Peu médiatisés par les pays occidentaux, boudés par les chefs d’État, les Jeux européens se déroulent en ce moment même à Bakou, capitale de l’Azerbaïdjan. Englué dans un conflit vieux d’une vingtaine d’années avec l’Arménie, cerné par l’Iran et la Russie, le petit pays pétrolier du Caucase tente d’endiguer son isolement à coups de millions d’euros. Récit d’une aventure sportive qui sent le pétrole, la corruption, la censure, mais aussi, un peu, l’espoir.
Par Quentin Müller et Vincent Berthe / Photos : Vincent Berthe
Bakou, première ville organisatrice des Jeux Européens. Et la dernière ?
Plongés dans l’obscurité du stade olympique de Baku, quatre hommes bedonnants s’avancent timidement dans l’arène, le drapeau arménien en tête de cortège. Aucun des 18 athlètes arméniens n’a osé prendre part au traditionnel défilé des nations olympiques. Et pour cause : à l’annonce du pays ennemi par la speakerine, 70 000 sifflets dévalent les travées de l’immense enceinte.
La bisbille entre les deux nations remonte à 1988. Après l’effondrement de l’URSS, l’Azerbaïdjan doit faire face au chaos interne et la région du Haut-Karabagh, à majorité arménienne, en profite pour proclamer son indépendance. L’État azéri envoie alors ses blindés pour rétablir l’ordre. Problème : l’Arménie aussi. De 1991 à 1994, la guerre fera des milliers de morts et de déplacés. Depuis, le conflit est larvé : sur le plan international, un triumvirat composé des États-Unis, de la France et de la Russie est en charge, depuis plus de 20 ans, de trouver une issue au conflit. Longtemps dans l’ombre de son ennemi, l’Azerbaïdjan a grandement bénéficié du boom pétrolier de 2005. Si bien que le pays peut se permettre aujourd’hui de rattraper son retard sur la scène internationale grâce à une diplomatie culturelle. Dans sa vitrine, l’organisation en grande pompe de l’Eurovision 2012 et des Jeux européens 2015.
Nurlan Ibrahimov, à peine la trentaine, n’a pas connu la guerre. Trop jeune. Il s’occupe de la communication du club de foot du Haut-Karabagh, déplacé à Bakou du fait de la guerre. Pour lui, ces Jeux européens sont une réelle chance pour le pays : “En France, comme partout en Europe, il existe un lobby arménien fort. Nous, le sport, c’est notre arme pacifique pour le contrer et montrer qui on est.” “L’Arménie a beau occuper 20% de notre territoire, on est pas devenus pour autant des sauvages, confirme Ujal Suetidiyev, médecin du sport. La preuve, on les laisse concourir aux Jeux et ils ont pu défiler avec toutes les autres nations.” Si l’effet diplomatique de la compétition semble faire consensus chez les Azéris, son coût a en revanche fait débat.
Kiosques parisiens et “façadisme”tragique
Ces doutes, le président Ilham Aliyev et son épouse, Mehriban Alieva, ne les partagent pas. En attestent les investissements considérables effectués. Denis Masseglia, représentant du Comité national olympique et sportif français, le confirme de manière un peu maladroite : “Si on a choisi l’Azerbaïdjan pour cette première édition, c’est parce qu’il était l’unique candidat.” À Bakou, tout est bon pour en mettre plein les mirettes. Le village olympique en est l’archétype. Construit à quelques centaines de mètres du stade olympique, c’est une vingtaine de logements d’un style faussement haussmannien, qui surplombent Bakou et la mer Caspienne. On est loin, très loin, du style soviétique et mauresque de la vieille ville. À l’occasion des Jeux européens, l’oligarchie a accéléré le maquillage de sa capitale, cherchant à effacer les stigmates de l’ère soviétique, et toutes traces de logements populaires dans le centre-ville.
Le soir venu, les familles convergent vers le Park Bulvar afin de profiter des animations sportives liées aux Jeux européens.
Sauf que très peu d’étrangers sont venus profiter du Bakou new look. “Tu vois tout ce monde ce soir, eh bien il n’y a pas un touriste.” Elvin, jeune étudiant à la fac de droit de Bakou, se désole déjà des faibles retombées économiques des Jeux. Malgré tout, on peut lire sur les visages des locaux une certaine joie. Beaucoup viennent en famille profiter des animations sportives organisées par la ville. Mais Elvin n’est pas dupe: “Ce sont de faux jeux. Quand on voit que les Pays-Bas ont annulé leur candidature pour la prochaine édition, on se dit que c’est du gâchis tout cet argent.” Les Bataves ont en effet refusé de débourser 57,5 millions d’euros, prétextant un “niveau sportif insuffisant.”
Selon les chiffres officiels, l’Azerbaïdjan a, lui, investi un milliard d’euros dont, par exemple, pratiquement 170 millions d’euros pour le seul Shooting Center, destiné au tir à l’arc et à la carabine. Au-delà des dépenses faramineuses pour la cérémonie d’ouverture ou les infrastructures sportives, c’est le “façadisme” qui divise le pays. Le 19 mai dernier, à un mois de l’ouverture des Jeux, un immeuble entier a pris feu, faisant quinze victimes, dont des enfants. Un incendie totalement accidentel mais qui aurait pu être évité sans l’infernale course au faux. Pour dissimuler des bâtiments disgracieux, pas assez “occidentalisés”, l’État azéri s’était, depuis plusieurs années, attaché à redécorer à tout-va. Les ouvriers locaux avaient pour ordre de poser de jolies façades en plastique, simplement recouvertes d’une fine couche d’enduit. Avec la chaleur et le léger espace laissé entre le plastique et l’enduit, les bâtiments rénovés se sont transformés en torches. Arif Mammadov, ancien ambassadeur, a révélé les liens étroits entre l’entreprise chargée des faux revêtements, Global Constructions, et les services d’État censés contrôler les travaux. De quoi expliquer un certain laxisme sur les questions de sécurité. “L’incendie venait du revêtement en mousse polyuréthane appelé Styrofoam qui a servi à rendre plus joli les immeubles délabrés de notre capitale “, s’indigne Arif Mammadov, réfugié à Bruxelles et qui se dit menacé de mort. La corruption, c’est le coeur de notre système politique. Nous c’est pas une monarchie absolue, c’est une ‘corruption absolue’.”
L’Azerbaïdjan d’Ilham Aliev occupe la 162e place sur 180 au classement 2015 de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières.
Élue, en 2012, personnalité la plus corrompue du monde par l’ONG Organized Crime and Corruption Reporting Project, Ilham Aliyev ne s’est pas taillé une réputation de grand admirateur de la presse. Si quelques médias d’oppositions existent, leur marge de manœuvre demeure très limitée. Un paradoxe, au vu du nombre de kiosques en ville. Kiosques d’ailleurs totalement “relookés” à la sauce parisienne. Une initiative assumée par la très francophile première dame qui veut faire de Bakou le “Paris de l’Orient”. Sa dernière lubie, le projet White City : un quartier d’affaires grandement inspiré de La Défense et tout une série d’immeubles haussmanniens. Certaines grandes marques ont d’ailleurs investi le centre de Bakou récemment. Mais les clients se font rares. “Je me demande comment ils font pour maintenir leur boutiques ici. Même avec les Jeux il n’y a jamais personne, c’est toujours vide”, commente Anava*, professeure de français à l’université de Bakou. Celle-ci ne touche que 350 euros par mois et remercie le pouvoir soviétique de l’époque de lui avoir obtenu un appartement dans la capitale. “La cérémonie d’ouverture des Jeux c’était bien joli mais moi, j’ai d’autres chats à fouetter.”
Lady Gaga en guest-star
Peu importe les problèmes sociaux de ses citoyens, l’État azéri a assuré comme il l’entendait le bon déroulement de ces premiers Jeux européens. Tous les opposants du régime et autres journalistes gênants ont été muselés, aucune victime n’a officiellement été déplorée pendant les travaux, et les infrastructures ont été rendues à temps. Clou du spectacle, le lunaire Imagine, interprété par Lady Gaga, venue en guest-star.
Les Flame Towers, inaugurées en 2012, surplombent la baie de Bakou. Le symbole du renouveau urbain.
L’Azerbaïdjan a globalement remporté son pari. The Land of Fire jouait gros. Une obsession qui tournera parfois à la phobie, comme ce fut le cas le jour de la cérémonie d’ouverture, où 70 000 spectateurs étaient attendus au stade olympique. Jamais l’État azéri n’avait eu affaire à une aussi grande affluence. Il a ainsi mobilisé des centaines de militaires et de policiers, disposés tous les cinq mètres, dans chaque couloir de métro et le long de la route qui mène au stade, où des hommes-pancartes avaient pour consigne d’indiquer une direction sans aucune bifurcation. L’événement se voulait grandiose, jamais vu. Dans un pays qui ne rayonne habituellement pas sur le plan international, nombreux Azéris ont ressenti de la fierté. Avachi sur son siège du stade olympique, Ruslan, président des associations touristiques, est forcément heureux: “C’est un honneur pour nous Azerbaïdjanais. Tu te rends compte ? On est la capitale d’Europe du sport ce soir. Erdogan et Poutine sont venus nous voir !” Plus bas, dans la tribune de presse, Rustam, journaliste sportif pour Azerisport.com, rentre en vitesse chez lui. L’homme n’a jamais eu autant de travail de toute sa jeune carrière. ”Les jeux, c’est un pont jeté entre l’Azerbaïdjan passé et l’Azerbaïdjan futur.” À moins que ce ne soit qu’une façade.
* Le prénom a été changé
Par Quentin Müller et Vincent Berthe / Photos : Vincent Berthe
De son premier film, Control, sur la vie du leader de Joy Division Ian Curtis, à ses photos d’artistes comme David Bowie, U2, Nirvana, Tom Waits et Depeche Mode, Anton Corbijn a toujours été fasciné par la musique et ceux qui la font. Avant la sortie, à la rentrée, de son nouveau film Life, le travail du photographe hollandais est mis à l’honneur dans le livre 1.2.3.4. L’occasion pour lui de parler coulisses et époque révolue.
Par Raphaël Malkin / Photo : Samuel Kirszenbaum
1.2.3.4
Pourquoi avez-vous choisi de vous concentrer sur la photographie de musiciens pendant tout un pan de votre carrière?
Vous savez, j’ai grandi sur une petite île où il ne se passait jamais rien. Gamin, j’avais terriblement envie de partir pour découvrir le monde. Ce qui m’intriguait le plus, c’était l’univers de la musique. J’écoutais des chansons à la radio et j’étais fasciné. Les chanteurs, les musiciens étaient comme des personnages incroyables. Je voulais savoir à quoi ressemblait leur vie, être à leurs côtés. Je crois que, finalement, la photographie, n’a été qu’un moyen de me plonger dans cet univers. Je mourrais d’envie d’en faire partie. Ça avait l’air tellement plus excitant que le quotidien sur mon île.
Vous avez réussi à en faire partie, alors?
Dans une certaine mesure, oui. Je me suis retrouvé en studio avec des chanteurs, dans des coulisses de concerts, des chambres d’hôtel, des avions. Des mecs ont joué de la musique tout spécialement pour moi. Après un shooting, Elvis Costello s’est mis à jouer juste comme ça ; Bono a chanté pour mon anniversaire. Pour ma dernière exposition, Nick Cave était là. Je crois que j’ai réalisé mon rêve.
Est-ce qu’il y a une manière particulière de travailler avec des chanteurs?
Il faut savoir à qui on a affaire. Du coup, je me suis beaucoup documenté avant de rencontrer tous ces gens. J’ai pris le temps d’écouter ce qu’ils faisaient, quel était leur parcours, leur vie. Quand je les rencontrais, j’étais préparé, je savais ce qui se passait dans leur tête. Ça change complètement la manière de regarder quelqu’un, on ne peut plus photographier la personne d’une manière neutre. La photo doit prendre en compte l’histoire de la personne. Ça n’a rien à voir avec le fait de croiser quelqu’un dans la rue et de le photographier comme ça, sur le tas. C’est un boulot compliqué, parfois ennuyeux aussi. Je ne suis pas un photographe de studio qui enchaîne les portraits. Je voyage, je passe du temps dans les avions pour prendre seulement quelques photos. Pour photographier Miles Davis pendant dix minutes, ça m’a pris quatre jours. J’ai pris un avion pour le Canada et j’ai poireauté pendant deux jours sur place avant d’obtenir le droit de le rencontrer.
Est-ce facile d’approcher les chanteurs, pour les photographier ?
Il faut passer du temps avec eux, les habituer à sa présence. Il faut arriver à se muer en une sorte de membre de leur famille. C’est la seule façon de faire oublier à ceux que l’on photographie qu’il y a un objectif d’appareil photo qui les fixe. On doit se fondre dans le décor. Si on y arrive, on se retrouve à vivre des moments incroyables d’intimité, à immortaliser des instants que personne ne devrait voir. À la fin des années 1970, j’ai rencontré en Hollande un joueur de piano. Il faisait partie d’un groupe qui faisait des reprises de vieux classiques rock, de Chuck Berry. J’ai commencé à le fréquenter. Il a fini par quitter son groupe et est devenu très connu en tant qu’artiste solo. Je passais beaucoup de temps avec lui et j’ai fini par connaître tous ses travers : c’était un junkie, un homme à femmes aussi. Il était sacrément rock. Je l’ai suivi pendant des années et des années. Je ne l’ai jamais lâché. Il s’est suicidé et sa famille m’a demandé de prendre des photos à son enterrement. Comme si je faisais partie de la famille. Cette relation, ce boulot, m’ont servi de modèle pour tous les travaux que j’ai menés ensuite avec d’autres musiciens, pour U2 comme pour Tom Waits.
Vous avez suivi certains groupes ou artistes pendant des années, comme U2 justement ou Metallica. Est-ce que vous avez senti un changement dans leur rapport à la photo, à travers le temps ?
Avec U2, c’est flagrant. Au début de leur carrière, ils étaient timides, assez mal à l’aise avec l’idée d’être photographiés. Ils ne savaient pas trop comment se comporter face à l’objectif, ils n’avaient jamais la bonne pose. Aujourd’hui, ils veulent tout commander, tout contrôler. Comme s’ils se photographiaient eux-mêmes. Ils savent exactement ce qu’ils veulent et sont parfaitement conscients de ce que la photo peut leur apporter.
En regardant toutes ces photos en noir et blanc de chanteurs et d’artistes qui étaient à leur apogée dans les années 1980 ou 1990, on a l’impression d’être au milieu d’une sorte de paradis perdu, aussi. Vous regrettez cette époque ?
Je vais vous dire une chose : je ne pourrais pas faire le même travail aujourd’hui. Photographier des chanteurs, cela n’a plus aucun intérêt aujourd’hui. Il n’y a plus aucun mystère, tout est disponible partout, on est inondés de photos. Et puis, la musique a perdu de son influence dans nos sociétés. C’est le règne du divertissement, maintenant. Quel artiste incarne la voix d’une génération, aujourd’hui ? Aucun. Pour moi, en tous cas. Si je devais démarrer la photo, je ne choisirais pas la musique comme objet d’étude. Et puis on ne peut plus photographier comme avant. Prenez cette photo que j’ai faite du rappeur new-yorkais LL Cool J, par exemple. C’est une photo où on le voit à peine. Il est dans un coin, on voit son reflet dans une flaque d’eau. Si vous faîtes ça aujourd’hui pour un magazine, vous perdez votre boulot. Les gens veulent voir les choses, il faut que ce soit clair. La plupart des photographes, aujourd’hui, jouent la sécurité pour plaire aux magazines. Ils photographient l’idée qu’on se fait d’un artiste, pas l’artiste en tant que tel.
Anton Corbijn – 1.2.3.4. (Éditions Xavier Barral)
Par Raphaël Malkin / Photo : Samuel Kirszenbaum
Paille, costumes à 2 500 euros et piquages de somme.
Par Léa Lestage, Nathan Marqué et Hadrien Mathoux
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Camping Paradis.
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Qui des Alliés a la plus grande ?
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Qui des Alliés est le vrai Colonel Moutarde ?
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Espaces verts et camel toe.
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Pom-pom boys.
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Pause photo.
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Toilettes publiques.
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Onze soldats. Et pas un qui pense à alimenter le feu.
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Un homme qui dort.
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Un homme qui dort.
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Un homme qui dort.
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Une femme qui dort.
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Un homme qui dort (si, on l'a vu).
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Kitchenette.
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Anachronie.
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Le Petit Chaperon rouge.
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Soirée blanche sur le camp français.
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S'ils avaient su, à l'époque, que la cigarette électronique allait mettre tout le monde d'accord.
À la reconstitution organisée à l'occasion du bicentenaire de la bataille de Waterloo, ce week-end, il n'y avait pas qu'un speaker trop stressé, mais aussi 6 000 doux dingues venus se prendre pour les héritiers de la Grande Armée ou des Alliés sur les lieux du combat.
Par Léa Lestage, Nathan Marqué et Hadrien Mathoux
Un officier attablé devant son cornet de frites, un caporal soda à la main, un autre, sauce bolo au coin de la bouche. Revivre l’époque de Napoléon oui, mais pas tout à fait quand même. “À l’époque, les femmes volaient de la nourriture pour nourrir les soldats. Aujourd’hui, on se fait livrer par le traiteur, puis on réchauffe la nourriture sur le camp”, lâche une jeune femme en tenue d’époque. Sur le camp français, tout est orchestré pour que les soldats ne manquent de rien. De la baïonnette aux zones free wi-fi en passant par les stands food, l’armée de Napoléon n’a d’antan que la tenue et l’équipement. “Nous allons chercher du bois le matin pour la journée, les femmes vont chercher de l’eau”, raconte un soldat. Les bonnes dames reviennent, packs d’eau en bouteille sous le bras. Ici, l’ancien côtoie le moderne. Une sorte de reconstitution orchestrée avec le souci du détail, où le soldat devient un combattant 2.0. Pour revenir sur les terres de Waterloo, les fidèles et ennemis de Napoléon se sont vu offrir le transport, et certains ont pu bénéficier d’un visa à l’occasion du rassemblement. Pour faire revivre ce moment historique et assurer la subsistance des soldats, les subventions de quatre communes et de la Wallonie ont été mobilisées. Ce n’étaient pas les seules.
“C’est la grande bataille qu’on attend tous”
“Dites à mes enfants que je suis mort en héros.” C’est le plus sérieusement du monde qu’un officier lance ces mots à la foule venue assister au départ des troupes rapprochées de l’Empereur. Une procession de cavaliers défile en rangs serrés, l’air tendu et déterminé, moustache digne de l’époque impériale sous le
Mark n’a pas été choisi pour Waterloo 2015. Il est très, très déçu
Paul et Stanley
nez. Napoléon arrive, plus vrai que nature : petit, trapu, coiffé de son bicorne, il salue la foule. Ses officiers l’entourent, et clament sous le ciel menaçant : “À la victoire ! Ce soir, on rejoue le match, et on le gagne !” On s’y croirait.
Plus qu’un loisir, c’est une passion pour ces hommes et ces femmes. “Cela fait 24 ans que j’ai débuté grâce à un ami et je n’ai jamais changé. Je suis toujours resté un simple soldat. Ici tout le monde m’appelle par mon surnom dans l’armée : Laflotte”, livre Charlie, un Belge à la soixantaine bien trempée, qui combat dans l’armée française depuis toujours. Ces passionnés sont de toutes les reconstitutions : Iéna, Austerlitz et, donc, Waterloo 2015. “C’est la grande bataille qu’on attend tous, il n’y en aura plus d’aussi grandes après ça”, confient, avec une pointe d’émotion, Paul et Stanley, deux Américains vivant en Europe. Membres d’une association d’amitié franco-américaine, c’est leur cinquième reconstitution sur le Vieux Continent. Napoléon, une passion qui n’a, semble-t-il, pas de frontière.
Une sorte de rêve américain
“Les armes sont chargées à blanc, bien sûr, tout comme les canons, mais ça reste dangereux ! Les chevaux peuvent être effrayés. Les plans de bataille sont préparés à grande échelle par les officiers”, informent Paul et Stanley. “À notre niveau, on suit les ordres de nos supérieurs hiérarchiques. Il y a une part d’improvisation, et de jeu d’acteur, bien sûr. En réalité, on suit la cadence naturelle de la bataille, et quand arrive le moment où on sent qu’on doit se faire tuer, on meurt.” La mécanique, bien huilée, ne fonctionne en réalité que grâce à la bonne volonté de ces passionnés totalement investis pour faire revivre les batailles d’antan. Les Français sont rares, même dans la Grande Armée, ce qui amuse beaucoup les Américains. “Bon, il y en a quand même un peu, rigolent-ils. Dans notre régiment il y a 20 Américains et même des Anglais qui combattent pour Napoléon !” Les Russes, en uniforme de grognard, sont aussi venus en nombre. Mais la France, elle, se fait discrète. Elle boude la commémoration de l’une de ses plus grandes défaites militaires. Au point que même Bonaparte a failli être américain. “Nous connaissons le gars qui fait Napoléon dans toutes les reconstitutions, il s’appelle Mark Schneider. Il vit en Virginie, et parle français”, raconte Paul. “Le processus de désignation est un sujet sensible et, apparemment, l’organisation voulait vraiment que ce soit un Français qui fasse l’empereur. Mark n’a pas été choisi pour Waterloo 2015. Il est très, très déçu”, insistent les deux soldats.
De la poudre incrustée dans la joue
Loin de ces considérations d’élite, Franck et Anna trépignent dans le campement. Ce couple a déjà vécu les combats de l’Empire romain et de la Seconde Guerre mondiale mais les campagnes napoléoniennes ont pour lui une saveur différente. “On était déjà là en 2010 mais là, pour le bicentenaire, ça va être énorme”, souffle
Les 120 000 spectateurs quotidiens venus des quatre coins du monde ont pu repartir avec un souvenir
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Franck. Sa femme est presque possédée lorsqu’elle évoque l’âpreté supposée de ces combats d’opérette : “Bien sûr, on fait très attention avec nos baïonnettes. On porte des protections, car on peut se prendre des coups ! Certains peuvent se casser un os, et doivent alors être traînés hors du champ de bataille, comme il y a deux siècles !” Anna a des étoiles plein les yeux. “J’ai déjà eu une grosse écorchure sur tout le visage à cause d’un sabre. J’ai même de la poudre incrustée dans la joue, car les mousquets en projettent sur le côté au moment des tirs.” Bref, du bonheur. La passion originale de ces fous d’histoire est transmise au sein d’associations de mordus ou par la famille. Christophe, jeune Français de 22 ans, fait des reconstitutions depuis cinq ans. “C’est quelque chose qui te prend quand tu es tout jeune, confie-t-il. J’ai commencé en aidant ma famille, des amis, mes parents… Je n’ai jamais quitté ce monde.” Il est sous-officier dans le huitième régiment, et la Grande Armée reste pour lui une vraie famille. “Une journée au camp, avant le combat, c’est d’abord chercher du bois, faire à manger… Il y a une super ambiance !”
Un business lucratif, mais indispensable
“Pour accéder aux bivouacs, munissez-vous de bracelets à l’entrée”, informe l’organisation. Dommage, à 14h, il n’y en a déjà plus. Les visiteurs qui pensaient que les camps seraient accessibles gratuitement sont partis la fleur au fusil. Les bivouacs des Alliés, des Français et celui de Napoléon seront accessibles seulement pour les chanceux. Les “faux” soldats ne sont pas en manque d’idées pour s’immiscer dans les camps des “vrais”. Seul un bracelet permet de déceler les uns des autres, et chacun y va de sa ruse pour s’en procurer un. La solution de repli, pour goûter à la bataille sans le Graal : la montée de la butte au Lion, érigée en l’honneur de la victoire. Là encore, il faudra débourser 7 euros pour espérer faire sa plus belle photo. Aujourd’hui, la véritable commémoration est passée, laissant place à la fête et à un véritable business made in Waterloo. Les 120 000 spectateurs quotidiens venus des quatre coins du monde ont pu repartir avec un souvenir. Dans le village créé pour écouler les produits dérivés, les magasins de déguisements ou de livres d’histoire côtoient les stands qui proposent… scooters ou fromage. Les soldats déguisés déambulent dans les allées à la recherche du trophée à ramener. Une scène improbable qui rappelle l’anachronisme général qui règne sur les lieux. Un business lucratif, mais indispensable, lorsqu’on sait que 8 à 10 millions d’euros ont été investis pour redonner vie à cette bataille historique.
Il est 20h. Les coups de canons tant attendus fusent, et la fumée recouvre enfin le champ de bataille. L’attaque française est donnée. Le match se rejoue une énième fois, et au grand désarroi des officiers de Napoléon, l’armée française écopera d’une énième défaite.
La Pologne ne fait pas partie des pays les plus réputés gastronomiquement parlant. Elle s'est donc lancé un défi : changer le regard des gens sur sa cuisine, à grands coups de chefs passionnés.
Par Romane Ganneval
Vingt-cinq ans après la chute du communisme, Varsovie, qui a retrouvé depuis peu une image de ville moderne, souhaite redorer son blason gastronomique et atteindre le niveau de ses voisins européens dans ce domaine. Chou, patates, boulettes, gruau, vodka, voilà ce à quoi on réduit souvent la nourriture du pays de Jean-Paul II. Et pourtant.
