volume. Mais l’agent orange n’attaque pas seulement la nature, il détruit aussi les hommes. Et pour cause, il contient de la dioxine, un polluant organique classé comme substance cancérigène par l’Organisation mondiale de la santé.
En 2011, orientée par VAVA, une association vietnamienne qui vient en aide aux personnes touchées par ce fléau, Tran To Nga fait analyser un flacon de 80 centilitres de son sang par le laboratoire allemand Eurofins GFA. Les résultats ne se font attendre que deux semaines : “Les chiffres étaient en gras, je ne comprenais rien, à part une chose: il y avait une anomalie dans mon sang.” Vrai: son organisme contient plus de dioxine que la moyenne, possible conséquence d’une exposition à l’agent orange. Possible, ou plutôt probable. Car c’est peu de dire que Tran To Nga a côtoyé le produit de près.
“Le bimoteur avait laissé derrière lui un nuage blanc”
En 1966, en pleine guerre du Viêt Nam –qu’elle évoque en citant un proverbe local : “Quand l’ennemi pose le pied au seuil de la patrie, même les femmes combattent”–, la voici sur la “piste Hô Chi Minh”, une route traversant le pays du Nord au Sud, empruntée par les Vietcongs pour rejoindre Saïgon. Selon la CIA, entre 1966 et 1971, l’itinéraire aurait vu défiler plus de 500 000 soldats et près de 400 000 armes. “Le soir où j’ai reçu mon diplôme universitaire, j’ai pris mon ballot, mon sac à dos et je suis partie avec presque 200 de mes camarades, raconte-t-elle. J’avais une idée fixe en tête: rejoindre le Sud.” À partir du 17e parallèle, Tran To Nga marche nuit et jour. Elle porte sur le dos un sac de 25 kilos. Aux pieds, des sandales taillées dans des pneus. “Le danger nous guettait partout, dit-elle aujourd’hui. Mais nous étions prêts à tout affronter pour participer à la libération de notre peuple.” Un bombardement au napalm emporte l’un de ses compagnons. Elle marche coûte que coûte. Au bout de quatre mois, la jeune femme, alors âgée de 24 ans, arrive enfin dans le Sud du pays.
Là, dans le maquis, les dong chi –“camarades” en vietnamien– vivent dans des abris souterrains. Un jour, un avion C-123 tourne à basse altitude autour de la planque de Tran To Nga. Par curiosité, elle passe la tête dehors. “Le bimoteur avait laissé derrière lui un nuage blanc qui descendait rapidement,
L’agent orange n’attaque pas seulement la nature, il détruit aussi les hommes. Et pour cause, il contient de la dioxine, un polluant organique classé comme substance cancérigène par l’OMS
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rejoue-t-elle. Très vite, j’ai été enveloppée d’une sorte de liquide gluant. Je toussais, je suffoquais. Je ne comprenais pas ce qui m’arrivait.” Elle vient d’être touchée par l’agent orange. Plus tard, lors de la saison des pluies, toujours inconsciente du danger, la rebelle se trempe jusqu’aux genoux dans des marécages couverts de feuilles mortes, toutes intoxiquées. En 1968, Tran To Nga accouche de sa première fille, Viêt Haï. Celle-ci souffre d’une malformation cardiaque, la tétralogie de Fallot, caractérisée par quatre défauts au cœur. Le bébé décède dans la jungle au bout de 17 mois.
Selon une étude publiée dans la revue Nature en 2003, près d’une centaine de millions de litres d’herbicides auraient été déversés sur le pays et “de 2,1 à 4,8 millions de Vietnamiens ont été directement exposés aux herbicides entre 1961 et 1971, auxquels il faut ajouter un nombre inconnu de Cambodgiens, de Laotiens, de civils et militaires américains, et de leurs divers alliés (australiens, canadiens, néo-zélandais, sud-coréens)”. Dans les années 80, d’anciens GI’s ont réussi à obtenir à l’amiable un accord d’indemnisation avec les firmes pétrochimiques fabriquant l’agent orange. Les Vietnamiens, eux, n’ont pas obtenu le moindre sou. Voilà pourquoi Tran To Nga intente aujourd’hui une action en justice contre 26 multinationales, dont les géants Monsanto et Dow Chemical. Pour cette ancienne maquisarde ayant “dormi dans la jungle et enterré[s]es amis dans la boue”, c’est la dernière bataille. “Je ne me souviens plus trop de mes années de bonheur, confie-t-elle, devant une tasse de thé encore fumant. Toute ma vie n’a été que tourments et embûches.”
Marathon judiciaire
Dehors, un brouillard épais tombe sur Palaiseau. Dans son fauteuil, Tran To Nga poursuit le récit de ses années de résistance: sa mission d’agent de liaison à Saïgon “en plein cœur de l’ennemi”, puis l’arrestation, la prison et la torture, alors qu’elle est enceinte de son troisième enfant. Elle montre du doigt le canapé du salon. “Mon cachot faisait la même longueur.” Elle marque un temps. “Parfois, on m’amenait dans un bureau où il y avait une fenêtre. Je voyais la cime des arbres et le soleil briller. Au fond de moi, je me disais: ‘C’est beau, mais ça ne m’appartient plus.’” Pour ne pas sombrer, Tran To Nga chante, compte ses cheveux et grave des messages sur les murs à l’aide d’une cuillère. Elle est libérée en avril 1975. Les années suivantes sont plus douces: l’ancienne résistante devient directrice d’école à Hô-Chi-Minh-Ville. En 1992, elle part en retraite anticipée puis se lance dans l’humanitaire, à la rescousse des orphelins et des enfants handicapés. Un an plus tard, elle vient en France pour promouvoir ses nouvelles activités. Elle y rencontre des chirurgiens prêts à opérer au Viêt Nam et d’anciens prisonniers d’Indochine. Et décide de s’installer en région parisienne.
