Amante de Jim Morrison, d’Ed Ruscha ou d’Harrison Ford, protégée de Grover Lewis, muse du château Marmont, Eve Babitz était “une petite blonde de 18 ans de Sunset Boulevard. [Elle est] aussi écrivain.” Gallmeister vient de traduire son deuxième roman : Jours tranquilles, brèves rencontres.
18 octobre 1963, Pasadena Art Museum de Los Angeles. Il est tôt quand arrive en voiture une jeune fille d’à peine 20 ans, les yeux bouffis d’alcool et le geste lourd. Quelques heures avant, elle sirotait du champagne avec le L.A. mondain à la soirée d’ouverture de la rétrospective consacrée à Marcel Duchamp. Mais elle n’a pas passé une bonne soirée : elle a trop bu, de rage, vexée de ne pas avoir été conviée au vernissage VIP, qui s’est déroulé quelques jours auparavant. Walter Hoops, curateur de l’exposition et accessoirement amant de 11 ans son aîné, a omis de l’inviter. Contrairement à Andy Warhol et Dennis Hopper. De toute façon, Walter ne répond plus à ses appels depuis que sa femme a débarqué. Sauf qu’aujourd’hui, elle, Eve Babitz, ingénue à peine sortie du lycée, a rendez-vous avec Julian Wasser, photographe au Time. Il n’est pas plus de 8h30 mais il fait déjà plus de trente degrés dans la salle principale, où il l’attend. À ses côtés, Marcel Duchamp tout de noir vêtu, au beau milieu de sa propre rétrospective, assis devant un jeu d’échec sur une table en bois. La jeune fille est invitée à s’asseoir face à l’auteur de Nu descendant un escalier et à enlever ses vêtements. Pour une partie d’échec. La photo est prise ; représentative de la révolution artistique de Duchamp, elle deviendra iconique. Eve s’en fout, elle sait à peine qui est ce Français avec qui elle parle de L’oiseau de Feu de Stravinsky – son parrain – pendant qu’il lui inflige trois échec et mat d’affilée. Elle tient sa revanche.
Si elle devient “the nude girl” un peu par hasard, Eve Babitz n’était certainement pas destinée à rester dans l’ombre bien longtemps. Née sur Bronson Avenue à Hollywood, d’un père premier violon de l’orchestre de la 20th Century Fox, Eve va à pied au lycée chic d’Hollywood High, où elle fume des joints avec les enfants de l’élite bobo. Dans ce Los Angeles “charmant où les lupins violets et les coquelicots rouges fleurissent sur les collines”, les deux filles Babitz “ont la liberté de descendre Hollywood Boulevard pour glisser leurs mains dans les traces de Marilyn Monroe”, se souvient aujourd’hui Mirandi, la cadette. Le week-end, leurs
Dans la vie de tous les jeunes hommes, il y a une Eve Babitz. Généralement, c’est Eve Babitz
Earl McGrath
parents les emmènent pique-niquer avec Charlie Chaplin et Greta Garbo. Vera Stravinski leur apprend à manger du caviar. Pendant que les sœurs bronzent à Venice, leur mère dessine au crayon les détours des buildings de Los Angeles. Cette ville qui obsédera les Babitz, et que Mirandi décrit aujourd’hui comme on parlerait de Paris dans les années 20 : “C’étaient plein d’intellectuels, d’artistes, de musiciens, de fêtes et d’alcool. Oui, un Paris des années 20 délocalisé à Nice pour la météo.” Avant même de quitter le lycée, Eve est l’une de ces it-girls dont les histoires commencent toujours par “J’étais là par hasard et j’ai rencontré Machin”. Mais elle n’est jamais vraiment là par hasard : elle est belle, voluptueuse, lit Virginia Woolf, a une tendance à dire oui à tout et un don pour reconnaître le talent. Le succès de Bret Easton Ellis, celui des musiciens Jim Morrison et Michael Franks, elle les avait vu venir. La rencontre Frank Zappa et Salvador Dalí, c’est elle. Quand arrivent les années 60, elle est déjà – selon la formule de Vanity Fair – une “Edie Sedgwick coupée avec Gertrude Stein avec un peu de Louise Brooks”. Comprendre une groupie professionnelle, moins bête qu’elle en a l’air, dont tous les garçons un peu intelligents tombent éperdument amoureux. Elle est la Lolita de toutes les coming-of-agestory du coin, la Penny Lane de tous les groupes de rock en ville. L’amante de Jim Morrison, d’Ed Ruscha, ou d’Harrison Ford. Earl McGrath, ancien directeur de Rolling Stone Records, résume le personnage ainsi : “Dans la vie de tous les jeunes hommes, il y a une Eve Babitz. Généralement, c’est Eve Babitz.”
Écrire pour le plaisir
Aujourd’hui, on ne croise plus l’ancienne muse au bar du château Marmont. Même pour parler de ses cinq romans. “Victime d’un très grave accident en 1997, Eve Babitz vit recluse depuis dix ans, ne parle quasiment à personne, ne sort quasiment pas de chez elle et alterne visiblement des phases de bonne humeur et de dépression. En plus, elle ne possède pas d’adresse e-mail”, pose d’emblée Gallmeister, l’éditeur Français de Jours tranquilles, brèves rencontres. Si désormais, elle n’écrit plus et que ses romans sont presque introuvables aux États-Unis, Babitz a su très en amont s’attirer de respectables admirateurs. Depuis qu’elle lui a écrit une courte lettre en 1961 – “Dear Joseph, je suis une petite blonde de 18 ans de Sunset Boulevard. Je suis aussi écrivain.” – Heller, l’auteur de Catch-22, est fan. Finalement, c’est Grover Lewis de Rolling Stone qui lui offre sa première publication, impressionné par le style de celle qui restera l’une de ses protégées. Puis vient 1974 et son premier roman, sobrement intitulé Eve’s Hollywood. Le New York Times l’adoube – “Babitz écrit avec la douloureuse urgence de l’adolescence et la perspective lucide d’une femme plus mature” – alors que le Los Angeles Times y voit une “Madame de Sévigné transposée au
Les gens avec un cerveau sont à New York, ceux avec un visage sont à l’Ouest
Eve Babitz
château Marmont, déjeunant, aimant et pleurant à Hollywood, ce Versailles des temps modernes”. On la compare à Nathanael West et Joan Didion pour le décor californien, à Scott Fitzgerald “dans l’élégance du phrasé, dans l’apparente simplicité qui font le style, et cette capacité à capturer une ambianceet une époque dans des livres qui ne vieillissent pas”, remet aujourd’hui son éditeur français Philippe Beyvin. De l’air du temps, Eve avait déjà les références pop culture (“Venice ressemblait cet été-là à une toile de Hopper”) et un sens inné de la punchline (“Le seul moment où les hommes tombent amoureux des roses, c’est dans les publicités pour les poires vaginales”). Pourtant, Los Angeles n’est pas une ville d’écrivain et Eve ne sait pas vraiment pourquoi elle écrit. D’ailleurs, quand on lui demande comment elle s’y prend, elle répond en souriant : “À la machine à écrire les matins où il n’y a rien d’autre à faire.” La tradition littéraire américaine réside plutôt sur l’autre côte, à New York où se croisent à l’époque Kerouac, Ginsberg et Burroughs. Selon ses propres mots : “Les gens avec un cerveau sont à New York, ceux avec un visage sont à l’Ouest.” Mais Hollywood, cette industrie qui a avalé nombre d’écrivains de talent, jusqu’à tuer Scott Fitzgerald, plaît à Eve. Elle y aime la chaleur, “cette immuable, maussade et détestable uniformité”, “ce temps de tremblement de terre”. D’après elle, “les gens qui aiment Los Angeles sont des gens sensuels”.
La facilité ne peut s’encombrer de la célébrité
Quand, en 1977, Jours tranquilles, brèves rencontres paraît, Eve a choisi une vie facile, elle ne cherche pas vraiment à réussir. Elle a 34 ans, prend du Quaalude pour se détendre, a beaucoup d’amis dépressifs. Le journaliste Dave Hickey explique à Vanity Fair pourquoi Eve n’est jamais devenue Fitzgerald : “Elle est souvent sous-estimée parce que son style est tellement serein. Il n’y a jamais une hésitation.” Lorsqu’elle écrit, tout paraît trop facile. Alors, Eve se contente de raconter ses journées, ses soirées, ses amants, ses théories. Entre autres : “Je pense que l’adultère est un art. En France, ils jouent plus ou moins cartes sur table et ennoblissent les liaisons amoureuses en tant qu’aventures créatives car pour la plupart des gens, ce sont les seules aventures créatives qu’ils vivront de leur vie.” Si elle n’a jamais pris sa carrière d’écrivain très au sérieux, en amour, Babitz a fait le tour de la question. D’ailleurs, elle est seule. Mais seule par choix, l’un de ceux qu’elle raconte dans ces mémoires déguisées en nouvelles : “En roulant vers chez moi, dos à la gigantesque chauve-souris orange du coucher de soleil à l’est d’Olympic Boulevard, à l’heure de pointe, je décidai que trop c’était trop – je me contenterais des couchers de soleil de Los Angeles et cesserais de chercher ce quelqu’un qui ne me dérangerait pas.”
L’ancienne it-girl des soirées privées ensoleillées n’est donc jamais devenue aussi connue que ceux qu’elle fréquentait. Vingt ans avant qu’arrive 1997 et l’accident de voiture qui lui fera renoncer à la compagnie du monde, elle avait déjà tiré un trait sur la question, sans regret : “J’ai compris que ce qu’il y avait de véritablement affreux avec le succès est qu’il ait représenté durant toutes ces années ce qui viendrait tout arranger.” “Je ne suis pas devenue célèbre, mais je m’en suis suffisamment approchée pour sentir les relents du succès. Ça sentait le tissu cramé et les gardénias rances.”
Par Hélène Coutard
Voilà, c’est fini. Floyd Mayweather est reparti de Las Vegas en faisant la gueule, mais avec toute sa money et ses trois ceintures de champion du monde. Malgré la défaite, Manny Pacquiao, lui, a gardé le sourire jusqu’au bout. Peut-être parce qu’il sait qu’au-delà du verdict des juges, c’est toute la boxe qui ressort grandie d’un tel événement. Et tant pis si ce “combat du siècle” n’a pas tenu toutes ses promesses, loin de là. Dans cette nouvelle période dorée que vit le noble art, il suffit d’attendre le prochain…
Par Paul Bemer
Deontay Wilder est prêt à prendre la relève.
Depuis la glorieuse époque des Tyson, Holyfield, Lennox Lewis ou Prince Nasseem Hamed, la boxe se cherchait une nouvelle équipe d’Avengers capable de faire exploser les pay-per-view des grands networks américains. Certes, il y a Bernard Hopkins et ses 50 printemps qui ambiancent toujours le “boxe jeu” depuis sa victoire contre Roy Jones en 1992, nos “Super-Français”, Jean-Marc Mormeck et Brahim Asloum, ou même les frères Klitschko, dont l’éventuelle confrontation a fait fantasmer le public sans jamais se concrétiser. Des évènements qui sonnent comme autant de sursauts d’intérêt médiatique pour la boxe. Mais sans grande intensité. Pourtant, la vérité est là, puissante comme un crochet du gauche en contre : dans le sillage de ce Mayweather-Pacquiao attendu depuis presque huit ans, ce frisson qui vous sillonne le corps lorsque vous assistez à un grand combat vaut à nouveau le coup de mettre son réveil au beau milieu de la nuit. N’en déplaise à ce bon vieux Don King, qui sucre les fraises depuis bien trop longtemps, le noble art s’est refait une santé. La preuve par quatre.
Krusher Vs Superman
Adonis Stevenson aka Superman.
Oui, Superman est canadien. Et alors ? Mieux, il est même né à Port-au-Prince, en Haïti, ne porte pas de lunettes et n’a pas besoin de trouver une cabine téléphonique pour enfiler son costume. Son nom, c’est Adonis Stevenson. À côté de lui, Clark Kent est un loser. On parle quand même d’un type qui, avant d’embrasser la carrière de super-héros, a pris 18 mois de prison pour proxénétisme et violence dans le quartier d’Anjou à Montréal. Sans doute défoncé à la kryptonite, il battait régulièrement ses prostituées, infligeant même à certaines des sévices insoutenables. Champion WBC des mi-lourds, à 37 ans, Stevenson rêve désormais d’unifier la catégorie en s’occupant d’un autre client, le Russe Sergey Kovalev, aka Krusher, détenteur des ceintures WBA, IBF et WBO depuis qu’il a calmé Hopkins le 8 novembre 2014 à Atlantic City. Un combat qui, s’il se confirme, pourrait donc déchaîner ces dames autant – voire plus – que ces messieurs.
Miguel « The Angel » Cotto
Il a morflé, David Trezeguet.
Avec sa tronche d’icône gay tout droit sortie d’une pub pour une marque de slip sud-américaine, difficile de croire que Miguel Cotto a fait carrière dans la distribution de mandales. Pourtant, ce Portoricain de 34 ans détient actuellement la ceinture WBC des poids moyens. Son quatrième titre mondial, glané après qu’une cruelle défaite face à Floyd Mayweather en super-welters l’a poussé à changer de catégorie de poids. Par le passé, Cotto avait déjà fait l’ascenseur à trois reprises (dont une fois suite à une défaite contre Manny Pacquiao), pour autant de ceintures à la clé. Il est d’ailleurs le premier boxeur portoricain de l’histoire à réussir cet exploit. Et c’est sans doute parce qu’il a toujours su dompter la balance que Miguel Angel a investi ses millions dans une fondation visant à lutter contre l’obésité sur son île.
Le Rocky Balboa 2.0
Danny Garcia est “The Swift”.
Born and raised in Philadelphia. Danny Garcia a, lui aussi, longtemps rêvé de titre mondial en grimpant les marches du musée des Beaux-Arts de la ville chère à Rocky Balboa. Invaincu en 30 combats, vainqueurs par K-O à 17 reprises, “The Swift” s’est tranquillement installé parmi les boxeurs “frisson” de sa génération, à 27 printemps seulement. Tout comme Mayweather avant lui, il est drivé par son père, Angel Garcia. Un homme qui a choisi de faire monter le fiston sur un ring dès son dixième anniversaire, soit l’âge minimum requis par la loi en vigueur dans l’État de Pennsylvanie. Actuellement détenteur des ceintures WBA et WBC, Danny Garcia pourrait même passer des super-légers aux poids welters, histoire de tenter sa chance face au “Pretty Boy” Floyd. Dans sa vidéothèque poussiéreuse, Rocky Balboa peut enfin reposer en paix. Et c’est tant mieux.
Plus fort que Mike Tyson ?
Deontay montre les muscles.
Deontay Wilder est un homme en colère. Natif de Tuscaloosa dans l’Alabama, “The Bronze Bomber” – surnom reçu après sa médaille de bronze aux JO de Pékin – affiche un ratio K-O/victoires de 96% et 33 victoires (dont 32 mises au tapis) en 33 combats, dont 18 survenues dans le premier round. Une machine. Mais Deontay Wilder, c’est surtout ce monstre du bayou qui a permis aux États-Unis de reconquérir un titre mondial en poids lourds, après neuf longues années de disette : le titre WBC, soit le seul qui n’appartient pas à Vladimir Klitschko. Forcément, face à une telle démonstration de force, toute la planète boxe espère que l’Ukrainien – qui vient tout juste de défendre ses quatre ceintures (IBF, WBA, WBO et IBO) en terrassant Bryant Jennings, samedi dernier, au Madison Square Garden – acceptera le défi lancé par ce nouveau phénomène qui fait trembler la catégorie reine. Car oui, Deontay Wilder, son quintal, son double mètre et son masque, mi-carnaval vénitien, mi-MF Doom, avec lequel il rentre sur le ring, ont largement de quoi faire (enfin) tomber l’ogre Klitschko. Dans un énième “combat du siècle”, soyez-en sûrs.
Par Paul Bemer
Avant de se lancer dans le "combat du siècle" à corps perdu, mieux vaut se renseigner sur les termes qui le régissent.
Par Matthieu Pécot, Michaël Simsolo et Noémie Pennacino
La boxe : sorte de bagarre de Russes sur YouTube mais avec des règles de gentlemen.
Le direct : coup de poing dans la gueule.
Le crochet : coup de poing dans la gueule. Mais par le côté.
Le swing : coup de poing dans la gueule. Mais par le grand côté.
L’uppercut : coup de poing dans la gueule. Mais par le menton.
Le jab : coup de poing dans la garde.
La garde: meurt mais ne se rend pas.
La remise : application stricte de la loi du talion.
K-O : contraire de O.K.
Le K-O cérébral :cf. David Hasselhoff qui mange un burger à 4h du matin.
L’arbitre : mec qui prend les décisions, vêtu comme s’il allait au mariage de sa belle-sœur.
L’esquive : mouvement permettant d’éviter un coup. A permis à Kechiche de rafler quatre César.
Le round : période d’essai de trois minutes renouvelable.
Les chaises pliables : premières loges.
Le break : allégorie du divorce où l’arbitre (le juge aux affaires familiales) donne l’ordre aux deux combattants (les époux) de se séparer.
Le gant : abri à main. Souvent par paire.
Le pressing : lavage de cerveau.
Une touche : caresse qui compte.
Le cross : collision frontale entre deux poids lourds.
Jeté de serviette : lance les hostilités chez Patrick Sébastien, y met fin sur le ring.
La conférence de presse : “Je te tiens tu me tiens par la barbichette, le premier qui rira aura une tapette” sans tapette.
La corde à sauter : victoire de l’homme sur la fillette.
Le sparring-partner : punching-ball humain.
Le une-deux : crochet gauche dans la gueule – crochet droit dans la gueule.
La faute : quand la boxe redevient une bagarre de Russes sur YouTube.