Il faut le savoir, depuis les années 90, une nouvelle génération de chefs formés dans les meilleures écoles françaises puis revenus au pays tente de faire bouger les mœurs culinaires. Toutefois, il est très difficile d’introduire une nouvelle cuisine en Pologne. “Les Polonais sont très attachés à leurs origines et leur terroir. Nous travaillons des produits locaux. Ce qui est très plaisant là-bas, c’est que nous travaillons directement avec les producteurs. Même les supermarchés s’approvisionnent de cette façon. Nous n’avons pas ou presque pas d’intermédiaires”, explique Pawel Oszczyk. Champignons, céréales, betteraves, lentilles, fruits rouges, poissons d’eau douce… sont devenus des incontournables.
Bien mais pas top
À l’ambassade de Pologne, au cœur de Paris, près du ministère des Affaires étrangères, on a pour but de changer l’image de cette cuisine pas toujours appréciée à sa juste valeur. En début de semaine, l’étoile montante de “la nouvelle cuisine polonaise” Pawel Oszczyk s’est mis derrière les fourneaux.
Ce qui est très plaisant là-bas, c’est que nous travaillons directement avec les producteurs
Pawel Oszczyk
L’occasion pour ses hôtes de découvrir un joyau architectural presque inconnu construit en 1774 – pour Marie-Catherine Brignole, ex-épouse du prince Honoré III de Monaco –, un lieu hors du temps ouvert au public seulement lors des journées du Patrimoine et à l’occasion de quelques concerts privés pour les invités de madame l’ambassadrice. Mais surtout de voyager à travers leur assiette.
Lundi midi. Les convives sont assis en silence, les assiettes s’approchent. Impossible de faire marche arrière. Nous voilà au cœur de l’expérience gustative. Chacun médite son plat, l’observe sous toutes les coutures, le prend en photo. L’envie de le goûter est bien là mais, bienséance oblige, il faut attendre les commentaires du chef avant de se lancer. Selle de chevreuil marinée à la vodka de printemps de Polmos Siedlce, cônes de pins et jus d’herbe de bison. Cette plante consommée par les bisons dans l’Est de la Pologne, récoltée par quelques heureux, parfume de nombreux sauces et boissons, dont la légendaire Zubrowka.
Vient le temps de la dégustation. Le moment du verdict. Le gibier se découpe très facilement. Tendre à cœur. L’alcool de pomme de terre semble s’être totalement évaporé. Le jus, un peu plus délicat qu’un vulgaire jus d’herbe se fond parfaitement à l’ensemble. Les saveurs sont censées nous transporter… mais les sensations ne sont pas celles que l’on attendait. Malgré des ingrédients exotiques et la perfection du geste du chef, la recette semble tout droit sortie d’un livre de recettes français un peu poussiéreux. Pour le bon, on y est, pour le moderne on reviendra.
Par Romane Ganneval
Une course, quelle course ? Mieux qu’une histoire de voitures, les 24 Heures du Mans sont devenues un moment de vie, de fête et surtout de débauche. Résultat ? Les locaux attendent cela toute l’année et les étrangers viennent des quatre coins du monde pour se marrer. Sans jamais regarder le moindre tour de piste. Reportage à l’occasion de l’édition 2015.
Par Julien Proult / Photos : Renaud Bouchez
Il y a un truc dans l’air, et c’est un peu plus que l’odeur tenace de frites à peine cuites. C’est samedi soir au Mans. Au pied de la passerelle Dunlop, image d’Épinal des 24 Heures, une foule dense s’agite devant la grande scène, sur les bootlegs d’un DJ visiblement illustre. À quelques mètres de là, des hommes torse nu en bermuda font des auto-tamponneuses quand d’autres frappent dans un punching-ball. Les plus anciens se souviennent qu’à une époque, on y exposa “la plus grosse femme du monde” puis “la femme aux plus gros seins du monde”, et que ce n’était pas la même personne. Il est un peu plus de 23h et tout le monde danse. Il y a là quelques couples de 20 à 50 ans, des punks à chien qui roulent des joints, beaucoup de jeunes du coin. Parmi eux, Cyril, lunettes de soleil vertes, sac à dos et bouteille de mélange maison à la main. Il a 23 ans, il est agent de maintenance à la SNCF, manceau, et ce soir, sur l’esplanade des concerts du circuit de la Sarthe, il fait comme tout le monde: il saute en l’air. “On est là un peu pour la course, mais surtout pour l’ambiance autour, le village et les concerts. Pour une fois qu’il se passe quelque chose de bien au Mans!” Chaque année, la deuxième semaine de juin offre aux Manceaux trois soirs de concerts dans l’enceinte du circuit, au sud de la ville. Un festival en soi qui a programmé ces dernières années Shaka Ponk, Asaf Avidan, les BB Brunes, Razorlight ou encore Kill The Young. Il y a eu aussi Earth, Wind and Fire (sans aucun membre original), Alpha Blondy et UB40. En 2015, c’est l’électro-pop de Jabberwocky qui a ouvert le bal.
Côté scène.
Au même moment, l’ambiance est plus feutrée dans les “hospitalités”, ces bâtiments temporaires montés par les constructeurs pour assurer leur visibilité. On y tient des conférences de presse, des soirées privées et des réunions business. Audi, Porsche, Toyota, Aston Martin ont tous le leur mais en 2015, c’est Nissan le plus généreux. En bord de piste, le constructeur japonais a installé un réceptif de près de 1 000 mètres carrés sur deux étages. Murs rouges et blancs, spots roses, canapés, sono, et grands écrans. À l’étage, les happy few qui, effectivement sont peu nombreux, sirotent leur champagne sans s’entendre parler –la faute aux voitures qui passent à moins de 50 mètres. D’autres invités dorment sur des canapés. Thomas, le responsable du lieu, semble lui aussi fatigué. “En fait, le but ici c’est surtout d’accueillir les médias. Toutes sortes de médias. Hier, par exemple, j’ai eu quelqu’un de chez Playboy. Un Polonais, parce qu’en Pologne, Nissan a un partenariat avec Playboy.” Pour bien faire les choses, Nissan a également loué cette année le MMArena, ce stade à 104 millions d’euros vide depuis la faillite du club de foot local et coincé dans l’enceinte du circuit. En dix jours, près de 300 chambres y ont été montées pour les invités et le staff. Les VIP dorment dans les chambres donnant sur la pelouse. Les moins VIP dans les vestiaires.
Les fameuses “hospitalités”.
1% de l’emploi dans le département
La préparation de l’événement est déterminante dans l’économie locale. Selon une étude récemment publiée par Arnaud Chéron, directeur du pôle de recherche en économie de l’EDHEC Business School, les retombées liées aux 24 Heures et aux autres courses ayant lieu tout au long de l’année sur le circuit du Mans, se sont élevées à 52,3 millions d’euros en 2014. Si on ajoute les retombées indirectes (hébergement et restauration) et celles concernant les entreprises locales liées au sport mécanique, on arrive à 91,7 millions d’euros. Et à 114 millions d’euros pour l’ensemble de la Sarthe. À titre de comparaison, dans le sport français, seul le tournoi de Roland-Garros est plus rentable, avec 277 millions d’euros générés. L’activité du circuit représente aussi l’équivalent de 2 450 emplois permanents. Soit 1 % de l’emploi dans le département.
La fiesta, la fiesta.
De l’autre côté des “hospitalités”, dans un réceptif géré par l’Automobile Club de l’Ouest, un habitué situe pourtant la cuvée 2015 dans la moyenne basse en terme de fête. “C’est vrai que c’est pas folichon cette année”, dit cet entrepreneur lié à l’organisation de l’événement. “Je me rappelle avoir vu Martin Solveig jouer chez Peugeot Sport le samedi soir il y a quelques années. Quand il courait, Luc Alphand aussi, faisait de sacrées fêtes. Là, on dirait qu’il n’y a pas grand monde. Maisapparemment, cette année, c’est au club VIP, dans le village, qu’il faut aller.” Le club VIP, c’est le Select 24 : deux bars, une grande piste de danse, des loges avec des canapés. Téquila et champagne pour tout le monde. Il y a aussi un photomaton express, passage obligé pour tous les fêtards encore à peu près présentables. Le lieu est plein : il y a là des commerçants du Mans, des patrons de bar et restaurant. Les femmes ont des couronnes de fleurs dans les cheveux. Tout ça ressemble à une petite coterie entre Manceaux bien élevés. Rien à voir avec ce qui se passe dans les rues du Mans le vendredi soir, après la très attendue parade des pilotes.
La journée de l’année au Mans
Vendredi 12 juin. Comme chaque année, entre 100 000 et 150 000 personnes –pour une ville d’environ 140 000 habitants– se sont massées dans le centre-ville, entre la place de la République et celle des Jacobins, pour voir défiler les pilotes dans des voitures de collection. Les rues piétonnes du centre-ville sont jalonnées de tireuses à bière, de barnums et de grandes tablées prises d’assaut par la foule. La place de la République, d’ordinaire si calme, est transformée en discothèque géante. Loïc, patron de la brasserie Comme vous voulez, a même installé une piste de danse pour l’occasion. Spots, boule à facettes et musique des années 80 et 90. Il éclusera 90 fûts de bière de 30 litres ce jour-là, pour un chiffre d’affaires sept fois supérieur à une journée normale. “C’est la journée de l’année pour nous. Chaque année, ça monte en puissance et c’est bon pour tout le monde. Il faudrait des 24 Heures du Mans tous les trimestres!”
“La parade, c’est un peu la fête à neuneu. Ils viennent, se saoulent et se tapent dessus. Comme à la Fête de la musique”
Sylvain, co-gérant du Capitole
C’est l’heure des chansons paillardes et des concours de rots. Près de la place des Jacobins, la cohue est la même devant Le Capitole, une autre brasserie qui affiche complet depuis ce midi. Sylvain, co-gérant de l’endroit, nous expliquera avoir servi 600 couverts, contre 180 un vendredi normal. En plus de ses 14 employés, il a fait appel à sept extras pour la journée. Dans une ville pas franchement connue pour sa nightlife débridée, la semaine des 24 Heures est la bienvenue pour les tiroirs-caisses des bars et restaurants. Il est un peu plus de 1h. Dehors, les camions de la ville commencent à nettoyer les rues. Les premières navettes ramènent les Anglais vers le circuit. Les esprits s’échauffent aussi. “Le problème, c’est les blaireaux du coin”, s’agace le patron d’un bar. Les problèmes viennent toujours des Français. Les Allemands et les Anglais, eux, ils savent boire.”
Sept tours de piste en six ans
Comme chaque année, les Anglais sont venus par dizaines de milliers, squattant les terrasses des bars et des restos pendant une semaine, dépensant sans compter. Dans le coin, on les bichonne, eux et leur porte-monnaie. Les écriteaux “English spoken” fleurissent sur toutes les vitrines des commerçants, tandis que, sur les terrains de camping qui entourent le circuit, l’Union Jack flotte dans tous les coins. Mike, gentleman driver qui fête en 2015 son 21e Le Mans, a payé environ 1 500 livres (un peu plus de 2 000 euros) pour cinq jours en Sarthe avec un tour-operator qui a fait venir au total 2 000 Anglais, parqués dans des emplacements privés. À 65 ans, il n’est plus très client des barbecues et de la musique à fond jusqu’à pas d’heure au camping. “Mais c’est aussi ça, le spirit of Le Mans”, dit-il.
La fête, version anglaise.
Venus en camion de l’armée, Chris et ses potes du nord de Londres sont eux surtout là pour faire la fête. Tatouages Jésus sur le bras, ce fan de West Bromwich Albion et des Ramones, “capable de jouer Sheena is a Punk Rocker au ukulélé”, passe ses soirées au Guinness Pub, qui n’a rien d’un pub mais attire tous ceux qui parlent anglais et traînent dans le village des 24 Heures. “Je suis venu une première fois il y a très longtemps. Je reviens cette année pour m’éclater, boire des coups et voir un peu à quoi ressemblent les filles françaises.” Au Guinness Pub, Chris est chez lui parmi les costauds en bermudas et débardeurs qui enchaînent les pintes et sortent leur air guitar sur Hell’s Bells. Le samedi soir, l’endroit ne désemplit pas. Wham, Culture Club, Oasis ou les Clash, les Anglais font tourner les t-shirts, vident leurs poches et sont les maîtres du monde au Mans. Au bar, on croise Mark, 31 ans, patron d’un cabinet de recrutement en banlieue de Londres, qui vient commander une bière bien méritée après s’être un peu loupé à un concours de danse improvisé sur Big Soul. “ça fait six ans que je viens et j’ai dû voir sept tours de course. Les voitures, je m’en fous. Le Mans, c’est un festival. It’s just for the fun!”
Une course, quelle course? Mieux qu’une histoire de voitures, Les 24 Heures du Mans sont devenues un moment de vie, de fête et surtout de débauche. Résultat? Les locaux attendent cela toute l’année et les étrangers viennent des quatre coins du monde pour se marrer. Sans jamais regarder le moindre tour de piste. Reportage à l’occasion de l’édition 2015. Portfolio.
Photos : Renaud Bouchez
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Concours de ventres.
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Au Mans, les churros ressemblent étrangement à des saucisses.
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L'observateur.
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La croix et la tannière.
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Beaucoup de lunettes de soleil, très peu de soleil.
Aujourd’hui a lieu la journée mondiale de la Drépanocytose, une maladie héréditaire du sang, qui figure depuis 2009 parmi les priorités de l’OMS pour la zone Afrique, mais aussi en matière de santé publique mondiale (après le cancer, le sida et le paludisme). L’occasion de se rendre compte de son importance mais aussi de prendre conscience que l’on ne connaît pas tous les mots qui font référence à notre quotidien. La preuve : faites le test.
Par Noémie Pennacino et Michaël Simsolo
Quelle est la bonne définition ?
Aboulie, n. f. :
a/ Difficulté pathologique à agir, à prendre une décision.
b/ Éboulement de petits cailloux type gravier.
c/ Grosse vache.
Borborygme, n. m. :
a/ Bruit causé par le déplacement des gaz et des liquides dans le tube digestif, gargouillement.
b/ Insulte.
c/ Cousin éloigné d’Algo.
Champi, isse, n. et adj. :
a/ Mauvais champagne (argot).
b/ Alimentation de rave party.
c/ Enfant que l’on a trouvé abandonné dans les champs.
Ferret, n. m. :
a/ Sorte de cap.
b/ Petit embout fixé aux extrémités d’un lacet.
c/ Mouvement de canne à pêche destiné à ramener le poisson sur la berge.
Iléon, n. m. :
a/ Troisième partie de l’intestin grêle, entre le jéjunum et le gros intestin.
b/ Au théâtre, personnage qui n’apparaît qu’au dernier acte.
c/ Quand une personne ivre demande où est une autre personne.
Lumignon, n. m. :
a/ Pokemon avant évolution.
b/ Bout de la mèche d’une bougie allumée.
c/ Lampe de poche miniature.
Nomophobe, adj. et n. :
a/ Se dit de quelqu’un qui ne ressent pas la peur.
b/ Se dit de quelqu’un qui n’aime pas trop les nomosexuels.
c/ Se dit de quelqu’un qui ne peut se passer de son téléphone portable et éprouve une peur excessive à l’idée d’en être séparé.
Quaterne, n. m. :
a/ Au loto, série de quatre numéros placés sur la même rangée horizontale d’un carton.
b/ En musique, mesure à quatre temps (contient en principe un temps fort suivi de trois temps faibles).
c/ Qua qui manque d’éclat.
Rhizopus, n. m. :
a/ Petit du rhinocéros et de l’octopus.
b/ Infection aiguë de la peau qui se manifeste brutalement, sous la forme d’une plaque rouge, enflée et douloureuse, accompagnée de fièvre.
c/ Champignon microscopique responsable de la pourriture des fraises et de la moisissure blanche du pain humide.
Syntone, adj. :
a/ Se dit d’une personne qui entend la voix à forte intensité mais ne comprend pas la parole.
b/ Se dit d’une lotion permettant de faire du bien là où ça fait mal.
c/ Se dit d’une personne qui est en harmonie avec le milieu dans lequel elle se trouve.
Valétudinaire, adj. et n. :
a/ Qui a une santé chancelante ; maladif.
b/ Qui agit comme un employé de maison, comme un valet.
c/ Qui ne tombe amoureux que des étudiant(e)s et uniquement le jour de la Saint-Valentin.
Zéine, n. f. :
a/ Zozotement de quelqu’un qui en est.
b/ Protéine extraite du maïs.
c/ Principal alcaloïde de la feuille de zé.
Réponses :
Aboulie, n. f. : Difficulté pathologique à agir, à prendre une décision.
Borborygme, n. m. : Bruit causé par le déplacement des gaz et des liquides dans le tube digestif ; gargouillement.
Champi, isse, n. et adj. : Enfant que l’on a trouvé abandonné dans les champs.
Ferret, n. m. : Petit embout fixé aux extrémités d’un lacet.
Iléon, n. m. : Troisième partie de l’intestin grêle, entre le jéjunum et le gros intestin.
Lumignon, n. m. : Bout de la mèche d’une bougie allumée.
Nomophobe, adj. et n. : Se dit de quelqu’un qui ne peut se passer de son téléphone portable et éprouve une peur excessive à l’idée d’en être séparé.
Quaterne, n. m. : Au loto, série de quatre numéros placés sur la même rangée horizontale d’un carton.
Rhizopus, n. m. : Champignon microscopique responsable de la pourriture des fraises et de la moisissure blanche du pain humide.
Syntone, adj. : Se dit d’une personne qui est en harmonie avec le milieu dans lequel elle se trouve.
Valétudinaire, adj. et n. : Qui a une santé chancelante ; maladif.
Zéine, n. f. : Protéine extraite du maïs.
Par Noémie Pennacino et Michaël Simsolo
Alysia Abbott, critique littéraire et journaliste américaine, est l’auteure de Fairyland. Une autobiographie où elle retrace son enfance aux côtés de son père, veuf et homosexuel, dans le San Francisco des années 70, bientôt adaptée au cinéma par Sofia Coppola. À Paris pour la promotion de son livre, élégante et tout sourire, elle n’a plus rien de la petite fille à la vie de bohème. Enfin, presque plus rien. Rencontre.
Par Léa Lestage et Arthur Cerf
Tout au long du livre vous décrivez une époque dont vous êtes nostalgique mais qui est aussi très sombre. Pourquoi avoir choisi Fairyland comme titre ?
Lorsque je prenais des cours à Harvard, j’étudiais la littérature pour enfants et ses auteurs. Je me suis rendu compte qu’il était assez fréquent que ces histoires commencent avec l’absence de figure maternelle. Comme la mienne. Dans la littérature pour enfants, Peter Pan ou Alice aux pays des merveilles, il y avait aussi ces lieux où l’on ne pouvait pas grandir, où tout était sombre, étrange, mystérieux et en même temps merveilleux. Je me revois dans cette description. Fairyland, c’était pour moi la vie que mon père m’a donnée : enchantée, atypique, dangereuse et fantastique. San Francisco était une ville où les hommes et les femmes pouvaient échapper à la pression sociale. Ils pouvaient se construire, se reconstruire. Après la mort de ma mère, mon père s’y est installé pour se réinventer. C’était notre Neverland, notre Fairyland. Un des rares endroits où deux personnes de même sexe pouvaient être attirées en toute liberté ou se tenir la main. Aujourd’hui, la ville a évolué. Le sida, le développement des technologies, tout a changé. Le monde a changé.
Le livre s’articule autour de votre récit et d’extraits de carnets de votre père. Comment a été faite la sélection ?
J’ai choisi les passages que je voulais publier avant, mais aussi pendant l’écriture. Je lisais tous ses journaux, je prenais des notes. Avant de commencer, je savais qu’il y aurait trois parties : l’enfance, l’adolescence et le retour à San Francisco auprès de mon père malade. Quand je faisais mes recherches j’essayais de décrire certains moments de ma vie passée. Lire les journaux de mon père faisait ressurgir des souvenirs. J’ai réalisé que nous avions souvent des points de vue différents sur un même sujet.
Il y a des passages où vous racontez en détails des souvenirs de votre petite enfance. Comment avez-vous redonné vie à des souvenirs qui remontent à vos plus jeunes années ?
Je me suis replongée dans l’atmosphère du San Francisco des années 70, notamment avec les journaux de mon père, ses portraits, mes recherches. Jai
San Francisco était une ville où les hommes et les femmes pouvaient échapper à la pression sociale.
Alysia Abbott
intériorisé mes souvenirs. Je suis quelqu’un de très nostalgique et la plongée dans le passé était la meilleure expérience dans l’écriture de ce livre. Quand je suis retournée à San Francisco, en 2011, après six ans d’absence, j’ai sorti mon iPhone et j’ai fait un enregistrement de toutes mes impressions immédiates. J’ai essayé de ressentir les souvenirs de mon enfance.
Il y a un passage où votre père vous demande de l’appeler par son prénom, Steve, mais vous ne voulez pas. Sentiez-vous que pour lui la fonction de “père” représentait une menace dans son identité gay ?
À l’époque, quasiment personne n’était homosexuel, célibataire et avec un enfant. Mon père voulait sortir le soir, être poète, mais il m’avait moi. Petite, il m’amenait partout, je faisais partie de sa vie créative. Une fois adolescente, ce n’était plus pareil. C’était difficile pour lui car il était à la fois un père, mais aussi un homme célibataire qui voulait trouver l’amour. Nous voulions être le père et la fille, mais aussi Alysia et Steve.
Vous teniez des propos parfois très durs à l’encontre de votre père. Était-ce aussi féerique que vous le laissez croire ?
Le tableau de l’époque est contrasté. J’ai fréquenté différents milieux : celui de l’école où je voulais me cacher, celui de mon père où j’étais bien. Je ne savais plus ce que je devais cacher ou non, dire ou ne pas dire. C’était très dur pour moi, je ne savais plus comment je devais me comporter une fois adolescente. J’adorais mon père, j’avais confiance en lui, mais j’avais envie d’avoir de l’argent, une mère ou quelqu’un qui m’aiderait avec les questions de féminité. On partageait un deux-pièces, il prenait des drogues et moi j’avais envie de soutien, de me sentir normale. Je me sentais très différente de tout le monde. J’avais envie d’être avec mon père mais sans ses soucis. Le Fairyland de l’époque ? Je m’y sentais très protégée mais aussi très vulnérable.
Vous le traitez de “pédé”quand il se prépare pour la Gay Pride en 1984. Pourquoi montrer ce côté imparfait de vos relations ?
Il fallait nuancer. En écrivant, il fallait que je sois honnête avec moi même. Je voulais montrer les complications entre l’enfant et le parent, parce que c’est humain, c’est l’expérience adolescente universelle. J’avais également envie de dire que c’était un papa comme les autres. Il y avait aussi un souci d’image aux États-Unis autour du mariage pour tous. On montre tout ce qui est bien et beau. On ne montre pas les défauts. Je voulais pointer du doigt une certaine réalité.
Vous pensiez ce livre depuis très longtemps. Quel a été l’élément déclencheur qui vous a poussé à écrire ?
Je voulais l’écrire depuis 20 ans. Quelques années après la mort de mon père, j’ai essayé de recréer le puzzle de mon histoire. À l’époque, je savais que je voulais écrire notre récit, inclure ses lettres, poèmes et œuvres, pour qu’il ait sa propre voix dans le livre, mais je ne savais pas ce que je voulais dire. J’ai mis l’idée de côté. J’avais peur d’échouer. Entre-temps je me suis mariée, j’ai eu des enfants, et j’écrivais des essais. Ce n’est vraiment qu’en 2009, lorsque mon mari est entré à Harvard, que je me suis lancée. J’ai emmené avec moi les carnets de mon père, et la matière pour écrire le livre. Je me suis replongée dans les mouvements radicaux des années 60. En 2010, le mariage pour tous est passé dans beaucoup d’États américains. Un sujet prisé par les journaux et la télé, sauf que personne ne racontait vraiment l’histoire des homosexuels. Mon histoire n’est pas seulement la mienne. C’est celle de beaucoup de jeunes qui ont vécu avec un ou deux parents homosexuels, l’histoire également du sida. Ce livre est un témoignage important d’une époque révolue, et c’est ce qui m’a poussé à l’écrire.
Clore un chapitre de votre vie, c’est un soulagement ?
Finir le livre, c’était fermer la porte au Fairyland. C’était difficile. Je voulais évoluer, arrêter d’être la “fille de”, il fallait que je me déleste de l’histoire. Clore une moitié de ma vie m’a rendu triste, mais je savais qu’il restait l’amour inconditionnel de mon père même après sa mort. Suite à la publication du livre, j’ai reçu beaucoup de mails et lettres de personnes qui avaient l’impression de connaître mon père à travers le livre. C’était gratifiant quand on sait que la lutte pour un écrivain est de rendre un personnage réel avec comme seules armes un papier et un stylo.
Avez-vous gardé contact avec des amis de votre père ?