Printemps 2009. À Paris se tient un tribunal international d’opinion en soutien aux victimes vietnamiennes des défoliants. L’Assemblée ne peut prendre acte
De 2,1 à 4,8 millions de Vietnamiens ont été directement exposés aux herbicides entre 1961 et 1971
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mais alerte sur le sort des personnes intoxiquées. Tran To Nga assiste aux délibérations où elle rencontre un peintre et écrivain nommé André Bouny. Cinq ans plus tôt, Bouny a adressé une lettre ouverte à John Kerry, puis fondé le Comité international de soutien aux victimes vietnamiennes de l’agent orange (CIS) en marge d’une action juridique menée aux États-Unis. Une procédure stoppée en février 2009 par une décision de la Cour suprême. “Il y a eu une intervention de l’Attorney General, sur ordre du président W. Bush, utilisant une niche juridique américaine permettant à une tierce personne d’éclairer le juge. On a compris que les États-Unis n’allaient pas perdre un procès contre leur ancien ennemi sur leur propre territoire avec leur propre arsenal juridique.” Lorsqu’il croise l’ancienne maquisarde, Bouny sent qu’elle peut prendre le relais. Tran To Nga accepte, pour elle et pour ses compatriotes victimes. “Si notre cliente gagne, il n’y aura pas une déferlante d’initiatives judiciaires par des citoyens vietnamiens, tempère Amélie Lefebvre, l’une de ses avocates. Mais bien sûr, cela peut venir en soutien de nouvelles initiatives et lutter contre l’impunité des fabricants.”
En mai 2014, une plainte est déposée au tribunal de grande instance d’Évry, dans l’Essonne. Pour assurer sa défense, Tran To Nga fait appel à William Bourdon, un ténor du barreau français, célèbre pour avoir plaidé la cause des victimes de Pinochet ou du génocide rwandais. Bourdon travaille le dossier avec ses confrères Bertrand Repolt et Amélie Lefebvre, donc. En face, 36 hommes de loi bûchent pour le compte des poids lourds de l’agrochimie. “C’est le pot de terre contre le pot de fer”, juge André Bouny. Un combat façon David contre Goliath, le pointillisme du droit en plus. Jusqu’ici, sept audiences de mise en état de procédure ont déjà eu lieu. Les avocats de Tran To Nga se plaignent de manœuvres visant à ralentir la procédure. “Pendant deux ans, les défendeurs ont soulevé des incidents, ou ont sollicité la communication de nouvelles pièces ou de traductions assermentées coûtant très cher, détaille Amélie Lefebvre. Ils sont nombreux et tous dotés d’une grande surface financière. Pour eux, ce procès est un soupir.” Au cœur du “soupir”, la question cruciale du lien de causalité entre les pépins de santé de la plaignante et l’agent orange. Un combat onéreux d’études et d’experts. Mais il en faut plus pour décourager Tran To Nga. L’année dernière, elle publiait le livre Ma Terre empoisonnée, coécrit avec Philippe Broussard, dont une partie des bénéfices est consacrée aux frais du procès. “On progresse, dit-elle la mine fermée, avant de lever l’index et le majeur devant le seuil de sa porte. Avant de partir sur la piste Hô Chi Minh, on faisait toujours comme ça pour dire adieu, ça veut dire ‘à dans deux ans’, parce qu’on ne sait jamais ce qui peut arriver.” Un petit silence, puis un sourire: “C’est aussi le V de la victoire.”
Lire:
–Ma Terre empoisonnée de Tran To Nga et Philippe Broussard, disponible aux éditions Stock
–Agent Orange: Apocalypse Viêt Nam d’André Bouny, disponible aux éditions Demi Lune
Par Grégoire Belhoste / Photo : Zen Lefort
Aujourd'hui, c'est la journée mondiale du Bonheur. L'occasion de rappeler que pour être heureux, il suffit parfois de se rendre compte que la vie nous offre plein de petits cadeaux.
Par la rédaction
Fleabag, saison 1.
Quand il fait beau à Paris pendant plus de 35 minutes.
Quand la canette finit par tomber alors qu’on pensait qu’elle était coincée.
Quand le vendeur de churros les découpe et qu’on les voit tomber dans l’huile.
Quand on n’a pas l’Oscar du meilleur film mais qu’en fait si, on l’a.
Quand on ouvre la boîte de médicaments du bon côté, pas celui de la notice.
Quand l’hôtesse de l’air dit : “Embarquement terminé”, et que personne n’est assis à côté de nous dans l’avion.
Quand personne ne retrouve les corps.
Quand on se trouve à 499 mètres de notre ex et que le bracelet ne sonne pas.
Quand le prêtre nous met l’hostie direct dans la bouche et pas dans la main.
Quand notre pull tient parfaitement noué sur nos épaules malgré le vent tenace de Saint-Lunaire.
Quand le coiffeur nous fait un shampooing et que “la température nous convient”.
Quand il y a deux bonbons collés dans un paquet d’Haribo.
Quand on perce le film du tube de crème avec la pointe du bouchon prévue à cet effet.
Quand une pistache est déjà décortiquée dans le bol.
Quand on joue pour un camembert vert et que c’est pas vraiment une question science.
Quand en soirée, on n’est que six à porter la même robe Zara.
Quand la boulangère nous rend 20 centimes de trop.
Quand il(elle) répond au message juste après que le “Vu” s’est affiché.
Quand papi se rappelle notre prénom.
Quand la guerre est finie et qu’on peut enfin sortir de ce grenier bien trop étroit.
Quand il y a sept nuggets dans notre boîte de six.
Quand on reçoit 73 vierges.
Quand quelqu’un se baisse pour ramasser cette savonnette à notre place.
Quand on est mis en examen mais que nos sourcils sont parfaitement brossés.
Quand l’imprimante du boulot imprime du premier coup.
Quand la ligne 13 fonctionne.
Quand on enlève nos chaussures l’été après avoir marché toute la journée, et que franchement, ça va.