Sauvé par la cloche : quand un boxeur en grande difficulté est sauvé par la fin d’un round. C’est à ce moment-là que la cloche entre en scène avec une pancarte dans les mains.
La feinte : simulation. Technique de footballeur.
La ceinture : couronne abdominale.
Le protège-dents : airbag buccal.
Le compte : allégorie inversée de la mise au lit d’un enfant. Ici, l’arbitre (le père) compte jusqu’à dix pour que le boxeur (l’enfant) se lève.
L’Oreille cassée : aventure de Tintin, mésaventure d’Evander Holyfield.
La maladie de Parkinson : complément retraite.
Le ring : poste de travail.
Les muscles : outils de travail.
L’Américain : sandwich comprenant du steak hâché et des frites.
Le Philippin : prédécesseur du Philippe II.
Arrêt de l’arbitre : décision de stopper le combat lorsqu’un des deux boxeurs se vide de son sang ou titube comme s’il sortait d’un bar PMU à 23h après y être entré à 14h30.
Par Matthieu Pécot, Michaël Simsolo et Noémie Pennacino
Parce que tout le monde n'a pas la chance d'être insomniaque, Society vous offre des conseils avisés afin de dompter la fatigue et les 12 000 chaînes du câble.
Par Matthieu Pécot, Noémie Pennacino et Michaël Simsolo
Samedi
12h40 : huit heures de sommeil pur, 40 minutes de snooze, le moment est venu de quitter ce matelas et de brosser ces dents qui sentent le vendredi soir. Compensez le chagrin d’avoir raté la finale des Z’amours en vous offrant dix minutes des Douze coups de midi avec Jean-Luc Reichmann sur TF1.
13h : si vous croisez votre silhouette dans le miroir de votre salle de bain, laissez-vous aller à une petite démonstration : jab, direct, uppercut, crochet du gauche. Regard noir. À côté de vous, Vincent Cassel est une mauviette. Pensez néanmoins à essuyer le dentifrice collé sur votre menton et demi.
13h30 : un grand rayon de soleil dehors ? Bullshit (foutaises). Organisez un parcours dans ce 30 mètres carrés de manière à y faire votre footing : quelque 600 tours de table basse peuvent faire l’affaire.
14h : prière de prendre une douche merci. Si vous croisez Vincent Cassel, ne vous laissez pas intimider et dites-lui que oui, c’est à lui que vous parlez.
14h30 : mangez des pâtes. Feuilletées, brisées, sablées, peu importe. Paraît que c’est comme ça que les champions s’alimentent. Et si votre smoothie de blancs d’oeufs a du mal à passer, rassurez-vous devant Cauchemar en cuisine sur Paris Première.
15h : vous méritez bien cette pause canapé. L’appel de la sieste vous fait zapper sans réfléchir. Jusqu’à ce qu’un programme proposé par RMC Découverte vous interpelle : Les bûcherons du marais. Passez votre chemin, pensez à votre influx nerveux. Le combat débute dans moins de quinze heures.
15h05 : la curiosité étant votre joli défaut depuis que vous avez laissé la gourmandise prendre le contrôle de votre vie, vous décidez quand même d’y jeter un œil. Déception, il ne s’agit pas d’un documentaire sur les Village People, mais bien d’une émission sur de vrais bûcherons, dans un vrai marais.
15h15 : rraaaah vous hésitez. TF1 vous titille avec La dernière prétendante, son “téléfilm de suspense” sans suspense. Mais prenez plutôt en marche le train du marathon Faites entrer l’accusé sur France 2. Une valeur sûre. Et c’est pas les frères Jourdain qui diront le contraire.
17h : qu’aurait été Mike Tyson sans Don King, Rocky Balboa sans Mickey Goldmill ou Georges-Alain Jones sans Matthieu Gonet ? Pas grand-chose. Puisque les vertus du travail d’équipe vous ont visiblement échappé, coltinez-vous 55 minutes de Tous Ensemble, présenté par Marc-Emmanuel sur TF1.
18h : un petit creux ? Ouvrez un paquet de noix de cajou, ce trait d’union entre l’après-midi et la soirée. Accordez-vous une parenthèse d’une demi-heure sur OFIVE, le temps de voir trois fois Actin Crazy d’Action Bronson. L’atmosphère aidant, retirez votre peignoir et faites une série de trente pompes.
18h30 : ben voilà, vous avez raté la première mi-temps de Clermont-Toulon sur France 2. De toute façon, c’est le RCT qui va l’emporter, vous le savez depuis le début. Profitez de ce manque de suspense pour vous poser une vraie question : si Manny Pacquiao (1,69 m, 65 kg) et Floyd Mayweather (1,73 m, 68 kg) croisent dans la rue Mathieu Bastareaud (1,83 m, 120 kg) et Bakkies Botha (2,02 m, 124 kg) et que le courant ne passe pas, qui gagne ?
23h12 : vous vous étiez promis de tenir le coup mais le sommeil est une maladie qui frappe sans prévenir et à côté de laquelle l’AVC est une récréation. Bref, vous avez la marque du coussin sur la moitié du visage et douze appels en absence. Mais surtout énormément faim. La facilité est de se tourner vers l’option bol de céréales mais vous n’avez plus 12 ans et plein d’idées. Va pour un coq au vin. Ou un sandwich Apéricube/blanc de dinde selon ce que vous propose votre frigo. Oubliez le coq au vin. Et remplacez les Apéricube par de la mayo KFC.
Dimanche
0h : Ding dong, c’est l’heure du journal du hard sur Canal+.
0h15 : Puisque Le Baiser d’Ovidie avec Tiffany Doll et Madison Young, vous l’avez déjà vu, filez sur M6 découvrir cette énième série de flics au soleil qui porte le nom du Skyblog que vous aviez lancé en 2003 : Hawaii 5-0 (vous habitiez dans la Manche à l’époque). Deux étoiles Télé Loisirs, quand même.
0h30 : Les Simpson sur W9. Ça faisait longtemps.
1h45 : À cette heure-là, le service télévisuel a décidé de vous emmerder. Allez faire un tour du côté des chaînes que vous n’avez pas, enfin pas toujours, enfin ça dépend, parfois sans faire exprès vous tombez dessus et ça marche sans que vous sachiez comment ni pourquoi. L’incroyable famille Karsashian, sur E!. C’est parfait. Ça vous réconciliera peut-être avec l’hypnose.
1h46 : À votre avis, c’est Bakkies Botha.
2h : Le timing va être serré mais sur beIN Sport 1, il y a le match 7 du premier tour des play-offs entre les Clippers et les Spurs. Avec un peu de chance, Kawhi Leonard va plier ce ringard d’albinos de Blake Griffin en une mi-temps et vous allez pouvoir arriver à l’heure à votre rendez-vous du siècle.
3h: au fait, avez-vous vérifié que vous aviez bien Ma Chaîne Sport ?
Par Matthieu Pécot, Noémie Pennacino et Michaël Simsolo
Plus que quelques heures avant ce qui se présente comme “le combat du siècle” entre Floyd Mayweather et Manny Pacquiao, à Las Vegas. Fer de lance du noble art hexagonal durant les années 2000, Jean-Marc Mormeck sera bien sûr au rendez-vous. Et il a forcément un avis sur la place de ce combat dans l'histoire de la boxe.
Par Marc Hervez et Pierre Boisson
Jean Marc Mormeck est sur le toit.
On entend partout l’expression “combat du siècle”. C’est justifié, selon toi ?
Non, ce n’est pas le combat du siècle. Déjà, on verra une fois que ce sera terminé. C’est un combat qui peut s’arrêter au premier round comme au neuvième, donc parler de combat du siècle avant que les deux ne montent sur le ring… Attendons. En revanche, c’est le marketing du siècle. Ce sont deux mecs qui pèsent dans le milieu de la boxe, il y en a un qui est invaincu, il a battu tout le monde. Et l’autre a été très, très fort. C’est un combat très attendu, et c’est normal. Les deux ont quelque chose à perdre, au fond. Les anti-Mayweather, qui lui reprochent son insolence, veulent le voir perdre. Si Pacquiao gagne, il devient un monument. Et surtout, ça annoncerait une revanche. Ça va être un beau combat, c’est sûr qu’il faut le suivre. Tout le monde en parle, même ceux qui n’ont pas plus d’intérêt que ça pour la boxe. Moi qui regarde en général des combats ça seul chez moi, je vais aller chez des amis. Mais il ne faut pas oublier que Pacquiao est malgré tout sur la pente descendante. Cinq ans en arrière, ça aurait pu effectivement être le combat du siècle. Bon, l’avantage, c’est que l’argent ne peut plus pourrir le combat, c’est déjà fait. Les sommes dont on parle sont acquises. Quoi qu’il arrive, ils vont les toucher.
Pourquoi ce combat n’a-t-il pas eu lieu avant alors ?
Le sport, c’est aussi une stratégie. Mayweather, c’est le meilleur boxeur au monde. C’est lui qui a touché le plus d’argent, tous sports confondus. Il a su mettre une stratégie en place pour ne pas faire ce combat quand il fallait vraiment le faire. C’est celui qui a le plus à perdre malgré tout. S’il reste invaincu, il fera partie des plus grands boxeurs de l’histoire. Mais il a fait traîner le truc, il disait plus ou moins que Pacquiao était dopé, il voulait faire des analyses de sang poussées, alors que ce n’était pas à lui de le dire ou de l’exiger.
Pourquoi Pacquiao a-t-il finalement accepté toutes les conditions de Mayweather ?
Je pense qu’il n’était pas en position de négocier ou de dire non. Il est quand même en fin de carrière, il a déjà perdu… Et financièrement, toucher 90 millions de dollars, ce n’est pas négligeable, d’autant qu’on disait qu’il avait quelques problèmes de ce côté-là. Donc si vous dites non, c’est que vous êtes très riche. C’était difficile de refuser.
Floyd Mayweather et Manny Pacquiao, toujours le poing levé. Comme Amel Bent.
Techniquement, on peut s’attendre à quel genre de combat ?
Je pense que dans les premiers rounds, deux grands champions comme ça vont s’observer. Il y a un respect, une crainte. Mais après le premier ou deuxième round, ça va se lancer. À n’importe quel moment, il peut y avoir un coup et ça peut s’arrêter.
Les jours avant une telle échéance, est-ce qu’on peut avoir peur ?
C’est monstrueux. Psychologiquement surtout. Pour masquer le truc et dire ce qu’il faut, on dit qu’on a de l’appréhension, mais en réalité, c’est de la peur. Moi en tout cas, j’avais peur. Peur de perdre, qu’on soit plus fort que moi. On est à l’hôtel, avec son entourage. Il nous réconforte, on essaye d’oublier, mais forcément, c’est humain d’y penser. De penser que demain, tout peut s’arrêter, que l’on peut perdre son invincibilité ou au contraire, devenir un roi du ring. Après, tout dépend de l’environnement que l’on a. Mayweather est un peu chez lui. Je pense qu’il a un avantage psychologique.
À une époque, on faisait des “combats du siècle” à Manille ou au milieu de la jungle, ça avait une autre gueule qu’à Las Vegas…
Ali-Foreman en 1974 à Kinshasa, avec un Foreman dans la force de l’âge qui affronte le champion vieillissant, la grande gueule, c’était magique. Tout ce qu’il y a eu dans ce combat… Le légendaire Don King qui descend en Afrique, qui négocie… Il y avait tout pour faire ça là-bas, avec le côté symbolique des Afro-Américains qui reviennent sur la terre de leurs ancêtres. Ali restera Ali. Il a refusé la guerre du Vietnam, il a vu ses leaders mourir…
Pacquiao-Mayweather, c’est un grand combat, mais surtout marketing, vu les sommes monstrueuses. À Las Vegas, la ville de tous les excès, avec le riche ‘bad boy’ américain qui baigne dans l’argent, c’est cohérent finalement.
Il y a quinze ans, l’effervescence était surtout pour les combats de poids lourds. Aujourd’hui, c’est un combat de légers qui suscite l’attention…
C’est la magie de ce sport. Chez les lourds, on a Klitschko. Il est très fort, c’est un homme d’affaires hors pair. tout ce qu’il fait, il le réussit. Mais il lui manque ce petit plus qu’avait Tyson, par exemple. Ce côté ‘bad boy’, ce charisme qu’il laissait transparaître sur le ring. Ce qu’a Mayweather, même s’il est arrogant.
Par Marc Hervez et Pierre Boisson
Le Vietnam célébrait hier le quarantième anniversaire de la chute de Saïgon. De ce 30 avril 1975, Bob Caron s'en souvient. À 81 ans, il coule ses vieux jours à Fort Walton Beach, une ville de plages de sable blanc et de retraités, au Nord-Ouest de la Floride. Anonyme. Et pourtant, il est l’homme d’une des photographies les plus célèbres de l’histoire : un hélicoptère, posé sur le toit de l’ambassade des États-Unis, évacuant en urgence les derniers Américains du Vietnam. “Je n’oublierai jamais ce jour, dit Bob, d’une voix douce. J’étais le pilote de cet hélicoptère.”
Par Pierre Boisson
Bob Caron, pilote de l’hélicoptère, a aujourd’hui 81 ans.
Quarante ans après la chute de Saïgon, quel souvenir gardez-vous de cette journée?
De quoi je me souviens ? Je me souviens de la colère. Mon premier sentiment ce jour-là, le 29 avril, quand on a évacué Saïgon, c’était la déception, car j’ai tout de suite compris qu’on allait devoir laisser beaucoup de nos amis vietnamiens derrière, malgré les promesses du président Nixon lors de la signature des accords de Paix en 1973. Avant le 29, on s’était préparés pour l’opération, mais on attendait que l’ambassadeur approuve le plan d’évacuation, ce qu’il n’a pas fait. Jusqu’à la fin, il a pensé que le Sud resterait intact et que les Nord-Vietnamiens ne prendraient pas la ville. Je suis toujours en colère à cause de ça. Pour ne pas avoir pu davantage aider les milliers de Vietnamiens qui ont travaillé avec nous et qui n’ont pas pu s’échapper. Et à cause de cette prise de décision tardive, les employés de l’ambassade n’ont pas non plus eu le temps de détruire les nombreux documents secrets où se trouvaient les adresses des Vietnamiens qui travaillaient pour l’ambassade et la CIA…
Les images de la chute de Saïgon sont celles d’une panique collective. Depuis votre hélicoptère, à quoi ressemblait la ville ?
C’était une scène terrible, terrible, terrible. Cela ressemblait à l’évacuation de Dunkerque par les Anglais pendant la Seconde Guerre mondiale. Ma mission était de récupérer le vice-Premier ministre et sa famille. Quand on a atterri sur le toit très étroit, il y avait une foule énorme. Je me rappelle m’être retourné et avoir dit à mon co-pilote Jack ‘Pogo’ Hunter : ‘Je vais te dire un truc Pogo, ce Premier ministre a une sacrée grande famille.’ Ce n’était pas encore la panique, mais il y avait une grande confusion, une anxiété plus ou moins contrôlée : parmi les milliers de Vietnamiens qui tentaient de fuir la ville, beaucoup étaient venus à l’ambassade américaine en espérant se faire évacuer. Sur le toit, ils étaient assez organisés, quand l’hélico était plein, ils arrêtaient de monter, et on leur disait qu’on allait revenir, encore et encore. J’ai fait trois voyages en tout ce jour-là, pour sauver le plus de gens possible. Dans les rues, il y avait des gens qui couraient partout vers les toits. On a continué jusqu’à ce que la nuit tombe, vers 18h. Après, c’était impossible de se poser.
Sur la célèbre photo, on voit effectivement votre hélicoptère posé sur un toit minuscule. C’était une opération particulièrement difficile ?
C’était risqué. Nos instructeurs avaient repéré dix à quinze toits d’immeuble, tous très étroits. On ne savait pas vraiment à quel point les toits pouvaient résister à la charge, surtout qu’il y avait des milliers de personnes dessus. Le but, c’était donc de réduire la vitesse doucement pour se poser à peine, en gardant suffisamment de puissance dans les hélices pour que la majeure partie du poids de l’appareil ne repose pas sur le toit. On était parmi les meilleurs pilotes du monde. Je crois qu’on a fait un travail extraordinaire ce jour-là. A good job. On n’a d’ailleurs jamais pensé qu’on ne serait pas capables de le faire, on aurait juste aimé avoir plus de temps.
Américains et Sud-Vietnamiens se pressent sur le toit de l’ambassade américaine de Saïgon pour fuir en hélicoptère.
Quand vous êtes rentré du Vietnam, personne ne savait que vous étiez le pilote de la photo…
Trois photos ont symbolisé cette guerre : celle de mon hélicoptère, celle où le chef de la police sud-vietnamienne, Nguyen Ngoc Loan, a tué dans les rues de Saïgon Bay Lop, soupçonné d’être un Viêt-cong, et enfin la photo de la petite fille qui court nue sur la route en essayant d’échapper à un bombardement au Napalm. Que des photos qui donnent une mauvaise image de notre armée. Je crois que beaucoup de journalistes qui étaient au Vietnam étaient contre la guerre, ça nous a fait beaucoup de mal. Avec mes potes, on savait que c’était l’un de nous sur cette photo, mais on ne savait pas lequel. Je ne l’ai su qu’en 2000, quand une journaliste a retrouvé une photo avec l’immatriculation de l’hélico. J’ai consulté mes carnets de vol et je lui ai dit sur quel appareil je volais ce jour-là. Quelques jours plus tard, elle m’a rappelé, et elle m’a dit. C’était moi. (Il s’arrête, pleure). Excuse-moi, quand je parle de ça, je me laisse un peu dépasser. Mais ça va aller. I’ll be all right.
Vous avez accroché cette photo quelque part chez vous?