Oui. Après que le livre est sorti, plusieurs personnes m’ont contactée. Il y a le cas
En 2010, le mariage pour tous est passé dans beaucoup d’États américains. Un sujet prisé par les journaux et la télé, sauf que personne ne racontait vraiment l’histoire des homosexuels
Alysia Abbott
d’un homme, qui est sorti avec mon père dans les années 70. Un jour, il m’a écouté à la radio. Au milieu de l’entretien, il s’est dit qu’il connaissait cette histoire. Il m’a envoyé un e-mail, et ce fut quelque chose d’incroyable pour lui. Aujourd’hui, il est marié avec deux enfants, et mon livre lui a permis de faire son coming out auprès d’eux, qui ne connaissaient rien de son passé bisexuel. Il s’est rendu compte de l’importance de son passé. Un autre homme, qui connaissait bien mes parents à l’époque où ils vivaient à Atlanta m’a envoyé un disque d’une vingtaine de photos que je n’avais jamais vues auparavant. Je n’aurais jamais pu retrouver ces clichés sans la publication de ce livre.
Que représente pour vous la sortie, en France, de Fairyland ?
Pour moi, c’est un fait qui dépasse toutes mes attentes. C’est incroyable, car je pense à mon père. Il voulait toujours que je parle le français, que j’aille m’installer en France, lui-même voulait rentrer dans la culture française mais n’a jamais pu. Cette sortie en France serait importante pour lui. Venir promouvoir mon livre en français 20 ans après y avoir habité est formidable. C’est grâce à lui, et au soutien de mes grands-parents.
Comment s’est faite votre rencontre avec Sofia Coppola pour l’adaptation du film au cinéma ?
C’était un rêve que Sofia Coppola me contacte. J’adore ses films, on a le même âge, elle vient du nord de la Californie, comme moi. Elle m’a écrit une lettre, elle m’expliquait qu’elle était allée dans la même école, à San Francisco, à un an près. Elle se sentait proche de mon histoire. Je tenais à une rencontre avant de me lancer dans cette aventure. C’était un lundi après-midi, tous les avions étaient bloqués par les tempêtes de neige. J’étais en Virginie à ce moment là et je devais me rendre à New York, j’ai dû prendre un vol le jour même et non la veille. Je savais que Sofia Coppola travaillait dans la mode, avec Marc Jacobs, et je me demandais ce que j’allais porter. Résultat : c’étaient les mêmes affaires que la veille. Quand je l’ai rencontrée, elle me traitait comme une personne célèbre en parlant de mon livre, les rôles étaient inversés.
Quel rôle jouez-vous dans la production du film ?
Je serai consultante créative. J’ai lu le scénario, apposé des notes, fait des recherches, quelques changements. Nous avons un très bon rapport. Dès qu’il y avait des différences entre le scénario et le livre, l’équipe passait par moi pour savoir si j’étais d’accord. Parfois, le scénariste s’en fiche, mais dans mon cas, ça la concernait personnellement que je sois satisfaite. Andrew Durham, avec qui elle travaille sur le scénario, est un grand ami a elle. Il est gay et le sida lui a pris son père. Avec Sofia, on n’a pas vraiment parlé de ses rapports avec son père, mais je pense qu’elle est très à l’aise avec le genre féminin, l’adolescence. J’ai confiance en sa vision.
Plus jeune, vous vous sentiez différente. Est-ce toujours le cas aujourd’hui ?
Aujourd’hui, je me sens plus à l’aise avec moi-même. Parfois, je me sens seule, isolée, mais c’est normal face à ce que j’ai vécu. Je m’accepte comme je suis, et je sais que j’ai eu de la chance : un père plein d’amour, la publication de mon livre, etc. Mon passé est beaucoup moins douloureux pour moi. J’ai juste vécu ma jeunesse différemment des autres. J’ai monté une association qui permet aux personnes de témoigner de l’expérience de la perte d’un proche à cause du sida, mon histoire m’a rendue sensible à la condition des autres. Je n’ai plus aucune honte.
Fairyland, un poète homosexuel et sa fille à San Francisco dans les années 1970, aux éditions Globe
Par Léa Lestage et Arthur Cerf
Le bac 2015, ça a démarré aujourd'hui avec la philo. La pression ? Non merci. Avoir son bac, c'est bien, mais il y a aussi de très bonnes raisons de le louper.
Par la rédaction
Parce qu’on est fils ou fille de.
Parce qu’on n’est pas encore vraiment sûr(e) : socio ou psycho?
Pour ne pas éveiller les soupçons.
Pour prouver que la réforme scolaire, ça marche pas.
Parce qu’un mois de révisions, c’est potentiellement un mois de vacances supplémentaire.
Parce qu’on est amoureuse d’un mec de première.
Parce que au prix qu’elle coûte, il faut bien la rentabiliser, notre calculatrice TI-89 Titanium.
Parce qu’il a son bac, Michel Drucker, peut-être?
Parce qu’elles sont vraiment bonnes, les frites de la cantine.
Parce qu’on n’aime pas l’idée de finir nos journées après 17h30.
Parce que réviser ou sortir, il faut choisir.
Parce que Roland-Garros.
Parce que le bac, on le donne à n’importe qui de nos jours, et nous, on n’est pas n’importe qui.
Parce que la prof d’espagnol, Mademoiselle Bosquet, est comme les frites de la cantine.
Parce qu’on est footballeur.
Parce qu’on a préféré revendre nos livres de cours chez Gibert Joseph.
Pour être back dans le bac l’année prochaine.
Parce qu’on veut faire actrice.
Parce qu’on s’est mariée à 15 ans avec Luc Besson.
Parce qu’on veut travailler à la BAC.
Parce que l’épuration commencera par les intellectuels.
Parce qu’on n’est pas pressé(e) d’être au chômage.
Parce qu’on s’était promis de perdre notre virginité au lycée.
Parce qu’on ne va pas tomber dans le panneau comme tout le monde.
Parce qu’on a déjà le bac blanc.
Parce qu’on a calé nos vacances un poil trop tôt.
Parce que Free devait passer entre 8h et 13h, en plein pendant l’épreuve de philo. C’est ballot.
Parce que faire le djihad en juin, c’est peut-être la meilleure période.
Parce qu’on ne comptait pas faire de vieux os, donc bon.
Parce qu’on a tout misé sur notre chaîne YouTube.
Parce que, en sécu, on a aussi pas mal misé sur le casting des Anges de la téléréalité.
Parce que, quoi qu’il en soit, on a déjà 100 000 followers sur Twitter.
Parce qu’on souhaite avoir un minimum de prise sur le présent.
Parce qu’on avait déjà réussi à louper notre brevet des collèges, ce serait dommage de tout gâcher.
Parce qu’on a tous un oncle bac+5 qui vit dans sa Twingo.
Par respect pour nos grands-parents qui n’ont même pas le “certif”.
Parce que, après, c’est l’engrenage: bac+3, bac+8, etc.
Parce que c’est déjà une victoire d’avoir réussi à se hisser en terminale sans savoir ni lire ni écrire.
Parce qu’on n’a pas besoin de bac pour ouvrir une téléboutique.
Parce que, aujourd’hui, toutes les solutions pour réussir sa vie sont sur des forums. Et ils parlent pas du bac.
Parce qu’on a décidé de faire fortune grâce aux options binaires après avoir regardé une vidéo sur Internet.
Parce qu’on a décidé de faire fortune grâce à Live Jasmin après avoir regardé une autre vidéo sur Internet.
Parce qu’on veut garder notre crédibilité de blogueuse mode.
Parce que Rachida Dati nous l’a appris: ce qui est important, c’est de dire qu’on a le diplôme, pas de l’avoir.
Parce que quitte à devoir bosser jusqu’à 75 ans, autant commencer le plus tard possible.
Parce que suivre son rythme naturel pour le sommeil, c’est le plus important dans la vie.
Parce que c’est pas si mal, la légion.
Parce que c’est décidé, demain on se lance dans le food truck!
Parce qu’on se prénomme Jean-Sébastien.
Parce qu’on compte sur Xavier Niel pour nous sauver.
Parce qu’on est un évier et qu’on en a déjà deux.
Parce que Gérard Depardieu.
Parce qu’on a quelques notions d’hygiène et que 40 adolescents qui transpirent dans une pièce, on sait ce que ça donne.
Parce que O.K. on a des facilités, mais c’est pas une raison pour étaler son talent.
Parce qu’on a toujours été un outsider.
Parce que ce brevet du 50 mètres dos crawlé accroché sur le mur de notre chambre nous satisfait pleinement.
Parce que Emmanuelle Devos, Fabrice Luchini et Michel Denisot.
Parce que Stéphane De Groodt, il l’a pas non plus, et ça l’empêche pas de faire des jeux de mots à la con pour autant.
Parce qu’on rêve tous de sortir cette fameuse phrase à nos gosses: “Regarde papa, il a pas fait d’études et pourtant, il roule en Cadillac! Bah alors?”
Parce qu’on a déjà le bouc et un Bic, ça suffit amplement à notre bonheur.
Parce que dans Hélène et les garçons, ils sont à la fac. Et personne n’a envie de finir comme ça.
Pour laisser un an de plus à notre peau pour effacer cette vilaine acné avant d’affronter le monde étudiant.
Parce que : “What the fac?”
Parce qu’on est un enfant chinois exploité et qu’on travaille depuis qu’on a 5 ans.
Parce qu’on ne veut pas finir dans un bureau avec un monospace et une cravate fantaisie.
Parce que, avec les pourcentages de réussite, le rater est un défi, et nous, on aime les défis.
Pour pouvoir signer soi-même ses billets d’absence et de retard l’année prochaine.
Parce que être dans Les perles du bac 2015est notre seule chance d’être publié un jour.
Parce qu’on préfère faire des listes de 100 raisons de…
Parce que dans la vie, la fille ne part jamais avec l’intello. Le mec non plus.
Parce que l’horoscope du jour a dit qu’on allait cartonner et qu’on veut absolument prouver que l’astrologie, c’est que des conneries.
Parce qu’on est maso et qu’on aime l’idée d’être en phase terminale pour quelque temps encore.
Parce qu’on aime le flipper.
Parce qu’on adore les échecs.
Parce que Stéphanie Pierson n’a toujours pas répondu au mot qu’on a gravé au compas sur sa table.
Parce qu’un SDF sur cinq a le bac.
Parce que si notre nom finit dans le journal local, on va avoir des emmerdes. C’est papa qui l’a dit.
Parce que de toute façon, c’est truqué, ils le donnent qu’aux fils de francs-maçons et d’illuminati, on l’a lu sur Internet.
Parce que Patrick Bruel et Francis Cabrel ont l’air d’avoir une belle vie. Surtout quand on aime les femmes.
Parce qu’il paraît que le savoir est une arme. Et nous, on n’aime pas trop la violence.
Parce que avoir le bac en poche ne nous servira à rien : on se balade tout le temps en slip de bain.
Parce qu’on apprend plus de ses échecs que de ses succès, c’est bien connu.
Parce que d’après notre prof d’éco, “la France risque de rentrer dans un cycle long de Kondratiev”. On n’a rien compris, mais avec un blase pareil, on préfère rester planqué(e) tranquillement au lycée.
Parce qu’on a toujours rêvé d’habiter un mobile home. Eminem, pour nous.
Parce qu’on avait dit à notre grand amour en début d’année : “Il n’y a que toi qui comptes. Le reste, je m’en bats les couilles.” Et qu’on est quelqu’un de parole.
Parce qu’un faux diplôme du baccalauréat coûte 5 euros en Thaïlande.
Pour donner raison à tous nos professeurs unanimes depuis la seconde.
Pour faire comme papa et maman.
Parce qu’on est déjà enceinte et que ça ferait trop d’évènements à fêter d’un coup.
Parce que Jean-Luc Lahaye nous a dit sur Facebook que ça changerait rien entre lui et nous.
Pour gagner un pari. On est joueur ou on ne l’est pas.
Pour ne pas avoir à foutre en l’air notre réseau de trafic de drogue mis en place depuis la 4e.
Parce que se retrouver l’année prochaine dans la même classe que notre frère de 28 ans perturberait l’équilibre familial.
Parce que, de toute façon, une expulsion du territoire nous menace.
Parce qu’on s’est fait tatouer “Dieu seul me juge”.
Parce qu’être noté par des gens qui gagnent moins que nous, ça nous pose problème.
Parce que les personnages de Seconde B sont restés trois saisons en seconde et que ça ne gênait personne. Kader Jazouli forever.
Parce que, à 18 ans, le seul diplôme qui a une valeur, c’est le permis de conduire.
Paske sa serre a rien.
Parce qu’on préfère réussir sa vie.
Article publié dans le magazine Society #7. Tous les quinze jours, retrouvez les 100 bonnes raisons de… dans Society.
Par la rédaction
Le 4 juin dernier, le collectif Informer n’est pas un délit et Élise Lucet lançaient une pétition visant à “stopper” la directive Secret des affaires. Aujourd’hui, malgré les plus de 300 000 signatures récoltées en dix jours, le texte a été adopté. Virginie Marquet, avocate et co-créatrice du collectif, explique pourquoi tout n’est pas terminé.
Par Noémie Pennacino
“Les députés européens ignorent 300.000 signatures des citoyens qu’ils représentent. Agissons !” Le titre de la mise à jour de la pétition Ne laissons pas les entreprises dicter l’info – Stop à la Directive Secret des Affaires ! n’est pas vraiment aussi enthousiaste que le communiqué de Constance le Grip, auteure du rapport, faisant suite à l’adoption par la commission JURI au Parlement européen, aujourd’hui, d’un texte contesté : “Aujourd’hui, nous avons posé la première pierre d’un socle juridique européen commun pour lutter contre l’espionnage industriel et protéger l’innovation, tout en préservant les libertés fondamentales, au premier rang desquelles la liberté d’expression et d’information.”
Le 4 juin dernier, le collectif Informer n’est pas un délit lançait avec Élise Lucet une pétition mettant en garde contre une directive, celle du Secret des affaires. “C’est une directive visant à mettre en place des moyens de lutter contre l’espionnage industriel, les entreprises pouvant décider de ce qu’elles considèrent comme des informations secrètes, explique Virginie Marquet, avocate spécialisée en droit de la presse et co-créatrice du collectif. L’argument avancé, c’est que la directive protègerait les PME, leur compétitivité. Nous entendons cet argument. Le problème – j’en viens immédiatement au problème parce que c’est important – c’est qu’il y a un effet pervers évident. Cette directive est une arme de dissuasion, et même d’auto-censure. Ce qui est en jeu, c’est l’accès à l’information.” L’avocate, qui a passé douze ans à la direction juridique de France Télévisions, insiste sur les conséquences “très graves” du texte : “OK, les informations pourront être utilisées, mais ce sera alors au journaliste de prouver leur intérêt, de démontrer leur utilité publique. Les entreprises détermineront elles si ces infos sont sous le sceau secret et pourront demander des dédommagements ‘à hauteur du préjudice’.” Elle qui travaille régulièrement avec des journalistes, notamment sur Cash Investigation ou Complément d’enquête est également inquiète concernant l’auto-censure : “Aujourd’hui, déjà, il y a une grosse pression qui vient des grands groupes concernant la révélation d’informations. Mais demain, si un journaliste enquête sur une affaire économique et qu’au moment du montage, il vient me consulter pour me demander de le conseiller, je vais devoir lui dire : ‘En diffusant ces informations, tu seras peut-être condamné à payer des milliers, voire des millions d’euros.’ Plus personne ne prendra le risque.”
Ne rien lâcher
Le mouvement contestataire est également mené par les syndicats français et européens, l’Association européenne des droits de l’homme, Julian Assange ainsi que des ONG. Notamment Corporate Europe Observatory, à qui l’on doit une analyse approfondie depuis la genèse de cette directive. Ce qu’il en ressort : “Trois cabinets ont régulièrement été consultés lors de l’élaboration du texte, explique l’avocate. Baker & McKenzie,White & Case et Knowlton Hill Stratégie. Trois cabinets d’affaires. La preuve qu’on est plutôt sur un texte pour protéger le monde des affaires.”
Pourtant, Virginie Marquet n’est pas fataliste. “Cette adoption du texte n’est que la première étape. C’est un processus européen, c’est long et compliqué. La suite : des trilogues entre le Conseil européen, le Parlement européen et la Commission européenne, d’où sortira un premier jet de texte. Puis, une assemblée plénière et la décision du Conseil européen, soit la représentation des ministres de chaque État membre.” Selon elle, il ne faut “rien lâcher” : “Il n’y a pas de délai précis concernant l’adoption définitive. Mais ils veulent vraiment faire passer le texte, donc ce serait assez rapide, à la rentrée. Il faut continuer de se battre, sensibiliser les députés à ces risques et espérer un vote de rejet en assemblée plénière.” Et de conclure : “On nous reproche de toujours tout remettre en cause, même les textes qui ne concernent pas forcément les journalistes. Mais ce que l’on dit, c’est que les journalistes et leurs sources ne sont pas protégés. Faites une directive sur la protection des sources d’abord”, rappelant que les 300 000 signatures ne sont pas toutes celles de journalistes. “C’est une énorme mobilisation citoyenne.”
Hier soir, quelque part dans le XIe arrondissement de Paris, l’association Pour l’émancipation politique et sociale invitait Olivier Besancenot et Thomas Piketty à venir tailler le bout de gras sur le livre de ce dernier, Le Capital au XXie siècle, immense et improbable succès de librairie, surtout pour 900 pages consacrées à un sujet aussi old school. Pourtant, ceux qui avaient été attirés par l’odeur du sang d’un éventuel clash entre le révolutionnaire médiatique et la star réformiste en furent pour leur déception.
Par Nicolas Kssis-Martov
Le CICP, Centre international de culture populaire, est niché au bout d’une rue tranquille et sans véritable charme, pas très loin de Nation. Le bâtiment, qui sert en temps normal de refuge (boîte postale, salle de réunion, etc.) à de nombreuses structures engagées, des éditions Libertalia à Génération Palestine, est surtout connu pour ses concerts de solidarité du dimanche après-midi. Ska militant et oi! revendicative au programme. Après la porte blindée, puis quelques marches d’escalier, le minuscule hall d’entrée se présente, bordé d’un présentoir de tracts et autres objets de propagande qui font écho aux autocollants sur la machine à café en matière de poésie révolutionnaire –“Mangez les fafs, pas les animaux”. Une ambiance perdue quelque part entre la salle polyvalente de lycée autogéré et les bonnes années de la fac de Tolbiac. Il faudra patienter ensuite devant la grande salle, en équilibre sur des chaises hautes de cafétéria, en attrapant au vol des bribes de conversation parsemées d’imparables “comme disait Lénine”. Un porteur de t-shirt “Podemos” violet (presque la seule touche de fantaisie en matière de couleur) disserte dans la langue de Cervantes avec un sosie de Gael Garcia Bernal. Nous sommes clairement au bon endroit.
Aucune angoisse
La précédente réunion se termine, respectant scrupuleusement sa réservation. Les premiers arrivés investissent les lieux et disposent dans la bonne humeur les rangées de sièges. L’autogestion commence par la discipline librement acceptée. Le public, petit à petit, remplit l’espace. La moyenne d’âge s’avère plutôt élevée. Les jeunes, étudiants ou non, souvent en couple, viendront s’installer au dernier moment, debout contre le mur pour beaucoup.
Je ne sais pas qui est le plus révolutionnaire de nous deux, moi, je veux juste réussir la révolution
Thomas Piketty
Thomas Piketty se fraie un chemin, tout sourire, iPhone à la main, chemisette, pantalon impeccable et droit, un quasi-look de mod, coupe comprise. Aucune angoisse ne transparaît alors que son ouvrage concentre un feu nourri d’une gauche radicale qui le voit au mieux en miroir aux alouettes de la contestation, au pire en trompe-l’œil keynésien face aux nécessités de la révolution. La modératrice des débats annonce qu’Olivier Besancenot aura quelques minutes de retard, son bureau de poste est en grève et il n’a donc pas pu partir à l’horaire habituel. Un petit rire part sur le coté droit : “Ils travaillent plus à La Poste quand ils sont en grève.” Il semblerait que les fondamentaux soient à revoir.
Des membres d’Attac se pointent en voisins et font poser dès son arrivée le leader du NPA sur une des chaises dont on apprend qu’elles ont été réquisitionnées à la succursale HSBC de Bayonne… Olivier Besancenot se charge de l’intro. Ou plutôt, nous livre sa fiche de lecture. Sérieuse et appliquée. Qui ne tarit pas d’éloges pour le pavé de Piketty. Pour le sérieux du travail et surtout la “bouffée d’oxygène” que constitue ce best-seller, notamment “dans le contexte actuel”. Cet hommage est l’occasion d’envoyer quelques piques à ceux qui trimballent leur obsession “bismarckienne” ou enfilent “des marinières pour se donner un genre”. Et aussi à sa propre famille politique : “On peut se demander pourquoi un tel livre ne vient pas de chez nous” – comprendre de chez les marxistes.
“Troïka m’a tuer”
Thomas Piketty ne boude pas son plaisir et s’offre quelques gourmandises de circonstance dans ses réponses : “Je ne sais pas qui est le plus révolutionnaire de nous deux, moi, je veux juste réussir la révolution.” L’assistance écoute attentivement. Lorsque viendra l’heure des questions, personne ne troublera la convention toute scolaire des échanges. À part quand le traditionnel militant sans âge avec fort accent anglais de la Ligue trotskiste de France, secte marxiste-léniniste, qui vend son organe, Le Bolchevik, à la sortie de tous les manifestations ou événements vaguement de gauche fera lâcher à l’animatrice un soupir résigné en se levant avec son journal dans les mains. Ou lorsque la modératrice décidera de donner la parole aux femmes, renvoyant dans les cordes de leur machisme exacerbé les messieurs qui râleront de se sentir ainsi obligés de céder leur tour au nom de la parité.
Pour le reste, cela questionne sévère sur la Grèce, à coups de “Troïka m’a tuer”. La dette est disséquée, la création monétaire invoquée, Podemos se grime en Barça de la radicalité (tout le monde aime sans savoir pourquoi) et le rôle du politique face à l’économique cisèle l’ensemble des propos d’une précieuse dentelle théorique. Le tout dans les strictes limites de la politesse. La seule attaque : une vague accusation d’être “mainstream”.
Finalement , Thomas Piketty s’offrira le luxe d’un petit hara-kiri symbolique auprès des sympathiques militants en face de lui : “Vous savez, je ne suis qu’un chercheur en sciences sociales, et qu’est-ce que c’est ? C’est un citoyen qui a la chance d’être payé à consulter des archives et des données.”
Par Nicolas Kssis-Martov
Alors que Jurassic World, la nouvelle mouture de Jurassic Park, vient de réaliser la meilleure sortie mondiale de tous les temps, le festival Cinema Paradiso débute demain. Dix jours de films cultes et de soirées clubbing. L’occasion pour MK2 de rendre un hommage en grande pompe au classique de Spielberg : mercredi, à 21h50, les rugissements des dinosaures résonneront sous la nef du Grand Palais. Des bruits qui ont valu les Oscars du meilleur son et du meilleur mixage sonore à Gary Rydstrom. Et pour cause, il a fallu faire preuve d’imagination pour les faire gronder, les dinos.
Par Arthur Cerf, Léa Lestage et Agate Loze
On est au début des années 90. Steven Spielberg passe une commande à Gary Rydstrom : pour son futur blockbuster, le réal’ a besoin d’une dizaine de bruits de dinosaures. “Quand j’ai vu l’offre pour la première fois, ça m’a fait peur, il y avait tellement de dinosaures sur cette liste ! assurait le sound designer à Vulture en 2013, à l’occasion des 20 ans de la sortie du film. Mais pour un designer sonore, il n’y avait pas meilleur terrain de jeu que Jurassic Park.” Rydstrom relève le défi et passe les mois suivants à enregistrer différents animaux. Deuxième étape : mixer et modifier les sons, histoire d’obtenir des bruits à la fois fascinants et effrayants, connus et inconnus, surréalistes et organiques. Quiconque a grandi dans les années Club Dorothée se souvient de la scène d’évasion du T-Rex. Le verre d’eau qui tremble, la pluie qui bat sur le pare-brise de la Ford Explorer jaune et vert, les barrières qui s’ouvrent en grinçant. Puis, le tyrannosaure qui apparaît et pousse un rugissement déchirant.
Jurassic Bark
La doublure de la plupart des sons émis par le géant du Crétacé ? Buster, le Jack Russell de Gary Rydstrom. “La manière dont ils animaient le T-Rex faisait penser à un chien, surtout quand il attrape le Galliminus et l’avocat, explique Rydstrom en 2013. Chaque jour, je voyais mon chien en train de jouer, il faisait la même chose avec un jouet en corde, il faisait comme s’il tuait sa proie.” Buster n’en est alors pas à son coup d’essai puisqu’il a déjà mis à contribution son animal de compagnie sur Terminator 2. Une manip’ inspirée par Ben Burtt, sound designer de Star Wars, qui avait ralenti les bruits produits par un chihuahua pour donner vie au Rancor de Jabba le Hutt dans le Retour du Jedi. Le secret ? Faire durer. “Une des choses amusantes dans la conception sonore est de prendre un son et de le ralentir. Il devient beaucoup plus grand”, livre le pro du dino. L’élément clé pour le rugissement du T-Rex, ça n’est pas un éléphant mais un éléphanteau. Prendre un bruit faible émis par un petit animal et le ralentir est plus intéressant que de prendre un bruit puissant.”