Quand le coiffeur passe le miroir derrière notre tête et que le dégradé tribal est cool.
Quand on se réveille et que ça y est, on re-respire par le nez.
Quand on n’avait pas prévu de prendre le bus mais que tiens, il arrive dans une minute.
Quand les oignons frémissent pile au moment où on les met dans la poêle chaude.
Quand le mec en K-Way Greenpeace ne nous a pas vu(e).
Quand on fait quatre œufs au plat sans percer un seul jaune.
Quand on rentre d’une grosse soirée le samedi soir et qu’il n’y a pas de grosse soirée dans notre immeuble.
Quand on coupe une feuille de papier bien droit sans ciseaux, rien qu’en la pliant.
Quand les gens nous font chier au lycée et que papa est équipé pour la chasse.
Quand on retire la fonction correction sur Word et que soudain, il n’y a plus tous ces petits traits rouges.
Quand on entend le silence après quinze minutes d’aspirateur.
Quand un programme sort et que C’EST NOTRE PROGRAMME.
Quand on parie 100 euros sur une remontada à la 88e, alors qu’il reste trois buts à mettre.
Quand on trouve enfin ce fameux “système” dont tout le monde parle.
Quand on essaie de chasser une guêpe et qu’accidentellement, on met une gifle à Cyrille Eldin.
Quand on retrouve Xavier Dupont de Ligonnès par hasard en allant cueillir des champignons.
Quand finalement, ça n’était qu’une hépatite.
Quand on renverse quelqu’un qui passait par là sur une trottinette pour adultes.
Quand on revient d’enterrer des trucs dans les bois à 4h du matin et qu’ils passent notre rediff préférée d’Avocats et Associés.
Quand on bat Poutine au blind test.
Quand on trinque avec nos amis des Alcooliques Anonymes.
Quand on découvre un trésor dans la maison de notre beau-frère.
Quand on n’avait pas vraiment envie d’aller boire ce verre et que notre pote nous appelle pour nous dire qu’il(elle) est malade.
Quand on vient de louper l’intervention de Stéphane Guillon chez Ardisson.
Quand le caissier(e) rit après qu’on a dit “C’est gratuit, alors” parce que le code-barres du produit ne passe pas.
Quand le paiement a été accepté.
Quand le prêtre ne veut vraiment que nous parler.
Quand on n’aurait pas dû finir la bouteille de Volvic mais qu’ils ont oublié le colorant de la honte dans le bassin municipal.
Quand on dit : “C’est la première fois que ça m’arrive” et qu’elle fait très bien semblant de nous croire.
Quand Doctissimo nous dit que ce n’est pas un cancer.
Quand on est boxeur poids lourd, juif et qu’on apprend qu’Alain Soral va partager notre cellule.
Quand il reste des frites à la cantine.
Quand notre balance dysfonctionne.
Quand demain l’école commence à 8h mais que soudain, on se souvient qu’on n’a pas d’enfants.
Quand on a refilé notre angine à notre manager.
Quand on est invité(e) à dîner et que c’est pas des verrines.
Quand on trouve le bon compte avant Bertrand Renard.
Quand grâce à Pascal, Kevin, ado turbulent et natif du Loir-et-Cher qui s’en battait jusque-là les couilles, se remet dans le droit chemin après avoir cassé des pierres.
Quand la maison s’excuse et nous offre le digestif.
Quand on nous apporte un annuaire tout neuf et un Pastis tout frais avant une GAV.
Quand Zazie remet ses chaussures.
Quand dans l’historique web de notre mec, il y a la page Wikipédia de “clitoris”.
Quand on est convié(e) à un déménagement et qu’on n’a même pas à inventer une bonne excuse parce qu’on bosse !
Quand on a des bras ET du chocolat.
Quand un(e) ex like à nouveau une de nos photos sur Facebook, ça veut dire que c’est le printemps.
Quand on finit notre quinquennat juste à temps pour Roland-Garros.
Par la rédaction
En décembre, Médine s’est offert un périple en Birmanie. Une expédition humanitaire à la rencontre des Rohingya, minorité musulmane oppressée par une faction de moines bouddhistes radicaux. De quoi revenir en France avec le morceau Nour, un clip et des carnets aux pages noircies de notes. À l’occasion de la sortie de son cinquième album, Prose Élite, souvenirs de voyage avec le rappeur du Havre.
Par Grégoire Belhoste / Photos : Cheez Nan
Pourquoi être parti en Birmanie ?
Pour corroborer certaines sources concernant la situation des Rohingya. Je voulais voir si la Birmanie, du moins l’État d’Arakan, à l’est du pays, était vraiment dans la situation décrite. Parfois, l’utilisation d’Internet est maladroite. On va montrer des images tournées en Birmanie, mais non liées aux Rohingya. Cela équivaut à manipuler les images, leur faire dire autre chose que ce qu’elles ont vocation à dire. J’ai eu l’opportunité de participer à un convoi humanitaire avec une association nommée HAMEB, pour Halte au massacre en Birmanie. Ce collectif s’emploie à diffuser de l’information de première source. J’ai compris qu’il fallait que j’y aille maintenant, parce que je n’irai sans doute pas à l’avenir pour cueillir des champignons. Le hasard du calendrier a fait que je suis parti un 10 décembre, date de la journée internationale des Droits de l’homme. Je suis resté là-bas près de huit jours.
Que se passe-t-il précisément en Birmanie avec les Rohingya ? D’où vient ce conflit ?
