Véritables sources de protéines, les insectes pourraient bien faire partie de notre alimentation de demain. Ceux que l’on a longtemps chassés des tables et des cuisines y sont désormais les bienvenus, en sucette, sur du chocolat, à l’apéritif ou accompagnés de pâtes et les amateurs, appelés les entomophages, sont d’ailleurs de plus en plus nombreux. Pourtant, ce n’est toujours pas simple de consommer des insectes, aujourd’hui, en France. Quelques possibilités de s’en procurer, tout de même…
Par Léa Lestage / Photo : Renaud Bouchez
Criquets cuisinés par Jimini’s lors d’un rendez-vous Les Heures Magiques de Google.
“Consommer des insectes est la plus vieille pratique alimentaire qui existe. Ils sont sources de bienfaits pour le corps humain et leur disponibilité sur terre de décroît pas”, tonne Bruno Comby, entomophage convaincu et auteur du livre Délicieux insectes, les protéines du futur (1989). Lui consomme ces petites bêtes crues ou cuisinées, et cherche à faire évoluer les mentalités à ce sujet. “Il faut dix kilos de nourriture pour produire un kilo de viande. Avec dix kilos de nourriture, vous produisez neuf kilos d’insectes. On en parlait peu avant, mais depuis 2008, la FAO véhicule l’idée de la consommation d’insectes”, enchaîne-t-il. Plus qu’un simple régime alimentaire, les larves, punaises et autres scarabées qui se retrouvent dans les assiettes répondent à une véritable problématique écologique : comment nourrir la planète en 2050 quand les ressources alimentaires viendront à manquer ? Si la vente d’insectes comestibles est autorisée dans certains pays, en France, la démarche s’avère plus compliquée.
Un commerce compliqué
“On m’a demandé de ne plus cuisiner d’insectes, même à titre gratuit. Vous savez, les services sanitaires français…” lâche Alexis Chambon d’un air désolé. Converti à l’entomophagisme en 2006, le jeune Breton décide alors de créer sa société, Insectes à croquer, et devient le premier éleveur français d’insectes destinés à la consommation humaine. Également restaurateur, il met des criquets à sa carte. Mais une loi le rattrape et l’oblige à abandonner son business. Cette loi, c’est celle qui concerne les novel foods. “Ce sont des aliments ou ingrédients alimentaires non
On les importe d’Afrique ou d’Asie dans des petits avions qui ne sont pas aux normes sanitaires
Bruno Comby, auteur entomophage
consommés dans la communauté européenne avant 1997. Ils peuvent être d’origine végétale, animale, issus de la recherche scientifique et technologique, mais aussi de traditions ou de cultures alimentaires de pays tiers”, explique l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail. Même si on n’y fait pas explicitement référence aux insectes, donc, la vente et l’élevage à grande échelle de ces derniers sont réglementés. Au grand désarroi de l’expert Bruno Comby. “L’Europe légifère le commerce des insectes. On ne peut donc pas en vendre comme on le souhaite. On les importe d’Afrique ou d’Asie dans des petits avions qui ne sont pas aux normes sanitaires. Il y a bien plus de risques à les faire importer qu’à les produire sur notre territoire”, dit-il. D’ailleurs, comme Alexis, de nombreux investisseurs ont dû abandonner l’idée de miser sur les insectes.
Des insectes faits maison
“Les insectes que je mange sont issus de ma production personnelle mais on peut compter trois façons de s’en procurer”, livre Comby. La première consiste simplement à glisser une boîte dans un tiroir : “C’est ce qu’on appelle la production artisanale. Par exemple, vous prenez un couple de grillons, vous le mettez dans une boîte en plastique, puis vous le laissez se reproduire.” En Australie, l’architecte Katharina Unger a même créé un appareil permettant d’élever ses insectes et de les récolter pour sa propre consommation, en réponse aux prédictions pessimistes sur l’avenir quant à la production alimentaire. Les larves étant nourries avec des déchets bio, cela réduit l’utilisation d’eau et l’émission de CO2. La deuxième manière de se procurer ces bestioles – réservée aux plus téméraires – est d’enfiler ses bottes, de se munir d’un filet et d’un sac et de prendre la direction de la forêt. Car oui, la récolte d’insectes sauvages est autorisée. “Sinon, vous pouvez en acheter dans les animaleries, les marchés pour animaux. Ils y vendent des insectes pour les mygales carnivores, par exemple. Il faut juste s’assurer qu’ils soient comestibles et qu’ils aient ingurgité des produits adaptés à la consommation humaine”, conclut Bruno Comby. Aujourd’hui, on compte des centaines d’espèces assimilables pour l’homme. Une fois dans le frigo, il ne reste plus qu’à les cuisiner et des idées de recettes il y en a : terrine de grillons, ragoût de sauterelles, suprême de larves, brochettes de criquets au barbecue ou encore crème pâtissière aux œufs de drosophile. Alors aux fourneaux !