Le “chant” du brachiosaure
Le T-Rex n’est pas le premier dino à apparaître dans le film. Autre scène culte : le docteur Alan Grant est dans la voiture, tourne la tête vers la gauche, enlève son chapeau et retire ses lunettes de soleil, la main tremblante. Contre-champ : le grand brachiosaure mâche une branche et pousse son cri sur la musique de John Williams. “Le chant du brachiosaure est un de mes sons préférés dans le film, explique Gary Rydstrom, toujours à Vulture. Il est fait grâce à… un âne. Il y a un changement de hauteur dans le hennissement d’un âne ; en le ralentissant, vous obtenez un mugissement chantant.” Plus tard dans le film, quand la même bête éternue, le bon Gary a opté pour le souffle d’une baleine mixé au bruit d’une bouche d’incendie qui explose. Il fallait y penser.
Les vélociraptors
“Si les gens avaient su comment ont été faits les bruits des dinosaures de Jurassic Park, le film aurait été classé R (déconseillé aux moins de 17 ans, ndlr).” Pourquoi donc ? Pour communiquer entre eux, les vélociraptors s’aboient dessus, un bruit produit à partir de l’enregistrement de deux tortues en pleins ébats à Marine World. Mais le reptile n’est pas le seul animal mobilisé pour faire entendre les dinosaures les plus bruyants du film. Pêle-mêle, une oie, un cheval, une grue ont été mis à contribution pour produire le sifflement du raptor. Le designer sonore confie également que son ami Dietrich a participé. Scène de la cuisine, gros plan sur un raptor prêt à attaquer Lex Murphy. Le son, c’est lui, Dietrich.
Le dilophosaurus
Un dino qui crache du venin sur Dennis Nedry, le gros programmateur informatique incarné par Wayne Knight, ça vous parle ? Le rugissement du dilophosaurus a été produit grâce à un cygne, un faucon et un crotale.
Le tricératops
Des vaches ont permis de faire le tricératops. La respiration de l’animal lorsqu’il est malade est réalisée par… Rydstrom lui-même ! Pour l’imiter, il suffit de respirer dans un tube en carton : un son profond et bizarre rappellera celui du dinosaure.
Autant de sons qui ne sont ni plus ni moins que des spéculations, les découvertes paléontologiques ne permettant pas encore de remonter aux origines des bruits des dinosaures.
Pour redécouvrir le travail de Gary Rydstrom et participer aux soirées Cinéma Paradiso : www.mk2cinemaparadiso.com
Par Arthur Cerf, Léa Lestage et Agate Loze
Il a quitté la grand-messe du Congrès du Parti socialiste avant la fin, comme on abrège un rencard qui aurait mal tourné. Aujourd'hui, le désamour entre la direction socialiste et une partie de sa base a peut-être le visage de Jonathan Munoz, 35 ans, qui a rendu son tablier de patron de la fédé de Charente hier, inquiet de voir son parti mis au garde-à-vous par le tandem Valls-Cambadélis.
Par Julien Proult / Photos : Louis Canadas
Jonathan Munoz. Avec un grand B.
Quand Bella Ciao a clos le week-end poitevin, il était déjà loin. Pas grave, son truc à lui, c’est plutôt Shaka Ponk, Led Zeppelin ou Oasis. En vrai, Jonathan Munoz était rentré depuis la veille chez lui, à Cognac, déjà lassé d’un congrès transformé en simple caisse enregistreuse des décisions de Solférino. “Je préfère rentrer chez moi voir ma famille. Tout ça n’a aucun intérêt”, dit ce père de trois enfants rencontré le samedi après-midi, juste avant qu’il ne fasse sa valise, à une table du village des militants planté au milieu du parc des expos de Poitiers. “Ce qui cloche, c’est que tout est déjà joué d’avance. Il n’y a pas de débat entre nous. Ce congrès, c’est des discours qui se suivent et finalement très peu de paroles de militants. Les vrais problèmes, à la fois internes au Parti socialiste, mais surtout des citoyens, on ne les aborde pas”, regrette Jonathan, dont le t-shirt Puma vert détonne au milieu des chemises bon ton apparemment de rigueur. “Le bilan du gouvernement n’est pas fait, les attentes des Français ne sont pas entendues. Donc, tout le monde a l’impression qu’on est un parti endormi. Et ce n’est pas qu’une impression.” Claude Bartolone passe à côté. Le soleil cogne, mais moins que la veille, lorsque la chaleur finissait d’assommer des prises de parole déjà pas très vivaces. Jonathan allume une cigarette. “Ce Congrès n’a pas d’enjeu. Cambadélis est aux ordres du gouvernement.”
“Nous sommes un parti de vieux. Il n’y a pas assez de jeunes, pas de renouvellement. C’est ce qui nous tuera”
Jonathan Munoz
Avant de faire un saut à Berlin pour voir triompher le Barça cher à son cœur et déclencher une polémique nationale, Manuel Valls a pris une heure pour prononcer le discours le plus attendu du week-end. Loyauté à François Hollande, amour des socialistes, poursuite des réformes : Manuel a un peu réveillé Poitiers. Avec le Premier ministre, Jonathan partage des origines espagnoles et l’amour du foot (FC Barcelone/FC Séville). Mais pas beaucoup plus. En partisan de la motion B, celle des frondeurs, le “dir cab” du maire de Cognac attend toujours un bon coup de volant à gauche. “Il a eu un bon moment sur la laïcité, l’esprit Charlie du 11-Janvier, ça fait partie des valeurs que l’on partage au sein du PS. Pour le reste, il n’y a pas eu de grande surprise. On reste sur notre faim. Ce n’est pas parce qu’on fait applaudir des ministres que le message passe auprès des citoyens.”
“Il aurait fallu organiser des tables rondes, des ateliers, des débats…”
Né en 1979 à Cognac, Jonathan est entré dans la famille socialiste en 2002, après un certain 21 avril qui lui est resté sur l’estomac. D’abord au sein du MJS (Mouvement des jeunes socialistes), puis au PS en 2006. À l’époque, il fait partie des “Ségolénistes”, dont le concept de “démocratie participative” le séduit. “Avec Ségolène Royal, il y avait des débats, des échanges, les militants étaient mis à contribution. Une chose qu’on ne voit plus du tout aujourd’hui. Ici, par exemple, il aurait fallu organiser des tables rondes, des ateliers avec des représentants d’autres partis de gauche, d’associations.”
“Qu’est-ce qu’on fait encore là?”
Élu premier secrétaire fédéral du PS charentais en 2012, il a quitté ses fonctions jeudi (11 juin), après un mandat unique de trois ans. Patron des 600 militants socialistes de son département, il a vu le fossé se creuser entre la base et l’action du gouvernement, les militants rendre leur carte. “Trois ans, à ce rythme-là, c’est usant. C’est des luttes internes constantes, du combat au quotidien contre divers projets, notamment la réforme des retraites ou le CICE. Il faut pouvoir tenir. Le combat est long et dur.” Alors que la succession d’interventions minutées reprend à la tribune de la salle plénière, Jonathan se fait plus tranchant. Il évoque “un parti verrouillé qui sent la naphtaline, où la démocratie est ficelée, organisée du haut vers le bas”. Il dit : “Nous sommes un parti de vieux. Il n’y a pas assez de jeunes, pas de renouvellement. C’est ce qui nous tuera.”
“Qu’ils le veuillent ou non, du débat il va y en avoir”
Idéologiquement, le constat n’est pas beaucoup plus tendre : “On s’est enfermé entre nous, avec une forme de corporatisme. On a le monde enseignant, des gens qui sont issus du secteur public, mais pas suffisamment de gens ancrés ailleurs dans la société : des chefs d’entreprise, des salariés, des ouvriers qui font remonter d’autres problématiques”, dit celui qui a aussi monté une agence immobilière avec sa compagne. “C’est un peu la potion magique : on va mélanger un petit peu de social-libéralisme, un petit peu de gauche et, à un moment donné, on espère que la solution miracle arrivera”.
Blessé par ce qu’est devenu son parti, déçu par la tournure prise par le quinquennat Hollande, Jonathan n’envisage pourtant pas de quitter sa famille politique. Le gars est tenace. “Pour aller où ? Chez Jean-Luc Mélenchon ? Non, son attitude est trop brutale.” Ce qu’il veut, c’est redevenir simple militant. Parce qu’il y croit toujours. “Je pense qu’il y a encore des solutions avec Christian Paul, les députés frondeurs et les militants qui représentent aujourd’hui 30% avec la motion B.” Et même si la nouvelle direction “veut mettre tout le monde en rang, au garde-à-vous pour préparer 2017”, ce “citoyen engagé” promet de ne pas rendre les armes facilement. “Qu’ils le veuillent ou non, du débat il va y en avoir”. Ce qui est plus sûr, c’est que le Congrès de Poitiers risque d’être son dernier.
Par Julien Proult / Photos : Louis Canadas
Il était de passage à Paris pour une prestation attendue au festival We Love Green le 31 mai dernier, et son nom est dans toutes les bouches des grands du hip-hop américain. Mais qui est vraiment Joey Badass ?
Par Romane Ganneval
Joey Badass est affalé dans sa loge du festival We Love Green avec quatre potes. Un dort sur une banquette, l’autre roule un joint, le troisième examine chacun des faits et gestes du rappeur et le dernier est tranquillement assis sur un tabouret. En ce dimanche matin pluvieux, Jo-Vaughn Virginie Scott de son vrai nom, ne semble pas du tout disposé à répondre aux questions et s’amuse à expédier les interviews en sept minutes, peu enclin à s’excuser pour son manque de coopération.
Mais qui est vraiment Joey Badass ? “Je ne le sais pas moi-même. D’ailleurs, tout le monde l’ignore”, ne s’étale-t-il pas, derrière ses petites lunettes rondes, son sweat trop long et son minois endormi. Un mystère qui a le don d’exaspérer les critiques et les grands du hip-hop qui tentent de séduire le gamin – il vient de fêter ses 20 ans – de Brooklyn. Découvert en octobre 2010 grâce à une vidéo de rap freestyle, postée sur YouTube, il est tout de suite contacté par Jonny Shipes, boss du label indépendant Cinematic Music Groupe (K.R.I.T, Sean Kingston…), qui le signe. Dès la mise en ligne de ses premières mixtapes en 2012, il est acclamé par le public et la critique qui le nomment sans attendre héritier légitime de la plus noble tradition du rap. Badass, cracheur de feu au verbe bouillant, écrit des textes provocants qui s’inspirent “de la rue, de Brooklyn et des problèmes du quotidien.” Vite, tout s’accélère. Convoqué quelques mois plus tard par Jay-Z en haut de son building, il est impressionné, mais refuse le contrat à moins de trois millions de dollars. Son premier sursaut, sur lequel il semble vouloir s’expliquer : “Trois millions de dollars, c’est une somme quipourrait changer définitivement la vie de mes proches. Avec cet argent, je pourrais enfin acheter une maison à ma mère. En dessous, je ne suis pas à l’abri.”
Dix mille euros d’instruments à son ancien lycée
Son collectif, Progressive Era (Pro Era), de 47 jeunes gens dont il est la figure de proue, s’éloigne alors des majors. Ensemble, ils enchaînent les mixtapes et grimpent sans harnais vers le sommet du succès. Seule ombre au tableau : la
C’est la société de consommation dans laquelle nous vivons qui est trop violente
Joey Badass
journée du 24 décembre 2012. Capital Steez, le meilleur ami de Joey Badass depuis le lycée, avec qui il a sorti l’EP Peep une semaine plus tôt, se suicide ce jour-là, à 19 ans, après avoir posté un message sur Twitter : “The End.”
Une blessure dans le cœur du rappeur, qui peine à se refermer. Lorsqu’on demande à Joey Badass s’il a accepté le geste de son pote, il fait mine de ne pas comprendre, se referme sur lui-même. Ses proches font signe de changer de sujet : “Il est toujours très affecté par ce décès.” Badass finit par lâcher : “C’est la société de consommation dans laquelle nous vivons qui est trop violente.” Concerné par l’injustice et les problèmes de la police auxquels est confrontée la communauté afro-américaine, il ne développe pas pour autant. Lui a une destinée. Impossible de faire machine arrière. Mais pas question d’oublier les siens ni son quartier d’origine. Avec la J Dilla Foundation, il a déjà offert l’équivalent de 10 000 euros d’instruments à son ancien lycée.
Peace, love, unity and having fun
Le 20 janvier 2015, le jour de son vingtième anniversaire, est sorti son très attendu premier album,B4.Da.$$, dans une maison de disques indépendante. À la première écoute, on découvre un gamin aux goûts aiguisés : soul, jazz, samples de Jimi Hendrix, de 2Pac qui claquent ; l’album rappelle l’âge d’or du rap old school new-yorkais incarné un temps par le Wu-Tang Clan. Pour preuve, Badass a été fait membre – le même jour que Nas et Freddie Gibbs – de la Zulu Nation, mouvement pacifiste créé par Afrika Bambaataa, au début des années 70, dans le but de canaliser la violence des gangs.
Au quotidien, Joey Badass revendique un style de vie proche de la maxime “Peace, love, unity and having fun”. Un bon fond qui contraste avec ce qu’il veut bien montrer de lui. Et ce, pas seulement dans ses mauvais jours, où il expédie les interviews parce qu’elles le gonflent. Violent, il risque toujours la prison pour avoir frappé un agent de sécurité à un festival où il jouait en Australie début janvier. Pour le reste, même s’il négocie des contrats à “pas moins de 3 millions” derrière son masque de rappeur intouchable, Joey Badass gère la notoriété avec la naïveté de son âge, “un peucomme ça vient”.
Par Romane Ganneval
Ils se déplacent dans le XVIIIe arrondissement de Paris, d'expulsion en expulsion. Aujourd'hui, dans la capitale, des centaines de migrants dorment à la belle étoile. L'association du Bois Dormoy en a pris certains sous son aile, mais ce n'est pas vraiment son rôle.
Par Vincent Riou / Photos : Renaud Bouchez pour Society
Retour à la case départ, ou presque : une semaine après l’évacuation de 471 migrants –le plus souvent originaires de la corne de l’Afrique– du boulevard de la Chapelle, où ils campaient sous le métro aérien, une partie d’entre eux dort désormais à la belle étoile dans un “jardin partagé”, à une centaine de mètres de là, à vol d’oiseau. Combien ? “Entre 50 et 100 en permanence et plus de 150 hier au coucher ou lors de la distribution de nourriture”, selon Manuel Ménal, l’un des responsables de la section PCF du XVIIIe arrondissement. Cent cinquante migrants qui devront, dès demain, aller voir ailleurs. Encore.
C’est ce que l’on appelle dans l’immobilier une “dent creuse”. Suite à la démolition d’un immeuble, le terrain vague est devenu une “friche autogérée”, en attendant qu’un nouveau bâtiment sorte de terre. Si la parcelle appartient à la mairie, l’association du Bois Dormoy bénéficie d’une convention d’occupation temporaire, renouvelée tous les ans. En théorie. Deux projets sont dans les
Nous ne sommes pas des professionnels de l’humanitaire
Agathe Ferin-Mercury
tuyaux : une crèche et une maison de retraite. “Là, on est en sursis, même si on n’a pas encore reçu le préavis, explique la secrétaire générale de l’association, Agathe Ferin-Mercury. On a attaqué le permis de construire au contentieux et appelé à signer une pétition en ligne.” L’idée étant de pérenniser cette petite oasis de verdure dans l’arrondissement le moins vert de Paris. Mais pour l’heure, et Agathe en a bien conscience, l’urgence est ailleurs depuis minuit entre dimanche et lundi : “Nous avons fini par répondre favorablement aux sollicitations des associations pour que les migrants puissent dormir dans un endroit clos plutôt que sur les trottoirs, mais nous ne sommes pas des professionnels de l’humanitaire”, lâche-t-elle, un peu dépassée, lors de la visite de Bernard Jomier, aujourd’hui en début d’après-midi. Le but de la visite de l’adjoint à la mairie Europe Écologie Les Verts en charge de la Santé ? Mettre en place avec les associations une prise en charge sanitaire et sociale des migrants avec l’aide de Médecins du monde. C’est qu’il faut organiser le recensement et les flux, “pour qu’ils n’arrivent pas tous en même temps pour un bilan de santé ou des traitements au centre de Parmentier”, explique-t-il aux bénévoles. Quant à la proposition d’Anne Hidalgo d’ouvrir un centre d’accueil pour migrants à Paris, “ce n’est pas du ressort de la mairie mais de l’État”, insiste Xavier Vuillaume, conseiller santé au cabinet de la maire de Paris.
“Résidence, ça veut pas dire maison ?”
“La prise de position d’Hidalgo va dans le bon sens mais la vérité, c’est que ni la Ville ni l’État ne prend d’initiative par rapport à la situation d’urgence, déplore Alexandre Fleuret, du PCF. Ils prennent rarement le relais pour solliciter les associations sur tels ou tels besoinsC’est vrai pour la santé ou l’aide juridique mais
Les policiers nous souhaitent bon courage…
Alexandre Fleuret
aussi pour l’hygiène. Par exemple, il faut qu’on appelle pour le ramassage des ordures. Personne ne s’est dit qu’il y aurait des besoins supplémentaires, personne n’a eu l’idée d’envoyer un camion poubelle. Les policiers viennent toutes les trois heures voir comment ça se passe, si tout est O.K. Ils sont sidérés par cette situation, nous souhaitent bon courage…”
La police française, Adam Ali Ahmad, jeune Soudanais de 26 ans, diplômé en économie, n’en a pas une image particulièrement reluisante. En une semaine, il a vécu trois évacuations (La Chapelle, puis l’église Saint-Bernard et la halle Pajol). Toujours plus musclées. Comme beaucoup d’autres, il a rejoint l’Italie par bateau depuis la Libye. Débarquement à Lampedusa, traversée de l’Italie, Nice et enfin Paris. Il dit avoir passé 27 jours dans le centre de rétention administrative de Vincennes où on a “essayé de (l)e renvoyer au Soudan”. Grâce à un avocat de l’Oxfam, il est libre. Enfin, pas vraiment, selon lui. “Je ne suis pas libre, lâche-t-il en se plaignant du froid. Je sais que mon dossier est parti à la Cour européenne des droits de l’homme. Moi, si j’avais dû écrire quelque part, j’aurais écrit à la Cour européenne des droits de l’animal.” Il a à manger mais pas d’appétit. Il montre les deux papiers remis par la préfecture et esquisse un sourire. L’un indique qu’il n’est “pas en mesure de quitter le territoire”, l’autre fait mention d’une “assignation à résidence”. Il demande : “Résidence, ça veut pas dire maison ?”
Ultimatum du Bois Dormoy
L’interminable errance d’Adam et des autres migrants dans le nord parisien n’est pas terminée. À 17h25, l’association du Bois Dormoy envoyait aux rédactions un communiqué intitulé “Ultimatum du Bois Dormoy aux pouvoirs publics” dans lequel elle explique qu’elle “ne peut pas prolonger son accueil au-delà de jeudi 11 juin, 15h”. Soit demain. Elle ajoute des points sur les i : “L’association gestionnaire du jardin partagé du Bois Dormoy n’a pas la capacité de se substituer aux pouvoirs publics (État et Ville de Paris) dans le traitement des questions humanitaires, sanitaires et administratives liées à la situation des migrants.” À 19h30, Agathe Ferin-Mercury affirmait n’avoir eu aucun contact avec les pouvoirs publics et précisait : “Nous avons dépanné dans l’urgence mais il n’a jamais été question que ce soit une solution durable. Nous ne sommes ni des militants ni des professionnels de l’humanitaire, et pourtant on a l’impression que le pouvoir et l’administration se reposent sur nous.”
Par Vincent Riou / Photos : Renaud Bouchez pour Society
“Deux de tension, super soporifique, poussif…” Le 77e Congrès du Parti socialiste s’est achevé ce midi avec un discours façon pétard mouillé de son premier secrétaire, Jean-Christophe Cambadélis. Comme un résumé d’un week-end à Poitiers où, à force de vouloir apparaître apaisé, le PS a versé dans la léthargie.
Par Julien Proult
Jeunes premiers.
Tout au fond, près de la sortie, un militant s’est décidé à faire le chauffeur de salle. Peut-être un copain de Jean-Christophe Cambadélis, ou alors juste un type mal à l’aise. Il fallait bien que quelqu’un se dévoue pour lancer les applaudissements à la fin d’un discours que le premier secrétaire a conclu avec une touche bien perso : en imaginant une possible disparition de son parti. Il fallait oser, “Camba” l’a fait. “Je me dis que si jamais le Parti socialiste venait à disparaître, la République perdrait sa meilleure défense. Je crois que sans ce parti, la France perdrait plus qu’un parti. La France perdrait en humanité et les Français perdraient espoir. Oui, sans ce parti, la France ne serait plus la France.” Comme “pep talk”, on a connu mieux. Au moins, ceux qui voulaient éviter à tout prix la cacophonie ont été servis.
Baumel parle, Valls s’en fout
À Poitiers, le PS a voulu parler d’une voix. Renvoyer une image unifiée, apaisée. Une scène, pourtant, en dit long sur le fossé que le congrès poitevin a échoué à combler. Il est 11h30 dimanche matin : pendant que le député Laurent Baumel explique à la tribune pourquoi les frondeurs de la motion B n’ont pas signé le document final du Congrès, “L’adresse au peuple de France”¸ Manuel Valls vient faire un tour auprès des journalistes. Les frondeurs parlent au gouvernement. Le Premier ministre, visiblement, s’en fout.
Rentré dans la nuit de Berlin où il a assisté à la finale de la Ligue des champions, le fan du Barça distribue ses punchlines. Il dit : “Les Français veulent du sens, de l’innovation, du leadership.” Un journaliste remarque : ”C’est peut-être là que François Hollande n’a pas été bon.” Il répond : “C’est là où moi, j’ai été très bon.” Vivement 2017.
Le Premier ministre réagit aussi à la tribune incendiaire d’Arnaud Montebourg dans le JDD du matin. “C’est pour que vous ayez quelque chose à raconter ce matin. Une partie de la presse a besoin de la castagne.”
Montebourg en guest-star
Il faut dire que l’homme à la marinière n’y va pas de main morte. Même loin, c’est la star du début de matinée à Poitiers. Dans cette tribune cosignée avec le banquier Matthieu Pigasse, il dézingue : “Hébétés, nous marchons droit vers le désastre (…) L’absurde conformisme bruxellois de la politique économique de la France actuelle est devenue une gigantesque fabrique à suffrages du Front national.”
Après trois jours sans réel coup d’éclat, la sortie de Montebourg fait parler. “Irresponsable”, “absurde”, “insulte au parti”¸”simple coup de com’”, les tenants de la ligne majoritaire l’ont mauvaise. Les frondeurs, eux, apprécient. “Il faut secouer les pensées poussiéreuses. C’est très bien qu’il y ait des renforts extérieurs au parti”, dit Christian Paul, leur chef de file. Quant au timing, “il est excellent”, se réjouit le député de la Nièvre. “Depuis deux jours, on entend le ronron de la pensée unique du parti. Sans ça, on n’aurait eu que la ‘Camba Story’.” Montebourg, au moins, n’a pas besoin de chauffeur de salle.
Par Julien Proult
À Poitiers, le PS bouge encore. Après une première journée assommée autant par la chaleur que par le ronronnement des débats, le 77e Congrès du Parti socialiste est sorti pendant un moment de sa torpeur aujourd'hui, secoué par un discours volontiers animé de Manuel Valls.
Par Julien Proult / Photo : Louis Canadas
Il est monté sur scène accompagné d’une grosse sono et en est reparti avec La Marseillaise. Entre-temps, au cours d’une allocution d’une heure attendue par tout le monde à Poitiers, le Premier ministre a parlé gauche, socialisme, rassemblement. Puis a fait applaudir toute la famille socialiste : de François Hollande à Najat Vallaud-Belkacem en passant par Jean-Marc Ayrault, Jean-Christophe Cambadélis, les élus… et même les militants. L’occasion d’une ou deux standing ovations qui ont eu le mérite de réveiller une salle plénière pour une fois remplie.
Valls et le PS sont-ils vraiment de gauche ? Oui, a assuré le Premier ministre, mais “la gauche, ce n’est ni une fuite en avant ni un immobilisme, c’est un mouvement généreux, c’est la certitude que notre pays peut tenir son rang parmi les grandes nations sans oublier son idéal”. François Hollande est-il un bon président ? Non, “c’est un grand président”, a lancé le chef du gouvernement, soulignant au passage sa “loyauté sans faille à l’égard” du chef de l’État.
Des Strepsils pour Benoît Hamon
Au milieu d’une ou deux annonces et promesses déjà faites – le prélèvement de l’impôt à la source, la poursuite des réformes –, le Premier ministre s’est aussi attaché à faire vibrer une corde socialiste un peu ramollie dans les “fédés”. “Je respecte les socialistes, j’aime les socialistes, je suis militant depuis 1981”, a-t-il rappelé. “Nous serions devenus le parti des fonctionnaires, des bobos, des minorités. Non, ce n’est pas ça le parti (…) Non, le PS n’est pas mort, parce qu’il y a les sympathisants et les militants.”