Lorsque la junte birmane a été destituée, il y a eu une sorte de recensement des minorités. Parmi elles, on compte les Rohingya. Pourtant, ceux-ci n’ont pas été
Il y avait de tout : des reportages à la Yann Arthus-Bertrand, où la Birmanie est présentée comme le pays aux mille pagodes, d’autres où le pays avait l’air d’être la Corée du Nord, un coin avec des routes fantômes et des mineurs travaillant dans les carrières. Sur place, j’ai compris que c’était ni l’un ni l’autre
Médine
comptabilisés, car selon une croyance, ils seraient des Bengali venus travailler pour le compte de la colonisation britannique, c’est-à-dire des gens ayant bénéficié du système colonial. En vérité, la présence des Rohingya musulmans en Birmanie remonte à plus longtemps que les colonies. J’ai vu des mosquées datant d’avant l’époque britannique, aujourd’hui fermées et cachées par des panneaux publicitaires. Cette théorie est donc vite démontable. En plus de ce socle pseudo historique raccrochant la présence des Rohingya à l’immigration bengali, il y a tout un discours religieux, une sorte de croisade du bouddhisme contre le potentiel envahisseur musulman. Je vois beaucoup de ressemblances avec le contexte européen, cette peur du “péril vert” qui viendrait s’installer sur l’Occident. Cette persécution est menée par une minorité de moines extrémistes, dirigés par un dénommé Wirathu. Le Time Magazine l’a surnommé le “Ben Laden birman” tellement il est virulent. Malheureusement, les Rohingya sont désalphabétisés. Ils ne peuvent former d’élites faisant valoir la cause de cette population en dehors des frontières du pays. Pour essayer de réformer leur condition de vie, ils ne peuvent compter que sur les organisations humanitaires et les militants associatifs.
Avant de partir, quelle image avais-tu du pays ?
J’ai regardé quelques documentaires sur le sujet. Il y avait de tout : des reportages à la Yann Arthus-Bertrand, où la Birmanie est présentée comme le pays aux mille pagodes, d’autres où le pays avait l’air d’être la Corée du Nord, un coin avec des routes fantômes et des mineurs travaillant dans les carrières. Sur place, j’ai compris que c’était ni l’un ni l’autre. Il s’agit d’une région du monde en voie de développement. Mais les priorités ne se portent pas forcément sur l’éducation ou la liberté de la presse, plutôt sur la téléphonie accessible à tous. D’après les membres d’HAMEB, personne n’avait la possibilité de naviguer sur un smartphone il y a encore quatre ans. Dans l’État d’Arakan, il n’y avait même pas de réseau. Quatre ans plus tard, j’ai pu faire des Facebook Live depuis des camps de Rohingya.
Comment vivent les Rohingya ?
Dans les villages, ils ont une liberté relative. Les Rohingya peuvent posséder des terres, les cultiver et se déplacer, mais avec des contrôles plus poussés que la moyenne de la population. Je n’ai eu accès que deux fois aux camps, grâce à des autorisations difficiles à obtenir. On dirait le Far West. Tu passes le premier checkpoint, puis le second, puis tu vois un chemin de fer qui balafre toute la surface des camps. C’est immense, tu ne ressens pas immédiatement la privation de liberté. À l’intérieur, il y a beaucoup de petits commerces, de contrebande, de bricolage. Des femmes marchent avec des parapluies colorés pour se préserver du soleil. La présence de l’aide humanitaire y est beaucoup plus prononcée que dans les villages. C’est un problème, car les villageois ont également besoin d’aide humanitaire. Ils n’y ont pas accès, parce qu’ils ne répondent pas aux critères de besoin, selon une classification.
Des critiques s’élèvent contre le silence d’Aung San Suu Kyi, prix Nobel de la Paix 1991. Qu’en penses-tu ?
Quand tu es prix Nobel, il faut être à la hauteur et dénoncer les situations
Les villageois n’ont pas accès à l’aide humanitaire parce qu’ils ne répondent pas aux critères de besoin, selon une classification
Médine
d’absence des droits de l’homme. Qu’elle ne s’exprime pas sur une situation qui concerne son propre pays, qu’elle n’ose même pas prononcer le nom de la minorité, c’est quand même assez dramatique. Les militants et les associations sont très virulents contre Aung San Suu Kyi. Je suis d’accord, mais je relativise d’un point de vue géostratégique. En tant que ministre des Affaires étrangères et membre de l’opposition (elle n’est plus membre de l’opposition à proprement parler dans la mesure où son parti a gagné les élections législatives en novembre dernier, mais elle doit toujours composer avec la junte militaire, qui détient notamment un quart des sièges au Parlement, et donc assurer le compromis, notamment sur la question des Rohingya, ndlr), elle est tenue à une sorte de diplomatie de circonstances. Aung San Suu Kyi ne peut pas trop s’engager sur la question, sinon ses détracteurs vont lui tomber dessus. Elle risque de perdre le rapport de force qu’elle doit conserver pour maintenir l’équilibre du pays.
Durant ton voyage, tu as enchaîné les lives Facebook et les posts sur Snapchat. Une façon de documenter ton périple ?
Concernant la situation des Rohingya, les sources sont multiples, parfois peu fiables. Je voulais contribuer à ramener des informations de première source, sans commentaires, sans parasiter le message avec mon esprit européen ou un regard trop émotionnel. Je voulais montrer ce que je voyais, et rien d’autre. Les réseaux sociaux servent aussi à ça. Dans beaucoup de situations, ils ont été des leviers importants pour impulser des mouvements ou faire pression sur les gouvernements.
Sur place, il paraît que Florin Defrance, ton vidéaste, te surnommait “Bernard-Henri Lévy” pour te chambrer…
Et moi, je l’appelais Arielle Dombasle ! Florin m’a vu avec un sac de riz sur l’épaule filer un coup de main à une vieille dame. Je l’ai fait spontanément, mais je savais que j’allais m’en prendre une. En mettant le sac sur mon bras, je lui ai d’ailleurs dit : “Je te fais une Kouchner, ne me filme pas.” On ressent un peu de gêne à être un Européen parachuté dans ce contexte. Je suis un artiste, pas un humanitaire. Ma vocation première n’est pas de faire de l’humanitaire, mais ramener de l’information et écrire un morceau sur le sujet. Pour dédramatiser cette gêne, on se vannait entre nous.
Le dernier jour du voyage, tu as assisté à un combat de lutte birmane. Alors, ça donne quoi ?