J’ai beaucoup de photos accrochées au mur. Une où je suis avec mon hélico Huey au Cambodge, des photos de ma promotion à West Point, une couverture de Life Magazine. J’ai une photo avec le général Norman Schwarzkopf, qui était avec moi à West Point, un grand chef, qui a dirigé l’armée pendant la première guerre du Golfe. En fait, j’ai une peinture de cette photo, que j’ai fait faire à Bangkok il y a de nombreuses années.
Vous racontez encore cette histoire à vos enfants ?
J’ai une fille, mais elle est occupée, et en fait, elle s’en fout de la guerre. Mais j’ai beaucoup d’amis ici. L’un d’entre eux, Rob, a passé six ans dans une prison à Hanoï. Et Bobby, qui était aussi à West Point avec moi. On est tous vieux. Certains ne sont pas trop en forme. J’ai fait une crise cardiaque l’année dernière, je m’en remets doucement. Mais on tient le coup. On a perdu cette guerre si durement, tu sais. Et il y a tellement de gars qui ne sont jamais rentrés. It is what it is. C’est comme ça. C’est la guerre.
Par Pierre Boisson
Lancé par l’ingénieur néerlandais Bas Lansdorp, le projet Mars One vise à installer une colonie humaine sur la planète rouge à l’horizon 2024. Il serait financé essentiellement par l’exploitation médiatique de l’expédition, façon téléréalité. Si de nombreux spécialistes ont de sérieux doutes sur l’aboutissement de l’opération, Tatiana Medvedeva, présente dans la short list des 100 candidats toujours en lice, y croit fort. Explications.
Par Vincent Riou
Tatiana regarde le Soleil depuis la Terre. Pour l’instant…
Où avez-vous grandi ? Quelle est votre histoire personnelle ?
Je suis née en Union soviétique, un pays qui n’existe plus. Et je n’ai jamais vécu plus de six ans au même endroit. Après avoir voyagé et travaillé dans énormément d’endroits, je me considère comme citoyenne du monde, même si, officiellement, je suis toujours russe.
Vous avez étudié en Russie ?
Oui, j’ai obtenu ma licence et mon master à l’Institut de physique et de technologie de Moscou. En parallèle, je travaillais dans un laboratoire de recherche à l’Institut de théorique et de physique expérimentale. Puis, je suis partie aux États-Unis, à l’université de Princeton, où j’ai obtenu un master et un doctorat. Je reste aujourd’hui attachée à cette université en tant que chercheuse post-doctorat, bien que je sois basée au Conseil européen pour la recherche nucléaire (CERN) à Genève. Donc, actuellement, je suis impliquée dans le développement de nouveaux détecteurs de particules.
Vous intéressez-vous depuis longtemps à l’espace ? Vous imaginiez-vous y aller un jour pour travailler ?
Je ne me suis jamais passionnée pour l’espace. En fait, je faisais partie des rares enfants qui ne rêvaient pas d’être un jour cosmonaute. Cependant, il y a quelques années l’Agence spatiale russe a ouvert les inscriptions à des civils pour devenir cosmonaute. À ce moment-là, je me suis dit ‘pourquoi pas ?’ Mais après y avoir réfléchi, j’ai décidé de ne pas le faire car selon moi, tous les projets portés par des agences spatiales gouvernementales sont totalement obsolètes.
Tous les projets portés par des agences spatiales gouvernementales sont totalement obsolètes
Tatiana Medvedeva
Vous savez que le tourisme spatial est le seul moyen pour vous d’aller dans l’espace. Rêviez-vous de gagner au loto pour pouvoir vous permettre ce genre de voyage ?
Je n’ai jamais souhaité devenir une touriste spatiale ni aller dans l’espace pour la gloire. Si je vais dans l’espace, il faut qu’il existe un but plus profond, plus significatif.
Quelle a été votre première réaction quand vous avez eu écho de cette opportunité ?
Encore une fois, je n’ai jamais réfléchi en termes d’opportunité. C’est juste que, cette fois, le projet est constructif pour l’humanité. Les scientifiques ont, en général, une pensée plus globale.
Pas de problème de logement sur Mars. Juste un peu de vis-à-vis.
Pour financer le voyage spatial des participants, Mars One est aussi un programme de téléréalité. Quel est votre avis sur là-dessus ?
Tout cela est faux. Mars One n’a rien à voir avec la téléréalité. C’est un projet scientifique, technologique, culturel et philosophique sans précédent. Donc il doit être scrupuleusement documenté et la télé sera l’une des meilleures façons de le faire.
Quel genre d’examens avez-vous dû passer pour être sélectionnée ?
Il y a eu des examens médicaux pour éliminer ceux qui avaient une mauvaise condition physique, des maladies chroniques ou des addictions à l’alcool, au tabac, aux médicaments, etc. Les recruteurs nous ont aussi fait passer des tests psychologiques pour vérifier notre résistance au stress, notre capacité à travailler au sein d’une équipe internationale, à réagir en cas de situation critique. Pour la dernière partie des tests, on nous a donné de la documentation sur la planète Mars : sa formation, ses particularités géologiques, son climat, son atmosphère et ses spécificités, l’histoire de son exploration, etc. L’entretien comprenait aussi des questions psychologiques visant à éliminer ceux qui n’avaient pas réalisé du tout que cette mission était une aventure collective et l’engagement de toute une vie, pas une courte aventure individuelle.
Vous allez bientôt savoir si vous ferez partie de ceux qui iront sur Mars. Êtes-vous nerveuse par rapport à ça ?
C’est un peu tôt pour être excitée. Surtout que même ceux qui seront présélectionnés et engagés par Mars One pour l’entraînement ne sont pas certains de partir où que ce soit. Il y a des années d’apprentissage et d’entraînement avant le départ et il n’y aura que quatre personnes dans le premier vaisseau spatial, pas 24. Un grand nombre d’excellents candidats seront éliminés avant que l’équipe définitive ne soit formée.
De nombreux experts portent des réserves techniques et humaines sur ce projet. Pensez-vous que de trop nombreux risques sont pris ?
Il y a toujours un risque d’insuccès quand on projette de faire quelque chose qui n’a jamais été fait. C’est comme ça que les grands accomplissements commencent. En tant que scientifique, j’ai l’habitude de tout ça. Aussi, de nombreux sports comportent des dangers. Pourtant, les athlètes n’abandonnent pas. Comme un alpiniste ou quelqu’un qui fait de l’escalade, je connais cette sensation.
Comment vous sentez-vous à l’idée de dire au revoir à vos amis et à votre famille ? Vont-ils accepter le fait que vous quittiez une vie normale pour quelque chose de dramatique, peut-être sans retour ?
(Rires) Ma vie n’a jamais été normale alors ce n’est pas le moment pour qu’elle commence à l’être. Et j’ai toujours aimé ça. C’est pour cela que je suis devenue scientifique. Je ne connais pas vraiment l’opinion publique mais mes proches sont plutôt optimistes et curieux à propos de cette mission.
Simple mais efficace.
Comprenez-vous que vivre sur une autre planète, dans une communauté restreinte que vous n’avez pas choisie est la définition même du cauchemar pour beaucoup de personnes ? Que leur diriez-vous pour les convaincre ?
Si c’est ainsi que vous imaginez notre avenir… Mais laissez-moi vous rappeler quelque chose : mis à part le fait que tous les candidats partagent la même passion, ils seront répartis dans des équipes basées sur leurs habitudes et leur compatibilité psychologique, puis, passeront des années à s’entraîner ensemble, renforçant ainsi leurs liens d’amitié et leur compréhension mutuelle. Donc, à la fin, l’un de nous devra passer le reste de sa vie avec trois autres personnes qui le connaîtront mieux que son conjoint, ses parents et même ses meilleurs amis. Ça semble plutôt sympa, non ? Ajoutez à ça que cette personne vivra dans un logement confortable avec la plus sophistiquée des technologies, sans jamais se soucier de la politique, de l’économie, des bas salaires, des prêts que l’on doit rembourser, de la nouvelle voiture qu’on doit acheter, des embouteillages, etc. Pour moi, ça ressemble au paradis.
Vous, comme les autres candidats, avez un haut niveau d’éducation et êtes prête à partir. Pensez-vous que les personnes lambda trouvent ça stupide ?
J’ai dit que si le projet retenait l’attention de tant de personnes surdiplômées,
Le futur de notre planète n’est pas très reluisant : nous sommes bientôt à court de pétrole et d’autres ressources
Tatiana Medvedeva
c’est qu’il devait y avoir quelque chose d’important. Tout ce que je peux faire, c’est partager mon opinion et le raisonnement qui m’a conduite à participer à cette aventure. Si l’on interroge vraiment tout le monde : qu’avez-vous fait pour les dix ou vingt générations qui arrivent ? Pourquoi cette question ? Tout simplement parce que le futur de notre planète n’est pas très reluisant : nous sommes bientôt à court de pétrole et d’autres ressources. Le jour du dépassement global (date dans l’année où les ressources renouvelables de la planète pour l’année sont consommées, ndlr) arrive plus tôt chaque année, les signes de réchauffement climatique sont de plus en plus évidents. Toutes ces choses peuvent détruire la civilisation humaine et les solutions pour éviter ça sont, entre autres, de trouver des idées pour renouveler notre propre planète, la Terre, ou trouver une nouvelle maison, une planète habitable, ailleurs.
Malheureusement, tous les dangers ne peuvent être contrôlés par les humains. De puissantes créatures ont déjà habité la Terre avant de s’éteindre. Comme les dinosaures, par exemple. On ne sait toujours pas vraiment ce qu’il leur est arrivé, mais quelque chose de similaire peut nous arriver. Que ce soit une énorme météorite, un âge de glace ou l’explosion d’une supernova. Dans chaque cas, la dispersion de l’espèce humaine sur différentes planètes semble être l’approche la plus sûre pour notre survie.
Est-ce que Mars One répond à tout ça ? Non, certainement pas. Mais c’est un grand pas dans la bonne direction. Les humains devront voyager d’étoile en étoile et peupler des planètes. Et ça passera certainement par des missions sans retour. Donc, voici notre chance de perfectionner notre colonisation dans un nouveau royaume de notre propre système solaire.
Par Vincent Riou
C’était le 12 avril dernier. Pour la deuxième fois, la Corée du Nord ouvrait son marathon aux coureurs “étrangers”. L’occasion, entre deux foulées, de prendre la température de l’État le plus secret du monde.
par Harold Thibault
Un premier coup de feu cinq minutes avant le départ dans le stade Kim Il-sung, sous les acclamations de “fans” mobilisés pour l’occasion par leurs unités de travail et leurs universités. Et un deuxième à 8h30 pile. Voilà les marathoniens lâchés dans les rues de Pyongyang. D’abord un virage devant l’Arc de triomphe, immense, d’une dizaine de mètres plus haut que le monument parisien –il symbolise la résistance aux Japonais et le retour du même Kim Il-sung dans la péninsule, en 1945. Puis une première côte, avant de redescendre l’avenue qui mène jusqu’au monument à l’Immortalité du fondateur de la République populaire démocratique de Corée. Rapidement, les athlètes amateurs sont doublés par une fourgonnette sur le toit de laquelle des mégaphones hurlent messages de propagande et chants révolutionnaires. Après quoi des parachutistes tombés du ciel atterrissent sur la pelouse du stade. La fête version nord-coréenne.
L’envers du décor.
Ces scènes se sont déroulées le 12 avril dernier. Ou plutôt le 12 avril de l’an 104 du Juché, puisqu’ici le temps s’écoule seulement depuis la naissance de Kim Il-sung, le 15 avril 1912. Pour la deuxième année consécutive, la très mystérieuse Corée du Nord a ouvert son marathon aux coureurs étrangers. Ils sont 650 à avoir été séduits. Simon Cockerell, le gérant de l’agence Koryo Tours, qui a fait entrer pas loin de la moitié d’entre eux, estime qu’ils auraient pu être “le double”, si, à l’automne, la Corée du Nord n’avait brusquement fermé ses frontières par peur du… virus Ebola! Qu’importe qu’il n’ait pas touché l’Asie: Pyongyang voulait se protéger de la menace ; en décembre, l’agence centrale de presse nord-coréenne, l’organe de propagande, avait décrété que le virus était une arme biologique des États-Unis pour “atteindre la suprématie mondiale”. Les frontières se sont finalement rouvertes début mars, mais hélas, trop tard pour remplir la ligne de départ.
La course est ouverte aux étrangers depuis l’année dernière. Et, apparemment, cela fait visiblement plaisir à Pierre Moreau.
La veille de l’évènement, l’ambiance est encore aux vérifications d’usage. Les tenues des coureurs ne doivent pas être marquées de logos trop imposants ni de messages sensibles. Gare: un participant arbore un t-shirt siglé “Free to Run”! L’un des trois guides suivant nécessairement tout groupe de touristes dès leur entrée sur le territoire fonce illico s’enquérir de l’opinion de ses supérieurs. Finalement validé. “Mais surtout, ne vous écartez pas du parcours”, répète-t-il. “Le gouvernement attache extrêmement d’importance à cet événement!”
6 000 touristes par an
Travaux forcés, culte de la personnalité, autosuffisance économique –même si celle-ci tient de l’illusion, puisque la République populaire démocratique de Corée (RPDC) a vécu de son inclusion dans le bloc soviétique et survit actuellement grâce aux échanges avec la Chine voisine–, à bien des égards la Corée du Nord demeure l’un des pays les moins ouverts de la planète. Pourtant, 5 000 à 6 000 touristes occidentaux s’y pressent chaque année. “Il est aberrant de les critiquer pour être le pays le plus fermé de la planète et de les maintenir dans le même temps à l’isolement”, argue Cockerell, qui s’est déjà rendu dans le pays plus de 140 fois dont une, devenue célèbre, avec Dennis Rodman. C’était en février 2013. Le basketteur américain, dans un esprit d’apaisement, était venu jouer accompagné d’une équipe de vétérans devant Kim Jong-un. Une visite ponctuée d’un Happy birthday chanté au dirigeant suprême qui provoqua un tollé aux États-Unis alors qu’un missionnaire évangéliste américain était, au même moment, détenu par les Nord-Coréens. À un animateur de CNN qui l’interrogeait sur cette proximité dérangeante avec le jeune Kim, Dennis Rodman rétorqua: “Je me fous de ce que vous pensez comme du cul d’un rat.” Quelques jours plus tard, il était admis en cure de désintoxication.
Contrôle de routine.
Cette année, la plupart des étrangers sont eux aussi repartis avec le sentiment d’avoir vécu une expérience irréelle. Parmi eux, Pierre Moreau, un Français de 28 ans installé à Shanghai. Il a terminé ses 42 kilomètres en 3h35. Il parvenait à peine à marcher lorsque son groupe a visité le musée des Kimilsungia et Kimjongilia, des fleurs que le régime a ajouté au catalogue, déjà pléthorique, d’éléments de cultes. Il y a découvert un nombre incalculable de compositions florales mettant en scène ces variétés d’orchidées et de bégonias. “C’est délirant, je ne crois pas qu’il y ait d’équivalent ailleurs”, dit-il, lui qui est venu pour voir si le pays était “aussi opaque, aussi théâtralisé et aussi pauvre qu’on le prétend”.
Au fond, une faucille, un marteau et un pinceau représentant le Monument de l’édification du Parti des travailleurs.
Son groupe est descendu à l’hôtel Yanggakdo, une tour de 47 étages et un millier de chambres qui a le mérite de se situer sur une île. Ainsi, les étrangers ne risquent pas de s’aventurer bien loin. On leur a de toute façon interdit de s’éloigner du parvis de l’hôtel sans guide. Le bâtiment domine la ville et sa place Kim Il-sung où se tiennent les parades militaires. D’un côté du fleuve, la tour du Juché, de l’autre, une flamme trônant au sommet d’une impressionnante obélisque à la gloire de l’idéologie officielle. Des huit ascenseurs de l’hôtel, seuls deux fonctionnent. Les Nord-Coréens ne savent pas toujours gérer leurs délires immobiliers. Le cas le plus frappant: la tour Ryugyong, une pyramide de 105 étages et 3 000 chambres dont la construction fût lancée à la fin des années 80 pour répondre à la course aux gratte-ciel de l’ennemi juré du Sud. Trente-cinq ans plus tard, elle n’est toujours pas achevée, même si une compagnie de téléphonie mobile égyptienne s’est chargée de couvrir ses façades de verre, condition sine qua none pour remporter le contrat d’installation d’un réseau cellulaire –deux en fait, l’un pour les Nord-Coréens pouvant s’offrir un portable, l’autre pour les diplomates, humanitaires et touristes qui visitent le pays, les deux ne pouvant s’appeler.
Les statues de Kim Il-sung et Kim Jong-il sur la place Mansudae Hill.
Du patin à roulettes
De la course en elle-même, Pierre Moreau dit qu’il a été déçu. D’abord, le parcours était une boucle unique de dix kilomètres qu’il a dû répéter quatre fois –un choix que les coureurs ne s’expliquent autrement que par le souci de les garder à l’œil. Ensuite, petite coquetterie, en cas de pause pipi, il fallait être accompagné d’un guide, s’éloigner du parcours et grimper les trois étages d’un restaurant d’État. Autant le dire tout net: il ne fallait pas être pressé. Enfin, dernier impératif: les portes du stade se refermaient quatre heures après le départ. “Si après trois tours vous constatez que vous ne serez pas dans les temps, autant abandonner”, conseillait ainsi un guide à son groupe de coureurs à quelques minutes du départ. Le Français dit aussi qu’il a été surpris par le nombre de curieux venus s’amasser le long du parcours, mais qui avaient disparu dès la première boucle achevée.
De jeunes badauds regardent passer les coureurs avant de disparaitre dès la deuxième boucle.