Après ça, l’ambiance est un peu retombée. Entre deux shows de frondeurs, il y a bien eu Benoît Hamon et son mal de gorge citant pêle-mêle Zola, Jaurès et Guy Mollet ; Gérard Collomb qui a agité les bras ; ou encore Stéphane Le Foll et ses manches de chemise relevées. Mais le patron, c’était “Manuel”. “C’est le Congrès de Valls”, estimait d’ailleurs Anne, militante des Alpes-Maritimes “ressourcée par un discours rassembleur”. “Manuel” ne passera pas la nuit à Poitiers. Il sera à Berlin. Pour renforcer les liens franco-allemands ? Non. Son club de cœur, le FC Barcelone, y affronte la Juventus Turin en finale de la Ligue des champions.
Suite et fin demain avec le discours du boss (officiel), le premier secrétaire Jean-Christophe Cambadélis.
Par Julien Proult / Photo : Louis Canadas
Ross Ulbricht, le créateur de "l'eBay de la drogue" Silk Road qui avait fait l’objet d’un long portrait dans le Society #1 (6 mars 2015) vient d'écoper de plusieurs peines de prison, dont deux à perpétuité. Sa mère mène un combat acharné pour le défendre depuis qu'il a été arrêté. Et cette condamnation ne l'empêchera pas de continuer.
Par Thomas Pitrel
Elle a passé une bien mauvaise fête des Mères, mais ce n’est ni la première ni a priori la dernière. Vendredi dernier, le 29 mai, Lyn Ulbricht a vu son fils être condamné par la justice américaine à cinq peines différentes, dont deux peines d’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de remise de peine. Les États-Unis aiment cumuler. Ce qui est reproché au fiston ? “Distribution de narcotiques par le biais d’Internet” ; “entreprise criminelle continuelle” ; “association de malfaiteurs dans le but de commettre, soutenir et encourager le piratage informatique” ; “association de malfaiteurs dans le but de trafiquer des documents d’identité frauduleux” et “blanchiment d’argent”. Lyn est en effet la maman de Ross Ulbricht, 31 ans, créateur de Silk Road, sorte d’eBay de la drogue qui a sévi entre février 2011 et novembre 2013 sur le deep web.
Depuis l’arrestation de son fils, il y a un peu plus d’un an et demi, Lyn Ulbricht n’a plus qu’un seul but : le faire sortir de sa geôle. Avec pas mal d’arguments à avancer. Selon elle, Ross n’était en effet plus derrière le pseudonyme de Dread Pirate Roberts (l’administrateur du site) lorsqu’il a été arrêté. Dans un article publié avant-hier sur le site de soutien FreeRoss, elle souligne également que les faits pour lesquels son fils est condamné sont des actes non violents (même s’il est par ailleurs accusé d’avoir commandité plusieurs meurtres) et que la peine est donc disproportionnée. Pour elle, Ross a été utilisé comme exemple pour montrer la détermination renouvelée de l’administration américaine dans sa fameuse “guerre contre les drogues”.
Qu’avez-vous ressenti quand vous avez entendu la condamnation ?
J’étais sous le choc. Je savais qu’il y avait une possibilité qu’il soit condamné à perpétuité mais vu que l’accusation n’avait pas demandé une peine de prison à vie, je pensais qu’il y avait bon espoir que la juge ne la lui donne pas. La punition ne correspond pas au crime, notamment pour sa conduite non violente.
Étiez-vous préparée à ça ou étiez-vous convaincue que la juge serait moins ‘draconienne’ comme vous l’avez dit ?
J’espérais qu’elle donnerait une chance à Ross d’avoir quelques années à la fin de sa vie. Il avait 26 ans quand il a commencé Silk Road. Évidemment, il sera une personne tellement différente à 51 ans. Il ne créerait certainement pas un autre Silk Road. La juge aurait pu lui donner le minimum obligatoire de 20 ans, ce qui aurait pris à Ross les années les plus productives et précieuses de sa vie, et, donc, aurait été une sanction sévère, mais tout en lui laissant un peu de temps pour vivre sa vie.
Vous pouvez demander un nouveau procès et faire baisser la condamnation de votre fils ?
Oui, Ross va faire appel de ce jugement.
Ces deux dernières années, vous vous êtes beaucoup battue pour votre fils. Qu’allez-vous donc faire désormais pour continuer votre combat ?
Je considère que mon combat pour Ross est aussi un combat pour d’autres cas importants. Comme par exemple l’horrible et vaine guerre que mène le gouvernement américain contre la drogue, les peines minimum inconstitutionnelles et l’atrocité du milieu carcéral américain qui gâche des vies humaines et qui prend pour des décennies des personnes non violentes comme Ross. J’ai prévu d’écrire et de parler de ces problèmes, tout comme du cas de Ross, dans l’espoir de sensibiliser le public.
Vous avez rencontré de nombreux défenseurs de Ross ces deux dernières années. Êtes-vous plus familière avec les idées libertariennes de votre fils désormais ? Et pensez-vous que cette condamnation est une preuve que ces idées sont les bonnes ?
Je n’étais pas étrangère aux idées libertariennes avant, mais j’en ai encore plus appris avec cette affaire. Je pense que la condamnation de Ross et son procès mettent en lumière la puissance du gouvernement américain et son empressement à violer les droits pendant une procédure pour obtenir ce qu’il veut.
Avez-vous vu Ross depuis sa condamnation ?
Oui, hier. C’était très dur de lui rendre visite. La réalité brutale de la vie derrière les barreaux sans libération conditionnelle possible pèse lourd sur Ross, ainsi que sur notre famille. Ross fait face du mieux qu’il peut, mais je peux voir que c’est une épreuve écrasante.
Pensez-vous toujours que Ross n’est pas Dread Pirate Roberts ?
J’ai plusieurs raisons de croire qu’il y avait différents Dread Pirate Roberts. Cela vient de mes recherches personnelles et de l’expérience d’autres personnes qui connaissaient bien Silk Road comme des vendeurs ou des architectes. Même le propre témoin du gouvernement, Jared Der-Yeghiayan, a dit qu’il pensait qu’il existait plusieurs Dread Pirate Roberts. Nous savons également maintenant que deux agents fédéraux corrompus avaient un accès privilégié au site Silk Road, avec la possibilité de prendre le contrôle du compte de Dread Pirate Roberts. Donc si Ross était Dread Pirate Roberts, je ne pense pas qu’il l’était tout le temps.
Sur votre blog, vous avez écrit que cette condamnation servait d’exemple pour la guerre contre la drogue, qui n’a ‘ni diminué ni empêché l’usage de drogues’. Surtout que certaines études montrent que Silk Road ‘réduisait certains dommages liés au milieu de la drogue et sauvait ainsi des vies’. Pensez-vous qu’un site comme Silk Road est, finalement, une meilleure façon de lutter contre le trafic de drogues que la politique du gouvernement en la matière ?
Je ne défends ni l’usage de drogues ni Silk Road. Cependant, il met en évidence l’échec de la guerre contre la drogue du gouvernement, qui n’est pas la bonne solution pour arrêter la consommation de drogues, pas plus que la prohibition empêchait la consommation d’alcool.
Par Thomas Pitrel
18h30, Bar de la 3e Mi-Temps, en face du Stade de France, à Saint-Denis. Coup d’envoi du mouvement Les Jeunes avec Juppé. Quatre jours après le congrès de lancement des Républicains, près de 400 jeunes juppéistes, la vingtaine, se sont réunis. Ils trépignent en attendant “celui qui saura rassembler”, “le seul au charisme d’un homme d’État” ou, carrément, “le plus jeune d’entre nous”. Soir des grands matches et ambiance de meeting. Leur idole arrive. Avec en ligne de mire, les primaires.
Par Arthur Cerf, Léa Lestage et Agate Loze
“Ça me dérangerait d’être rue de Vaugirard pour lancer le mouvement.” Dans un coin du bar la 3e Mi-Temps, Emmanuel, étudiant à HEC, triture son gobelet de bière. Avec son pote de promo Yama, 22 ans, ils ont suivi Juppé comme une rock star dans sa tournée “Binouzes” à Sciences Po, l’ESSEC ou Dauphine. Le 30 mai, ils étaient aussi au congrès des Républicains, pour le soutenir “face à l’hostilité”. Ce soir, ils arborent fièrement leur pin’s à l’effigie du mouvement “Les Jeunes avec Juppé” lancé le 2 juin. Les plus chanceux ont même réussi à choper un t-shirt #JeunesVotentJuppé. Parmi eux, Auriane, 22 ans, organise l’évènement. L’idée du bar, c’est elle. “Ça le fait de boire une bière avec Juppé.”
“Les Tontons flingueurs, je l’ai revécu y a pas si longtemps”
Toute la soirée, les jeunes enchaînent les verres aussi vite qu’ils enfilent les mantras politiques. Pêle-mêle, Marine, lycéenne de 18 ans évoque “le renouveau qu’il incarne”, “sa personnalité qui inspire la confiance” et “le pouvoir de faire évoluer les choses”. Il est 19h45, Saint-Juppé entre dans l’arène. Une arrivée sur Can’t Hold Us de Macklemore, parce que ça fait jeune. Applaudissements, cris de joie et crépitements des flashs. Ambiance de meeting. Il monte l’escalier dans le boucan des “on va gagner, on va gagner !”, s’empare du micro et balance, un brin ambitieux : “La prochaine fois, on remplit le Stade de France !” Eux, applaudissent. Juppé est “ému”. Applaudissements. Il retire sa cravate. Applaudissements. Un petit film, Pourquoi je vote Juppé ? est ensuite projeté dans le bar. Le bruit assourdissant le rend inaudible, obligeant certains jeunes à lui expliquer les blagues. La gêne et l’embarras sont palpables. Pour se sortir de ce mauvais pas, Juppé fait diversion : “Je suis vraiment très ému.” Décidément. Nouveaux applaudissements. S’ensuit un discours attendu sur le “fléau inexorable du chômage” et “le plantage économique du gouvernement actuel”. Puis une promesse de campagne est lancée, enfin : “Si je suis élu, je rétablirai la bourse au mérite.” Une bourse destinée aux bacheliers ayant décroché une mention très bien – elle est encore effective mais le gouvernement a décidé, fin mai, de la diviser par deux, la faisant passer de 1 800 à 900 euros. Ça papote au fond du bar. Juppé finit par lâcher deux-trois piques sur Sarkozy, histoire de remobiliser tout le monde. “Ici, c’est plus chaleureux que samedi dernier !” avant d’enchaîner : “Les Tontons Flingueurs, je l’ai revécu y a pas si longtemps.” Ambiance.
Il y a des jours où les hommes politiques aiment se faire cuisiner par des journalistes.
On le traîne ensuite dans un coin du bar où un photomaton est installé. Puis au comptoir, où il sirotera sa bière face aux caméras des chaînes de télé. Le chef lui apporte un ballon de rugby “pour la photo”. “Un selfie hollywoodien, M’sieur Juppé ?” demande Inès, 19 ans, étudiante en histoire. “Je préfèrerais qu’il soit local !” rétorque-t-il, se prenant au jeu.
La Juppémania : un appétit pour le vintage ?
Une assiette de charcuterie en terrasse et une question récurrente : d’où vient cette hystérie des jeunes pour un personnage politique qu’ils n’ont pas connu du temps où il était ministre des Affaires étrangères puis Premier ministre dans les années 90 ? Évidemment, lui botte en touche : “Ça, c’est aux jeunes de le dire.”
Pour Yama, cette fascination a deux explications : “Il n’était pas au premier plan de la scène politique ces dernières années et dans les dernières années du mandat de Sarkozy, ça joue sur sa popularité.” La seconde, l’étudiant de HEC l’avoue à demi-mot : “Il y a aussi un appétit des jeunes pour le vintage, il ne faut pas se mentir, le succès des t-shirts Chirac le prouve d’une certaine manière.” Quid des manif’ de 1995 contre les réformes de Juppé ? “Ça force mon admiration. Imaginez la force de résistance qu’il faut avoir”, commente-t-il avant de conclure sèchement : “Si les réformes de 1995 étaient passées, on n’en serait pas là aujourd’hui.”
Presque 22h, Juppé finit par quitter le bar sous les “Juppé, président ! Juppé, président !” Avant de s’engouffrer dans sa voiture, il se retourne vers ses fans et lâche, le poing serré : “Je reviendrai.” L’occasion de rappeler qu’un nouveau Terminator sortira en salles le 1er juillet prochain.
Par Arthur Cerf, Léa Lestage et Agate Loze
Quinze ans après Le Bilan, sept ans après leur dernière apparition, Jacky et Ben-J des Neg’ Marrons reprennent le mic’ pour soigner la préparation de leur cinquième album intitulé Valeurs sûres (sortie prévue à l’automne 2015), dont le deuxième titre sera dévoilé la semaine prochaine. Ils déroulent le bout de vie qui les a laissés à l’abri du rap game et prouvent, à base de punchlines affûtées, que leur tactique est toujours l’attaque. Entretien entre deux bouteilles de Caraïbos.
Par Matthieu Amaré
En 2008, on se demandait déjà où vous étiez passés avant la sortie de votre quatrième album, Les Liens sacrés. Et voilà que vous mettez sept ans à revenir. Pourquoi vous faites d’aussi longs breaks à chaque fois ?
Jacky : Pour le public, pour les gens qui nous suivent, ça peut paraître long. Mais nous, ces sept années, on ne les a pas vues passer. On a défendu Les Liens sacrés aux quatre coins du monde. Et puis, on a produit. On est continuellement en studio depuis une bonne quinzaine d’années. On a aussi pris du temps pour nous, avec la famille. Il fallait faire un petit break pour se retrouver et kiffer. Enfin, au moment de revenir en studio, il a fallu trouver la bonne ligne artistique pour le prochain disque. La musique a changé, l’écoute des gens a changé et on ne voulait pas arriver avec un truc qu’on avait déjà fait. On veut aussi se confronter à la nouvelle scène.
Vous êtes revenus avec un single, Fast Food Music, dans lequel vous taclez la scène rap actuelle. Qu’est-ce qui vous agace exactement ?
Ben-J : La musique vite faite, vite consommée, vite digérée. Et les pages vite tournées. Fast Food Music, c’est un titre pour recadrer tout ça. Même si les nouvelles technologies permettent une diffusion plus rapide de la musique, elles permettent aussi d’enregistrer plus rapidement, plus facilement. Les maisons de disques ont aussi besoin de cette musique vite faite et de faire signer des artistes sur des clics. Mais il ne faut pas oublier l’essence même de la musique qui reste l’artistique. Il faut dire des choses, faire passer des messages, réveiller des émotions chez les gens. N’oublions pas ça.
De la “fast food music”, il y en a donc plus qu’avant ?
Ben-J : Mais carrément ! Parce qu’il y a aussi un problème de culture. Le hip-hop est une musique qui vient des quartiers et qui est née pour dénoncer la misère
Le “c’était mieux avant”, ça dépend de l’époque où tu te places
Jacky
sociale de la rue. Quand on a écrit nos premiers textes, c’était pour dénoncer des injustices. Aujourd’hui, on côtoie des artistes de la nouvelle génération qui avouent ne pas savoir quoi raconter dans leurs textes. Ils n’ont rien à dire. Du coup, les mecs se recentrent sur eux et ça donne beaucoup d’ego trip. Parfois, ils s’inventent des vies. À l’arrivée, ça fait des morceaux qui ne perdurent pas et qui sont, malheureusement, assez médiocres.
Jacky : Après il y a du bon, on ne fustige pas tout le monde. C’est juste un état d’esprit général ou une manière de dire que l’industrie musicale part en live. En tant que “grands frères”, avant d’être des anciens, on a envie de dire à tout le monde : “Attention, les gars, il y a un cheminement, il y a des règles dans cette musique.” On ne peut pas faire n’importe quoi. C’est comme un match de foot, ça dure 1h30. Demain, tu vas pas venir et me dire : “Ton match, il dure 50 minutes maintenant.” On ne veut pas faire la morale à tout le monde non plus. On aime le son et l’énergie de ce morceau. On fait du ragga-hip-hop comme peu de personnes savent le faire en France. Et ce son, il annonce bien que les Neg’ Marrons sont opé pour un retour.
On a l’impression qu’en France, on dit depuis les années 2000 que le rap, c’était mieux avant. C’est quoi le vrai problème ?
Jacky : Franchement, c’est générationnel. Le “c’était mieux avant”, ça dépend de l’époque où tu te places. La question est plutôt de savoir, dans ce qui se fait aujourd’hui, ce qui est bon et ce qui ne l’est pas.
Vous avez traversé les générations. Pourquoi une majorité de personnes s’accordent-elles encore à dire que les années 90 étaient l’âge d’or du hip-hop ?
Ben-J : Avant, dans le rap, on mettait en avant l’écriture et le texte. Aujourd’hui, on est beaucoup plus dans la forme. Et pour moi, c’est une des différences majeures de l’époque. Je ne sais pas si c’était mieux. Si quelqu’un venais me faire écouter un truc de l’époque, je ne sais pas si je kifferais, même si je suis de l’ancienne école.
Jacky : Il est peut-être aussi trop tôt pour juger le son d’aujourd’hui. Peut-être qu’il faut attendre 20 ans pour juger le rap des années 2000. En 2025, on pourra dire qui est là, qui n’est plus là et ce qui a traversé les âges. Là, on pourra faire le bilan (calmement, ndlr).
Quelques années auparavant, beaucoup de choses tournaient autour du rap : une radio numéro 1 –Skyrock–, de grands rassemblements au Stade de France… Aujourd’hui, pensez-vous que le genre rassemble autant ?
Jacky : C’est vrai qu’on peut se poser la question. Pour le dernier Urban Peace, ils ont bradé les places. Le premier, elles partaient en cinq minutes. Il y a eu un changement. Les gens ont changé et ne kiffent plus les mêmes trucs. Maintenant, les jeunes sont obsédés par la trap music, par exemple.
Ben-J : Je pense que les médias ont un rôle à jouer dans tout ça. Aujourd’hui, on
Les jeunes pensent qu’Akhenaton est un vieux, alors qu’il a encore des choses intéressantes à leur dire
Ben-J
veut mettre un terme à toute une génération d’artistes en ne les diffusant plus. Du coup, ce que les jeunes entendent à la radio fait tout le temps référence aux mêmes sons, aux mêmes personnes. Il faut qu’on continue à mélanger les genres et surtout, il faut qu’on ait une discussion intergénérationnelle. Des rappeurs de l’ancienne école continuent à sortir leur album. Akhenaton a sorti son disque il y a six mois (Je suis en vie, ndlr) et il n’est pas beaucoup passé en radio. Du coup, les jeunes pensent que c’est un vieux, alors qu’il a encore des choses intéressantes à leur dire. Il ne faut surtout pas que la jeune génération se déconnecte de ses racines.
Jacky : Quand tu regardes les évènements hip-hop aux États-Unis, les old timers sont systématiquement invités. Ils côtoient la jeune génération et sont ultra-respectés.
Vous vous sentez déconnectés de cette jeune génération ?
Jacky : Non, parce qu’on baigne dans ce nouveau game. On suit le truc. Donc, tu vois, on n’est pas partisans du discours selon lequel il faudrait tout le temps regarder derrière. Il y a des nouvelles choses qui se font et il faut s’adapter. C’est comme si tu disais : “L’iPhone, ça me fait chier, je garde mon Motorola.” Les choses évoluent et nous, on cherche constamment l’adaptation. Parfois, quand je ne comprends pas le délire des jeunes artistes, j’essaie d’aller plus loin. Jouer aux vieux cons, ça sert à rien.
En octobre 2015, vous sortez votre cinquième album, Valeurs sûres. Quelle est l’idée derrière le titre ?
Ben-J : On a croisé beaucoup de monde pendant nos tournées qui nous disaient : “Revenez, on a besoin de vous, vous êtes une valeur sûre.” C’est un terme qu’on a beaucoup entendu à notre sujet. On a voulu faire un clin d’œil à ces gens-là. Ça qualifie aussi notre musique qui, pour nous, est une valeur sûre. Elle nous permet de nous évader, de faire passer des messages.
Jacky : On voulait exprimer quelque chose qui dure. Aujourd’hui, quand on parle des Neg’ Marrons, on parle d’un groupe qui a 20 ans de carrière, qui a fait plein de projets en parallèle et qui revient avec un cinquième album. On peut donc dire qu’on est une valeur sûre, une sorte de groupe classique dans lequel tu sais ce que tu vas trouver. T’as forcément un magasin de fringues préféré, non ? Eh ben tu sais très bien qu’en y allant, tu vas trouver ton bonheur.
En parlant de classique, on n’entend plus les Passi, Doc Gynéco, Stomy Bugsy… De l’époque dorée du Secteur Ä, il ne reste pratiquement que vous. Comment ça se fait ?
Ben-J : Ils reviennent tous ! Lino a ouvert la marche avec son album Requiem qui est sorti en janvier.
Jacky : Mais pour nous, c’est comme si ça ne s’était jamais arrêté. Tous ces mecs sont encore dans le game. “Discographiquement” parlant, c’est vrai qu’on a marqué un temps d’arrêt. Mais on n’a jamais pensé en termes de come-back. Cet album, il s’inscrit dans une continuité. Et puis, on n’est pas de la génération Internet. On n’a pas le réflexe d’aller tous les jours sur les réseaux sociaux pour raconter ce qu’on est en train de faire. Donc, les gens pensent qu’on roupille alors qu’on taffe. Grave.
Et pourquoi vous, vous êtes encore là ?
Jacky : Je pense qu’on a une place à part dans ce game. Notre style est un peu différent, c’est un mélange de hip-hop et de reggae. On a toujours réussi à naviguer entre les deux univers et c’est vrai qu’on est l’un des rares groupes qui peut venir à la fois dans un concert de hip-hop et dans un festival de reggae pour foutre le bordel.
Ben-J : Avec des singles comme Le Bilan, Petites îles ou Tout le monde debout, on est rentrés dans la case des artistes populaires. On a la chance de faire encore des festivals où se massent 20 000 personnes. Et quand on balance Le Bilan, tout le monde reprend.
Qu’est-ce qui vous indigne en ce moment ?
Ben-J : Ce qui m’indigne, c’est le décryptage de l’information effectué par les médias. Il sème la confusion et divise les communautés. On nous rabâche une information dans un sens qui n’est pas positif. Ça crée un climat de tension à la fois palpable et désolant. Du coup, chacun se retranche derrière sa communauté.
Jacky : Il y a quelques années, on nous parlait de diversité. Comme si on découvrait qu’on était dans un pays multiculturel. Nous, on n’avait pas besoin qu’on nous le dise. On savait qu’en France, il y avait des Polonais, des Arabes, des Portugais. Dans le quartier, on a grandi avec ses cultures sans faire de différence. Aujourd’hui, j’ai l’impression que le message qu’on nous renvoie, c’est l’inverse.
On n’a pas beaucoup entendu les rappeurs après les attentats contre Charlie Hebdo. C’est étrange, non ?
Jacky : Le problème de Charlie, c’est qu’il a plusieurs lectures. Et quand les gens veulent que tu en parles, ils s’attendent à ce que tu le fasses selon une seule
On vient d’une génération où si t’as rien à dire, mieux vaut fermer ta gueule
Jacky
lecture : la liberté d’expression. Pourtant, tu ne peux pas réduire Charlie à l’unique liberté d’expression. Selon moi, on a voulu récupérer les drames de janvier pour qu’on puisse tous affirmer : “Nous sommes Charlie.” En condamnant du même coup ceux qui ne l’étaient pas. Tout le monde doit être contre les barbaries commises, mais avant les attentats, très peu de gens cautionnaient ce que faisait Charlie Hebdo.
Vous aviez un avis sur Charlie Hebdo avant les attentats ?
Jacky : Franchement, je ne m’y intéressais même pas. Ça ne me parlait pas. Comme beaucoup de monde, hein. Les mecs, ils vendaient 15 000 exemplaires, ils intéressaient personne grosso modo. L’élan de solidarité au cours duquel la France s’est soulevée, c’était contre les attentats, pas pour prendre un abonnement à Charlie Hebdo.
Pourquoi très peu de rappeurs se sont soulevés, alors ?
Jacky : Parce que t’étais sur un fil ! Chaque fois que tu l’ouvrais, les médias te mettaient dans une case. Et si tu n’allais pas dans leur sens, tu te faisais tacler.
Ben-J : Booba est un des seuls qui en a parlé dans un texte. Et qu’est-ce qu’il s’est passé ? Les médias lui sont tombés dessus. Mais la liberté d’expression, elle est où alors ?
Jacky : Quand Luz fait son dessin sur Booba, une grande majorité de médias crie au génie. Booba répond, avec un dessin en plus, et on le cloue au pilori.
Faut dire que le dessin…
Jacky : Ouais mais le problème est ailleurs : quand un rappeur exprime un avis, quelle que soit la manière, ça devient tout de suite un petit con qui n’a rien dans le crâne.
Vous retournez souvent à Garges-Sarcelles, le quartier où vous vous êtes rencontrés ?
Ben-J : Bien sûr. J’y suis né. J’ai encore tous mes potes là-bas, ma famille est là-bas, ça reste nos racines. Ça ne changera jamais.