C’est impressionnant ! On est tombés sur une espèce d’arène dans un endroit reculé par rapport à la ville. Il y avait du monde agglutiné autour d’un cercle. Je me suis faufilé, j’ai grimpé sur le toit d’un taxi pour mieux voir. Le chauffeur ne voulait pas que je monte, il avait peur que je détruise ses amortisseurs. Je lui ai filé quelques kyats (la monnaie locale, ndlr) et son toit s’est transformé en tribune officielle. Le combat était impressionnant. Des tambours suivaient le rythme. Quand il n’y avait pas trop de frictions, les tambours étaient lents. Quand le combat s’intensifiait, ils accéléraient. On aurait dit la scène d’ouverture de Rambo 3.
Certaines figures œuvrant dans le monde humanitaire peuvent-elles quand même t’inspirer ?
Ce que fait Akon sur le plan électrique en Afrique, ça me parle (le chanteur sénégalois-américain a lancé une initiative visant à distribuer de l’électricité dans les zones les plus reculées du continent, ndlr). Il y a aussi l’association caritative Giving Back, qui soulève des fonds pour apporter un savoir ou donner des cours de sport dans des zones sinistrées. Parfois, elle travaille avec des champions NBA. Ces projets sont dans la justesse et la mesure, pas dans l’étalage, pas dans le côté “je vais repasser ma chemise et faire mon beau brushing pour parader au milieu d’une zone sinistrée, pour que l’on me voie comme un Superman venant en aide à toutes les populations”. J’espère que l’on ne me perçoit pas comme ça, sinon j’aurai loupé mon projet.
Par Grégoire Belhoste / Photos : Cheez Nan
Somalis on ice. C’est Rasta Rockett en pleine crise migratoire. En Suède, pour combattre les préjugés et rapprocher les communautés, a été montée une équipe de bandy –l’ancêtre du hockey sur glace–… somalienne. Et si elle perd beaucoup, elle pourrait gagner à la fin.
L’argent du sang. En Iran, en cas de meurtre, la famille de la victime a droit à une compensation équivalente. Souvent, elle choisit la mise à mort. Mais elle peut aussi opter pour le pardon en échange de la diyya, une somme d’argent fixée par la justice.
La rédaction
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Marvin Rees. L’an dernier, Marvin Rees est devenu le premier maire noir du Royaume-Uni. Un symbole d’autant plus fort qu’il a été élu à Bristol, ancien port négrier et ville pionnière dans la lutte pour les droits civiques. Mais que peut un homme seul à l’heure du Brexit?
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La rédaction
Les climatosceptiques. Ils sont journalistes, experts, politiques, et tous d’accord sur un point: le réchauffement climatique est un mythe. Ou plutôt une construction idéologique, portée par les “bobos” et les “bien-pensants”. Bienvenue dans la France qui a froid.
Mélenchon, un homme à la mer. Benoît Hamon a son revenu universel, Emmanuel Macron l’économie numérique. La grande affaire de Jean-Luc Mélenchon pour la présidentielle, c’est la mer. Devenu écolo sur le tard, l’ancien socialiste regarde vers le large depuis quelques années. Algues, énergies marines et hydroliennes, le candidat de la France insoumise veut donner un nouvel horizon au pays avec l’économie bleue. Chiche?
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La faiseuse de souvenirs. Officiellement, elle était kinésithérapeute. Mais dans les faits, elle ressemblait surtout à un gourou. Pendant une décennie, elle a ainsi manipulé une dizaine de patientes, remodelant leur mémoire pour mieux leur soutirer de l’argent.
Pendant ce temps-là. Doucement sur les plats exotiques!
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Actupuncture. Doria Tillier a réponse à tout. Enfin, presque.
Comment reconnaître… un homme politique au salon de l’Agriculture.
Turfu. Mais dans quel état finira Ruth Elkrief?
Sauts de puce. C’est dans la tête.
Vite fait, bien fait. Le fils Plant aime la bière, mais la bonne.
Allons à l’essentiel. Où va le racisme?
Retournons à l’essentiel. Pourquoi y a-t-il tant de disparitions au Mexique?
Table ronde. La campagne se joue-t-elle sur le web?
Extravaganza. Superman!
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Une fille, une histoire. Marie a perdu l’équilibre.
Heureuscope. Parce que les gens dans l’actu ont aussi droit à quelques conseils pour leur avenir.
La vie idéale. Comment sauter d’un train lancé à pleine vitesse?
La pétition qui compte. Stop aux vide-greniers.
Apprenez l’anglais avec Shady Bitch. Quelques cases pour devenir bilingue avec Monsieur Bitch.
100 bonnes raisons… de sortir de sa zone de confort.
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La rédaction
En 2015, cette bande d’étudiants surdiplômés et polyglottes bossant à l’étranger désirait timidement remettre la jeunesse au centre de l’arène politique magyare. Aujourd’hui, leur pétition “NOlimpia”, signée par plus d’un quart de million de Hongrois en un mois, a forcé Budapest à abandonner la candidature aux JO 2024. Et leur mouvement, Momentum, qui se métamorphosera en parti d’ici peu, veut réparer un pays qu’il juge abîmé. Suffisant pour déloger l’indéboulonnable Viktor Orbán aux législatives l’an prochain ?
Par Joël Le Pavous, à Budapest / Photos : JLP
Le timbre est fébrile mais le discours déterminé. “Bonsoir, nous collectons des signatures afin de demander la tenue d’un référendum sur la candidature de Budapest aux Jeux olympiques d’été 2024. Accepteriez-vous de signer la pétition ?” Ce jeudi 16 février, Bence, Petra et Marcell, 69 ans à eux trois, font du porte-à-porte dans une cité HLM du sud-ouest de Budapest. Ils l’ignorent encore mais le lendemain, date butoir de la campagne anti-JO, NOlimpia, lancée mi-janvier par le mouvement Momentum dont ils portent les pin’s, le charismatique leader barbu de ce dernier, András Fekete-Győr, déposera 266 151 paraphes à l’office électoral national. Le double du nombre nécessaire à une consultation populaire sur le sujet.