Par Léa Lestage / Photo : Renaud Bouchez
Les Alleycats, ce sont ces défis entre course de vitesse et course d'orientation que les coursiers de métier se lancent ponctuellement, prenant alors d'assaut les rues de la ville. Immersion dans l'avant-dernière rencontre parisienne de l'année.
Par Romane Ganneval / Photos : Ryosuke Kawai
L’Alleycat du 31 octobre est annoncée pour le 8 novembre. Sûrement une manière pour les organisateurs de rester discrets –en plus de celles qui consistent à être injoignables ou à dissiper des informations importantes sous forme de mots de passe–, car c’est bien le soir d’Halloween qu’une dizaine de coursiers ont ramené leur fixie sous le pont de la Concorde, côté Assemblée nationale, loin de l’effervescence des stands de street food qui poussent un peu partout sur les berges. Certains ont fait l’effort d’enfiler des masques de catcheur mexicain, bob Ricard vissé sur la tête, mais la grande majorité est seulement un peu maquillée. On n’est pas là pour quémander des friandises. À quelques minutes du départ de la course, l’excitation est palpable. Les coureurs se réchauffent en descendant une à une des cannettes de bière.
Initiées dans les années 80 par des coursiers canadiens, les Alleycats (littéralement “chats de gouttière”) sont des courses d’orientation à vélo sauvages et souvent nocturnes qui consistent à se rendre le plus rapidement possible à une dizaine de checkpoints dispersés aux quatre coins de la ville. Les participants ne découvrent le parcours qu’à la dernière minute. Et si sur le papier, l’Alleycat est une occasion de plus de découvrir les recoins d’une ville, c’est surtout une opportunité unique de
L’Alleycat, c’est un truc d’arracheur de dents
Nicolas, organisateur
dépasser ses limites physiques. “Tu joues contre toi-même, il faut se fier à son instinct et à sa bonne connaissance des passages secrets de la ville”, détaille Nicolas Daumin, l’un des organisateurs de la course parisienne. Au début, “c’étaient des mecs qui se réunissaient après une journée de boulot. Le premier arrivé dans un bar gagnait la manche. Et il fallait tenir toute la nuit.” Avec le temps, la course s’est codifiée. “Sur une année, tu as sept courses, de mars à novembre, explique Nicolas. Le but est de faire le plus grand nombre de bons résultats sur l’ensemble de la saison. Une première place rapporte 17 points, puis c’est dégressif jusqu’à la dixième place. Le classement est régulièrement mis à jour et chaque participant sait où il en est en temps réel.”
Petits plans, petits défis, grand plaisir
Sous le pont, les coureurs, tout bien alignés, attendent les instructions de Nicolas, qui sont précises : “Vous avez tous un manifeste différent dans les rayons. Vous devez faire les trois blocs dans l’ordre. À la fin de chaque bloc, vous revenez ici. S’il vous manque une adresse, c’est l’élimination direct. Il faut respecter les flèches dans les blocs.” Indignation générale. “L’Alleycat, c’est un truc d’arracheur de dents, c’est tous des tricheurs, explique Nicolas. Dès qu’il y a moyen de carotter, ils le font. C’est à nous, en tant qu’organisateur, de faire en sorte d’éviter ça.”