Jacky : Après, si la question est de savoir si on est toujours assis au quartier, non. D’une part, on a plus le temps et d’autre part, ce n’est plus notre rôle. C’est quelque chose qu’on a fait il y a 20 ans et ce serait malheureux qu’on soit encore sur le bitume. Mais on continue à travailler avec des gens qui viennent essentiellement de Garges. Le lien est trop fort. Demain, je peux déménager au bout du monde, je resterai un mec du 9-5. On restera la voix du ghetto. À l’époque, on disait : “On n’est pas des porte-parole mais on est conscients que nos paroles portent?” Ça restera comme ça et de toute façon, on vient d’une génération où si t’as rien à dire, mieux vaut fermer ta gueule. Si on prend le micro, c’est pour dire quelque chose.
Par Matthieu Amaré
Alors qu’en France, la SNCF a récemment annoncé la mise à la disposition des artistes de plusieurs lieux désaffectés, en Slovaquie, l’association Truc sphérique fait revivre la culture en périphérie de Zilina, dans une ancienne gare abandonnée. Reportage.
Par Christophe Gleizes
Le fameux S2.
Il faut remonter une longue rue sinistre et désaffectée, parallèle au chemin de fer, coincée sur sa gauche par l’autoroute et sur sa droite par des bâtiments délavés. Au milieu des tags colorés, des poubelles et des containers, une structure aussi noire que bizarre, écrasée par une rocade en pierre, supporte sans trembler les allées et venues de camions aux pots d’échappement défectueux. C’est en s’approchant que l’on réalise que se dresse ici une construction très particulière. “C’est beau, hein ?” interroge Robert Blasko, 37 ans, en caressant fièrement du doigt la chose sphérique : “C’est un théâtre. On s’est inspirés d’un architecte allemand un peu taré. Tout est construit en matériaux recyclables.” Il aura fallu 30 000 caisses de bières, de la paille et beaucoup de fils plastiques pour construire, dans une gare désaffectée de Zilina, le Centre culturel Stanica –baptisé S2–, nouveau lieu à la mode en ville : 120 places assises, 300 debout, avec toilettes intégrées, le dernier chic dans un quartier qui l’est moins. “On a demandé de l’aide à une entreprise de boissons tchèque, c’était un bon coup de pub pour eux”, explique Robert, fier de son ingéniosité : “Ils ont bien voulu nous donner 3 000 briques gratuitement. Sans la bière, malheureusement.”
Le S2 vu des rails.
À l’ombre de la terrasse, autour des volontaires et autres stagiaires qui s’activent, Robert l’avoue sans honte, il est un “mendiant professionnel”. Autrement dit, le responsable de la collecte de fonds qui a permis d’aboutir à ce complexe culturel, qui contient aussi une gare fraîchement rénovée, un local pour réparer les vélos et un jardin accueillant campeurs et festivaliers. “Tout a commencé avec deux amis au lycée, il y a 20 ans. Il n’y avait pas de centre culturel dans la ville, qui est très industrielle, et on en a eu marre de chercher. Alors on a décidé de le créer nous-même”, explique-t-il presque nostalgique, en touillant son café. “On est tombés sur cette vieille gare désaffectée, qui était en ruine… On a tout de suite vu le potentiel, avec le train qui s’arrête juste devant, c’était parfait.” Inspiré, Robert fait alors une demande officielle à la compagnie ferroviaire, qui refuse de céder les lieux, sans fermer pour autant la porte :“Ils nous ont dit qu’ils pouvaient nous en laisser l’exploitation pendant 30 ans, si on rénovait tout par nos propres moyens.”
Famille, amis et huile de coude
Sûr de son projet, Robert accepte. Le problème, à l’époque, c’est qu’il y en a quand même pour plus de 400 000 euros de travaux. Une somme dans un pays comme la Slovaquie, où le PIB par habitant ne dépasse guère les 12 000 euros. Peu importe, les trois lycéens commencent à bosser avec les moyens du bord, aidés de temps en temps par leur famille et des amis. “Tout le monde a mis la main à la pâte. Au fur et à mesure, nous avons trouvé des sponsors et nous sommes parvenus à lever des fonds.” Le résultat est parlant. En quelques années, la vieille gare mitée sans fenêtre se transforme en siège social lumineux, avec un bar au rez-de-chaussée, où les clients sirotent leur thé en feuilletant des bouquins et un atelier à l’étage, utilisé pour les répétitions et la confection d’accessoires. De quoi déjà accueillir plusieurs séminaires et quelques spectacles. Mais ce n’est qu’un début. En 2004, l’association entreprend aussi d’assainir la décharge publique qui entoure le bâtiment, histoire d’alléger l’atmosphère. L’homme qui va s’en occuper, c’est Christian Potiron.
La salle de spectacle en pleine réfection.
Venu tout droit de Paris, Christian a été l’un des premiers étrangers à rejoindre l’association, sans doute attiré par son nom, hérité des cours au lycée. “Il a très vite eu l’idée de transformer la décharge en jardin. À l’époque, c’était un vrai dépotoir, jamais on aurait pu imaginer la métamorphose”, reprend Robert, lancé à vive allure dans un tour du propriétaire : “Vu que la municipalité ne pense qu’à bâtir des buildings et des parkings, c’est le premier espace vert créé à Zilina depuis la révolution. Il est assez modeste, mais c’est un geste symbolique.” Il aura fallu quatre années de travail à Christian pour voir le bout de son projet, entamé en 2004. “C’était un travail énorme, il nous fallait au moins quelqu’un avec un nom prédestiné”, rigole Robert, en grattant sa barbe finement taillée. Il est VIP maintenant.” Peu à peu, le complexe prend forme. Les premiers séminaires culturels se créent, le bouche-à-oreille fonctionne. “Très vite, on a compris la nécessité de s’agrandir encore. Mais le problème qui se posait pour nous, c’était de réussir à construire un bâtiment sans argent.” Le résultat, c’est ce théâtre sans équivalent, construit à l’été 2008, avec beaucoup d’huile de coude et un peu moins de 10 000 euros.
Ceci n’est plus une décharge publique.
Projet suivant : la synagogue
“C’est une construction contemporaine qui n’est pas connectée au sol et qui n’a pas de base”, détaille le maître des lieux, d’une voie qui résonne dans l’obscurité. On nous a expliqué que la forme est circulaire car la plus stable en architecture. Un seul cercle n’aurait pas suffit donc on en a connecté deux, pour ne former qu’un seul ensemble.” Après avoir passé l’entrée, c’est-à-dire un vieux container maritime usagé, le visiteur débouche sur un couloir en contre-plaqué qui conduit à la salle principale, vaste et espacée. Aujourd’hui, plus de 250 spectacles s’y jouent à l’année, essentiellement des représentations théâtrales, des ballets de danse et des concerts de rap. Pour assurer le show, l’association se repose sur de nombreux volontaires, venus de toutes l’Europe. C’est le cas de Youri, un artiste Georgien de 24 ans, arrivé il y a neuf mois pour projeter des films d’animation : “Je les ai repérés sur Internet, c’est le seul endroit culturel valable à Zilina”, explique celui qui bêche aussi dans le jardin et tient le bar à l’occasion. L’ambiance est superbe, je me sens comme à la maison. Ce que j’aime surtout, c’est qu’on travaille pour les gens d’ici. Ils ont créé quelque chose à partir de rien et les habitants leur en sont reconnaissants.”
“C’est le seul endroit culturel valable à Zilina”
Youri, un artiste Georgien de 24 ans
Aujourd’hui, l’association n’a plus rien à voir avec les débuts. Cinquante personnes se relaient à flux tendu, alors que les partenariats internationaux se multiplient. De quoi augmenter l’ambition de Robert, qui rénove en ce moment la vieille synagogue de Zilina. Construite en 1929 par l’architecte Peter Behrens, elle est l’un des cinq bâtiments les plus prestigieux du pays. Malheureusement, la Seconde Guerre mondiale a fait fuir la majeure partie des juifs de la ville, dont les deux tiers ont été tués à Auschwitz. “Depuis, la synagogue ne sert pas à grand-chose. Elle a été utilisée par l’université pour donner des leçons, puis comme cinéma pendant un moment, mais depuis sa faillite ce n’était qu’une coquille vide. La Ville a lancé un appel dans le journal pour recevoir les projets et c’est nous qui l’avons emporté. On veut en faire une galerie d’art international.” Tout ça grâce à l’apport de 2 000 donateurs savamment démarchés. La débrouille, toujours. “On a demandé à tout le monde, même au club de foot du MSK Zilina. Le propriétaire du club aime l’architecture, il nous donne 50 centimes sur chaque billet de football vendu.” Alors que les travaux sont bientôt terminés, l’inauguration est prévue pour l’année prochaine. Et cette fois-ci, c’est sûr, la bière coulera à flots.
Par Christophe Gleizes
Jour après jour, Roland-Garros 2015 vu de l'intérieur par l'œil totalement subjectif de Pauline Parmentier (94e mondiale, 8e de finaliste 2014).
Par Pauline Parmentier
Vendredi 29 mai – Monter à la volée pour rester jeune
Nicolas Mahut est un serveur-volleyeur. Oui, ça existe encore. C’est un joueur que j’adore et que je respecte énormément. Il est passé par de grosses galères, des blessures vraiment inquiétantes, mais il n’a jamais perdu son sourire, jamais rien lâché. Depuis deux ans, il revient à son meilleur niveau. Il a fait finale en double en 2013 à Roland-Garros. Cette année, il s’est préparé avec notre entraîneur de Fed Cup, l’espagnol Gabi Urpi, pour pouvoir gagner sur terre. Ça a payé : il a battu Coppejans en trois sets puis Gulbis en quatre sets et a joué cet après-midi un match incroyable – perdu en cinq sets – contre Gilles Simon. Physiquement, il m’a impressionnée grave. Il est monté plus de 100 fois à la volée, c’est monstrueux. C’est un joueur fin mais qui connaît son corps et qui change souvent d’entraîneur pour apporter à chaque fois un petit plus dans son jeu. On rigole toujours avec lui car on fait partie des joueurs qui ont le plus changé de coach dans leur carrière ; on se chambre là-dessus. Je sais pas comment il fait. Moi, j’aurais la tête a l’envers, lui, il l’a a l’endroit.
Des joueurs qui partent à l’assaut du filet, il y en a eu : Noah, Becker, Sampras, Rafter mais aussi Weaton, Balcells ou encore, évidemment, Federer… Nico, lui, n’arrête pas de monter au filet, et c’est quasiment le dernier ou presque. On a parlé de tout cela après le match : “Le ralentissement moyen des surfaces il y a dix ans n’a pas aidé, explique-t-il. Après, les modèles de joueurs d’aujourd’hui qui en découlent – Rafa, Djokovic, Murray, Nishikori – ne vont peut-être pas inciter les jeunes joueurs à monter.” Ce qui frappe chez lui par rapport aux autres volleyeurs, c’est que ça ne semble pas être une débauche d’énergie folle d’un type qui part à l’abordage mais un style très lucide, un peu comme Edberg, qu’il a copié, gamin: “J’ai eu parfois du mal à assumer que je voulais monter à la volée, surtout sur les surfaces lentes vu que je suis moins fort que les autres du fond du court, concède-t-il. De fait, j’ai pris le parti d’exploiter au maximum mes qualités et de proposer des variations : service volée, montée en deux temps, chip puis balle rapide, etc.” Cet hiver, il a connu une première sélection en Coupe Davis. À 33 ans. Posez-lui la question si vous le croisez dans les allées, il en parle avec fraîcheur, c’est beau. Moi, je vais continuer à aller le voir jouer. Parce que ce qu’il fait, c’est un plaisir immense qu’il offre aux spectateurs. Et il lui reste plein de matchs à gagner.
Jeudi 28 mai – Arrêter le tennis à cause de Twitter
“Putain, t’es vraiment qu’une merde.”
C’est, en substance, le genre de message que je reçois en une quinzaine de versions à peu près similaires sur Twitter lorsque je perds un match. Mardi, ça n’a pas manqué.
J’ai créé mon compte en 2013. Quelques semaines plus tard, les premiers messages que je recevais lorsque je rallumais mon smartphone après un match étaient des insultes. Des messages en anglais, nombreux mais quasi identiques. Beaucoup d’hommes, d’Europe de l’Est souvent. Pas vraiment des messages de déception de gens qui vivent les défaites à ma place, non, plutôt des types qui parient en ligne. Sur mes matchs. Et qui perdent. Certains me précisent combien ils ont parié. Sincèrement, ça ne me fait jamais marrer. Un mec qui écrit sa frustration d’avoir perdu 10 euros, franchement, qu’est-ce que j’en ai à foutre ? C’est son problème. Je ne veux pas être la cible de ce genre de personnes. Entre le Café des sports des sites spécialisés de types qui écrivent qu’ils feraient mieux que moi et Twitter avec d’autres tarés qui me demandent de crever parce qu’ils ont perdu 1,50 euro, c’est de la folie pure. Les réseaux sociaux sont très pratiques pour les sponsors et pour communiquer sur notre carrière mais nous, les joueurs, ça nous rend plus facilement accessibles et donc plus vulnérables. Après, les instances considèrent qu’on est assez grands pour gérer notre compte tout seuls, ce qui est vrai.
J’ai bloqué les messages d’inconnus sur Facebook. Sur Twitter, parfois, je donne mon avis sur mon sport. Bien évidemment, je me fais massacrer. Lorsque Bouchard n’avait pas voulu serrer la main de son adversaire en Fed Cup avant le match et que j’avais écrit que c’était triste d’en arriver là, je m’étais fait pourrir. Quand j’avais tenté un trait d’humour sur le mariage de Murray, beaucoup l’ont pris au premier degré et m’ont traité de sous-merde qui n’avait rien compris. Surréaliste.
Quand je reçois ces messages, je ne relance pas, je ne relance plus. Je pense toujours à une joueuse vers la 200e place qui avait répondu : dans la foulée, elle a reçu des photos de cercueil et des messages du style “Je vais te retrouver.” Je pense aussi et surtout à Rebecca Marino, une joueuse canadienne qui a vécu la même chose et qui n’a pas pu tenir. Elle a arrêté sa carrière. Enfin, elle s’est éloignée des courts pour un temps indéterminé. C’est aussi ça, la vie sur le circuit.
Mercredi 27 mai – Jouer simple en double
Bon, quand ça veut pas, ça veut pas. Même quand je suis aidée, en l’occurrence par ma copine Julie Coin. On a perdu. On a joué ce matin en double, un peu pareil qu’hier avec un très bon premier set qu’on perd 7-6 et puis derrière, la roue de vélo (6-0). C’étaient des têtes de série en face, mais quand même… Étonnamment, on était vachement dans le plaisir, on s’est bien marrées, on s’entend super bien, ce qui fait que jouer avec une pote, c’est au moins un bon moment de pris. Jouer avec des gens que j’apprécient moins ou que je ne connais pas trop, c’est quand même moins l’éclate, et ça peut être encore plus chiant à regarder. J’ai longtemps cru que le double, c’était pas cool du tout, mais en fait, ça te fait encore progresser sur des points où tu peux te laisser aller par confort. L’œil, par exemple, a besoin d’être stimulé, au retour, à la volée aussi.
L’interception à la volée sur retour de service, c’est très complexe à maîtriser, les qualités requises sont multiples et quand tu vieillis, eh bien il faut te bouger pour te réinventer. En France, le double est très peu considéré, alors qu’aux États-Unis ou en Angleterre, c’est une discipline voire un sport à part entière. C’est dans leur culture, on le sent beaucoup dans les catégories de jeunes. Là-bas, ils sont au taquet dès le plus jeune âge. Sur les Grands Chelems, ils sont bien là, et sur les tournois américains, il y a beaucoup plus de spectateurs que chez nous. Les spectateurs qui te suivent, sur les tournois ou les réseaux, c’est un sujet en tant que tel. Demain, j’écrirai sur Twitter et ses conséquences sur le tennis. Une minirévolution. Et un beau bordel dans les têtes…
Mardi 26 mai – Entrer par la sortie
Trop vite, trop court, ce Roland. Je ne suis pas passée à côté de mon match, mais c’est quand même embêtant de dégager aussi vite cette année. J’ai perdu 4 et 3. J’étais bien, pas du tout bloquée par l’événement mais j’ai clairement manqué d’agressivité. Mon adversaire, l’espagnole Soler-Spinosa, était un peu mieux classée que moi (74e contre 94e) mais on avait un peu la même filière de jeu. Ma tactique était donc assez simple: celle qui prendrait le jeu tout de suite à son compte gagnerait le match. Bon, eh bien ça n’a pas été moi.
Le premier set se joue en partie sur un truc improbable: à 5-4 pour elle, je sers une balle qui est let mais l’arbitre ne réagit pas. J’arrête le point. C’était tellement évident, pour le public aussi ! Mais l’arbitre considère que je le perds. Tout le monde l’a entendu, c’était dingue, surtout l’arbitre de chaise, c’est impossible autrement. À Roland Garros, ce sont les meilleurs, mais aujourd’hui, il y a eu un bug. Le problème, c’est que la machine qui est censée l’informer n’a pas réagi. Aujourd’hui, avec tous les dispositifs électroniques, le hawk eye et cette foutue machine automatique sur le filet, les arbitres ne prennent plus aucune décision d’eux-mêmes sur ces sujets. Il ne s’en remettent plus à leurs sens, encore moins à leur bon sens. Moi, j’ai confiance dans les gens, mais là… Je trouve ça assez triste, et cette question dépasse le cadre du tennis.
Après, ce match perdu, c’est de ma faute : je dois jouer, tenter, chercher, créer et trouver, je dois pas m’attendre à ce que la fille soit fair-play et me dise : “Mais oui, tu as raison, évidemment qu’elle est let ta balle…” Je me suis crue dans le monde des Bisounours, je n’ai pas été lucide du tout.
Reste la conférence de presse. Tout comme Gilles Simon qui en avait marre qu’on ne lui parle que de son dos en permanence, moi, c’est la huitième journée consécutive où l’on me demande si je n’ai pas la pression cette année par rapport à mon tournoi de l’année dernière et aux points que je risquerais sûrement de perdre. Même si je voulais en faire abstraction, c’était impossible. Tous les jours, j’ai croisé au moins un mec qui considère que son travail, c’est de me mettre un peu plus la tête dans le sac. C’est hallucinant tellement les questions ne sont pas constructives ni utiles au jeu lui-même ! Et je ne parle pas que pour moi. Je ne comprendrai jamais cette quête non pas de la petite phrase mais de la même petite phrase. Le tennis reste mon sport, un truc fabuleux qui m’arrive mais on passe par des moments de bonheur et de doute si extrêmes que c’est très usant Mais c’est beau. Ça sert à quoi d’être passionnée, sinon ? Demain, je joue le double avec Julie Coin. Peut-être que la machine à let sera en panne !
Lundi 25 mai – Servir à la cuillère
Aujourd’hui, mes petits cousins avaient ramené leur raquette pour le déjeuner, donc je n’avais pas vraiment le choix: j’ai préparé mon premier tour avec eux.
J’ai grandi à Berck-sur Mer, sur la Côte d’Opale. Un terrain du club de la ville porte désormais mon nom, et j’en suis super-fière. Une partie de ma famille (une douzaine de personnes) est venue à Paris hier et aujourd’hui pour me voir jouer mon premier tour. Résultat ? Je suis programmée pour demain, et tout le monde sera reparti. On dirait une blague, non ? J’ai quand même bien profité d’eux aujourd’hui, la veille de mon match ; on se voit tellement peu souvent… J’ai terminé ma – vraie – session d’entraînement dans mon club du TC Paris à 13h30, on s’est donc mis à table très tard.
J’ai résisté à la tentation de passer beaucoup de temps à Roland-Garros aujourd’hui, ça use. Je suis juste allée voir la couturière du stade pour qu’elle me floque les badges de mes sponsors habituels sur mes nouvelles tenues. Il y a parfois des marques qui me contactent quand mon match est télévisé. Là, je joue sur le court n° 2. Le téléphone n’a pas sonné.
Sinon, ce matin, BFMTV a presque oublié de parler du tableau féminin – “Ah oui, et il y a aussi Cornet qui va jouer” –, on a vu mieux. Ce sont pourtant les filles qui ont fait parler d’elles aujourd’hui. Alizé, donc, qui s’est qualifiée malgré une “partie du court toute pourrie” comme elle l’a exprimé cash (il fallait que ça sorte), mais aussi Amandine Hesse. Amandine est une jeune joueuse trop sympa qui n’a pas beaucoup de victoires dans le top 100 donc c’est super pour elle. Il n’y a pas vraiment de rivalité profonde entre joueuses, on est dans le même bateau. Chacune trace sa route, chacune se fait son cocon. Ça doit être sympa de se retrouver en fin de carrière, en ayant mis de côté les aléas de la compétition. Moi, j’ai 29 ans donc forcément, je n’ai plus vraiment l’âge pour n’être que dans la rivalité. J’aimerais bien servir à la cuillère comme Virginie Razzano, par exemple. Elle a eu du cran, elle. Elle a toujours eu du cran, de toute façon. Ce qu’elle a tenté, c’est top. Je croyais qu’elle l’avait fait à cause de ses petits pépins aux abdos mais apparemment, ce serait à cause du soleil. Moi, je verrai bien s’il fait beau demain…
Dimanche 24 mai – Rater un selfie
J’adore les selfies, Roger est quelqu’un de très cool mais pour être honnête, je comprends sa réaction aujourd’hui : même si c’est spontané, c’est assez flippant de voir débarquer un troll et son smartphone sur le terrain à la fin de son match.
Cela dit, ça devient quand même de plus en plus compliqué de rater un selfie. À Roland Garros, cette année, il suffit d’aller sur un drôle de stand qui a été installé pour se prendre en photo avec les joueurs. J’y suis allée ce midi. Au début, dans mon agenda, j’avais noté que c’était une rencontre avec le public. J’étais persuadée que c’était une table et des posters pour signer des autographes. Complètement à la rue, la fille. En fait, l’idée, c’est de passer un bracelet électronique devant une machine, de se positionner sur une chaise à côté d’un joueur et d’attendre que le cliché arrive automatiquement sur son smartphone. Il faut regarder la boîte blanche, fixe, celle où tout se passe. À deux mètres. On est loin du bras tendu avec le smartphone au bout, ce n’est même pas un selfie mais c’est quand même très cool, peut-être juste parce que c’est nouveau, je ne sais pas vraiment. À côté du spectateur venu se faire tirer le portrait, c’est tentant de faire les oreilles de lapin mais je suis restée très pro : on a tourné toutes les vingt minutes avec d’autres joueurs.
Dans les allées, les selfies ont remplacé les autographes, c’est juste fou. Moi, j’ai beaucoup de chance, les gens sont polis, donnent du “un selfie, s’il vous plaît”. Ce midi, j’ai dû en prendre un moi-même avec un groupe de filles parce qu’elles avaient des bras trop courts ! Je ne pense vraiment pas avoir le bras long non plus… même si je suis grave fan de la barre de fer, j’avoue (voir la photo, avec l’équipe de France de Fed Cup). C’est un cadeau, hein, je n’allais pas le refuser. C’est un ami chinois qui me l’a offert, et je n’ai pas vraiment prévu de me les mettre à dos, lui et ses potes. Mon grand regret : ne pas savoir faire de duckface, sinon, je n’arrêterais pas, j’en ferais tout le temps, c’est tellement drôle. Il ne faut pas jouer au vieux con, c’est quand même cool, les selfies. Bon, allez, faut que j’arrête de trouver tout cool, ça devient bizarre cette histoire.
PS : une grosse pensée pour Patrice Dominguez et sa famille.
Samedi 23 mai – Faire des ménages
Ce qui est bien lors du Kid’s Day sur le Central de Roland-Garros, c’est que les femmes de ménage peuvent travailler tranquillement : les vestiaires sont presque vides.
Dans les travées, il y a du monde partout. C’est la journée des enfants, mais aussi, et surtout, des hommes : des joueurs en nombre mais très peu de joueuses, idem dans le numéro de L’Équipe Magazine du jour.
Le principe de matchs-exhibitions avec de la musique est très sympa, même si ce sont toujours les mêmes joueurs qui sont concernés. C’est dur d’être à l’aise sur le terrain, ça se sent vachement pour certains. Pour la Monf’ ou pour Mansour Barhami, c’est inné mais pour d’autres, on sent bien qu’il faut jouer un rôle. C’est quand même bien de le faire parce que c’est pour le plaisir des gens, et c’est ça le plus important, donc ça passe !
Des ménages, les joueurs – les meilleurs – en font, et ça fait complètement partie du métier. Sharapova a passé pas mal de temps avec sa Porsche cette semaine mais ce n’est pas la seule : les tops du top bossent depuis lundi pour les marques qu’ils représentent parce que, ensuite, une fois que le tournoi est lancé, c’est rideau.
Un autre qui fait des ménages, c’est l’invité du jour sur le Central : Cyril Hanouna. Ultra, ultra populaire. Quand je suis entrée sur le terrain, le public est resté assis, tranquille, peinard. Quand Hanouna est arrivé, c’était de la folie. Hanouna, qu’on l’aime ou pas, faut bien reconnaître qu’il arrive à faire passer quelque chose. Finalement, avant le tournoi, tout le monde joue un rôle, en fait. Mais la compétition arrive : place aux vrais coups de balai !