Tandis que, dans le stade, les 40 000 spectateurs n’applaudissaient que lorsque l’ordre leur était donné de le faire. Malgré tout, Pierre a l’impression d’avoir découvert “un tableau de la Corée du Nord qui n’est pas celui que l’on voit dans la presse”.
Chauffeur de salle, un métier d’avenir en Corée du Nord.
Une Corée où la mode du patin à roulettes tourne au phénomène de masse, ou l’on peut voir une modeste classe moyenne grimper dans des taxis dont la marque chinoise est recouverte d’un logo nord-coréen et, surtout, où la population locale se révèle, en fait, très curieuse du monde extérieur. Quels films ont connu le succès ces derniers temps en “Europe”, le terme utilisé pour désigner le monde occidental de manière générique? Est-il vrai que l’Amérique se rapproche de Cuba? Etc. De quoi faire dire à Simon Cockerell que le marathon est, à sa façon, une première étape vers la diplomatie: “Leur image des étrangers est si négative que le seul fait de courir ensemble est un premier pas.” Reste à savoir vers quoi.
par Harold Thibault
Il y a quelques semaines, les clichés de trois ruines dans la jungle argentine déterraient de vieilles histoires de nazis : les maisons auraient servi de refuge à un haut gradé du IIIe Reich, Martin Bormann. Ce portfolio complète le reportage à San Ignacio, dans le Nord-Est argentin, publié dans Society #4 (en kiosque).
Par Léo Ruiz / Photos : Nicolas Janowski
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La Ruta 12, qui relie Posadas, la capitale de Misiones, aux chutes d’Iguazu, la principale attraction touristique du coin.
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Posadas. Des locaux attendent de traverser la frontière entre l'Argentine et le Paraguay.
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Posadas. Des locaux pêchent et se reposent au bord du fleuve Parana.
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La Ruta 12, toujours. Et un palmier.
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San Ignacio, dans la province de Misiones. Un enfant promène son cheval sur la route du parc national de Teyu Cuaré.
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L'entrée de San Ignacio.
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Les indigènes de la communauté Guarani à San Ignacio.
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La maison où aurait vécu Bormann, dans le parc national Teyu Cuaré.
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Coin cuisine.
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Le lieu est devenu “culte” pour certains sympathisants nazis.
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La maison, construite sur un modèle européen, tombe aujourd'hui en ruine.
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Le parc de Teyu Cuaré, vue sur le fleuve qui sépare l'Argentine du Paraguay.
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Maria del Carmen devant chez elle, près de la route qui mène au parc Tayu Cuaré.
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Ruben, le mari de Maria, casquette à l'envers.
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Spectacle son & lumière aux ruines de San Ignacio.
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Le spectacle attire les touristes.
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Des aborigènes de Guarani, la nuit, près du parc national Teyu Cuaré.
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Esteban Romero, maire de San Ignacio, sur son trône.
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Eduardo Ramirez, faux airs de Bernard Kouchner, est le responsable de l'office du tourisme de San Ignacio.
Alberto Lindheimer, président de la communauté juive locale.
Cantonné pendant des années à la rue, le shake, cette manière chorégraphiée de se saluer est entrée dans les mœurs au point de toucher l’ensemble des couches de population. Ce documentaire vous explique l’engouement planétaire autour du hand shake, son incroyable créativité et ce qu’il dit de nous. En exclusivité sur Society.
Anwan Glover aka Slim Charles dans The Wire.
À l’origine, serrer la main était une preuve de confiance. Offrir sa main ouverte pour montrer qu’on ne portait aucune arme. Aujourd’hui, tout le monde se “shake”.
Comment et pourquoi un geste anodin créé par les esclaves noirs au XVIIe siècle, puis symbole des rues des ghettos noirs, du rap et du sport US, est finalement parvenu à s’inviter à la cérémonie d’investiture de Barack Obama à la Maison-Blanche ?
Ce poing contre poing d’Obama raconte une longue histoire culturelle, difficile à imaginer tant les chorégraphies manuelles qui ritualisent aujourd’hui nos échanges se sont émancipées. C’est le même poing que levait les Black Panthers dans les années 60 pour appeler à la fin de la ségrégation raciale dans l’Amérique.
Ils ont reçu en héritage le signe des esclaves émancipés qui voulait montrer au monde que leur poignet n’était plus enchaîné. Tout vient de ce geste symbole de liberté arrachée. Une forme de communication non verbale que l’on va retrouver à toutes les étapes de l’émancipation des Noirs américains.
Plongez au cœur d’un road movie qui interroge différentes figures de Washington, avec notamment le rappeur et acteur américain, Common, récemment récompensé d’un Golden Globes et Oscar de la meilleure chanson originale Glory avec John Legend pour le film Selma. Shake This Out est un résumé de l’Amérique d’aujourd’hui. Dans une ville qui concentre tous les lieux de pouvoir. Celle de toutes les musiques noires mais qui fut, pendant longtemps, assez peu réceptive au hip-hop, le style qui a popularisé le “shake”.
Un film de Julian Nodolwsky et Joachim Barbier
Production : SoFilms et Step by Step Productions
avec la participation de France 4
Durée : 52’
Depuis dimanche, Hillary Rodham Clinton est candidate à l’investiture démocrate. Une simple formalité à régler sur la route vers la Maison-Blanche. A priori. Selon un récent sondage CBS, 81% des sympathisants démocrates sont prêts à voter pour elle. Sauf que celui qui arrive en favori aux primaires n’en sort pas toujours candidat. Une règle qui vaut autant pour les démocrates que pour les républicains et que connaît trop bien Hillary depuis son échec de 2008 face à un sénateur presque inconnu débarqué de l’Illinois, Barack Obama. Elle n’est pas la seule.
Par Alexandre Pedro
Hillary Clinton en couverture de Time Magazine en 2014. Crédit photo : Mike Mozart
Nelson Rockefeller, l’éternel candidat
L’argent a toujours été le nerf de la guerre lors des campagnes présidentielles aux États-Unis. Comme son nom l’indique, Nelson Rockefeller n’a, lui, jamais eu trop besoin de courir derrière avec un grand-père magnat du pétrole et un papa milliardaire. L’aîné de la troisième génération des Rockefeller cherche à parachever l’ascension de la famille en accédant à la fonction suprême. S’il a travaillé pour les présidents démocrates Roosevelt et Truman, il roule pour les républicains. Mais un républicain de la côte Est, libéral et amateur d’art (il a fondé le MoMA à New-York). Battu une première fois aux primaires par le vice-président sortant Richard Nixon en 1960, il apparaît comme imbattable quatre ans plus tard. Mais Nelson a la mauvaise idée de divorcer peu de temps avant pour se remarier dans la foulée avec une de ses collaboratrices, Happy Murphy, elle-même fraîchement séparée. La presse conservatrice le traite de briseur de ménage, le grand-père Bush, Prescott, remet en cause sa moralité et il est finalement battu par le très réac Barry Goldwater. Rockefeller a laissé passer sa chance. En 1968, il ne pèse pas lourd face au revenant Dick Nixon. Il va pourtant finir par trouver le chemin de la Maison-Blanche. En 1974, il devient le vice-président de Gerald Ford, propulsé dans le bureau ovale après la démission de Nixon. Prêt à repartir au combat pour l’élection de 1976, il choisit finalement de faire équipe avec Ford comme numéro 2 avec une nouvelle défaite à la clé. Ne cherchez pas plus loin le chat noir.
Gary Hart, cœur brisé
Hillary Clinton disposerait d’un trésor de guerre d’un milliard de dollars pour cette campagne. Une somme qui choque certains. Comme Gary Hart interrogé par le site Politico le 6 avril dernier. “Lever de tels fonds de campagne en pleine crise financière relève de l’indécence, qui choquera les Américains.” Et quand il s’agit de savoir ce qui choque les Américains, Hart en connaît un rayon. Candidat déjà malheureux en 1984, le démocrate annonce sa candidature le 13 avril 1987 chez lui, dans le Colorado, avec sa femme Oletha, sous la neige. Hart s’impose très vite comme le favori à l’investiture. Mais l’ancien sénateur a une réputation de séducteur. Les journalistes le savent et campent devant son domicile à Washington. Et la pêche va être bonne. Le Miami Herald publie des photos de Hart avec Donna Rice, actrice de 29 ans. Donna a beau dire les préférer plus jeune et Gary rester droit dans ses bottes, le mal est fait. “Laissons les gens décider”, lance Hart. Avec moins de 5% des voix lors du Super Sunday, les Américains ont décidé pour lui. Spécialiste des questions de sécurité, il préviendra la secrétaire d’État, Condoleezza Rice, du risque imminent d’une attaque terroriste de grande ampleur sur le sol américain le… 6 septembre 2001. Gary et les femmes, une histoire compliquée.
Jerry Brown, jamais deux sans trois
En 1992, la primaire démocrate s’annonce comme l’une des plus ouvertes. Après le fiasco de la candidature Dukakis quatre ans plus tôt, le parti ne sait pas à qui se donner. Tom Harkin ? Paul Tsongas ? Bill Clinton ? Personne ne se dégage. Clinton paraît grillé à la suite de la révélation de sa relation extra-conjugale avec Gennifer Flowers. Vieux routier de la politique, Jerry Brown pense son heure arrivée quand il enlève le Connecticut et le Colorado. Déjà battu en 1976 et 1980, le gouverneur de Californie incarne l’aile gauche du parti et annonce que le révérend Jess Jackson sera son colistier. Mauvaise idée. Certains n’avaient pas oublié ses propos désobligeants envers la communauté juive lors de la campagne de 1984. Plombé par Jackson, Brown perd New York, puis la Californie où il avait tout misé au profit de Bill Clinton qui gagne le surnom de “comeback kid”. Comme quoi, même aux États-Unis, on n’est jamais tout à fait mort en politique.
Howard Dean, pris dans la toile
Il y a des perdants qui marquent l’histoire, Howard Dean en fait partie. Gouverneur inconnu du Vermont, il se lance dans la course aux primaires démocrates avec 160 000 dollars en 2003. “Une misère selon les critères américains”, admet-il. Ce médecin de profession va pourtant créer la surprise et caracoler en tête des sondages. Son secret ? Tout miser sur Internet, média encore émergent à l’époque. La plateforme Meetup lui permet de créer des comités de soutien sans effort et rapidement. Premier candidat 2.0 de l’histoire, Dean remporte les primaires “virtuelles” organisées en juin 2003 par le site MoveOn.org. Mais la réalité va vite se rappeler à lui. Devenu l’espoir de la gauche du parti, Dean brille moins sur les estrades. Comme lors de ce meeting dans l’Iowa où, emporté par l’euphorie, il laisse échapper un cri primal franchement inquiétant. La hype Dean dégonfle très vite. Certains membres de son équipe de campagne partiront fonder Blue State Digital, qui aidera quatre ans plus tard à la web-crédibilité d’un jeune sénateur de l’Illinois, un certain Barack Obama.
Rudolph Giuliani, le lièvre de New York
Depuis 1972, la route de la Maison-Blanche débute par le caucus de l’Iowa. Ce petit État rural ruine ou conforte les ambitions des candidats. Favori dans le clan républicain, Rudolph Giuliani n’a pas envie de salir ses chaussures de ville pendant des semaines. Après tout, il est depuis le 11 septembre 2001 “le maire des États-Unis” et bénéficie d’une popularité d’enfer chez les indécis, et même dans le clan démocrate. Il faut dire que Giuliani n’est pas un républicain comme les autres. S’il a nettoyé New York au Kärcher, l’ancien maire défend le droit à l’avortement, la régulation des armes et affiche déjà trois divorces. Convaincu que ces ploucs de l’Iowa ou du New Hampshire sont trop conservateurs par rapport à ses positions, le New-Yorkais mise tout sur la Floride et pense voir ses petits camarades s’épuiser avant. Tout faux. Les tortues Mitt Romney et John McCain prennent une avance suffisante. Giuliani n’arrivera jamais à se mettre dans le rythme de la campagne. Il récolte seulement 15% des votes en Floride et préfère rallier le camp de McCain. “C’était la plus mauvaise campagne de ce millénaire, voire du millénaire précédent”, résumera CNN. Pas loin.
Par Alexandre Pedro
Avocate iranienne spécialisée dans les droits de l’homme, elle a défendu nombre d’activistes et journalistes avant de se voir interdire d’exercer son métier. Nasrin Sotoudeh joue son propre rôle dans le nouveau film de Jafar Panahi, Taxi Téhéran, Ours d’or à Berlin cette année et actuellement en salle. L’occasion de faire le point sur l’évolution de son propre rôle dans la société iranienne.
Par Brieux Férot
Nasrin Sotoudeh
Taxi Téhéran brouille les pistes entre ce qui est vrai et ce qui est mis en scène. Ce dispositif satisfait-il l’avocate que vous êtes ?
Je ne suis pas d’accord. Je pense qu’il y a du vrai dans toutes les scènes : mêmes celles qui ne sont pas vraies sont représentatives de la réalité. Je ne veux pas me prononcer sur un plan artistique mais tout ce qui se passe à l’écran est ce qui se passe dans la société iranienne. La scène qui me concerne, au moment où je rentre dans la voiture, même si je n’étais pas vraiment en train de rendre visite à un prisonnier politique à ce moment-là, est réelle. Là, au moment où je vous parle, juste après cet entretien, je vais rendre visite à un activiste dont je viens d’entendre qu’il a subi une interdiction d’exercer son métier. C’est notre réalité qui est donnée à voir à travers ce film.
Agissez-vous différemment au quotidien depuis que vous êtes devenue un symbole aux yeux des autres ?
Non, je crois vraiment que je n’ai pas changé. Ma démarche est la même, ma façon de travailler est la même. Même si je ne peux plus exercer dans les tribunaux, je continue de me rendre à mon bureau et de recevoir les gens. Je donne des conseils juridiques. Je ne vois pas de différences.
Beaucoup de personnes qualifiées de ce pays se trouvent aujourd’hui en prison alors que leur expertise pourrait être bénéfique au gouvernement
Nasrin Sotoudeh
Est-ce votre incarcération ou le fait de ne plus exercer votre métier après une décision de vos collègues avocats qui vous a le plus meurtrie ?
J’ai été infiniment plus blessée par cette restriction professionnelle et par mes collègues, sous la pression du ministère de l’Information. Après, je comprends très bien les confrères et les consœurs qui ont dû prendre cette décision parce que je sais qu’ils l’ont prise après avoir subi des menaces de toutes parts. En fait, il y a cinq instances sécuritaires qui ont exercé des menaces sur eux : d’abord le procureur de Téhéran, puis le procureur général, le tribunal sécuritaire basé à la prison d’Evin, le gouvernement et le ministère de l’Information, qui n’a cessé de les harceler à mon sujet. Je peux donc tout à fait comprendre qu’ils aient fini par céder à ces pressions et prononcer cette sentence contre moi. Je dois dire qu’aussi bien avant, quand ils me faisaient part des pressions qu’ils subissaient, que depuis cette sentence, je continue de les rencontrer, d’avoir de bonnes relations avec eux et de les saluer aussi, en échangeant quelques mots.
En France, en ce moment, le conflit sur le nucléaire entre le régime iranien et l’administration Obama est présenté dans une phase de “détente”. Vous êtes d’accord ?
Toute décision qui va dans le sens d’une stabilisation, d’un équilibre et du bon sens est forcément bénéfique pour nous. Évidemment que nous ne pouvons que nous réjouir de la fin de décennies d’hostilités et de tensions plus ou moins latentes. Le fait de voir que le régime iranien finit par céder sur le discours de l’hostilité pour ouvrir la voie à des négociations est quelque chose qui ne peut être que bénéfique pour l’Iran, même si on se doute que cette évolution ou cette prétendue entente ne va pas régler du jour au lendemain la question des droits de l’homme à l’intérieur du pays. Mais nous nous disons que si le régime renonce à l’hostilité et à la violence, alors cette démarche peut aussi avoir lieu avec les opposants politiques. Tout le monde sait qu’il y a intérêt à rouvrir un dialogue. Beaucoup de personnes qualifiées de ce pays se trouvent aujourd’hui en prison alors que leur expertise pourrait être bénéfique au gouvernement, y compris pour résoudre ses propres problèmes. Aboutir à une négociation plus souple serait au bénéfice de tous, même si nous savons qu’une détente de la part du gouvernement ne suffit pas. Pour aboutir à ce dialogue, il faut que la volonté de cette démarche vienne de la société civile.
Comment s’y prend-on pour diffuser à ses voisins et à ses enfants les droits de l’homme aujourd’hui en Iran ?
Quand ma fille a été interdite de quitter le territoire, je ne suis entrée dans aucun débat religieux pour convaincre qui que ce soit de quoi que ce soit. Il y a des conventions internationales qui défendent les droits de l’enfant. Les considérations entre un individu et un régime ne doivent pas lui infliger la peine de l’interdiction. Moi-même, lorsque je subis une interdiction, je défends mes droits en tant que citoyen. Je ne tiens pas à convaincre qui que ce soit sur le plan moral et religieux sur la justesse de ma démarche.
Comment se porte le mouvement féministe en Iran?
Incontestablement, c’est une subversion qui n’a cessé de s’exprimer depuis deux décennies maintenant en Iran, ça a été une lutte incessante. Peut-être que le mouvement est moins disons “d’opposition”, ou qu’il irrite moins qu’il ne le fait depuis vingt ans, mais tout le monde a pris acte du mouvement. La lutte est une lutte quotidienne. La subversion doit se déterminer en tenant compte de la légitimité. Il se peut que les personnes contre qui vous protestiez soient dans la loi et pas dans la légitimité. Ce n’est pas hors la loi, dès lors, de s’insurger contre eux. Et puis, il y a aussi la subversion qui s’assume en tant que telle, comme Martin Luther King ou Gandhi, pour faire valoir des droits et des principes. Il n’y a alors pas d’autres moyens que de s’inscrire hors la loi.