Pendant un mois, les “Momentumosok”, comme on les appelle en Hongrie, ont battu la campagne au pas de charge. Une trentaine de stands occupant les lieux stratégiques de la capitale, des dizaines de vidéos Facebook mobilisatrices, des tas d’interviews et d’interventions télé dénonçant la pluie d’argent destinée aux JO alors que les écoles et certains hôpitaux en piteux état se voient incapables de
Nous avions besoin d’une cause suffisamment fédératrice pour lancer Momentum dans le grand bain et les JO, brassant une énorme force symbolique, en sont une
András Fekete-Győr, nº1 du mouvement
se payer des rouleaux de papier toilette. Les prévisions évoquent au moins 3 000 milliards de forints (9,76 milliards d’euros) entre les frais de candidature (représentation, événements…) et les infrastructures à bâtir. Une fortune pour Budapest qui a déjà loupé cinq fois l’investiture du CIO. “Nous avions besoin d’une cause suffisamment fédératrice pour lancer Momentum dans le grand bain et les JO, brassant une énorme force symbolique, en sont une, explique le no1 du mouvement, jeune juriste réunissant le Parlement européen, le Bundestag et la Chambre internationale de commerce de Paris sur son CV. Je suis rentré exprès de Bruxelles parce que je crois en notre projet. Je crois en la construction d’un vaste réseau citoyen national dépassant le clivage droite/gauche et prenant en compte les problématiques de la province trop souvent délaissées par Budapest. Organiser des JO au mépris de l’état de nos finances publiques et de l’état du pays en lui-même est un non-sens.” Les maux magyars sont multiples selon Fekete-Győr : fuite des médecins et des chercheurs vers des salaires largement plus confortables à Vienne ou Munich, résultats PISA désastreux et manuels d’État imposés aux enseignants du public rémunérés une paille (500 euros nets par mois), administration éléphantesque, corruption endémique, système d’imposition injuste (16% à la source sur le revenu, quelle que soit la paie), décrédibilisation des partis classiques, manque criant de solidarité à l’égard des couches défavorisées… Sans oublier la crainte de représailles ayant dissuadé de nombreux employés d’organismes d’État ou ayant des proches travaillant pour l’État de cautionner NOlimpia.
Un parti dans les prochaines semaines
Outre l’implication des militants Momentum, la pétition doit aussi son succès à l’appui de certaines formations d’opposition venues gonfler le total de signatures. Les Verts du LMP (“La politique peut être différente”) en ont apporté 23 000, les écolos-europhiles de Párbeszéd (“Dialogue”) 12 000 et les sociaux-libéraux d’Együtt (“Ensemble”) 10 000. Parmi les sympathisants NOlimpia, on trouve aussi le farfelu Parti du chien à deux queues et ses 4 600 paraphes agglutinés au programme extravagant (bière gratuite et vie éternelle, entre autres). Sur l’une de ses affiches récentes visibles à Budapest, l’espiègle canidé estime notamment qu’il “vaudrait mieux construire une démocratie avant de penser aux JO”. Une démocratie à laquelle Momentum se voit bien œuvrer depuis le Parlement aux prochaines législatives d’avril-mai 2018. Capitalisant sur le raz de marée NOlimpia, Fekete-Győr et ses camarades ont décidé de passer à l’étape supérieure en décidant de lancer un parti dans les prochaines semaines. Objectif : conquérir les 30% de l’électorat hongrois boudant à la fois le Fidesz radicalisé d’Orbán stigmatisant les migrants, les socialistes du MSZP plombés par des scandales financiers et les extrémistes du Jobbik peinant à se “dédiaboliser” façon Marine Le Pen malgré un discours sensiblement poli. L’aventure a débuté à neuf au printemps 2015 et rassemble actuellement près d’un millier d’activistes. Les piliers occupent une cave du VIIe arrondissement de Budapest, près de l’épicentre festif, réaménagée en QG où les bouteilles vides de Pepsi et de vin blanc côtoient des plans de développement pour la province. “C’est un ancien salon de coiffure, certaines salles sont encore inutilisables à cause de l’amiante. Chacun des 145 membres verse 1 000 forints (3,30 euros, ndlr) par mois et les contributions paient le loyer, précise Ede qui monte les contenus vidéo quand elle ne réalise pas des pubs ou des films d’entreprise. Je mixe mes connaissances de vidéaste et de politologue au service du mouvement. D’autres ont étudié l’économie, l’enseignement ou la médecine. L’union de nos expertises enrichit le programme.”
Des Pin’s
Momentum phosphore via sa commission emploi et ressources humaines, son pool santé, sa branche éducation ou son groupe informatique à l’origine d’un jeu rigolo consistant à accumuler un max de forints avec le personnage du logo Budapest2024 histoire de voir combien de salles de classe ou de lits d’hôpital auraient pu être financés par rapport à l’enveloppe envisagée en vue des JO. Et veut propager son message dans les dix-neuf comitats (régions) du territoire à travers une longue tournée de 45 jours. Le Momentum Tour s’est invité à Szeged (Sud) le 24 février avant de rallier Komárom (Nord) à proximité de la Slovaquie le 25. Bientôt des crochets par Győr (Nord-Ouest), Debrecen (Est) et Pécs (Sud-Ouest) ?