Par Pauline Parmentier
Certains arrivent à concilier plaisir et vie professionnelle en ayant fait de leur passion leur métier. Willi, 50 ans, fait partie de ceux-là. Grâce au latex.
Par Nicolas Corman et Eudora Berniolles
Willi est un quinquagénaire suisse, propriétaire d’une corniche au-dessus d’une plage paradisiaque de Japaratinga, dans le Nordeste brésilien. Au début des années 90, il y construit une maison aux allures de lupanar, où il s’installe avec son ex-femme. Une maison bunker, aujourd’hui à moitié abandonnée, aux chambres lubriques avec vue panoramique sur mer turquoise. Des corps de femmes sont sculptés dans les murs aux moulures improvisées par un artisan du coin et sur des colonnes stylisées sont accrochés des hamacs de jeunes hippies.
Vue sur mer.
Willi a besoin d’argent. Un autre expatrié suisse qui vit non loin de là lui propose alors de construire sur son terrain une usine de ballons de baudruche. La matière première, le latex, vient bien du Brésil (Hevea Brasiliensis) mais à cette époque, la fabrication de ballons gonflables est encore délocalisée et ces produits manufacturés coûtent cher. Son idée est de diversifier par la suite la production avec des gants de cuisine et autres produits quotidiens en latex.
Des gants.
Willi est motivé mais pas très convaincu et lui suggère une affaire bien plus lucrative : la fabrication de tenues érotiques et sado-maso. Mais il ne s’agit pas d’une simple velléité pécuniaire. L’intérêt de Willi pour le latex et la sous-culture BDSM (Bondage et Discipline, Domination et Soumission, Sadisme et Masochisme) est plus profond. Pour lui, les gants de cuisine en latex lui permettent dès l’enfance d’outrepasser l’interdit –attraper des orties, s’amuser avec des excréments ou encore mettre son doigt dans le cul d’une vache. Il parle d’un sentiment de puissance face à la morale de sa campagne suisse. À l’adolescence, avec la masturbation, il reprend contact avec le subterfuge. “La sensation de plaisir venait de la désobéissance, du pouvoir de ne pas se salir mais aussi de l’expérience sensorielle du latex, un peu comme une deuxième peau”, dit-il.
Pas de bottes ni de tabliers blancs.
Avec l’âge, il se met à considérer ses pratiques bizarres et décide d’arrêter pendant un moment, avant de redécouvrir le milieu du latex, notamment avec sa femme, dans des soirées consacrées aux déguisements BDSM. Là, il commence à utiliser de vraies combinaisons et autres accessoires. Il se rend compte qu’il n’est pas tout seul, qu’il existe une grande communauté.
Batman.
Son intérêt pour le latex devient un véritable fétichisme. Une passion qu’il développe en participant à des rites mais aussi à travers la collection de revues spécialisées telles que Zeitgeist, Skin Two, O, Marquis –le titre des deux dernières faisant référence à notre marquis de Sade national et au roman français Histoire d’O de Dominique Aury, alias Pauline Réage.
Baigné dans cette culture, Willi crée la marque Fetisso, qui reprend le nom d’objets religieux africains et embrasse les étymologies portugaises du fétichisme : feitiço-sortilège et feitiço-artifice.
Fetisso.
À côté du palace ostentatoire, il construit dans le même environnement idyllique une discrète fabrique de granit gris pour produire les tenues élastiques. On enlève ses chaussures en entrant, comme dans un temple, pour éviter toute poussière vagabonde. La forte odeur du latex traité à l’ammoniaque prend tout de suite à la gorge. L’atmosphère est confinée. Tout est carrelé d’un blanc de chambre froide mais il y fait très chaud malgré quelques ventilateurs.
Les Mains sales.
Pas de bottes ni de tabliers blancs, quelques ouvriers portent parfois un masque à gaz. Les employés trempent des moules lisses et blancs dans des bacs gris fermés, vaporisent un produit dessus pour le séchage, les pendent sur des barres formant ainsi d’inquiétantes séries de membres noirs: des pénis, des boules rondes ou en forme de sabot pour enfermer les mains, des gants de toutes longueurs, des cagoules aveugles et muettes, des combinaisons, des sous-vêtements, des corsets ; ils les démoulent dans de grands éviers remplis de talc pour éviter que les bords ne se collent entre eux et les rincent ensuite à l’eau.
Encore des gants.
À l’étage, un doux grésillement de radio. Quelques femmes vérifient les pièces et effectuent les découpes: trous pour les tétons sur les soutiens-gorge, pour le sexe sur les bas ; elles les enduisent ensuite de silicone pour les rendre luisantes. La marque Fetisso, rouge et légèrement en relief, se retrouve sur l’envers des articles.
Matériel au repos.
Aujourd’hui, 80% de la production est vendue à l’export en Europe, en Russie, aux États-Unis, au Japon, en Australie. Willi explique que l’activité était plus intéressante dans les années 90 qu’aujourd’hui, ce commerce étant moins démocratisé à l’époque. Cependant, l’entreprise ne rencontre pas de problèmes de vente. Elle a ses grossistes, agents marketing, chaînes de distribution et un catalogue avec une cinquantaine d’articles différents. Il y a d’ailleurs souvent du retard dans la production et les commandes doivent être prises plus de trois mois à l’avance. Dans les conditions actuelles, il n’est pas possible d’augmenter la production, mais là n’est pas l’important pour Willi, son ambition est ailleurs.
La vérité est au bout du couloir.
Un peu comme dans les débuts du Burning Man, dit-il, à côté de séminaires ésotériques et de rites d’Ayawaska qu’il organise déjà tout au long de l’année, Willi a le projet d’exploiter son terrain paradisiaque pour un festival annuel sur le sexe non traditionnel, faisant le pont entre le tantrisme et le monde BDSM.
Non, vraiment, le blanc, c’est chiant, ça se salit trop vite.
*Photos argentiques (Canon AE1) et numériques.
Par Nicolas Corman et Eudora Berniolles
C’est dans l’arrière-salle d’un restaurant de viande du centre-ville cannois que le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, a donné rendez-vous. Au programme : un point à l’occasion de son deuxième et dernier jour, discret, au festival de Cannes pour parler droit d’auteur, voir La Marseillaise, de Jean Renoir, et évoquer la projection du lendemain, celle du film La Loi du Marché, de Stéphane Brizé.
Par Brieux Férot / Photo : DR / IHS-CGT
Manifestation du 1er mai 1971 / Michel Piccoli et Louis Daquin
Après s’être arrêté sur le stand de la Fédération CGT du spectacle, situé dans les galeries du Marché du film du festival de Cannes, le secrétaire général de la CGT s’est attablé à L’Entrecôte avec les salariés de l’hôtellerie et de la restauration, comme si de rien n’était : “La CGT doit être ici, il faut être à Cannes : au-delà du côté bling-bling, il y a un accès à des films pour le plus grand nombre possible afin que ça ne soit pas les mêmes qui aillent au cinéma. On a tenu à être présents au festival parce que la CGT et le cinéma ont le même âge : 120 ans, rappelle Philippe Martinez, bien calé sous ses nouvelles moustaches de fonction. C’est l’occasion pour nous de saluer les salariés du cinéma, les salariés qui contribuent à la réussite du festival, ceux qu’on voit et ceux qu’on ne voit pas dans le Palais, dans les palaces aussi…” Des palaces qui, dans un passé tout proche, ont été le théâtre de grèves pendant le raout cinéphile : “Les salariés se défendent aussi lorsqu’ils ne sont pas contents”, sourit-il. La CGT a invité cette année des salariés, des “privés d’emplois”, des jeunes et des retraités cinéphiles, “une quinzaine de camarades ont assisté à la projection du film Mon Roi (!), de Maïwenn”. Fleur Pellerin était également présente le même jour pour un colloque sur l’avenir du droit d’auteur en Europe. Manuel Valls, lui, était carrément dans le Grand Théâtre Lumière au moment de la projection, déclarant à l’AFP à sa sortie et sans aucun lien “regretter les coupes budgétaires dans le domaine de la culture”. Philippe Martinez en prend acte : “Il regrette beaucoup, il regrette souvent mais il n’inverse pas souvent ses décisions, soupire-t-il. Emmanuel Macron regrettait qu’autant de dividendes soient versés aux actionnaires, les politiques doivent agir pour inverser la situation, ça ne nous suffit pas, les regrets.” Et de s’emporter contre le poujadisme “anticulture” du moment : “Cette tendance qui consiste à en parler comme de privilégiés à cause de statuts et droits acquis, c’est proprement scandaleux.” Le slogan de la CGT depuis plusieurs années ? “Vivre de son métier.”
“Ça arrive qu’on parle encore des travailleurs en sélection”
Denis Gravouil, secrétaire général de la Fédération CGT du spectacle, de l’audiovisuel et de l’action culturelle (FNSAC-CGT) condamne, sans trop de mise en perspective, les coupes budgétaires, droite et gauche confondues, dans le domaine de la culture et la pression engendrée sur les finances des collectivités locales, pour un résultat qui consiste à “baisser les bourses du travail et annuler plus de 180 manifestations culturelles, plus petites que celles de Cannes”. Et d’enfoncer le clou par une image aux traits un peu forcés, sur laquelle la CGT sait jouer à plein : “De la même manière qu’il n’y a plus de bureaux de poste dans les petits bleds, il n’y a plus de festivals non plus.” Aussi surprenant que cela puisse paraître, l’histoire de la CGT est liée à celle du festival, dont elle est cofondatrice. La confédération se dit d’ailleurs en
On a tenu à être présents au festival parce que la CGT et le cinéma ont le même âge : 120 ans
Philippe Martinez
première ligne dans la “défense des accréditations pour les salariés et les cinéphiles lambdas” de par sa présence au… conseil d’administration du festival, depuis 1946. Aujourd’hui, la CGT serait derrière son nouveau président : “On a soutenu le choix de Pierre Lescure, sa capacité à faire travailler les gens ensemble et sa grande culture, précise Gravouil, et pour l’instant, les relations sont plutôt bonnes…” Reste le festival lui-même : l’esprit initial des militants de la CGT est-il encore vivace dans la sélection ? “Il est plus discret qu’avant, c’est sûr, concède Denis Gravouil, mais ça arrive qu’on parle encore des travailleurs en sélection. Cette année, il y a La loi du marché de Stéphane Brizé. “Et ça, eh bien, les salariés, ça leur parle”, coupe Philippe Martinez. Et Gravouil d’évoquer les films qui ont marqué l’histoire de sa formation, “des films de Duvivier à ceux de Clément, et plus récemment Alain Guiraudie, qui avait fait avant L’Inconnu du Lac, le film Ce vieux rêve qui bouge… Même Robert Guédiguian, avec qui nous ne sommes pas toujours d’accord sur les conventions collectives, fait de très beaux films : Les Neiges du Kilimandjaro, ça reste formidable.”
“C’était une volonté de la CGT d’avoir un festival ici en France”
La veille, la CGT avait pris connaissance du bilan 2014 du CNC : “Il nous est présenté de manière très positive, s’en amuse Gravouil. Beaucoup de films se font, c’est bien, mais les conditions dans lesquelles ils se font ne prêtent pas à sourire : malgré des dispositions fiscales, nous n’arrivons pas à garder les tournages en France dans les studios, et cette bataille dure depuis les années 30.” Il cite, bien avant la négociation sur l’assurance chômage, “qui sera très dure à la fin de l’année”, celle concernant les studios de la SFP à Bry-sur-Marne, en insistant plus que de raison sur les ateliers de décors de cinéma, “qui n’existent pas chez Luc Besson car les questions d’aération de la menuiserie ne le permettent pas”. Reste que les représentants de la CGT auront passé plus de temps la veille au festival des “camarades” du CCAS, Visions sociales, ainsi qu’au festival “ceux du rail” des cheminots cinéphiles qu’au Palais cannois. Pourtant, “c’était une volonté de la CGT d’avoir un festival ici en France, de la création jusqu’aux petites mains qui ont construit le Palais des festivals, rappelle son secrétaire général. C’est tout cela que nous voulions symboliser.”
Sous le soleil au zénith, la délégation finira par s’éclipser pour la projection du film La Marseillaise, de Jean Renoir, dont la production et la sortie, en 1938, furent rendues possibles grâce à… une souscription lancée par la CGT, bien évidemment. “C’est peu connu, mais c’est un film qui est issu du Front populaire et qui a été financé en partie par des souscriptions des camarades”, lâchera Martinez avant de continuer, sans s’arrêter, sa prise du Palais et de la salle Buñuel, sa veste noire posée sur son épaule. Et de sourire tout en maîtrisant son effet : “Beaucoup de messages en une journée, hein ?”
Par Brieux Férot / Photo : DR / IHS-CGT
Alors que la 68e édition du festival de Cannes débute ce soir, on ne sait pas qui va gagner. Mais on sait déjà pour qui va voter chaque membre du jury. Avant même d’avoir vu les films en sélection. Appelons ça “l’instinct”.
Par Jean-Vic Chapus et Brieux Férot
La 68e édition du Festival de Cannes débute ce soir.
Joel & Ethan Coen, présidents du jury
Parce que Joel a adopté un petit Paraguayen en 1994, les frères seront sensibles à toutes les mélopées hispanophones. Parce qu’Ethan aime les histoires de kidnapping, ils honoreront tout vol à l’écran. Tant qu’ils sont bien réalisés. Parce que leur sœur Déborah est psychiatre, ils se devront également de rendre hommage à la médecine. Palme d’or :Chronic, du Mexicain Michel Franco, l’histoire d’un infirmer qui tente de renouer avec sa famille. Prix spécial :Love de Gaspar Noé, réintégré dans la compétition à la surprise générale, sur un caprice. Une fiction chirurgicale sur les joies de la reproduction. Prix spécial : Le fils de Saul, l’histoire d’un corps sans vie dérobé à Auschwitz, pour être enterré dans le respect des traditions.
La joie des frères Coen.
Xavier Dolan
Le réalisateur de Mommy a récemment fait cette confession : s’il filme autant, c’est pour ne pas passer trop de temps à fantasmer devant une photo de Jake Gyllenhaal. Et si le festival de Cannes était enfin l’occasion de conclure ? Palme d’or et Prix spécial : cf. Jake Gyllenhaal. Meilleur acteur : Jake Gyllenhaal.
Xavier Dolan.
Sienna Miller
Brillantissime dans American Sniper par la grâce d’une teinture brune et de pas mal de talent aussi, l’actrice americano-britannique est courtisée par toutes les marques de cosmétiques ayant des visées sur le marché asiatique. En grande professionnelle, elle fait le boulot. Palme d’or : Mountains May Depart de Jia Zhangke. Prix spécial : The Assassin de Hou Hsiao-hsien, ex-aequo avec Notre petite sœur de Kore-Eda Hirokazu. Meilleur acteur : “I don’t know her name but the little Sri-Lankese in the Jacques Audiard movie.” (le film s’appelle Dheepan, l’acteur, Antonythasan Jesuthasan).
Sienna Miller.
Jake Gyllenhaal
Échaudé par les avances assez lourdes du jeune hipster canadien du jury, Jake tente de couper court à toute ambiguïté. Il se contente de remettre un double prix d’interprétation unisexe à Cate Blanchett et Rooney Mara pour leur performance de néo-lesbiennes dans Carol de Todd Haynes.
Jake Gyllenhaal.
Sophie Marceau
Sillonnant le monde pour représenter le cinéma français à l’étranger, et pas seulement parce qu’elle est le fer de lance des comédies Pathé à voir dans les avions, Sophie Marceau est une ambassadrice appliquée. Palme d’or ex-aequo : Mon Roi de son double Maïwenn et La tête haute d’Emmanuelle Bercot. Meilleur acteur : l’ancien machino Frédéric Pierrot, pour Marguerite et Julien de Valérie Donzelli. Meilleur scénario : La Loi du marché, de Stéphane Brizé. “Un film qui réunit les spectateurs de droite comme de gauche.” Comprenne qui pourra.
Sophie Marceau.
Rossy de Palma
C’est parce qu’elle est un jour apparue furtivement dans l’œilleton de George Michael pour le clip Too Funky que Rossy De Palma ne s’est, depuis, plus arrêtée de semer le funk autour d’elle. Prix d’interprétation masculine : Colin Farrell dans The Lobster de Yorgos Lanthimos, film dans lequel les protagonistes sont enfermés dans un hôtel glauque et contraints de trouver un partenaire en moins de 45 jours au risque d’être transformés en animaux. Prix de la meilleure interprétation féminine : Salma Hayek dans Il racconto dei racconti de Matteo Garrone. Prix spécial: Valley of love, de Guillaume Nicloux, avec Gérard Depardieu et Isabelle Huppert.
Rossy de Palma.
Guillermo del Toro
Après Alejandro Iñárritu et Alfonso Cuarón, le troisième larron de Cha Cha Cha Films est le seul à ne pas avoir eu d’Oscar. Voilà qui sera le fayot du jury, qui servira les intérêts de l’Académie pour espérer obtenir la statuette l’année prochaine. Palme d’or : La Forêt des songes de Gus Van Sant. Meilleure actrice(ex-aequo) : Emily Blunt dans Sicario de Denis Villeneuve, à égalité avec Marion Cotillard dans Macbeth de Justin Kurzel. Meilleur acteur : Jesse Eisenberg dans Louder Than Bombs de Joachim Trier.
Guillermo Del Toro.
Rokia Traoré
“Voir l’Afrique comme inférieure, c’est génétique en Europe.” Capable de caricaturer comme personne, l’artiste malienne votera sans filtre. “En solidarité avec les migrants de Catane”, elle décerne une anti-Palme d’or aux trois films italiens en compétition : Youth de Paolo Sorrentino, Mia Madre de Nanni Moretti et Il racconto dei racconti de Matteo Garrone.
Rokia Traoré.
Par Jean-Vic Chapus et Brieux Férot
Jusqu’au 17 mai, le Palais de Tokyo consacre une partie de son "Bord des Mondes" à "La S.A.P.E", version congolaise du dandysme vestimentaire. Mais quelques jours avant le début de l’exposition, les sapeurs étaient venus rendre hommage au cimetière de Kinshasa au mieux habillé d'entre eux : Stervos Niarcos, mort 20 ans plus tôt à Paris. Reportage sur place.
Par Éric Delhaye / Photos : Rek Kandol
Le courant vient de sauter, une habitude à Kinshasa. Coup de chance, les concerts sont acoustiques et éclairés à la bougie. Dans le jardin, on ne voit rien à cause de la végétation luxuriante mais deux silhouettes finissent par apparaître : deux types habillés comme des milords. En réalité, ce sont des sapeurs. Le grand –bouc, dreadlocks, veste rose bonbon– se surnomme Ekeko, “statue” en lingala. Il peut poser immobile pendant trois heures, le bras levé et la bouche ouverte. Le petit se présente comme Mzée Kindingu, “leader des sapeurs dans le monde”. Pas pour rien qu’il se déplace en veste Galliano, pantalon Yohji Yamamoto et déhanché à la Aldo Maccione. C’est lui qui cause ou, mieux, prêche : “Dieu est le premier styliste. Il a tué une bête, il a créé les marques d’habillement et il a dit à Adam : ‘Porte ça.’ La Sape est une bénédiction de l’Éternel et elle a connu trois générations : le roi Salomon, Stervos Niarcos et nous.” Le roi Salomon, croient savoir les sapeurs, dépensait sa fortune dans des toges clinquantes pour charmer la reine de Saba.
Dieu est le premier styliste. Il a tué une bête, il a créé les marques d’habillement et il a dit à Adam : ‘Porte ça’
Mzée Kindingu, sapeur
Une vingtaine de siècles plus tard, Stervos Niarcos a coiffé sa couronne. Au milieu des années 1980, cet enfant de Kinshasa illuminait les boîtes afro de Paris. Mort il y a 20 ans, Niarcos repose désormais au cimetière de la Gombe, dont le portique d’entrée rappelle aux vivants que de la frontière entre la vie et la mort est mince : “J’étais aussi comme vous.” La faible espérance de vie en RDC –56 ans en moyenne– et la dangerosité de sa capitale poussent les Kinois à trouver refuge dans une créativité et une énergie salutaires. Ce qui explique par exemple pourquoi, même sans le sou, des types s’exhibent en veste Versace, pantalon Armani et chaussures Paul Smith.
Sape et religion Kitendi
Importé sur le modèle des dandys européens du XIXe siècle, le goût des belles fringues a gagné Brazzaville dans les années 20, puis Kinshasa sur l’autre rive du fleuve Congo. Mais c’est surtout après les indépendances (1960) que la Sape –Société des ambianceurs et des personnes élégantes– s’est popularisée dans les deux capitales, puis parmi la diaspora congolaise à Paris et Bruxelles. Au point de devenir un art, une philosophie et même une religion : la religion Kitendi –“tissu” en lingala– dont Stervos Niarcos est le fondateur. “Les sapeurs ne sont pas des personnes aisées”, explique Yves Sambu devant une bière Nkoyi, dans une cacophonie de rumbas synthétiques et de discours télévangélistes. Président du collectif artistique Sadi, il défend la Sape comme une expression culturelle, voire militante, dans un pays où le dictateur Mobutu prohibait costards et cravates dans le cadre de sa politique de zaïrianisation de la société dans les années 70. L’abacost –abréviation de “à bas le costume”–, Yves Sambu ne veut plus en entendre parler : “Leur apparence et leur attitude sont seulement une manière d’exister et d’affirmer leur dignité. Le sapeur ne traverse pas l’avenue quand les voitures sont arrêtées au feu rouge. Pour se faire remarquer, il attend que le feu passe au vert. Parce qu’il est bien habillé, il ne se bat pas. La religion Kitendi a développé une spiritualité qui a fini par poétiser la ville.” Une religion dont Stervos Niarcos est aujourd’hui considéré comme le pape.
Le sapeur traverse la rue la tête haute. Toujours.
“Il avait le goût des beaux habits et des belles filles”
Né en 1952, Adrien “Stervos Niarcos” Mombele a grandi à Matonge, un quartier qui n’était pas encore l’entrelacs de rues défoncées et de bistrots bouillants qu’il est devenu. Issu d’une famille d’“évolués”, comme se baptisaient les Congolais ayant adopté le mode de vie européen sous la colonisation belge, son père, un leader Téké, peuple dont le territoire empiète sur les deux Congo, fut même invité en 1960 à la table-ronde de Bruxelles où fut négociée l’indépendance du pays. Un notable, donc, qui habillait ses enfants dans les boutiques chics du centre-ville. “On menait une vie de pachas”, se remémore le grand-frère en mangeant un poulet grillé face au stade Tata Raphaël où Mohamed Ali terrassa George Foreman en 1974. Ancien maire adjoint du quartier, Papa Frédéric raconte qu’Adrien avait choisi une autre voie : “Il était colérique, peu motivé pour les études mais l’un des meilleurs footballeurs de Matonge.” Papa Wemba, l’un des grands musiciens congolais qui a grandi à quelques rues, se souvient : “Pour aller à la messe le dimanche, on se sapait à qui mieux mieux. Mais Adrien sortait de l’ordinaire, il faisait le contraire de tout le monde au quartier, il était turbulent. Il avait le goût des beaux habits et des belles filles.” Goût qui ne le lâchera pas, pas plus que celui de la baston. Alors qu’il est typographe dans l’imprimerie de son père, des démêlés avec la police lui imposeront l’exil pour préserver ses proches.
L’expression « marcher sur la tête » illustrée.
Stervos Niarcos a 25 ans quand il débarque à Paris. De toute sa vie, il ne remettra que deux fois les pieds à Kinshasa. La distance a sans doute beaucoup participé à la mythologie kinoise autour de son nom. En France, Niarcos habite à Montargis puis Fontenay-sous-Bois dans des logements bling-bling ; sort beaucoup dans les boîtes africaines, toujours vêtu de marques, avec une prédilection pour les cuirs de Jean-Claude Jitrois ; aime se déplacer en Porsche– il en importera même une à Kinshasa. Il est surtout un auteur-compositeur à succès, qui signe plusieurs rumbas pour Bozi Boziana et, bien sûr, son ami Papa Wemba. Ses chansons où Niarcos cite ses griffes préférées, le film Black Mic-Mac (1986), son album Dernier coup de sifflet (1987) et l’écho lointain de ses exploits vestimentaires mobilisent des centaines d’apôtres à Kinshasa. Si bien que, quand il rentre au pays en 1989, ce sont des motards qui l’escortent depuis l’aéroport jusqu’à La Voix du Zaïre où il donne sa première interview. Dans sa malle : des vestes Jitrois, des pantalons Issey Miyake, des pompes Weston… Comme lors de son second séjour en 1991, il n’oubliera jamais de traverser le fleuve : Niarcos, dont une des chansons s’intitule Les États-Unis d’Afrique, plaidait aussi pour la réunion des deux Congo.
Il est mort le 10 février 1995 à Paris, à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, alors qu’il était incarcéré à Fresnes pour trafic de drogues. “Il était narcotrafiquant, admet son grand-frère. Notre maman est décédée le 4 janvier de cette année-là. On n’aurait jamais dû le lui annoncer en prison. Quand il a appris la nouvelle, il a transpiré d’un coup, un nerf a cédé. Il n’a pas survécu.”