Voir : Taxi Téhéran, de Jafar Panahi. Sur les écrans.
Par Brieux Férot
Au début du mois, le mythique centre commercial du 9-4, le plus grand d’Europe continentale ni plus ni moins, célébrait la fin de ses travaux de rénovation. En grande pompe: avec Avengers, un atelier sushis et un showcase de Kyo. Qui avait parcouru du chemin, et la nationale 7.
Par Marc Hervez et Pierre Maturana / Photos : Louis Canadas
Un Quick, une crêperie Le Dolmen, un Paradis du fruit, une pizzeria Il Naturale et un mexican grill du nom d’El Rancho. Sur la mezzanine, la foule s’entasse devant l’Hippopotamus. Ce jeudi 2 avril, le centre commercial Belle Épine, coincé entre le MIN de Rungis, l’aéroport d’Orly et le cimetière de Thiais, dernière demeure de Bernard Blier et Jean-Luc Delarue, célèbre la fin de ses travaux de rénovation. Pour l’occasion, la société Klépierre, gestionnaire des lieux, a mis les petits plats dans les grands : un atelier sushis-champagne a été dressé par Harry Traiteur et des chargeurs portables pour téléphones sont offerts aux invités, quelques politiques et administratifs du coin (préfecture, municipalité). Dressée sur ses patins à roulettes, Ané est chargée de les accueillir. “Récemment, j’ai fait une soirée pour Martini, un événement Reebok et l’ouverture de la boutique New Look”, dit-elle. Ce soir, Ané, embauchée par la société Roller Girl Hôtesses, est payée 16 euros de l’heure.
Le parking.
L’événement est d’importance car l’enceinte commerciale, la plus grande d’Europe continentale, doit se relancer. Malgré ses 17 millions de visiteurs par an, et plus de 600 millions d’euros de chiffre d’affaires, Belle Épine (mais les habitués disent “Belle Ép”) subit la concurrence des nouveaux centres commerciaux de la région parisienne tels que le So Ouest de Levallois ou le Qwartz de Villeneuve-la-Garenne. “On va monter ce centre à 20 millions de visiteurs, en en faisant un lieu de vie, un lieu d’émotions, assure Gilles Sagnol, le directeur d’exploitation chez Klépierre. Nous avons repensé le centre comme un village.” D’où les noms un peu pittoresques des différentes allées: la place des Terrasses, du Carrousel, du Marché. Même les toilettes ont été rebaptisées Le cabinet des curiosités. À la grande joie de la gérante du magasin Petit Bateau : “Deux ans de travaux, c’est long.On espère que ça va faire revenir les clients, parce qu’il y a clairement eu un ralentissement avec la rénovation du parking. Si vous ajoutez à ça les bouchons sur l’A86… Mais bon, ces travaux étaient nécessaires, c’était vieillot. Avant, j’étais à Val d’Europe. Quand je suis arrivée ici, j’ai pris 20 ans.”
Gilles Sagnol n’est pas peu fier de ses nouveaux escaliers.
“Ici, ils n’achètent pas”
Après la projection d’un PowerPoint énumérant les statistiques du mall et des mots clés du type “expérience commerciale” ou “parcours client”, le chanteur de Kyo, Benoît Poher, actionne le buzzer et fait péter les confettis sur les quelque 300 personnes présentes. Puis, il est rejoint par ses collègues. Premier constat : fini les dreadlocks et les baggies. Place aux slims, aux vestes cintrées, aux petits cols en V et aux polos. Ils ont, grosso modo, 35 ans. Bref, les Kyo ont vieilli. Leurs fans, un peu moins. Lucy et Morgane ont 19 ans et sont étudiantes à Meudon : “On les suit sur Facebook, confie la première, qui arbore fièrement un t-shirt du groupe à 25 euros. On était au Zénith le 27 janvier, c’était le meilleur concert de ma vie.”
Quelques fans de Kyo et des pétales de roses en plastique.
Alexandre, 23 ans, a, lui, quitté son boulot plus tôt et fait “40 minutes de bagnole” dès qu’il a vu l’annonce du concert gratuit sur sa timeline : “Moi, à la base, je kiffe plus l’underground metal, des groupes comme Black Bomb A, Lofofora ou L’Esprit du Clan. Mais Kyo, j’aime bien, je trouve qu’ils ont une âme. Dernière Danse, j’ai envie de direchapeau monsieur.”
Camille, 22 ans, est carrément aux anges : “L’acoustique, ça donne une autre ambiance, plus de proximité. Récemment, je les ai vus jouer dans un magasin de chaussures San Marina, à Lyon.” D’autres groupies viennent parfois de beaucoup plus loin. De Marseille, de Lille, de Reims. Melissa est arrivée d’Ardèche le matin même: “Je ne suis venue que pour Kyo, je suis là depuis 8h du matin… Je n’ai même pas visité le centre, j’ai juste pris un McDo à midi.”
Kyo en live.
La fan base du jour est un peu à l’image de la clientèle habituelle de Belle Épine. Le studio à selfies à 360 degrés estampillé Avengers, l’autre animation phare de la journée, a d’ailleurs peu de succès : “On a dû faire une quinzaine de clichés de toute la matinée. Cinq clients par heure, à tout casser”, se plaint l’animateur au t-shirt Marvel. “Ici, c’est surtout des jeunes et des ados qui viennent traîner et passer du temps. Mais ils n’achètent pas. Tu vas à Vélizy, c’est une autre histoire, ça consomme”, avance la tenancière du bar à cocktails La Cabane, qui jouxte le Léon de Bruxelles. Devant la foule et les notables, les rockeurs enchaînent les hits pendant 40 minutes: Le Chemin, bien sûr, mais aussi Je saigne encore, Dernière Danse, repris en chœur par une forêt de smartphones. Le climax du showcase? Assurément l’annonce du titre Sarah par le leader du groupe : “Pour celle-là, je vais vous demander à tous de fermer les yeux, comme à chaque concert. Bon, d’habitude on est dans le noir, mais pas grave, on va le faire quand même.” Mais pourquoi Kyo, au fait? “Moi, je suis plus vieux, j’aime des groupes comme AC/DC, explique Gilles Sagnol. Mais on cherchait un groupe qui corresponde à un public jeune et qui représente une forme de renouveau.” Le renouveau qu’espère évidemment Belle Épine. En attendant, Kyo est déjà parti, esquivant au passage le cocktail du soir : “Leur manager nous a dit qu’ils avaient d’autres choses prévues ce soir.”
Par Marc Hervez et Pierre Maturana / Photos : Louis Canadas
Le 25 mars avait lieu la journée mondiale de la Procrastination. Et comme on enjambe tous les matins les cinq poubelles que l'on doit descendre pour pouvoir sortir de notre appartement, quelque part, c'était aussi un peu notre fête.
Par Alexandre Pedro, Noémie Pennacino et Michaël Simsolo
Demain.
Ça fait cinq jours que, toutes les heures, notre MacBook nous propose de faire la mise à jour de sécurité OS X et que, toutes les heures, on clique sur “Essayer dans une heure”.
La dernière fois qu’on a fait des abdos, c’est quand on en avait.
On connaît par cœur la grille de diffusion de W9 parce qu’il n’y a plus de piles dans la télécommande.
On se couche régulièrement vers 4h par flemme de se lever du canapé pour aller dans notre lit.
On a déjà renoncé plusieurs fois à commander une pizza parce qu’il fallait remplir un formulaire avec nos coordonnées.
Nos enfants s’appellent Alphonse, Aristide et Abigaïl parce qu’on n’est pas allé(e) jusqu’à la lettre B du Guide des prénoms.
On paye nos billets de train au tarif maximum.
On remercie l’inventeur des Petits Coraya de nous permettre de bouffer de la mayo même quand toutes les cuillères sont sales.
On est devenu(e) gothique pour avoir une raison de ne pas lancer une machine de blanc.
Pas aujourd’hui.
On avait prévu de reprendre notre vie en main, mais ça pourra bien attendre un peu.
On n’a pas du tout été choqué(e) par la “phobie administrative” de Thomas Thévenoud.
On a 28 brouillons de mails pas terminés.
Notre bureau de vote est à 800 kilomètres de chez nous mais on n’a jamais pensé à effectuer le changement d’adresse. Ça ferait trop de peine à nos parents de ne plus nous avoir à déjeuner les dimanches d’élection.
On a encore une adresse mail Wanadoo.
On tombe régulièrement sur cette layette qu’on avait achetée pour la fille de notre meilleur ami qui a aujourd’hui 6 ans.
Il y a plein de livres qu’on adorerait avoir lus. Ils sont tous sur notre table de nuit.
Demain, on peut pas, on doit fignoler une rédaction qu’on aurait dû rendre en 5e.
On a déjà annulé un rendez-vous à 20h parce qu’il était 18h54 et qu’on avait encore notre manteau à mettre et tout.
On a dix ans de retard sur nos vaccins. En même temps, quelle est la probabilité de mourir du tétanos en 2015?
On doit changer l’ampoule des toilettes depuis trois semaines, mais comme on a appris à uriner dans le noir, on ne voit plus trop l’urgence.
Il faudrait qu’on l’ouvre, peut-être, cette lettre des impôts. Si ça trouve, on est imposable.
« Bref. Je remets tout à demain. »
On défait nos lacets après avoir enlevé nos chaussures.
Parfois, on dort même habillé(e).
Parfois, on dort même habillé(e) avec la lumière allumée.
Parfois, on dort même habillé(e) avec la lumière allumée et la fenêtre ouverte.
La mode du no-poo et de la barbe de trois jours, c’est quand même bien pratique.
On connaît par cœur les paroles de Demain c’est loin.
Hier encore, on a laissé notre smartphone s’éteindre en plein texto parce que le chargeur était branché dans la cuisine.
Il faudrait qu’on pense à répondre à cette princesse nigérienne qui a sollicité notre aide par mail en 2013.
On a acheté au moins un milliard de quotidiens qu’on a pensé à lire trois jours après, donc qu’on n’a pas lus.
On télécharge illégalement les films qu’on aimerait voir au cinéma.
On fait bien la distinction entre se réveiller et se lever.
On a emménagé il y a deux mois et c’est toujours le nom de l’ancien locataire, M. Gallois, qui est noté à côté de la sonnette. On dit à nos invités: “Il faut sonner à Gallois.”
SAVOUREUX. CHIPS DE OMMES DE TERRE.
C’est vraiment dommage que mamie soit morte. On avait enfin prévu de l’appeler.
On n’est pas éjaculateur précoce.
Notre passeport est périmé depuis six mois, mais on trouve toujours une bonne excuse pour ne pas aller à la mairie, en bas de chez nous. Et puis, c’est quand même sympa les vacances à Valras-Plage.
On fait croire à tout le monde qu’on préfère travailler la nuit, sous pression, dans l’urgence.
Darling, faisons l’amour demain.
Comment ça y a pas de messe du dimanche le lundi?
On mangeait toujours au deuxième service à la cantine.
On sait qu’on est le 20, on sait que c’est l’anniversaire de notre sœur mais on l’appellera quand même à minuit quinze en disant: “Oh là là! Tu me connais, j’ai pas la mémoire des dates.”
On sort du bain quand l’eau est plus froide que l’air.
On appelle notre mère le vendredi pour lui dire qu’on est bien rentré(e) le mardi soir.
“Pourquoi tu ne te concentres pas sur quelque chose de productif?”
On n’a jamais compris le slogan Nike.
On arrive même à rater les soldes.
On s’est fait spoiler toutes les séries.
On mange sur nos genoux. La table basse est prise par les trucs qui devraient être sur la table du salon qui est prise par les trucs qui devraient être dans les tiroirs du bureau.
On part tard du boulot. Et ce n’est pas par excès de zèle. Le boss n’est plus là de toute façon.
On a déjà payé 300 euros de majoration qu’on aurait pu éviter en achetant un timbre à 68 centimes.
Notre tringle à rideaux est posée au pied de la fenêtre.
On n’a jamais eu l’appendicite. On fera une péritonite direct, quand on aura le temps.
Le taux d’abstention, c’est nous.
Par Alexandre Pedro, Noémie Pennacino et Michaël Simsolo
Entre Strasbourg et Mulhouse, un TER pas comme les autres traverse la campagne alsacienne. À son bord, plusieurs dizaines de professeurs des écoles qui n’ont pas vraiment eu le choix de leur affectation. Et qui auraient probablement rêvé d’une autre vie…
Par Pierre Boisson, à bord du TER 200 / Photos: Matthew Black
Le TER Alsace
Le TER 200 n°96203 file à travers la nuit, campagne alsacienne froide et plate à l’Est, Vosges enneigées à l’Ouest. À 181 km/h. À 194 km/h. À 201 km/h. “Il est bon, il est bon”, lance Sarah* en observant son téléphone portable posé sur la table d’un carré de train. Une application de mesure de vitesse affiche des chiffres blancs sur fond noir. Le record officiel est de 207 km/h. Autour, Emma et Chloé somnolent, mais jettent quand même un œil. Il doit être 6h30. “Il faut bien s’occuper, on commence à en avoir marre de ce train, dit Sarah. Bienvenue dans la vie du TER 200.” Le TER 200 tire son nom de sa vitesse maximale sur les plaines d’Alsace. Au total, six wagons corail tirés par une locomotive BB 26000 qui relient Strasbourg à Bâle en traversant le Haut-Rhin: Sélestat, Colmar, Mulhouse, Saint-Louis. Chaque matin, le TER 200 qui part de Strasbourg à 6h21 voit ses fauteuils bleu électrique envahis par une cohorte de voyageurs mal réveillés. Certains dorment, d’autres prennent leur petit-déjeuner, la plupart ouvrent des classeurs, découpent des feuilles, corrigent des cahiers au stylo rouge. Ce sont, comme Sarah, comme Chloé et Emma, des professeurs des écoles.“Le train en est rempli, siffle Sarah, 24 ans et débutante dans le métier. T’en as au moins dix par wagon.” Emmitouflée dans sa doudoune, la jeune femme salue collègues et anciens camarades de promo. Tout le monde se connaît. Elle dit: “Nous sommes les travailleurs de l’ombre.”
Les enseignants du train de 6h21 partagent un horaire et une hantise: le Haut-Rhin. Le département alsacien leur propose deux types de poste: les grands groupes scolaires des cités de Mulhouse ou les petites écoles des villages reculés, deux options qui font peu d’envieux. Emma est une jeune fille aux cheveux lisses, discrète. Deux ans plus tôt, quand elle a été reçue au concours de l’IUFM, elle a pleuré. Ce n’était pas de la joie. Admise de justesse, elle savait que les premiers avaient droit à Strasbourg et au Bas-Rhin, les autres à Mulhouse et au Haut-Rhin. “On me disait d’être heureuse mais je n’y arrivais pas, je chialais.J’ai atterri dans un petit village. Je ne savais même pas où c’était, j’ai dû chercher sur Google Maps. J’ai pensé à quitter Strasbourg mais c’est impossible, j’y ai mes amis et mon copain ; et ici il n’y a rien.” Cette année, la dernière place dans le Bas-Rhin a été distribuée au 112e des 160 reçus. Les suivants sont dans le train. Cholé prend la parole, soupire. “Avec Sarah, on a fini à quelques places près. T’imagines? Quelques points de plus ou de moins, ça te change la vie pour cinq ans, six ans, peut-être quinze ans.” Sarah corrige:“Ça te pourrit la vie.”
Jus de pomme, prime time et abstinence
Le mardi matin est unanimement reconnu comme le pire jour de la semaine par les trois filles: la fatigue du lundi dans le corps, le bout du tunnel trop loin pour voir la lumière. Quand le réveil a sonné à 4h55, Sarah a eu du mal à ouvrir les yeux. Elle a oublié sa carte bancaire et n’a pas eu le temps de préparer ses tartines et son jus de pomme habituels. Elle prie pour que le contrôleur ne passe pas, se repoudre les joues dont elle n’a pas eu le temps de s’occuper. “Je suis horrible, t’as vu les cernes? Hier, je me suis endormie sur mon ordinateur à 21h30 et je me suis réveillée au milieu de la nuit, j’avais encore la serviette mouillée sur les cheveux.” Emma n’est pas beaucoup plus en forme. “J’ai fait des gâteaux pour mes élèves jusqu’à minuit. Quelle idée! Pourquoi je fais ça? Ce matin, j’avais des vertiges.” Chloé? Chloé dort.“Vas-y, lève un index si tu nous entends, fait Sarah. J’y crois pas, elle pionce vraiment.”
Mulhouse, c’est la fin du sexe
Sarah, enseignante
La vie des enseignants du TER 200 est une course. Réveil, douche, café. Sprinter pour avoir le tram de 5h37 qui conduit à la gare ou pédaler dans le froid. Être sur le quai entre 6h05 et 6h15, le temps d’une cigarette avec les copines. À 6h19, monter à bord. Cinquante-trois minutes de trajet, descente du train le plus vite possible, nouvelle course dans la gare de Mulhouse pour se glisser dans le bus de 7h16. Dix minutes sous les lumières blanches du car. Dernière cigarette avant les photocopies et le début des cours: 7h50. Le soir, rebelote, en sens inverse, pour tenter d’avoir le premier train, à 16h16. Sinon, attendre 16h46 ou 17h16. La semaine finit par ne plus être qu’une question de temps, ou plutôt d’absence de temps. Que reste-t-il quand la journée de travail commence à 5h et se termine à 20h?“Moi, c’est douche-boulot-manger-dodo, détaille Chloé. En théorie, il faudrait se coucher à 21h pour être en forme.” Sarah: “L’autre jour, il y avait Intouchable à la télé, j’ai regardé, le lendemain j’étais morte.” Une feuille horaire sur laquelle il n’y a plus beaucoup de cases et peu de place pour les autres. Sarah, jeune mère d’une petite fille d’un an et demi, a un regard à la fois dur et malicieux et traverse la fatigue grâce à son humour pince-sans-rire. “Mulhouse, c’est la fin du sexe, plaisante-t-elle. La vérité, c’est que quand tu rentres le soir, tu as même plus la force de parler. Et forcément, tu te prends aussi plus la tête.” Chloé n’a même pas ce privilège. “Mon mec, il est cuistot, il travaille jusqu’à minuit. Ce matin, il m’a dit: ‘Peut-être à ce soir.’ Tu parles, on ne se voit jamais la semaine. Je lui ai dit: ‘À samedi.’”Emma sourit, dit que le sien se cogne toujours dans le lit quand il vient se coucher, que ça la réveille, que ça l’énerve. “Mais il est compréhensif, le soir il me fait à manger, il voit bien que je suis K.-O.”