Heure H. Le top est lancé, des petits plans de Paris s’ouvrent dans tous les sens. Il paraît que “c’est plus rapide qu’avec un téléphone. Tu as meilleure vision
C’est ce qui permet l’émulsion de la communauté et d’y adhérer surtout
Fabien, participant
d’ensemble du quartier que tu vas devoir traverser et surtout tu es à la bonne échelle.” À condition de “ne pas être trop vieux”, c’est écrit petit. Pour le reste, chacun sa technique –qui va souvent avec l’expérience. Les premiers partent bille en tête, laissant les autres prendre le temps de bien analyser leur carte. Sur la feuille, il est inscrit qu’il faut se rendre à l’angle de la rue Bichat sur le canal Saint-Martin, à la boutique La Bicyclette, rue Crozatier, puis dans le Ve, “ça fait une boucle à l’est de Paris”. Ensuite, il y a cinq adresses dans le désordre, et un aller-retour à Vanves. Ils n’ont pas tous le même parcours mais ils parcourent tous la même distance. Et pour être sûr que chaque adresse a été trouvée, les participants doivent récolter des tampons, des signatures ou répondre à des questions dont on ne trouve pas les réponses sur Google. “Si un coureur veut un tampon, il devra boire un shot ou faire des pompes, chacun donne son petit défi”, explique Romain, organisateur lui aussi. Le macadam file sous les roues des fixies, qui semblent posséder la route, slaloment et laissent les voitures sur place. Le vainqueur terminera la course en 1h55, le dernier arrivera deux heures plus tard. Fabien, qui a découvert le milieu à 15 ans “en regardant un reportage de l’émission Des Racines et des Ailes sur les coursiers new-yorkais” a participé à sa première course seulement trois semaines après avoir signé son contrat de coursier. “C’est un truc dont on parle entre nous, et c’est ce qui permet l’émulsion de la communauté et d’y adhérer surtout. On est tous rentrés là par hasard, et on va tous en sortir avec une expérience de vie hors normes.”
Par Romane Ganneval / Photos : Ryosuke Kawai
Des gymnases du Pas-de-Calais aux parquets américains, Hervé Dubuisson a écrit les plus belles heures du basket français. À l’occasion de la sortie de sa biographie, le plus grand shooteur de l’Hexagone déroule le fil d’une vie cabossée, entre tirs à trois points et accident de moto. Portrait d’un survivant.
Par Grégoire Belhoste
Comment mettre un panier à tous les coups ? Premièrement, il faut passer le ballon devant son nez en gardant les pieds dans l’axe de l’arceau, entre les quatre vis. Deuxièmement, le faire glisser presque sur le bout des doigts. Troisièmement, fouetter délicatement la balle en direction du panier. Quand le ballon tourne dans les airs, il est impératif de ne pas le quitter des yeux tant qu’il n’a pas fini sa course parce que “ça fait une belle pose pour les photographes !” C’est en costume et cravate rayée, dans le canapé en cuir du salon cossu d’un hôtel quatre étoiles de Boulogne, qu’Hervé Dubuisson décortique ce qu’il appelle le “bon geste”.
L’ancien basketteur est un showman doté d’un sens aigu de l’efficacité. Du haut de son mètre 95, le désormais quinquagénaire aligne les plus belles statistiques du basket français. En 26 ans de carrière, l’ailier passé par Le Mans, Antibes ou encore le Racing Club de France est devenu, entre autres, le meilleur marqueur de l’histoire de l’équipe de France et du championnat national, le joueur le plus capé de la sélection tricolore, le plus jeune international jamais sélectionné et le recordman du nombre de points marqués lors d’un match des Bleus, avec 51 points inscrits contre la Grèce le 21 novembre 1985. Assez pour se voir surnommé “Monsieur Record” par la nouvelle génération.