Léopards de la Sape et chaussures en “lézard vert du Mississippi”
Vingt ans après la mort du “pape”, quelques sapeurs se sont donné rendez-vous sur la place des Artistes, où un monument célèbre les gloires de la musique congolaise, dont Niarcos. Beaucoup font partie des Léopards de la Sape, “l’équipe nationale” qui prétend réunir les mieux habillés de RDC. Flanqué de son secrétaire en ensemble Bill Tornade sur Dr. Martens, le président Chancelier Mobonda –lunettes Prada, veste Frankie Morello, kilt Comme des Garçons, chaussures en “lézard vert du Mississipi”, pipe au bec– résume en quatre points : “1. On naît sapeur puis on ne fait que s’améliorer. 2. Tu ne décevras jamais la Sape quelles que soient les conditions. 3. Tu respecteras la Sape comme ton père et ta mère. 4. Tu mourras sapeur comme l’a fait Grand Prêtre Stervos Niarcos.” Autour de lui, les ego montent en pression : “Vous êtes fâchés parce que je suis bien habillé ?” flambe un type en t-shirt Versace ; “Personne d’autre ne porte du Yamamoto !” hurle un autre en agitant la griffe sur le revers de sa veste. L’éloquence est, avec l’élégance, l’autre pilier de la Sapologie. Les lunettes sont siglées Dior, Ferré et D&G mais on siffle un whisky bas de gamme sous les 30°C qui accablent déjà les passants, dans une atmosphère saturée de poussière et de gaz d’échappement. Ils raillent aussi les “faux sapeurs” de Papa Griffes, pourtant l’un des fondateurs du mouvement, avec qui ils sont brouillés.
Chancelier Mobonda, président des Léopards de la Sape, a osé le pantalon sous le kilt.
Devant le cimetière de la Gombe, une centaine de sapeurs affluent sous le regard hilare des ouvriers qui ont stoppé leur chantier. Devant les caméras de télévisions locales, un défilé s’improvise entre une tractopelle et une buvette en tôle ondulée. On s’exhibe avec des tenues qui, même s’il s’agit souvent de contrefaçons, coûtent chacune plusieurs salaires du Kinois moyen. La question de l’argent est toujours esquivée : “On a de la famille en Europe qui nous envoie des habits. Et des femmes.” Mais une autre tendance se dessine. Celle des sapeurs-créateurs, auteurs de leurs propres vêtements. C’est le cas de Jean-Pierre Bobo, président de l’Alliance des kabilistes inconditionnels, en référence aux présidents Kabila père et fils qui verrouillent le pays depuis 1997. Un vétéran du mouvement, 57 ans, qui a connu Niarcos à une époque où beaucoup de sapeurs n’étaient même pas nés. Plus loin, Cédrick Mbengi dévoile sa dernière création, une tenue argentée toujours “100 % papier”. De leur côté, les jeunes membres du Centre de création négro-africain créent vestes, pantalons, ceintures et bijoux à base de raphia et de perles traditionnelles mayaka. Mais s’ils veulent renouer avec la culture congolaise, “Niarcos reste [leur] pape. Mais lui n’était pas styliste, moi oui”, fanfaronne le célèbre Kadhitoza en bloquant la circulation sur l’avenue qui longe le cimetière. Sa cour, qui porte la longue cape de son ensemble rouge, est aussi habillée par lui. Ses chaussures sont des Paul Smith, ses lunettes des “Cartier 14 carats, c’est 500 dollars”. Il maîtrise “l’alphabet de la Sape” : donnez-lui une lettre au hasard, il citera le nom d’un styliste dans la demi-seconde.
Les larmes de Gianni Versace
Mais Kadhitoza va se faire voler la vedette. Tout le monde n’attend que Gianni Versace. Pas le styliste italien mort assassiné. Gianni Versace est la fille unique de Stervos Niarcos. Chantée par les grands musiciens congolais amis de son père, elle vit aujourd’hui à Asnières. C’est dire la frénésie qui s’empare de la foule quand elle apparaît, regard perdu, encadrée par les Léopards de la Sape. Elle porte une robe noire Kenzo sur des chaussures L.K. Bennett à talons compensés casse-gueule. Son sac vert est un Versace. Dans son sillage, des dizaines de personnes s’engouffrent dans le cimetière, enjambent les sépultures éventrées, prennent la pose dans un paysage de croix et de plaques funéraires dévastées. Sur la tombe de Stervos Niarcos, certains se roulent de douleur, d’autres s’invectivent ou manquent de se battre pour s’approcher au plus près. Dans une cohue indescriptible, une prière et une chanson se font tout juste entendre : visiblement émue et les larmes aux yeux, Gianni Versace finit par plonger dans une berline de luxe, au milieu de la bousculade et des policiers qui agitent leurs uzi et kalachnikov.
Gianni Versace se recueille devant la tombe de son père, Stervos Niarcos.
On la retrouvera en début de soirée, sur la terrasse d’un café relativement calme. Visiblement rincée par sa journée, mais bien décidée à créer une fondation au nom de son père pour contrer les publicités et disques pirates qui commercialisent son image, elle raconte : “C’était grandiose. Je ne pensais pas que son nom attirerait autant de monde, 20 ans après sa disparition. J’avais 15 ans quand il est décédé. Il m’a toujours beaucoup protégée. Ce n’est donc qu’à sa mort que j’ai découvert qui il était : quelqu’un qui prônait la paix, un Congo meilleur, Kinshasa et Brazzaville formant un même peuple.” Décriés pour la superficialité supposée de leur mouvement, les sapeurs charrient pourtant une folie, un anticonformisme et une poésie qui apparaissent comme une bouffée d’oxygène pour un Congo qui en manque tant. Mzée Kindingu termine alors son prêche : “Tes enfants vont t’abandonner. Mais tes habits t’accompagneront jusqu’à la mort.”
Par Éric Delhaye / Photos : Rek Kandol
Maciej Dakowicz est un photographe, globe-trotter et galeriste polonais basé à Mumbai, en Inde. Il est l’un des fondateurs de la Third Floor Gallery à Cardiff et un membre de In-Public, le collectif international de street photography. Le 25 avril dernier, il était en déplacement à Katmandou, au Népal, là où la Terre a tremblé. Il raconte, en mots et en images.
“J’étais au Népal pour animer un atelier de street photography et photos de voyage d’une semaine. C’est le sixième jour que c’est arrivé, à 11h57.
On avait passé la matinée à marcher autour de Old City et Durbar Square à Katmandou. On a quitté Durbar Square aux alentours de 11h, puis on est retournés à l’hôtel. On y était, prêts à parler de nos photos quand tout à commencer à bouger, à 11h57. J’étais à l’intérieur de l’hôtel, au cinquième étage, sur le point de descendre les escaliers pour voir mes étudiants. Tout à coup, l’hôtel a commencé à bouger. Je me suis tenu à l’encadrement de la porte, sans vraiment comprendre ce qui était en train de se passer. Les secousses étaient vraiment fortes, j’avais peur que le plafond ne me tombe sur la tête, parce qu’il y avait une grosse fissure. Puis, ça s’est stoppé d’un coup. J’ai couru dans ma chambre, j’ai saisi mon matériel photo et je suis descendu chercher mes étudiants. Un était dans sa chambre, les autres étaient dans le jardin. On nous a dit d’aller dehors dans un espace plus grand, à quelques minutes de l’hôtel, là où les habitants se rassemblaient. On est allés là-bas, avec eux, sans savoir ce qui allait se passer. Il y avait des tremblements fréquents, les gens pleuraient, criaient, priaient quand le sol bougeait, appelaient leurs proches. Personne ne savait vraiment ce qui se passait, il y avait beaucoup de confusion. Parfois, on voyait des gens dans la rue avec des casques courir et transporter des personnes blessées.
Alors, j’ai décidé qu’il était temps d’aller voir ce qui se passait. J’ai couru dans la rue vers un autre endroit, où une maison s’était effondrée. Il y avait une action de sauvetage, les gens essayaient de trouver des personnes ensevelies sous les décombres. Ils ont trouvé une jeune femme, toujours en vie ; elle était sous les gravas avec sa cousine, morte. J’ai photographié la scène comme elle s'est déroulée devant moi, quand ils les ont trouvés. Je suis resté là à prendre des photos pendant un moment. Puis quelqu’un a dit que Durbar Square avait été endommagé. On ne pouvait pas y croire. Alors, on a décidé d’y aller pour voir ce qui s’y était vraiment passé. On n’en a pas cru nos yeux: de nombreux temples et monuments historiques étaient complètement détruits, ça ressemblait à une zone de guerre. Le chaos. Plusieurs personnes exploraient les débris, à la recherche de survivants. J’ai passé le reste de la journée au square, à essayer de capter la tragédie. Quand il a commencé à faire nuit, je suis retourné à l’hôtel. Les employés nous ont dit qu’il était trop dangereux de dormir à l’intérieur, le tremblement de terre pourrait encore frapper. On a dû dormir dans la rue, en face de l’hôtel. Beaucoup d’habitants de Katmandou ont passé la nuit dehors. Il faisait froid, il a rapidement commencé à pleuvoir, aussi. Avec d’autres personnes, on est rentrés dans le hall de l’hôtel. Le sol a continué à bouger, souvent, et on devait vite sortir à chaque secousse, de peur que l’hôtel ne s’effondre sur nous. Une nuit de frayeur. Sans dormir.
Le lendemain, il y a eu encore beaucoup de secousses et vers 14h, un autre tremblement de terre, aussi violent que le premier. Par chance, j’étais alors avec mes étudiants dans un restaurant en plein air, le seul servant de la nourriture qu’on ait trouvé ; on était en train d’attendre notre déjeuner. Le sol a commencé à fortement bouger. Encore. Mais aucun bâtiment ne s’est effondré autour de nous. J’ai encore photographié les actions de sauvetage ce jour-là, à Durbar Square et Dharahara Tower. La nuit, on a encore dormi sur le sol du hall de l’hôtel, on a encore couru dehors à chaque fois que l’on ressentait une secousse. Il y avait beaucoup de fissures sur les murs de l’hôtel.
Le jour suivant, les employés nous ont dit que l’on ne pouvait plus rester là, c’était devenu trop dangereux, l’hôtel était trop endommagé. La plupart de mes étudiants ont décidé de quitter Katmandou, ont essayé d’attraper un vol le plus tôt possible. J’ai décidé de rester. J’ai trouvé une petite maison d’hôte sur un étage. Il n’y avait pas d’électricité mais l’immeuble semblait solide. J’ai choisi de dormir à l’intérieur, dans la chambre, dans le lit. J’étais tellement fatigué après deux nuits sans dormir… J’ai dormi habillé, prêt à fuir aussi vite que possible au cas où un autre tremblement de terre surviendrait. Heureusement, rien de sérieux n’est arrivé, juste quelques petites secousses… Ce jour-là, un magazine allemand m’a demandé un travail à propos du tremblement de terre, et j’ai quitté Katmandou pour aller voir les dégâts causés dans les villages de montagne, près de l’épicentre. Mais c’est une autre histoire."
Par Maciej Dakowicz
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Rassemblement dans un petit square dans la zone de Chhetrapati quelques minutes après le tremblement de terre. Les gens fuient leurs maisons pour rejoindre des endroits où le risque d’effondrement est moindre.
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Une action de sauvetage dans une maison effondrée dans la zone de Chhetrapati, au centre de Katmandou, juste au sud du cœur touristique, Thamel. Quatre personnes sont alors probablement bloquées dans la maison. La femme au premier plan est décédée dans l’effondrement, l’autre a survécu. Cette photo a été prise une heure et demie après le tremblement de terre.
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Un homme extrait sauf d’un temple en ruines à Durbar Square et placé dans une ambulance.
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Les équipes de sauvetage et les bénévoles enlèvent des poutres et des gravas d’un temple ancien Kasthamandap effondré afin de pouvoir y chercher des survivants. Un programme de don du sang avait lieu dans le bâtiment à ce moment-là.
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Actions de destruction et de sauvetage à Durbar Square, le jour du tremblement de terre.
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Des touristes qui ont aidé lors des actions de sauvetage se prennent dans les bras à Durbar Square à la fin de la journée. De nombreux étrangers se sont joints aux secours dans tout le Népal.
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Opérations de sauvetage à Kasthamandap, un temple ancien détruit à Durbar Square.
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Les équipes de secours sortent des corps des débris du temple ancien Kasthamandap, à Durbar Square.
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Une jeune femme prend un selfie sur les ruines d’un temple ancien à Durbar Square.
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Un soldat népalais en haut d’un temple détruit, à Durbar Square.
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Des touristes étrangers dorment sur une route devant leur hôtel dans la zone de Chhetrapati, au centre de Katmandou, inquiets pour leur sûreté, la nuit après le tremblement de terre.
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Une famille à Durbar Square lit dans le journal le rapport sur le tremblement de terre, qui a eu lieu la veille. Elle a passé la journée et la nuit à cet endroit.
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Des personnes observent les opérations de sauvetage sur le site de la tour Dharahara, effondrée. “No More Earthquakes” est écrit sur le pare-brise sale d’une voiture garée tout près, dans la vieille ville, le lendemain du tremblement de terre. La tour était une attraction touristique populaire. En s’effondrant, elle a enseveli de nombreux visiteurs et autres personnes.
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Un homme cherche de la nourriture dans les ruines d’un magasin le lendemain du drame. La situation concernant la nourriture et l’eau a été vraiment difficile les premiers jours.
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Autour de Durbar Square.
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Le jour d'après.
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Un jeune couple d’étrangers assis sur le trottoir dessine les monuments endommagés à Durbar Square.
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Une équipe de secours de l'armée découvre un autre corps en haut d'un temple, plus de 24 heures après le drame. Au même moment, une télévision étrangère fait un reportage sur le site. Les médias ont commencé à arriver le lendemain du tremblement de terre.
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Un camp, dans une école, pour les habitants qui vivent dans la vieille ville, le deuxième jour qui a suivi le drame. Les gens sont restés là, à attendre que les répliques s'arrêtent. Ils y sont restés deux jour et deux nuits.
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Le deuxième jour après le tremblement de terre. Le sauvetage est organisé par les habitants et les touristes étrangers.
Vue sur le monument historique Gaddhi Baithak, à Durbar Square, le deuxième jour suivant le tremblement de terre.
Mourad Boudjellal est un homme stressé, mais un homme heureux. Le RC Toulon, dont il est le président depuis 2005, a remporté samedi son troisième titre européen de suite face à Clermont (24-18), une première dans l’histoire du rugby. Le Varois de 54 ans savoure et glisse quelques mots-clés : Columbo, Moyen Âge, picole et jet privé.
Par Matthieu Pécot
Mourad Boudjellal est heureux.
On a presque plus parlé du fait que vous étiez enfermé seul dans le vestiaire de Twickenham pendant tout le match que de la victoire du RCT en elle-même. Concrètement, vous avez fait quoi dans ce vestiaire ?
Je n’étais pas du tout au courant qu’on avait autorisé les caméras dans le vestiaire. Je ne sais pas qui de chez nous a pris cette décision ! Il y avait un petit écran pas loin de moi. Quand Clermont dominait, je me retournais, je ne voulais pas voir ça. Tant que le bruit dans le stade ne montait pas, c’était bon signe. Il n’y a que quand on avait le ballon que je regardais l’écran. Je suis sorti du vestiaire une ou deux minutes mais c’était impossible d’aller plus loin. J’ai fait demi-tour et je suis retourné dans le vestiaire jusqu’à la fin du match.
Vous avez pris le temps de revoir le match depuis ?
Oui. Et je regrette de ne pas l’avoir vu en direct, je suis vraiment con ! Là, je l’ai regardé comme un épisode de Columbo : je connaissais l’identité du coupable dès le début mais je me demandais comment on allait en arriver là.
Mais pourquoi le stress vous ronge-t-il à ce point ?
Je redoute ces matches dès le début de la saison. Enfin, d’abord, je redoute de ne pas y être ! Mais oui, savoir qu’on peut tout perdre sur un match, c’est une torture. Un match à élimination directe, c’est un vrai poison. J’ai investi 7 millions dans ce club. Si ça n’avait pas marché, ça aurait été une catastrophe. J’ai mis en danger ma famille. Et puis, j’ai pris des coups. On m’entend souvent parler avant les matches. Tout ça, je le fais pour protéger les joueurs. Je ne m’investis pas à moitié. Vraiment pas.
La fierté de ce troisième titre européen de suite, c’est quoi ? Avoir gagné sans Jonny Wilkinson ?
C’est d’avoir gagné avec une vraie équipe, une équipe multi-raciale. J’ai toujours dit que je me sentais plus proche de quelqu’un qui est né à 10 000 kilomètres de chez moi mais qui est sur la même longueur d’ondes que moi, plutôt qu’un voisin dont je n’ai rien à foutre. Le monde de demain, c’est ça. On est tous les mêmes. Aujourd’hui, tous les enfants de la planète ont les mêmes références culturelles. Tout s’universalise. On mettait plus de temps pour aller de Toulon à Paris au Moyen Âge qu’on en met aujourd’hui pour faire Paris-New York.
La joie de Mourad Boudjellal, en 1/2 finale face au Leinster, au Stade Vélodrome.
Une partie du public continue d’estimer que Toulon a une équipe de mercenaires et résume votre club à sa puissance financière…
Il y a des présidents de rugby richissimes, ce n’est pas une tare ! Seulement, certains ne l’ont pas encore compris. Déjà, par définition, le mercenaire est payé pour défendre une cause qui n’est pas la sienne. Or, là, on n’est pas dans ce cas de figure. À Toulon, on n’a pas de milliardaire qui nous aide. Au lieu de dire qu’on est un magnifique modèle économique, on nous reproche d’acheter de très bons joueurs. C’est une forme de racisme parce que ce sont à chaque fois les étrangers qui sont visés. Quand un international français va de Toulouse à Clermont, on entend moins ces critiques. Par les temps qui courent, ça me dérange. Au rugby, il y a un modèle très conservateur qui est en place. On a l’impression que le club est au service de l’équipe de France. Comme si on avait une mission de délégation publique !
On entend souvent vos joueurs, comme le Sud-Africain Bakkies Botha dimanche dernier, remercier tout le département du Var. Est-ce que partager votre amour pour le pays varois dès qu’un joueur arrive de l’étranger est votre secret pour l’intégrer au RCT ?
Quand Bakkies dit ça, il s’agit d’une démarche personnelle. Je ne donne aucune consigne. On n’a pas de spécialiste en communication chez nous. Quand un joueur arrive, on lui explique l’histoire de ce club, mais ça s’arrête là. Le rugby, c’est un théâtre. C’est une salle pleine qui vibre. La magie opère quand il se passe un truc entre les acteurs et le public. Mais il n’y a pas de stars à Toulon. Honnêtement, notre fonctionnement est celui d’un club de Fédérale 1. Jonny Wilkinson, si on devait faire douze heures de bus, eh ben il faisait douze heures de bus. Il ne faut pas croire qu’on passe notre vie à se déplacer en jet privé.
Au fait, à quoi a ressemblé votre journée de dimanche, le lendemain du triplé ?
On est arrivés à 5h15 à l’aéroport (de Hyères-Toulon, ndlr). À 6h15, je me couchais. Le réveil a sonné à 9h. Avant de boire mon café, je suis allé acheter la presse, en espérant qu’il reste des journaux. Ça fait partie des petits bonheurs car je m’attendais évidemment à ne lire que des choses positives. Puis, j’ai donc bu mon café en lisant, et en flattant mon ego. Je suis ensuite allé faire le marché du Mourillon. Après, j’avais privatisé un lieu pour qu’on puisse fêter ça, picoler un peu. J’ai remis ça le soir avec des amis très proches. À 21h50, j’ai reçu un SMS qui me disait que j’étais l’invité du Grand Journal le lendemain, alors j’ai arrêté de picoler. Voilà, la fête a duré un jour. Mais depuis, je ne pense qu’au prochain match de Top 14, contre Castres.
RCT-Castres Olympique, samedi à 14h45.
Par Matthieu Pécot
Aujourd'hui, c'est la journée mondiale Sans régime. Une sorte de permission de manger ce que l'on veut comme on veut, en oubliant la dictature de la minceur. Et comme la première chose que l'on cherche en emménageant dans un nouveau quartier, c'est le grec le plus proche, quelque part, c'est aussi un peu notre fête. La preuve.
Par Noémie Pennacino, Matthieu Pécot et Michaël Simsolo
On se demande pourquoi certains légumes s’appellent “légumes oubliés” et pas les autres.
Un repas, c’est du salé, puis du sucré. Triangolini de Belin et Pim’s orange, ça marche.
On commence à trouver ultra-chiantes les filles qui font du sport sur Instagram.
Devant Top Chef, on dit souvent “Quel nul, moi j’aurais plutôt fait une escabèche de foie gras avec une mousseline amande-betterave” tout en trempant nos coquillettes dans de la sauce samouraï.
Ah bon, y a du vinaigre dans la vinaigrette ?
Pour nous, la carbonara, c’est de la crème fraîche et des lardons. Et de la crème fraîche. Et des lardons.
Il manque un petit truc aux donuts pour qu’on les apprécie vraiment. Le milieu.
On peut rire de tout, mais pas blaguer avec la matière grasse.
On n’a jamais fini un sachet de salade.
Et non, on n’achète pas de “vraies salades”. On a tenté le coup une fois, ça nous a pris un rouleau d’essuie-tout entier pour l’essorer.
Pendant longtemps, on a cru que William Saurin était un ami de la famille, voire un cousin.
Notre repas d’hier soir : du jambon de poulet au four et aux herbes avec du maïs à poêler. Notre repas de ce midi : du jambon de poulet au four et aux herbes avec du maïs à poêler. Parce que si on attend trop, un paquet de quatre tranches de jambon ouvert, c’est deux tranches de jambon de perdues.
On apprécie de temps en temps un petit cassoulet en boîte, avec des biscottes émiettées dessus pour faire la panure.
On considère les Skittles comme des fruits.
On aime bien les pommes. C’est le truc sous le sucre rouge à la fête foraine, c’est ça ?
Puisqu’il y a de la pulpe dans l’Orangina, ça doit être du 100% pur jus pressé.
Le café n’a de sens qu’accompagné d’un petit chocolat. Ou de dix-huit.
Bien sûr qu’il faut faire attention à son beach body. Le nôtre est ready : tout plein de crème solaire.
Ah ça, c’est sûr qu’on va pas se plaindre de la mode des burgers.
Parfois, on est seul(e) mais on commande pour deux personnes pour pas que le livreur croie qu’on a une vie de merde.
Pour nous, la pizza est une entrée.
On n’a pas besoin de faire la vaisselle, on sauce.
Il paraît que les carottes rendent aimable et le poisson, intelligent. On est bête et méchant.
Le fromage blanc, c’est bon pour la santé. Tant mieux, le Caprice des Dieux est notre drogue préférée.
Le Coca-Cola n’est rien d’autre que de l’eau. Gazeuse et aromatisée.
Au restaurant, on consulte la carte des desserts en premier. Ensuite, on hésite entre les six pendant tout le repas.
Mine de rien, s’enfiler douze pains au chocolat en douze minutes, c’est du sport.
Salade, tomate, oignon. Ça fait déjà trois légumes en un seul repas.
“Selon des scientifiques de l’université de Californie du Sud, manger des fruits entraînerait une sensation de faim accrue.”
Notre catéchisme, on l’a fait avec le père Dodu.
On a beau préférer la mer à la campagne, entre la bouillabaisse et le pâté, on est infoutu(e) de faire un choix.
On prend tout ce qu’on nous dit au pied de la lettre, et comme apparemment, il n’y a pas d’heure pour en manger, du Bâton de berger…
After Eight, c’est Nine. Comme le nombre par lequel il faut les manger.
Quand on est six, on commande huit pizzas. Plus, ça ferait trop. Vu qu’il y a le plat et le dessert après, en plus.
On connaît la réponse à la question : “Entre la charcuterie et Roaccutane, qui gagne ?”
Mais t’avais dit qu’on ferait des Knackis 🙁
On a établi un classement très sérieux entre le Mc Chicken, le Long Chicken, le B.O.S.S. et le Crispy Chicken.
On a découvert y a pas longtemps que l’expression, c’était Thank God it’s Friday et pas Thank God it’s fries day.
Trente secondes dans la bouche, trente ans sur les hanches. Ça vaut tellement le coup.
Nos collègues nous appellent l’homme/la femme-sandwich. Et c’est pas parce qu’on s’habille avec des pancartes.
Si on ne pouvait emmener qu’une chose sur une île déserte, ça serait des cacahuètes.
On ne voit vraiment pas comment on peut faire du croquang gourmang sans gluten, ni huile de palme, ni lactose, ni calories.
On est limite un peu déçu(e) de pas avoir déposé le brevet des treize desserts de Noël.
On mange les croûtes de pizza des convives qui n’aiment pas ça.
On boit la pâte à crêpes.
La vie, c’est comme une boîte de chocolats : plein de petits bonheurs.
Par Noémie Pennacino, Matthieu Pécot et Michaël Simsolo