“On nous rembourse seulement 70 euros. On y passe 20 heures par semaine”
Pour quitter cette vie, le Haut-Rhin et les allers-retours en train, il faut espérer un poste dans le Bas-Rhin, disponible à la seule condition qu’un enseignant fasse le chemin inverse. Le déséquilibre de la balance entre les deux départements est abyssal: il y a peu de places, et celles-ci se jouent à l’ancienneté. “On marque des points si on est marié, si on a des enfants, mais surtout avec les années d’expérience, récite Emma. Là, par exemple, j’ai un an de séparation de mon conjoint, avec qui je suis pacsée, et j’ai à peine 200 points alors que l’année dernière, ceux qui ont été mutés en avaient plus de 600. Faudrait que je fasse des gosses, mais bon…” Le train ralentit, une odeur de caoutchouc brûlé monte dans le wagon. “Les freins, mécanise Sarah. Le chauffeur a voulu aller trop vite. On arrive à Colmar, c’est déjà l’air pourri du Haut-Rhin.” Une question qui semble logique fait éclater de rire les filles: pourquoi ne pas s’installer à Mulhouse? Sarah riposte la première: “Ça va pas ou quoi? Tu ne connais pas la ville, on en reparle à la fin de la semaine.” Mulhouse est une ancienne cité ouvrière –c’est-à-dire beaucoup d’ouvriers mais plus de travail– où 31% des 280 000 habitants vivent sous le seuil de pauvreté. C’est dans l’une des nombreuses cités de la ville que Sarah et Chloé découvrent cette année l’enseignement. “On a que des cas”, dresse Sarah. Elles ont chacune dans leur classe des bêtes noires, des élèves en difficulté qu’il faudrait suivre quasi individuellement ou des durs qui sèment la terreur. Celui d’Emma s’appelle Eddy. “Pourvu qu’il soit malade”, ironise-t-elle en fermant les yeux, comme pour prier. Chloé soupire:“On peut pas se débarrasser d’un ou deux? Ce serait tellement pratique.”
On a plus de pression, à cause du train. Il faut optimiser son temps, gérer la fatigue
Sarah, enseignante
Pour Sarah et Chloé, cette année de TER est la première de leur vie d’enseignante. Elles se demandent si elles seront capables d’apprendre à lire, écrire, compter à des enfants. Elles gagnent 1 600 euros net par mois, dont 202 partent directement dans le train, qui ne quitte jamais vraiment leurs pensées. “On nous rembourse seulement 70 euros. On y passe 20 heures par semaine, a calculé Chloé. Ça fait presque deux jours de travail en plus par rapport à ceux qui sont dans le Bas-Rhin.” Sarah, la seule à être mère, se dit épuisée les dernières semaines avant les vacances. Aujourd’hui, elle arrive en classe sans avoir pu préparer ses leçons. “On a plus de pression, à cause du train. Il faut optimiser son temps, gérer la fatigue. La vérité, c’est qu’on ne peut pas en faire autant que les autres.” À la question de savoir si elles regrettent, elles répondent pourtant sans la moindre hésitation. “Bien sûr que non!” “J’adore mon métier et puis, j’ai rencontré les filles dans le train. Au moins, on se fait des amies”, souffle Emma. Il est 7h13. Le train décélère, annonçant l’arrivée en gare de Mulhouse. L’armée des professeurs des écoles se presse dans le couloir, les trois filles enfilent leur sac de randonneur sur le dos. Sarah sourit du reflet qu’elle entrevoit dans la vitre:“Les cahiers des élèves à corriger…” Quelques minutes plus tard, le contrôleur finit par passer. “Elles sont descendues les instits?, interroge-t-il.Je fais souvent ce trajet, c’est fou le nombre qu’il y a. Là, je viens de contrôler un groupe de six filles, sympas. Elles vont à Saint-Louis. Elles trouvent que c’est une ville de merde.”
*Les prénoms ont été modifiés.
Par Pierre Boisson, à bord du TER 200 / Photos: Matthew Black
La sortie, le 11 mars dernier, du recueil de chroniques et nouvelles inédites Un carnet taché de vin (Grasset) est l'occasion de revenir sur cette semaine où Bukowski a fait de Paris sa capitale.
Par Pierre Boisson, Raphaël Lizambard et Thomas Pitrel
Charles Bukowski boit un coup sur le plateau d’Apostrophes
Avant de se transformer en loup-garou, Charles Bukowski avait réussi à captiver et émouvoir son public. Après un repas bien arrosé avec ses deux éditeurs français, Raphaël Sorin et Gérard Guégan, il était déjà abîmé en arrivant sur le plateau. Mais interviewé en début d’émission, il avait su faire jouer sa voix nasillarde et son bidi mal allumé pour évoquer son étonnement de ne plus être un clochard, sa peur de la célébrité et sa volonté littéraire de rendre beau le moche. “J’habille la vérité, j’orne la vérité pour que la vérité devienne intéressante, traduisait en direct l’interprète Christopher Thiery. La vérité des philosophes, des grands esprits de tous les temps, (…) c’était une vérité tellement ennuyeuse que finalement, personne ne les a écoutés. J’essaie de faire en sorte que la vérité soit une jeune fille en très jolis petits dessous et en minijupe, de manière à ce que les gens la regardent.” Cinquante minutes et quelques godets plus tard, Buk se faisait virer du plateau d’Apostrophes par Bernard Pivot, après avoir tenté de regarder sous la jupe de l’écrivaine Catherine Paysan. Une fois de plus, ce 22 septembre 1978, l’alcool avait aidé Charles Bukowski à embellir la vérité.
« Le chef des punks »
Lorsque l’écrivain débarque en France une semaine plus tôt, flanqué de sa compagne Linda Lee et du photographe Michael Montfort pour faire la promo de L’Amour est un chien de l’enfer, les éditions du Sagittaire l’installent à l’hôtel des Saints-Pères, dans la rue du même nom. “Ah oui! Je m’en souviens, s’exclame aujourd’hui Françoise Salmon, la patronne de l’endroit. À l’époque, je n’étais que réceptionniste, je venais d’arriver. Disons que c’est un personnage plutôt marquant, on peut difficilement l’oublier. Il était d’origine polonaise, non? Allemande? Oui, ça se voyait à son allure. Et puis, il avait un visage abîmé, sûrement par l’alcool, déjà,
J’essaie de faire en sorte que la vérité soit une jeune fille en très jolis petits dessous de manière à ce que les gens la regardent
Charles Bukowski
il avait un fort penchant pour le vin blanc.” Une version confirmée par l’intéressé dans Shakespeare n’a jamais fait ça (13e Note Éditions), le récit de son séjour en Europe, publié en français le 7 mars 2012. “J’ai appelé la réception pour réclamer cinq bouteilles de vin et Linda Lee et moi, on s’est mis au lit pour picoler. Ces deux éditeurs français publiaient quatre de mes livres. Après une ou deux bouteilles, j’ai pris le téléphone pour les appeler.”
Bukowski ne sait pas encore que Sorin et Guéguan lui ont programmé un marathon d’interviews avec un large échantillon de la presse française. “Même L’Huma avait envoyé quelqu’un, rigole Sorin. Je l’avais mis là-dedans comme un fauve en cage, il est resté plus ou moins cloîtré pendant huit jours. Il commençait à en avoir assez. Je déjeunais avec lui, je le surveillais un peu, comme je savais bien qu’il avait la réputation d’être éruptif.” Parmi la douzaine de journalistes que rencontre Bukowski durant ces quelques jours, il en est un qu’il identifie comme “le chef des punks de Paris”. “Arrivé avec ses fringues en cuir constellées de fermetures éclair, il a déclaré être à plat et avoir besoin d’un peu d’héro pour remettre la machine en route, je lui ai expliqué que je n’avais rien sur moi.” Le hasard faisant bien les choses, Buk vient de rencontrer Alain Pacadis, ambassadeur du punk en France et “reporter de l’underground”, qui s’est fait remarquer plus tôt dans l’année en affirmant son attirance pour les perversions sexuelles en tout genre et son dégoût de l’amour sur le plateau… d’Apostrophes.
Lorsque Pacadis pose son minicassette Crown CTR 325 W sur la table du patio de l’hôtel des Saints-Pères, il commande une bière, Bukowski deux, et les loustics se lancent dans une discussion à bâtons rompus sur l’alcool, la drogue et les prostituées mais aussi sur Amanda Lear, “l’ex-petite amie de Dali, qui chante de la disco maintenant”. Et puis les deux hommes évoquent l’émission à venir dans un dialogue prémonitoire:
Alain Pacadis: “Tu dois passer à Apostrophes demain, c’est une émission que j’ai faite, il y a quelques mois.”
Charles Bukowski: “Oui, je crois que je vais boire beaucoup demain aussi.”
Alain Pacadis: “Fais très attention, parce que quand j’y suis passé, ils ont dit que je ne pouvais pas boire d’alcool avant la fin de l’émission, j’ai été obligé de ressortir pour trouver une bière.”
Charles Bukowski: “Heureusement que tu me préviens, j’apporterai mes deux bouteilles de vin. Ils m’ont dit que là-bas, il y aurait du vin, mais je ne l’ai pas cru!” (L’Écho des Savanes, novembre 1978)
Chronologie éthylique
Arrive ce vendredi 22 septembre, jour de l’émission qui doit clore la tournée promotionnelle de l’écrivain en France. En début d’après-midi, profitant d’un rare moment de répit, Bukowski parvient enfin à sortir faire un tour dans les rues parisiennes, fouetté par le vent froid de l’automne et accompagné de la photographe Sophie Bassouls. “Il était ému, très ému parce qu’il me disait: ‘Ça, c’est l’hôtel où est descendu Hemingway quand il est venu à Paris’, se rappelle Bassouls. Il m’a dit quelque chose comme ‘give me emotions’ et il voulait à tout prix que je le photographie devant l’hôtel. Il se sentait en osmose avec Hemingway.
On s’est baladés dans le quartier de Saint-Germain avant de s’arrêter dans un café qui s’appellait Le Rouquet. Il a pris un verre de vin blanc, peut-être deux. On est passé à Saint-Sulpice, on a fait un petit tour mais Bukowski n’était pas un grand marcheur, il s’arrêtait tout le temps pour regarder un truc.” Sophie Bassouls charge sa pellicule Kodak Safety film 5063, appuie sur son déclencheur et mitraille Bukowski dans les rues de Paris avant de le conduire dans l’appartement d’Edgar Reichmann, critique littéraire du Monde, pour la dernière interview de la presse écrite. “Il y avait une bouteille de whisky qui descendait à vue d’œil, raconte la photographe. Bukowski avait quand même une bonne capacité d’absorption, même si à la fin il était un peu… fatigué.” Reichmann, lui, a un souvenir un peu différent de la chronologie éthylique: “Il est arrivé à la maison ivre mort à un point invraisemblable. Je ne me souviens même plus de l’interview. J’ai fini par réussir à le faire sortir, il balbutiait…”
Lorsque Raphaël Sorin le récupère à son hôtel, sur le coup de 20h, il tente de le briefer avant l’émission, qui doit débuter aux alentours de 21h30. ”Je lui ai raconté qui il y aurait, détaille Sorin. J’ai beaucoup insisté sur Gaston Ferdière, parce que les Américains connaissent Antonin Artaud, donc je lui ai dit que c’était le psychologue qui avait un peu martyrisé Artaud avec des électrochocs. Du coup, il l’avait un peu dans le collimateur. Sinon, les autres, il ne savait pas qui ils étaient évidemment.” Les autres, ce sont donc Catherine Paysan et sa jupe fendue,
L’animateur (Bernard Pivot, ndlr) était censé être connu dans tout le pays mais il ne m’impressionnait pas des masses
Charles Bukowski
François Cavanna venu présenter ses Ritals, ainsi que l’ouvrier autogestionnaire Marcel Mermoz. Une quinzaine de minutes avant la prise d’antenne, Bukowski se présente dans les fameux studios de la rue Cognacq-Jay accompagné de deux bouteilles de vin blanc alsacien, auxquelles s’ajoutent les deux bouteilles de Sancerre fournies par une production conciliante. “On m’a demandé de m’asseoir en face du maquilleur, raconte Buk. Après m’avoir fardé de plusieurs poudres, vite aspirées par la peau grasse et grêlée de ma tronche, il a soupiré et m’a congédié d’un geste de la main. (…) L’animateur (Bernard Pivot, ndlr) était censé être connu dans tout le pays mais il ne m’impressionnait pas des masses. Je me suis installé à côté de lui, il tapait du pied. ‘Qu’est-ce qui va pas? je lui ai demandé. T’as le trac?’ Il n’a pas répondu. J’ai rempli un verre de vin que je lui ai collé sous le nez: ‘Allez, bois un petit coup… Ça te fera du bien au gésier.’ Avec dédain, il m’a fait signe de la boucler.”
“Un petit canif de rien du tout”
La suite est passée en boucle dans toutes les rétrospectives des grands moments de la télévision française. Au fur et à mesure d’une émission intitulée En marge de la société, alors qu’on s’intéresse de moins en moins à lui et que la bouteille se vide de plus en plus, Bukowski se met à grommeler jusqu’à ce qu’on cesse de traduire ce qu’il dit, recouvrant bientôt la voix des autres invités. Au-delà de l’alcoolémie, la traduction a d’ailleurs joué un rôle dans la montée de l’incompréhension entre les différents protagonistes, comme l’explique Leda Zuckerman, alors chargée de chuchoter à l’oreillette de l’homme de Los Angeles: “Par exemple, Pivot lisait des extraits de ses poèmes en français. Je devais donc lui traduire une traduction et faire en sorte qu’il comprenne duquel de ses textes il s’agissait…” Pour le grand public français qui n’a pas lu ses livres, Bukowski restera pourtant comme “celui qui a bu au goulot chez Bernard Pivot” ou comme “celui à qui Cavanna a dit de fermer sa gueule ». Le fondateur d’Hara Kiri avait d’ailleurs été sérieusement affecté par l’épisode, tant il appréciait l’écrivain qu’il a rabroué.
Éjecté du plateau, Bukowski n’est pas du genre à partir sur la pointe des pieds. Il dégaine son couteau et le brandit devant un membre de la sécurité. “Il y avait un type plus ou moins devant la sortie, se remémore Raphaël Sorin. Mais c’était un petit canif de rien du tout, c’était un geste purement symbolique. Il l’a fait comme
Est-ce que c’était volontaire de la part des éditeurs ou pas? Pour eux, ça a été un coup de pub formidable
Jean Cazenave, réalisateur de l’émission
ça. C’était un comédien, aussi.” Alors que la petite troupe s’éloigne des studios, Guégan reste sur place pour répondre aux reproches de l’animateur. “J’avais deviné que Pivot attendait le générique de fin pour laisser éclater sa colère contre le Sagittaire, attaque-t-il dans Ascendant Sagittaire: une histoire subjective des années soixante-dix. (…) Ce soir-là, il n’eut pas de mots assez durs contre ce ‘rustre aviné’ et sa maison d’édition. Sans perdre mon calme, je lui rétorquai que son émission venait d’entrer dans l’histoire.” Jean Cazenave, le réalisateur de l’émission, a une autre théorie sur la question: “Moi, je pense que c’était préparé, même si je n’en ai pas la preuve. Il était déjà plein en arrivant. Alors, est-ce que c’était volontaire de la part des éditeurs ou pas? Pour eux, ça a été un coup de pub formidable. Bernard Pivot était peut-être un peu complice de ça, mais à un moment, il a pris peur. Après l’émission, Pivot disait qu’il avait eu peur que ça aille trop loin, qu’il se mette à pisser ou à dégueuler sur le plateau, quoi.”
Standing ovation
Pendant que l’équipe d’Apostrophes débriefe l’événement à la brasserie Lipp de Saint-Germain-des-Prés, comme à son habitude, le “gang” de Bukowski s’éclate à La Coupole, du côté de Montparnasse, rejoint par Jean-François Bizot, fondateur du magazine Actuel et premier traducteur français de l’écrivain. Vers 2h, le héros du jour a même droit à une véritable standing ovation de la part des clients présents, avant de rentrer dans ses pénates. “Je ne travaillais pas quand il est rentré mais il était bien accompagné, croit savoir l’ex-réceptionniste Françoise Salmon. Et il ne pouvait pas arriver jusqu’à sa chambre sans aide.” Le lendemain, les coups de fil de journalistes affluent de toutes parts chez les éditeurs, “même de New York, où il n’était pas du tout connu”, d’après Raphaël Sorin. Bukowski, lui, ne se rappelle pas grand chose et sonde alors sa compagne Linda Lee: “Ben, t’as attrapé la jambe de la femme. Et tu t’es mis à boire au goulot. T’as dit des trucs. Des trucs pas mal du tout. Surtout au début. Et puis, l’animateur t’a empêché de parler. Il t’a mis la main sur la bouche en te disant: ‘La ferme!’” Voilà tout ce que l’auteur saura jamais de cet épisode.