Ce n’est pas son seul surnom. Si, dans les années 70, à force de le voir porter “des blousons et des vestes avec les franges”, ses coéquipiers du Mans l’appelaient “Clint” en hommage à Eastwood, ce sont ses performances qui lui ont valu les autres : “Dub la main chaude” en France ou “le Blanc qui saute au-dessus des buildings” dans la presse américaine. Et pour cause. Au-delà des chiffres, il incarnait, du temps de sa gloire, une certaine idée du basket-ball. Offensive, inventive, pleine de fougue. “Ce n’était pas un joueur de basket, c’était un joueur tout court. On lui disait : “T’es capable de shooter des tribunes et de mettre le panier ?” Il le faisait. Et il le mettait souvent ! Avant Tony Parker, c’était quasiment la seule star française de ce sport”, remet son ancien collègue Sylvain Lautié. Ami, avocat et ancien joueur, Xavier Le Cerf surenchérit : “Certes, il shootait à dix mètres, mais Dub était aussi beau gosse, bien sapé, toujours un mannequin ou une chanteuse à son bras. Hervé, c’était l’icône. On voulait tous être lui.”
Un aller-retour aux États-Unis
Aux yeux du grand public, la légende Dubuisson commence à l’été 1984, lorsque le natif de Douai, dans le Nord-Pas-de-Calais, devient le premier Français à porter le maillot d’une équipe NBA. Durant un tournoi d’exhibition à Gravelines, le Stade Français rencontre une équipe évoluant sous le patronage des New Jersey Nets. Dub est sur le terrain, côté parisien, le recruteur Herb Tureztky assis sur le banc du club américain. “Pour la première fois, j’ai vu Hervé. Un joueur à la longue chevelure flottant au vent, un magnifique compétiteur qui semblait sorti d’un shooting mode publié dans GQ plutôt que d’un compte-rendu de match tiré de Sports Illustrated”, décrit Turetzky, qui milite aujourd’hui pour faire entrer
Certes, il shootait à dix mètres, mais Dub était aussi beau gosse, bien sapé, toujours un mannequin ou une chanteuse à son bras
Xavier Le Cerf
Dubuisson au Hall of Fame de la NBA. Ce jour-là, l’artilleur inscrit 46 points, dont sept paniers à trois points. Suffisant pour se voir proposer une offre du club américain dès le coup de sifflet final.
Après le fiasco des Jeux olympiques de Los Angeles en 1984, où l’équipe de France ne gagne qu’une seule rencontre, le jeune homme de 27 ans s’envole donc vers le New Jersey. Pour intégrer les Nets, il doit participer à un summer camp à l’université de Princeton. Trois semaines d’entraînement et de matchs fondées sur un principe de sélection naturelle : les meilleurs éléments parviennent à intégrer l’équipe pour la saison à venir, les autres restent à la porte de la NBA. Habitué à la franche camaraderie d’un basket gaulois encore semi-professionnel, Dubuisson vit mal cette période d’essai, où chacun tente de tirer son épingle du jeu. “Il n’y avait pas d’esprit d’équipe, tout le monde jouait pour soi… C’était la mentalité NBA, chacun pour sa pomme. Et puis, avec Oscar Schmidt, le marqueur brésilien, on était les seuls étrangers. Du coup, dès qu’on avait la balle, les Ricains nous mettaient des coups de marteau”, soupire-t-il encore. Lorsque les Nets, arguant de faibles qualités défensives, ne lui proposent qu’une option pour un contrat, le Frenchie met les voiles. Il décide de retourner au Stade Français.