“Ce genre de régime s’effondre forcément”
Malgré la mue extrêmement précoce, la cave conserve son cachet foyer lycéen, le baby en moins. András et compagnie se marrent durant un shooting de l’hebdo Magyar Narancs –équivalent des Inrocks s’il fallait une comparaison. Anna valide sourire aux lèvres la dernière production d’Ede où le président du mouvement
Pas certain que l’on puisse renverser la table en 2018 mais j’ai plutôt bon espoir pour 2022
Gergö, membre de Momentum
demande des comptes en caméra cachée à la société portant la candidature olympique. Tamás répond entre deux plaisanteries à une reporter de la chaîne d’info de gauche ATV qui signe ensuite la pétition anti-JO réservée aux résidents pestois avec le caméraman et l’ingé-son. Parallèlement, Gergő, diplômé de sciences politiques et ancien journaliste, filtre les requêtes médias. “On reçoit au moins une demande par jour et le nombre n’a fait qu’augmenter, surtout après la visite de Vladimir Poutine à Budapest (le 2 février, ndlr), assure le monsieur presse de Momentum. Je me suis engagé à l’été 2015 grâce à l’un des neuf historiques car j’estimais que les choses allaient vraiment dans la mauvaise direction chez nous et je le pense plus que jamais. Les jeunes magyars sont d’ordinaire fatalistes et dépolitisés mais là, ils s’intéressent autant que le New York Times, Reuters ou Der Spiegel au changement de modèle que nous proposons. Pas certain que l’on puisse renverser la table en 2018 mais j’ai plutôt bon espoir pour 2022. Ce genre de régime s’effondre forcément à un moment.”
Le parcours et le vocable rappellent ainsi furieusement ceux de Viktor Orbán imaginant la Fidesz dans un dortoir de la cité universitaire István Bibó. En 1988, l’étudiant en droit dissident désormais dirigeant autoritaire voulait terrasser le communisme du goulash en surfant sur une dynamique citoyenne. L’élan de liberté avait alors contraint les chars soviétiques à quitter la Hongrie, ce qu’Orbán exigeait lors d’un célèbre discours prononcé sur la place des Héros. Vingt-neuf ans plus tard, le surprenant Momentum oblige Budapest à lâcher officiellement la course aux JO 2024 comme annoncé mercredi, laissant Paris et Los Angeles seules en lice. Reste à savoir si la vague peut se transformer en déferlante.
Par Joël Le Pavous, à Budapest / Photos : JLP
Il était une fois le Brooklyn sauvage, celui d’avant Rudolph Giuliani. Le long des 180 pages de Jewish Gangsta, Karim Madani raconte les destins croisés de quatre jeunes juifs déclassés, livrés à eux-mêmes dans le New York des années 90. Une histoire vraie, peuplée de gangsters white trash et de rappeurs hard-core. Rencontre avec l’homme qui a discuté avec RZA dans une baignoire.
Par Grégoire Belhoste et Lucas Minisini
D.R.
Comment as-tu rencontré Necro et Ill Bill, deux des protagonistes de ton livre?
En 1999, je suis allé à New York pour un projet de roman urbain. Je me suis retrouvé chez Ill Bill et Necro, deux frères juifs et blancs, membres du groupe Non Phixion. Sur une petite table était posé American Psycho, un bouquin que j’adore. Surtout, ce qui m’a marqué, c’est combien les deux frères étaient débonnaires. Aux États-Unis, les vrais gangsters sont souvent des mecs cool. J’ai aussi interviewé le rappeur Capone, du groupe Capone-N-Noreaga. Ce mec-là est un nounours, quand tu le rencontres, tu as l’impression qu’il ne ferait pas de mal à une mouche. Et pourtant, le gars est capable de se faire embarquer par un hélico du SWAT parce qu’il a tiré sur un flic. Dans le rap français, j’ai rencontré beaucoup de types agressifs, mais derrière, il n’y avait pas grand-chose. Les gros chiens n’aboient pas.
Au début des années 90, que signifiait le fait d’être juif dans un quartier afro-américain ?
La théorie de ‘la vitre brisée’ consiste à dire que si un carreau pété par un gamin dans une cité HLM n’est pas remplacé dans les cinq ou six heures, d’autres seront également cassés. Voilà ce que Giuliani a appliqué
À 13 ans, Necro se sentait comme un rat dans un laboratoire. Le ‘white flight’, c’est-à-dire l’exode des Blancs de classe moyenne des quartiers mal famés, a eu lieu à la fin des années 60. Ils se sont tous barrés, sauf les personnages de mon bouquin, parce qu’ils n’avaient pas le choix. Au début, c’était l’enfer pour Ill Bill et Necro. Pas à cause de l’antisémitisme, simplement parce qu’ils étaient une minorité au sein d’une minorité elle-même sous pression. Comme les autres gamins les détestaient, ils ont appris à boxer pour se défendre. Encore récemment, Necro a fait de la garde à vue à Zurich parce qu’il a explosé trois mecs. Pareil en Australie, où il a cassé la mâchoire d’un type. Toujours pour le même motif : les autres groupes à l’affiche coupent le son brutalement pour le dégager. Necro doit leur expliquer qu’il a rappé à Brooklyn devant des mecs capables de lui couper la gorge et que ce ne sont pas des mecs de 20 piges venus du rock emo qui vont le faire bouger de la scène. À 40 ans, il a gardé ce côté voyou.
À quoi ressemble le New York dans lequel évoluent tes personnages ?
À la fin des années 70, la ville était au bord de la faillite budgétaire. New York était crade et dangereuse car elle ne pouvait plus payer ses flics ni ses employés. En juillet 1977, ce fut le pompon avec le black-out, une coupure d’électricité géante qui a plongé la ville dans l’obscurité. Cela a toutefois permis au hip-hop de trouver un nouvel écho. Avant, les DJ jamaïcains mixaient sur des platines de merde, avec de vieilles enceintes. Cette nuit-là, les mecs ont pillé tous les magasins hi-fi. Ils ont tapé le matos japonais dernier cri et le son a complètement changé dans les block parties. Ensuite, de 1982 à 1994, il y a eu l’épidémie de crack. À l’époque, même Times Square était un coupe-gorge. Les types des quartiers chauds débarquaient à 80 dans une salle de cinéma, mais ils payaient tout de même leur place. Forcément, puisque tous les cinémas pornos et les salles d’arcades où ils traînaient étaient tenus par Cosa Nostra, la mafia sicilienne. Et puis l’ancien procureur fédéral Rudolph Giuliani est devenu maire. Il est arrivé en disant qu’il avait traqué la mafia pendant des années, et qu’il allait maintenant faire pareil à New York.