Quelques jours plus tard, il en mesurera néanmoins les conséquences lorsque l’oncle de Linda, chez qui le couple devait se rendre à Nice, refusera de le rencontrer en raison du scandale déclenché. Si l’on en croit son récit dans Shakespeare n’a jamais fait ça, Bukowski filera ensuite en Allemagne pour quelques lectures et une visite familiale. Si l’on en croit certaines interviews données en France, il était en fait passé outre-Rhin avant d’arriver dans l’Hexagone. Difficile de faire la part des choses avec un écrivain qui n’aime rien plus que transformer la vérité, et ce n’est pas Raphaël Sorin qui pourra nous éclairer sur le sujet: “Je sais plus trop. Faut dire que moi, pendant ces huit jours, j’ai pas mal bu, j’ai pas toujours eu les idées très claires. Il fallait suivre quand même, quand quelqu’un boit, il faut boire avec lui.”
*Toutes les citations de Charles Bukowski sont issues de son livre Shakespeare n’a jamais fait ça.
Par Pierre Boisson, Raphaël Lizambard et Thomas Pitrel
En janvier dernier, se déroulait la cinquième édition de "70 000 Tons of Metal", la plus grande croisière heavy metal du monde. À bord du Liberty of the Seas, 3 500 fans et 60 groupes de heavy metal quittaient la Floride pour une belle et rugueuse balade.
Par Joachim Barbier, à bord du Liberty of the Seas / Photos: Peter Beste
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"Hell Yeah."
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Andrés Vargas aka Antichrist 666 en plein egotrip.
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Un fan de Aeon fait un selfie avec sa bouteille de bière.
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L'envers du décor.
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Une veste en cuir se repose à l'ombre sur la plage d'Ocho Rios, lors de l'escale en Jamaïque.
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La grande scène.
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Il y a même des fans de Rod Stewart.
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Deux jeunes retraités.
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Evelyn, 57 ans, a fait le voyage de Suisse avec sa nièce.
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Deux dos.
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Antichrist 666.
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Le casino.
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Le père Noël et une ordure.
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Dans le grand jacuzzi, vue sur l'océan.
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La salle des machines.
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Capitaine de soirée.
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Quatre hommes et huit doigts disent au revoir à Miami.
Danny Needham, le batteur du groupe Venom, fait rougir l'assistance.
Disputés à Brive-la-Gaillarde dans un anonymat regrettable le 28 février, les championnats de France de bras de fer ont encore une fois fait vibrer la foule avide de sensations fortes. Entre power drink à la créatine, embrouilles à la fédé et combats musclés, rencontre avec des champions qui ne baissent pas les bras.
Par Christophe Gleizes et Marc Hervez / Photos: Renaud Bouchez
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Les 70 participants du championnat de France sont venus par leurs propres moyens. Au milieu du public attentif mais clairsemé, on retrouve les habitués de Velizy musculation, les ferristes du rocher et les redoutables Lynx de Strasbourg.
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La compétition se déroule dans un franc esprit de camaraderie. Impeccable, l'organisation est saluée par tous tandis que l'affluence est satisfaisante pour une discipline encore confidentielle.
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“J'ai commencé en 2011, c'est la première fois que je vois autant de monde en France pour du bras de fer”, se réjouit le solide Aymeric Pradine, exilé en Belgique. “On est à peu près 40 ferristes de bon niveau en France, complète Ciprian, un Roumain à la moustache bien taillée, qui tient un stand d'accessoires à l'entrée. Mais bon, pour la presse on dit 200.”
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Pareils à des Lamborghini, les athlètes se révèlent à la fois puissants et fragiles.
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Si elles restent rares, les blessures existent à cause de l'intensité des combats. “Le plus dangereux, c'est la fracture de l'humérus! J'en ai vu cinq ou six dans toute ma carrière. C'est terrible car il pète en morceau, détaille Alain, visiblement marqué. On entend bien le son, c'est le bruit d'une branche qui craque. Le plus souvent, cela vient d'une mauvaise position des bras.”
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Pour bien accrocher le poignet de son adversaire, on se talque les mains avant chaque combat.
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En attendant de monter sur scène, le principal souci est de rester chaud. En général, on boit des canettes de Red Bull ou on s'applique des crèmes chauffantes sur les muscles. Les plus motivés se versent des sachets de poudre dans leur Powerade, à l'image de Ciprian: “Il n'y a rien d'interdit. Un peu d'arminien, de beta-alanine et de créatine, ça donne de l'énergie.” Taboue, la question du dopage ne laisse personne indifféren: “Il n'y a pas de contrôle antidopage en France, ça coûte trop cher, explique discrètement Aymeric, en regardant la salle clairsemée. Ici, c'est sûr qu'il y en a certains qui sont chargés, mais bon, on n'est pas pires que Lance Armstrong, Usain Bolt ou Asafa Powell…”
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Ciprian regrette l'inaction de la fédération: “Ils ne sont pas passionnés, ils pourraient faire beaucoup plus, il n'y a pas assez de réunions, la promotion est nulle. J'essaie de les entraîner mais ils ne m'écoutent pas vraiment. Si t'as pas de résultats sportifs, on ne te prend pas au sérieux alors que ce qui compte, ce sont les idées.” Aymeric confirme: “Il y a beaucoup de guerres d'ego et de jalousies cachées. Moins on est nombreux, moins on s'aide, plus on se tire dans les pattes. L'émulation n'est pas positive, ça parle dans le dos, même si cette année, il faut reconnaître que l'ambiance est plutôt bonne.”
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Les championnats 2015 ont été l'occasion de s'expliquer avec Grégory Schneider, le président de la fédé. Les différends semblent aujourd'hui aplanis et les ferristes français sont désormais tournés vers de nouveau projets, bras dessus, bras dessous.
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Motivé comme jamais, Ciprian est de loin l'un des plus passionnés. Tellement qu'il a créé sa propre compétition internationale, X-Men Armwrestling. “J'ai investi 28 000 euros pour organiser des tournois plutôt que de partir en vacances. Ma femme me fait la gueule, mais j'aime trop la compétition.” Cette volonté de faire progresser sa discipline, il s'en explique simplement: “Je suis entrepreneur de caractère et de sang, je croise des opportunités partout. Récemment, j'ai créé mon shop Internet et j'ai commandé dix tables de bras de fer pour mon club. Cela m'aurait coûté 500 euros pièce normalement mais j'ai appelé un constructeur en Roumanie qui me les livre 290 euros l'une. J'ai aussi ma salle à Colombes, je vise les 100 adhérents à moyen terme. C'est dur, mais je vais y arriver.”
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“Alain est limité par l'âge mais c'est un vrai combattant, détaille Ciprian. Son point fort c'est la pronation des biceps, il est très fort avec les poignets. Il n'a qu'un style mais il le maîtrise à la perfection.” Pour son grand come-back après trois ans en retrait, l'ancien champion du monde a pourtant dû s'incliner en finale, affaibli par deux vertèbres déplacées.
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“Moi, j'imagine que mon adversaire fait mal à un chien, comme ça, j'ai envie de l'exploser [...] Si tu touches à ma fille, mon clebs ou ma Camarro, je peux m'énerver. Et quand je m'énerve, ça fait mal.” Gilles, tourneur-fraiseur dans le civil.
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Les championnats de France ne concernent pas seulement les tricolores. “La règle, c'est que si tu séjournes depuis trois ans dans le pays d'accueil, tu as le droit de combattre pour ce pays, explique Alain, très fier du cosmopolitisme de Velizy musculation. On a des Roumains, des Tchétchènes, des Turcs, des Serbes… On va pas se mentir, c'est un sport de migrants. Moi-même, à la base, je suis Arménien.” Les spécialistes de la discipline viennent tous des pays de l'Est. “En France, on est personne, on est des touristes au niveau mondial, on se fait plier en deux minutes”, regrette Ciprian, qui espère briller aux prochains championnat d'Europe, en Bulgarie.
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“Je suis un pur autodidacte, j'ai commencé le bras de fer vers 48 ans. Avant, j'ai été boucher, judoka de haut niveau et videur de boîte.” Alain Lanique, 140 kilos, l'un des ferristes français les plus respectés, en plus d'être le boss de Velizy musculation.
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“Quand tu montes sur l'estrade, tu n'es plus pareil, tu as beaucoup de pression. En finale, il faut tout envoyer, tu peux tout perdre en une fraction de seconde, deux défaites te disqualifient. Il faut jouer ta vie, tu es comme un taureau lâché dans l'arène.” Julien Dettinger, trois fois champion de France.
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Au go de l'arbitre, les ferristes doivent tout lâcher. Il n'y a pas que le tour de bras qui compte, il y a aussi la stratégie, la rotation du poignet et, surtout, la vitesse de réaction. Les différents profils peuvent s'annuler car chaque style a sa faiblesse et sa particularité.
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Le placement des mains est très important et peut donner dès le départ un avantage décisif. Si bien que, parfois, quand aucune position n'arrive à être trouvée ou que les bras bougent trop, on se retrouve obligé de sangler les concurrents. Pour des combats qui durent parfois moins de deux secondes.
Bénévoles, les arbitres sont au nombre de deux par table pour éviter les interprétations trop hâtives. Ce qui n'empêche pas les contestations…
Les héros post-bug de l'an 2000 n'ont pas tous eu la chance de surfer sur la vie et le succès comme Claude le voyant. La preuve par Tom.
Par Alexandre Pedro
Tom Anderson, homme à capuche
Il a été l’ami par défaut de 220 millions d’utilisateurs au milieu des années 00. Tom Anderson, c’était “Tom”, ce type de profil au t-shirt blanc et au sourire un peu couillon qui souhaitait la bienvenue sur le premier réseau social de masse, Myspace. Et puis Tom et son partenaire Chris DeWolfe ont vendu –sans quitter le navire– leur création à Rupert Murdoch pour 580 millions de dollars en 2005. Pas vraiment la meilleure inspiration du magnat australien.
J’ai essayé tout un tas d’activités créatives, mais j’ai lutté pendant des années
Tom Anderson, créateur de MySpace
Quatre ans plus tard, Facebook ringardise Myspace, ses “adds” et ses pages d’accueil déconseillées aux épileptiques. C’est ce moment-là que Tom choisit pour claquer la porte et reprendre sa liberté. Alors que, dans la foulée, un nouveau T.O.M. (un acronyme pour Today on Myspace) le remplace comme nouvel ami d’office, Anderson préfère, à 38 ans, “profiter des joies de la retraite”, comme il l’indique dans son statut d’accueil sur Twitter. Pendant que son ancien rival Mark Zuckerberg (avec qui il est ami sur Facebook) devient le plus riche milliardaire de la planète, Tom cherche, lui, un sens à sa vie.
Hacker recherché par le FBI à 14 ans, chanteur-guitariste d’un groupe emo à l’université, Anderson saute d’une obsession à l’autre et refuse qu’on le catalogue, qu’on le range dans une case. “Si vous m’aviez connu avant Myspace, vous auriez pu penser que j’allais passer ma vie à enseigner la philosophie”, explique l’ancien étudiant en rhétorique. Il est en persuadé, il est un “être créatif”. Reste à savoir dans quel domaine.
Plongée dans l’océan artistique
Le déclic arrive au milieu du désert du Nevada lors du festival Burning Man, en 2011. Pour profiter de cette expérience mi-mystique, mi-psychotique avec son ami photographe Trey Ratcliff, Tom Anderson achète un Nikon D7000. Quand il découvre ses premiers clichés, Anderson s’avoue “soufflé”, ce qu’il juge “inhabituel” pour lui. “J’ai essayé tout un tas d’activités créatives, mais j’ai lutté pendant des années sans être heureux du résultat”, raconte-il à Petapixel, un site spécialisé dans la photographie. Dès lors, il consacre tout son inépuisable temps libre à sa nouvelle vocation. De la Grande Muraille de Chine au Grand Cayon, le nouveau photographe aime capter les grands espaces, lui, assimilable à jamais à un portrait timbre-poste pixellisé. “Je n’essaye pas de représenter fidèlement la nature. Je cherche plutôt à construire quelque chose de beau comme un peintre le ferait.” Des tableaux où les humains sont souvent absents. “Ce n’est pas voulu, je suis un peu trop timide pour demander aux gens si je peux les photographier”, justifie-t-il. Ou trop maladroit. Il a peut-être été le précurseur de l’amitié virtuelle, Tom ne sait pas toujours parler à son prochain. En novembre 2012, il fustige les nouvelles conditions d’utilisation sur Instagram. Un certain Polo Tapia trouve la remarque mal placée “de la part d’une personne n’ayant pas réussi à maintenir son réseau social en vie”. Anderson réplique en moins de 140 signes “de la part du mec qui a vendu Myspace en 2005 pour 580 millions de dollars, alors que (lui bosse) comme un esclave”. Tom Anderson a passé l’âge de se faire des amis.
Par Alexandre Pedro
C’est plus qu’un sextoy, une révolution. En quelques années à peine, le Womanizer, vendu à des millions d’exemplaires dans le monde, a démystifié la masturbation féminine et démocratisé l’orgasme pour toutes. L’outil d’un détachement total de la femme hétérosexuelle du joug de l’homme? Depuis leur retraite espagnole, ses inventeurs allemands, Michael et Brigitte Lenke, racontent pour la première fois l’incroyable destin de leur créature.
Tailleur strict, titre de “Cheffe de la Libération” en évidence, la chanteuse anglaise Lily Allen enclenche d’un ongle manucuré le haut-parleur d’une salle de réunion où traîne négligemment le nouveau Womanizer “Liberty by Lilly Allen”, et lance: “Michael, bonjour.” À l’autre bout du fil, la voix chaude et masculine de Michael Lenke, le créateur de la marque, lui renvoie son bonjour. Lily Allen reprend: “Les ventes sont formidables, Michael. Mais les résultats de notre étude sur la régularité de l’orgasme sont arrivés, et il y a encore du boulot… Si on offrait 1 000 Womanizer pour Noël?” Après une seconde de suspense, l’offre est accordée par le mystérieux grand manitou. “Joyeux Noël!” lance-t-il, alors qu’Allen fait un clin d’œil à la caméra. Lors du Noël 2020, quand ce spot de pub a été mis en ligne, la marque Womanizer venait de connaître sa meilleure année, et Michael Lenke pouvait bien se permettre de s’offrir une pop star comme ambassadrice, ainsi qu’une mise en scène de film hollywoodien. Depuis plusieurs années désormais, lui et sa femme, Brigitte, mènent la vie d’entrepreneurs à succès: six mois dans le froid de leur Allemagne natale, et les six autres dans la douceur de Majorque. Leur résidence secondaire est adossée aux collines de la petite ville de Pollença. C’est là, tandis que leurs petits-enfants jouent dans la piscine, que le couple a accepté de raconter comment, à respectivement 71 et 68 ans, ils ont révolutionné l’orgasme féminin, en écoulant plus de quatre millions de sextoys à travers le monde.
“J’aurais pu arrêter de travailler mais j’avais toujours envie d’inventer des trucs, explique-t-il. Aujourd’hui, il y a plus de 1 000 brevets à mon nom!”
Michael Lenke, inventeur du Womanizer
Michael Lenke fait remonter son récit à l’enfance. Petit, raconte-t-il, il aimait flâner au cimetière. Il se promenait entre les tombes, c’était calme. Au moins, entre les morts, il n’avait plus à subir les insultes de ses camarades de classe le traitant de Saupreuß, une injure locale désignant les Allemands récemment chassés des territoires devenus polonais en 1945. À Wasserburg am Inn, en Bavière, le petit garçon tentait de faire face à la discrimination et à la pauvreté. Après avoir été traîné dans un lac à dix degrés puis lapidé à coups de pierres par ses camarades, Michael avait quelque peu perdu foi en ses congénères. Alors, au cimetière, il se sentait en sécurité, suivant à la trace le vieux fossoyeur Haberl. “Un jour, je l’ai vu ouvrir une tombe. Il a pris les vieux os et les a mis dans un panier. Je lui ai demandé ce qu’il faisait et il m’a dit: ‘Viens, mon petit, je vais te montrer.’” Le vieil homme entraîne le petit garçon au fond du cimetière, où sont empilés des os et des fleurs séchées dans une espèce de grande décharge négligée. “Tu vois, c’est là qu’on finit lorsqu’on arrête de payer!” Soixante ans plus tard, Michael Lenke se souvient encore de cette phrase, qui l’a suivie toute sa vie. “J’ai toujours essayé de faire tout ce que j’ai pu pour ne pas finir dans la décharge.” Sa première stratégie consiste à tenter de bien travailler à l’école, malgré le manque d’argent qui l’empêche de se procurer les manuels scolaires. Puis à survivre aux 18 mois qu’il doit passer chez les CRS allemands en guise de service militaire, pile au moment des manifestations étudiantes de 1968. Et enfin, à se former en tant qu’ingénieur agricole, un métier qu’il n’exercera pas longtemps tant il le trouve ennuyeux. Désormais âgé de 23 ans, Michael pense toujours aux vieux os abandonnés. Il se demande comment devenir riche. “J’inventais toujours des choses étant petit, alors j’ai continué. J’ai inventé des produits qui se servaient de la luminothérapie, des recettes cosmétiques, et puis, le Happy Bonsai.” Derrière ce nom se cache une technologie permettant aux plantes de rester miniatures. Si l’utilité ne semble pas évidente, le business est pourtant juteux. À 27 ans, Michael vend son brevet pour presque deux millions d’euros. Il a atteint son but. Sauf qu’il se rend compte que la recherche, au fond, le motive plus que la richesse. “J’aurais pu arrêter de travailler mais j’avais toujours envie d’inventer des trucs, explique-t-il. Aujourd’hui, il y a plus de 1 000 brevets à mon nom!” Les années passent. Alors que la quarantaine approche, le Bavarois, tout occupé à sécuriser une belle place au cimetière, en a oublié de trouver l’amour. Comme d’habitude, Michael réfléchit en ingénieur: à chaque problème, sa solution. Il passe une petite annonce dans un journal local. “C’était une lettre adressée au Père Noël, il lui demandait de lui faire rencontrer une femme sympa. J’ai trouvé ça drôle, alors j’ai répondu”, sourit aujourd’hui Brigitte. “C’était en 1987”, ajoute-t-elle.