Des paillettes aux enfers
Trente ans plus tard, sur un air de jazz d’ascenseur, Dub explique qu’il ne regrette rien. De l’autre côté de l’Atlantique, la vie parisienne lui aurait cruellement manqué. Le grand gaillard aux cheveux longs a le train de vie d’une star. Après son arrivée au Stade Français, au début des années 80, Dubuisson devient une petite vedette dans la capitale. “Je faisais partie de l’agence de mannequins sportifs Marilyn-Gauthier, avec Jean Galfione, Evander Holyfield et Kelly Slater. Je sortais aux Bains Douches, j’allais dîner chez Roman Polanski avec Emmanuelle Seigner et le chanteur Manu Booz”, déballe-t-il. Avant d’ajouter : “Mais attention ! je tournais au Perrier ou au Coca, je n’ai jamais bu une seule goutte d’alcool !” À l’époque, jouer au basket n’est pas très coté sur l’échelle des mondanités. Invité dans le jury de Miss France 1994 avec le néo-troubadour Francis Lalanne et l’animatrice télé Marie-Ange Nardi, Dubuisson croise en coulisses un acteur célèbre. Il se présente. Malaise : “Attendez, mais vous avez un vrai travail quand même à côté ?” Qu’importe, les paillettes mènent à une autre passion : les femmes. Dragueur redoutable, Dubuisson branche la chanteuse d’eurodance Indra dans une boîte de nuit du Quartier Latin. Grande, blonde, suédoise jusqu’au bout des ongles, la demoiselle a tout pour plaire au basketteur. Le couple fera le bonheur de la presse people durant sept ans. Mais le crush ultime a lieu en 1989, devant le magazine Maxi Basket. Alors qu’il feuillette un article sur les joueuses de l’Est venues s’installer en France, le shooteur tombe sur la photo d’une jeune Bulgare à chemisette à pois. Son nom : Madléna Staneva. “Elle jouait à Aix en Provence, elle était magnifique. J’ai commencé à la draguer. Je lui envoyais des fleurs, je lui offrais des cassettes audio avec des slows pour ne pas qu’elle s’ennuie lors de ses déplacements en train. Mais elle ne voulait pas sortir avec moi. Soi-disant parce que j’étais un séducteur ! Bon, c’est vrai que je suis sorti avec pas mal de femmes…” Il s’arrête, baisse d’un ton, cligne de l’œil droit : “Heureusement, je ne me souviens de rien.”
Derrière ce clin d’œil, il y a un terrible accident de moto. Dans la nuit du 10 au 11 mai 2001, après un dîner en compagnie de sa chérie de l’époque, Hervé Dubuisson rentre tranquillement chez lui, à Nancy, au guidon de sa fidèle Yamaha Royal Star. Devenu coach du club lorrain, il entame une brillante reconversion : son club vient de se qualifier pour la prochaine Coupe Korac, alors troisième compétition européenne par ordre d’importance. La prolongation de son contrat, prévue pour la fin du mois, ne semble qu’une formalité. Sauf qu’en cette douce nuit de printemps, à quelques mètres de son domicile, tout s’arrête lorsqu’une voiture le percute de plein fouet. “D’abord, j’ai réussi à me relever, dit-il. Seulement, comme nous étions dans un cul de sac, le conducteur a fait demi-tour et m’a touché une deuxième fois. J’ai été projeté sur le trottoir, j’ai fini écrasé contre une borne de stationnement.” Dubuisson plonge illico dans le coma. Diagnostic : traumatisme crânien. Lorsqu’il reprend connaissance, ce n’est plus le même homme.
Des enfers à la fonction publique
Les sept dernières années de sa vie ont disparu de sa mémoire. L’amnésique se croit de retour dans les années 80, au temps du Stade Français, quand il enflammait le gymnase Pierre-de-Coubertin avec ses shoots à huit mètres. Il lui arrive même parfois de se réveiller en pleine nuit pour s’échauffer pour une prétendue rencontre. Sa compagne d’alors doit le ramener à la réalité. Dubuisson broie du noir : “J’ai végété pendant sept ans, à m’insulter, à me dégrader physiquement… Je me regardais dans la glace, je disais : “T’es qu’un connard.” Comme j’avais un hématome sous-dural, près du cerveau, les médecins ne pouvaient pas m’opérer. Je prenais de la cortisone. Je suis monté à 135 kilos, j’étais tout bouffi… On aurait dit le bonhomme Michelin.” La belle Madléna Staneva est
Dub attire la bienveillance. Après être tombé aux oubliettes, il est heureux de voir qu’il est toujours le grand Hervé Dubuisson
Stéphanie Augé
touchée par la star déchue, qui n’est plus que le fantôme du Don Juan d’autrefois. Peu à peu, elle se rapproche de lui, jusqu’à vivre à ses côtés. Avec Xavier Le Cerf, elle va tout faire pour le sortir de la déprime. En premier lieu, le juriste récupère les affaires juridiques de l’ancien basketteur, laissées en vrac par l’avocat précédent. “J’ai reçu le dossier d’Hervé dans une boîte à chaussures en janvier 2003”, se rappelle-t-il, toujours remonté. Au terme d’une procédure complexe, Le Cerf obtient l’indemnisation des conséquences de l’accident. “On s’est alors demandé ce qu’on allait faire d’Hervé : est-ce qu’il allait rester chez lui à se tourner les pouces en regardant la télé ? C’était un homme en pleine force de l’âge. Psychologiquement, il était important qu’il puisse retravailler. On a appelé la Fédération française de basket pour savoir s’ils pouvaient faire quelque chose. Pas de réponse. En dernier recours, j’ai écrit à Jacques Chirac, qui avait témoigné de son émotion lors de l’accident.” La situation se débloque finalement en 2007, plusieurs années après l’intervention du président de la République : Hervé Dubuisson est embauché dans la fonction publique. Le rescapé est aujourd’hui en charge de l’accessibilité pour les personnes à mobilité réduite à la direction départementale de la jeunesse et des sports des Alpes-Maritimes.