Et qu’a-t-il fait concrètement ?
Déjà, il a piqué une théorie à George L. Kelling, un psychosociologue américain. Un jour, celui-ci a fait l’expérience d’enlever une plaque d’immatriculation sur une bagnole abandonnée dans la rue. Quelques heures plus tard, une roue avait disparu, puis un enjoliveur, puis toute la voiture a finalement été décarcassée. La théorie de ‘la vitre brisée’ consiste à dire que si un carreau pété par un gamin dans une cité HLM n’est pas remplacé dans les cinq ou six heures, d’autres seront également cassés. Voilà ce que Giuliani a appliqué. Si un mec pisse dans la rue, il faut l’arrêter tout de suite, sinon tout le monde va faire la même chose. À New York, la volonté de la police était de casser le style de vie. L’été à New York, les mecs sortaient des chaises, jouaient aux cartes dehors. Comme Rudolph Giuliani ne voulait plus du côté ‘salon dans la rue’, la police a chassé ces rassemblements. Avant 1994, si tu fraudais dans le métro, tu risquais de passer deux ou trois heures menotté dans une petite salle. C’est passé à 24 heures de garde à vue, juste pour un ticket qui coûtait 1,25 dollar… En France, Nicolas Sarkozy est venu voir Giuliani pour lui demander comment il avait réussi à nettoyer la ville. Julien Dray, lui, a passé une nuit dans un véhicule appartenant à l’équivalent de la BAC new-yorkaise. Les deux n’avaient rien à voir politiquement, mais ils étaient fascinés par ce fonctionnement.
Une partie du récit se déroule à côté de Williamsburg, un quartier désormais connu pour être un bastion de hipsters.
J’ai interviewé RZA dans la baignoire d’un hôtel à New York. Le mec était complètement défoncé. Il se frottait les aisselles pendant qu’il répondait à mes questions et son intimité était relativement apparente
Et pourtant, dans ce coin de Brooklyn, ça n’a pas toujours été le cas. Avant, la moitié du bloc était juif hassidique, l’autre jamaïcain. Les deux communautés vivaient en bonne intelligence. Seulement, à l’été 1991, il y a eu un fait divers : un cortège de juifs hassidiques a renversé un gamin jamaïcain de 7 ans. Pendant une semaine, il y a eu des émeutes et de grosses tensions communautaires (marquées par la mort d’un étudiant juif, ndlr). Aujourd’hui, le quartier n’a plus rien à voir. Le bloc hassidique existe encore. En revanche, les Jamaïcains se sont fait dégager quelques kilomètres plus loin. Les bodegas, les belles épiceries de quartiers, ont été rachetées. Chez les Jamaïcains, tu pouvais avoir un demi-litre de jus de fruit pressé fait maison pour 75 centimes. Maintenant, pour dix balles, tu as droit à un thé bio.
Tu es également l’auteur d’une biographie de Kanye West parue en 2016, dans laquelle tu le décris comme un marqueur culturel dans l’histoire du rap.
J’ai découvert ce mec en 2000 alors qu’il commençait à bosser avec Jay Z pour le label Roc-A-Fella Records. Quand on faisait des sessions d’interviews, Kanye était derrière, il ne parlait pas. Tu sentais qu’il avait du potentiel, mais il était complètement écrasé par Jay Z.
Encore aujourd’hui, on sent un homme chahuté par ses démons…
Kanye a un problème œdipien. Son père s’est barré jeune, il était très proche de sa mère. Elle était prof de littérature à la fac, puis a tout laissé tomber pour devenir manager, un job beaucoup plus lucratif. Avec ses premiers cachets, Kanye n’a pas trouvé mieux que de lui offrir une augmentation mammaire. Elle a fait plein d’opérations chirurgicales, mais comme elle avait une sorte d’insuffisance respiratoire, elle a fini par mourir sur une table d’opération. Kanye ne se l’est jamais pardonné, il a pété un câble. Pareil pour Kim Kardashian. À l’école, Kanye a toujours rêvé de sortir avec la reine des pom-pom girls. Sauf qu’elle se tapait toujours le capitaine de l’équipe de football américain. Il a toujours eu un gros complexe là-dessus. Son identité sexuelle n’était pas non plus très affirmée. Au lycée, Kanye ne savait pas trop s’il aimait les filles ou les garçons. La première fois qu’il est venu en rendez-vous chez Damon Dash, le fondateur de Roc-A-Fella Records, il y avait des types comme Beanie Sigel, des petites frappes en baggy et Timberland. Ils l’ont vu arriver habillé avec un look preppy, avec des mocassins Gucci roses et une chemise rayée. Il paraît que la conversation s’est arrêtée et qu’il y a eu un silence gênant. Quelqu’un a fait : “Mais c’est qui ce gars-là ?” Cette humiliation, Kanye ne l’a jamais digérée. À coté de ça, pourtant, il leur faisait des productions de malade et leur faisait gagner des millions de dollars.
C’est quoi ton souvenir d’interview le plus dingue avec un rappeur américain ?
J’ai interviewé RZA, le leader du Wu-Tang Clan, dans la baignoire d’un hôtel à New York. Le mec était complètement défoncé. Il se frottait les aisselles pendant qu’il répondait à mes questions et son intimité était relativement apparente. Un collègue français, lui, a fait une interview de Ol’ Dirty Bastard dans un peignoir mal serré. Il était nu, jambes écartées, à moitié défoncé, les bijoux de famille à l’air. Ils devaient parler de son album mais lui, complètement en roue libre, a raconté pendant 45 minutes les 99 façons les plus efficaces de faire un bébé.
Lire : Jewish Gangsta de Karim Madani, disponible aux éditions Marchialy