Dans le couple, c’est Brigitte qui se souvient des dates. 1987: quand ils sont partis vivre en Suisse, où Michael vendait des inventions médicales et où elle travaillait dans une banque. 1996: quand Michael a pu réaliser un rêve d’enfance, s’offrir une plantation d’oranges en Espagne. 1998: quand le couple a dû vendre ladite plantation après un “sérieux coup dur” en Suisse qui leur a fait perdre “98% de la fortune”. Pour Michael, tous ces marqueurs temporels importent peu. Ce qui compte, dit-il, c’est qu’après des coups réussis et des coups ratés –le dernier se soldera par une dépression en 2008–, le couple a su “revenir au top”. Néanmoins, il y a une date qu’il n’oubliera jamais: 2013. Soit l’année où il a lu par hasard une étude américaine sur l’orgasm gap, littéralement le “fossé” séparant les femmes et les hommes lorsqu’il s’agit d’orgasme. Une étude Ifop de 2019 confirmait le phénomène: une femme française sur quatre déclarait ne pas avoir joui lors de son dernier rapport sexuel, contre un homme sur sept. Michael Lenke ne s’était jamais posé la question de cette inégalité face à l’orgasme. “J’ai alors commencé à essayer de comprendre pourquoi. J’ai fait des recherches, j’ai interrogé beaucoup de gynécologues, j’en ai beaucoup parlé avec Brigitte.” Chez eux, à Metten, il descend chaque jour les escaliers jusqu’au cellier. S’empare de la pompe à eau d’un aquarium dans une main, d’un tube en plastique dans l’autre, et réfléchit. “Le clitoris a beaucoup de nerfs, donc j’ai pensé que c’était certainement la solution, mais comment? rejoue-t-il. J’ai imaginé un système d’air pulsé, qui ne serait pas invasif.”
Michael a beau avoir des idées, il est dans l’impossibilité anatomique de les tester. Parfois, il pose le tube sur son nez pour sentir les vibrations, puis se tourne vers Brigitte: “Ça fonctionne, non?” Pendant deux ans, alors que personne n’est au courant des travaux du couple, c’est elle qui va devoir tester les différents prototypes. Généralement, cela se passe en fin d’après-midi. Michael remonte du cellier et lui lance des regards de chien battu. “S’il te plaît, va essayer encore une fois”, la supplie-t-il. Brigitte ne garde pas beaucoup de bons souvenirs de cette première année. “C’était beaucoup trop puissant! J’avais l’impression que ça allait m’envoyer au plafond comme une fusée! J’ai dit: ‘Non, non, non, il faut que ce soit beaucoup plus doux.’” D’après son mari, Brigitte a aussi beaucoup dit “laisse tomber”. “Alors j’arrêtais pendant un mois ou deux, mais je reprenais dès que j’avais une nouvelle idée.” Au bout d’un an, l’engin devient plus cohérent. Les sensations font progressivement leur apparition. Il faut bien maîtriser la montée en puissance et prévoir plusieurs vitesses pour s’adapter au plus grand nombre. Alors que Michael touche à sa deuxième année de test, Brigitte remonte un jour du cellier. “Ça y est, dit-elle. Ça va être un succès mondial.” Avant la fin 2014, le produit est mis sur le marché.
La revanche du clitoris
Sept ans plus tard, Hallie Lieberman, autrice américaine de Buzz: A Stimulating History of the Sex Toy, a eu tout le temps d’analyser le succès du Womanizer. “Il accélère une tendance, celle du sextoy non phallique, dit-elle. Dans les années 70, Gosnell Duncan (un Américain qui avait inventé un sextoy après être devenu paraplégique, ndlr) en faisait déjà. Parce que le pénis ne stimule pas le clitoris et que des femmes ont toujours cherché quelque chose qui le stimule. Mais ce n’est que depuis quelques années que ces instruments sont devenus mainstream.” Après des décennies caché, ignoré, le clitoris est désormais partout: sur les murs en guise de street art, sur Instagram avec des comptes comme @jouissance.club, @gangduclito et @jemenbatsleclito, qui rassemblent des centaines de milliers d’abonnés, sur france.tv avec la série documentaire Clit Revolution, dans les discussions, dans les manuels de science. Un mouvement qui a forcément participé à l’immense succès du Womanizer. Céline, 35 ans, s’est acheté le sien sur les conseils de copines et a obtenu un code promotionnel en écoutant un podcast. Elle a longtemps eu une relation compliquée avec le clitoris, pour finalement se réconcilier. “Quand j’avais 5 ou 6 ans, une copine m’avait montré un livre pour les enfants sur l’anatomie, le clitoris y était dessiné, raconte-t-elle. Elle m’avait dit que si on faisait des ronds avec le doigt dessus, ça procurait du plaisir.” La petite fille prend l’habitude de se masturber, mais culpabilise et pense même “qu’un jour, il faudra l’opérer” pour réparer les dégâts. “Même quand j’étais ado, c’était tabou, il n’y avait que les garçons qui pouvaient dire qu’ils se masturbaient. Pour une fille, c’était être bizarre ou obsédée.” Ce n’est que quelques années plus tard que Céline a réalisé qu’elle ne pouvait jouir qu’en stimulant son clitoris, aujourd’hui un allié de taille. Même constat chez Angela, 29 ans, à qui ses amies ont offert un Womanizer pour ses 26 ans.
“Quand j’étais ado, c’était tabou, il n’y avait que les garçons qui pouvaient dire qu’ils se masturbaient. Pour une fille, c’était être bizarre ou obsédée”
Céline, utilisatrice
“Avant ça, j’étais pas du tout sextoy. J’en avais eu un dans ma vie, mais ça me faisait plus chier qu’autre chose, je ne trouvais pas ça naturel. Mais le Womanizer est devenu un sujet de conversation normal, je me suis retrouvée plusieurs fois à en parler en prenant un verre avec des groupes d’amis très différents.” Si bien que la jeune femme se décide enfin à l’essayer. Elle parle d’une “révélation”: “Le plaisir a été tellement intense que pendant six mois, je n’avais plus envie ou besoin de coucher avec un mec. Je me satisfaisais juste de mon Womanizer.” Cela signifie-t-il que le Womanizer est discrètement devenu l’arme ultime contre le patriarcat, l’outil d’un détachement total de la femme hétérosexuelle du joug de l’homme? L’idée n’est pas neuve. Dès les années 60, la féministe Betty Dodson, à la recherche “du soi sexuel”, avait vanté les sextoys comme outils de libération des femmes et considéré l’orgasme comme un droit fondamental, au même titre que le droit de vote. “Le Womanizer a forcément un côté féministe puisqu’il éduque au plaisir et apporte une émancipation non dépendante d’une tierce personne, pose la sexothérapeute Nathalie Giraud Desforges. Il s’agit d’apprendre à mieux connaître son corps et ce qu’on aime, avant d’aller voir l’autre.” De leur côté, les hommes semblent également bien s’entendre avec le Womanizer, qui se présente plutôt comme un allié que comme un concurrent. “J’en avais tellement parlé librement devant n’importe qui que quand mon mec est devenu mon mec, il m’a très vite demandé de le sortir! raconte Angela. Maintenant, c’est lui qui encourage ses potes à en acheter à leur copine.”
“On voulait vendre à des gens normaux”
“Je voulais juste inventer quelque chose d’utile pour le plus grand nombre. Ce n’est que longtemps après que j’ai réalisé que c’était un produit féministe”
Michael Lenke, inventeur du Womanizer
Pris dans ses équations et ses étapes de fabrication, Michael Lenke n’a pas eu le temps de penser aux implications féministes de son invention. “À l’époque, je voulais juste inventer quelque chose d’utile pour le plus grand nombre, réfléchit-il. Ce n’est que longtemps après que j’ai réalisé que c’était un produit féministe.” Alors que Brigitte s’estime enfin satisfaite du prototype de Michael, un autre problème se pose rapidement. “Il marchait sur Brigitte, mais sur les autres femmes? Il fallait le tester sur plus de monde, mais on ne pouvait pas demander aux voisins!” Le couple se tourne alors vers le plus important club libertin de la région, qui accepte de proposer à ses clientes de tester le prototype de Michael. Pendant cinq mois, une soixantaine de femmes âgées entre 18 et 65 ans en font l’expérience. “On l’a fait comme une recherche médicale. Au début, elles étaient un peu surprises de la démarche, mais au bout de deux mois, les candidates nous suppliaient d’essayer! On a eu un résultat d’environ 90% de réussite”, vante l’inventeur. Il s’agit ensuite de trouver un nom au produit. Pas facile. “Il fallait parler aux femmes et que ça marche dans toutes les langues. Sur ce point, on n’a pas vraiment réussi, on ne savait pas que womanizer, aux États-Unis, était un terme péjoratif!” En Amérique, en effet, l’expression désigne un “homme à femmes”. D’abord réticents, les futurs partenaires américains finissent néanmoins par renoncer à obliger le couple à changer le nom. Il faut dire que l’offre est trop belle. “Toutes les entreprises avec lesquelles on voulait collaborer ont testé le produit et dès qu’elles voyaient les résultats, elles voulaient travailler avec nous.” Pendant trois ans, le couple vend le Womanizer sur différents sites, dans différents pays, travaille 100 heures par semaine, ne prend jamais de vacances. Les Lenke gèrent seuls l’amélioration de la technologie, le design, le packaging, les comptes, sans oublier le marketing. “C’était mon idée de vendre le Womanizer comme un produit du quotidien, quelque chose à ranger dans la catégorie lifestyle, et non porno”, explique Michael. D’ailleurs, les deux Allemands déclinent systématiquement les offres que leur formulent plusieurs stars du X, qui souhaitent faire la promotion du sextoy. “Si on avait dit oui, on n’en serait pas là aujourd’hui. On voulait vendre à des gens ‘normaux’, que le Womanizer soit quelque chose que l’on puisse offrir en cadeau. J’en ai même donné un à ma fille!” Bien vu. Dès 2016, Michael et Brigitte réalisent un chiffre d’affaires de plus de dix millions d’euros.
Aujourd’hui, Johanna Rief est une femme heureuse. Cheffe des relations publiques et de “l’empowerment sexuel” chez Womanizer, son job serait presque trop simple: vendre, en 2021, un produit qui soit à la fois féministe, instagrammable, hygiéniste, high-tech, bon pour la santé et écologique. Pas étonnant que la jeune trentenaire allemande s’exprime comme un livre de développement personnel: “Chez Womanizer, nous sommes déterminés à montrer que la masturbation est quelque chose de naturel, sain et magnifique, récite-t-elle. Nous proposons un dialogue ouvert et sans gêne sur le plaisir féminin afin d’encourager tout le monde à atteindre son accomplissement sexuel.” Pour vendre cet accomplissement, la marque continue de suivre le mantra imposé par Michael: le Womanizer n’est pas un produit, c’est un “mode de vie intime” ; ce n’est pas un sextoy, c’est un médicament pour le corps et l’esprit ; et on ne le retrouve pas dans les grands salons de l’industrie du porno, mais dans les festivals de bien-être comme le Wanderlust, où de beaux jeunes gens viennent se rassembler pour faire du yoga. “Plus une marque éloigne son produit du sexe, plus elle a de chance de devenir mainstream”, analyse Hallie Lieberman, qui rappelle que dans les années 1900, les vibromasseurs étaient déjà vendus comme des produits de beauté. Elle développe: “Vendre son sextoy comme un produit de santé permet d’être intégré au marché du bien-être, notamment sur Instagram, où les pubs trop sexualisées sont bannies.”
Pour tester son produit, le couple se tourne vers le plus important club libertin de la région, qui accepte de proposer à ses clientes de tester le prototype. Pendant cinq mois, une soixantaine de femmes âgées entre 18 et 65 ans en font l’expérience.
Mais la publicité n’en est pas pour autant mensongère: l’orgasme est, en effet, bon pour la santé. Il libère de l’endorphine et détend du stress, il a un effet antidouleur et “permet au mental de se reposer, parce que la détente vient par le corps”, explique Nathalie Giraud Desforges, selon qui “dans un couple, l’ocytocine libérée par l’orgasme va aussi provoquer le sentiment d’attachement”. L’orgasme a également un effet sur les douleurs menstruelles. “90% des femmes qui ont participé à notre étude sur le sujet ont indiqué qu’elles recommanderaient la masturbation contre ces douleurs”, indique Johanna Rief. Tant d’études scientifiques, de discours lissés et de design épuré, que l’on en oublierait presque que le sextoy est une histoire de sexe. Alors que c’est bien la jouissance que le Womanizer vend en premier lieu. Et qu’il tient promesse, comme en témoigne Adèle, 28 ans. “Je n’avais jamais eu d’orgasme avant, j’avais pourtant eu une vingtaine de partenaires et un mec pendant quatre ans. J’ai donc découvert l’orgasme à 26 ans grâce au Womanizer, ça m’a rassurée de savoir que je pouvais en avoir, moi aussi. Et je me suis aperçue en en parlant autour de moi que je n’étais pas la seule!” Rien d’étonnant pour Nathalie, la sexothérapeute, qui conseille souvent le Womanizer à ses patientes qui n’ont jamais eu d’orgasme, connaissent un blocage ou ont besoin de se réapproprier leur corps. Elle qui a participé aux consultations qu’organise parfois la marque avec des sexologues, relève cependant un détail: “À l’époque, elle communiquait beaucoup sur le fait que le Womanizer garantissait l’orgasme à tout le monde. Je leur ai conseillé de réviser un peu cet aspect du marketing car il ne faut pas que ça sonne comme une injonction, sinon les femmes sur qui ça ne fonctionnera pas se croiront anormales, et cela peut renforcer un blocage.” Il est vrai qu’à lire les commentaires dithyrambiques sur le site de la marque, le Womanizer peut parfois apparaître comme un fast-food du sexe, une réponse ultra-efficace et rapide à un besoin physique. Céline, Angela et Adèle l’ont toutes les trois noté, et c’est un bémol –le seul– qui semble revenir souvent: l’orgasme serait, en vérité, devenu trop facile. “Parfois, je me surprends à comparer un rapport sexuel aux sensations du Womanizer”, murmure Adèle. Céline renchérit: “Je me sens moins sensible pendant une relation depuis que je l’utilise régulièrement. Je pense qu’il ne faut pas abuser de sa facilité.” Pour palier à cette impression d’usine de l’orgasme à la va-vite, les derniers Womanizer ont hérité d’une fonction “autopilot” qui laisse l’engin alterner lui-même entre les puissances et créer l’illusion de la spontanéité humaine. Pour Hallie Lieberman, cette facilité n’est pas un défaut: c’est le prix à payer de l’égalité. “Cet orgasme clinique n’est pas mon préféré, mais pourquoi ne pas avoir cette option? Je pense que le positif, c’est qu’il y ait le plus d’orgasmes possibles accessibles aux femmes.”
Dr Clit et ses fans
“Des femmes de 70 ans qui nous racontent que c’est le premier orgasme de leur vie, ou d’autres qui ont eu un cancer et qui ont géré leur douleur grâce à cela. Quand on a inventé le Womanizer, on n’avait pas pensé à tout ça.”
Michael et Brigitte ont laissé le Womanizer derrière eux en 2017. Le rythme de travail était devenu trop éreintant, et la retraite trop tentante. “On a choisi de vendre à un groupe d’investisseurs privés contre un gros chèque avec beaucoup de zéros (depuis, ce groupe s’est allié au canadien We-Vibe pour devenir l’entreprise qui vend actuellement le Womanizer, Wow Tech, ndlr). Maintenant, j’ai plus de 70 ans, j’ai envie de me détendre.” La même année, le couple s’est donc acheté cette maison de 700 mètres carrés dont la piscine surplombe l’île. Il a été question un temps d’opter pour Monte-Carlo, mais Michael s’est souvenu à temps d’une chose: il ne supporte pas “les gens qui se la racontent”. Ici, à Majorque, il fréquente “des gens normaux”. Mais difficile d’échapper à son destin. Dans la rue, les gens l’appellent parfois, affectueusement, “Dr Clit”. Il lui arrive même de recevoir du courrier sous ce nom. Des centaines de lettres venues du monde entier, qui disent toutes merci. “Des femmes de 70 ans qui nous racontent que c’est le premier orgasme de leur vie, ou d’autres qui ont eu un cancer et qui ont géré leur douleur grâce à cela. Quand on a inventé le Womanizer, on n’avait pas pensé à tout ça.” Dans la pile du courrier, se glissent aussi souvent des lettres de leur plus grand fan, un Franco-Vietnamien qui possède plus de 50 modèles chez lui. “Il nous envoie des photos de ses enfants maintenant, on est devenus amis!” Ces derniers temps, malgré la retraite, Michael a tout de même trouvé l’occasion de breveter une nouvelle invention: un sextoy, cette fois pour hommes. Baptisé “Orctan” et déjà disponible en Allemagne et en Suisse, il est censé reproduire les sensations d’une fellation. Mais ce coup-ci, Michael Lenke ne parcourra pas le monde pour le défendre. En Allemagne et à Majorque, il s’est découvert deux nouvelles passions: la musique techno et la peinture. Ses grandes toiles de 180 sur 120 centimètres parsèment la grande maison jusque dans la salle de bains, évoquant parfois les graffitis colorés du mur de Berlin: toujours une explosion de couleurs chaudes, vivantes, projetées. Quelque part, cela ressemble un peu à un orgasme. – Tous propos recueillis par HC