Côté temps libres, ces derniers mois, c’est son projet de biographie qui l’a occupé. « Écrire la vie de quelqu’un d’amnésique est un peu compliqué… Je l’ai abordé comme un héros de tragédie grecque, un homme béni des dieux puis touché par la foudre, glisse Stéphanie Augé, la journaliste derrière cette somme de 220 pages. Il y a quelques années, Hervé était considéré comme un has-been. Il avait d’ailleurs parlé de cette idée de livre avec des journalistes spécialisés. Tous l’avaient découragé. Aujourd’hui, je vois comment le public se comporte lors des séances de dédicaces, Dub attire la bienveillance. Après être tombé aux oubliettes, il est heureux de voir qu’il est toujours le grand Hervé Dubuisson. » Le grand Hervé Dubuisson a d’ailleurs des objectifs très clairs : « Maintenant, je voudrais passer chez Bernard Pivot ! »
Lire : Hervé Dubuisson : une vie en suspension, par Stéphanie Augé (éditions Ipanema)
Voir : DUB, le documentaire sur Hervé Dubuisson par Gasface. Plus d’infos sur reverse-mag.com.
Par Grégoire Belhoste
L'Italie, le monde du cinéma et celui de la littérature célèbrent aujourd'hui le triste 40e anniversaire de la mort de Pier Paolo Pasolini, assassiné le 2 novembre 1975 sur un terrain de football. Supporter, joueur de bon niveau et penseur avisé de son sport favori, le cinéaste avait placé le ballon rond au centre de sa vie.
Par Chérif Ghemmour et Stéphane Régy
Qui dit foot du dimanche dit habits du dimanche.
Le 16 mars 1975 à 9h30 précises, une vingtaine de types envahissent la Cittadella, le terrain d’entraînement des pros du Parme AC. C’est un dimanche matin, et le champ est libre: l’équipe de Parme, alors en Serie B, joue à l’extérieur un match de championnat à Pescara. Les squatteurs se divisent en deux parties. D’un côté, onze hommes en complet chaussettes-short-maillot du Bologna FC : c’est l’équipe de Pier Paolo Pasolini. De l’autre, onze hippies à la dégaine fantaisiste, maillot arc-en-ciel psychédélique et cheveux longs : c’est l’équipe de Bernardo Bertolucci. Ce match entre les deux cinéastes possède un drôle de nom de code : “Centoventi” (pour Les 120 Journées de Sodome qu’est en train de tourner Pasolini dans la région) contre “Novecento” (pour 1900, le nom de la fresque communiste à laquelle s’attelle alors Bertolucci). C’est un derby, sinon un duel à l’ancienne. Derrière la raison officielle –les 34 ans de Bertolucci– se cache en vérité un méchant différend à aplanir. Bertolucci, ancien assistant réalisateur de Pasolini, a très mal pris la sévère critique que ce dernier a dressée de son film Le Dernier Tango à Paris, sorti trois ans auparavant. Depuis, les deux hommes sont fâchés. Laura Betti, actrice et confidente des deux metteurs en scène, peut bien espérer que la partie réconcilie tout le monde ; des deux côtés, la défaite est interdite. Et tous les coups permis. Si Pasolini joue avec ses copains habituels –simples techniciens, acteurs prolétaires–, Bertolucci s’est arrangé pour débaucher les vedettes du centre de formation de Parme. Dés pipés, score idoine. Novecento met la pâtée à Centoventi. Si le score diffère selon les sources (5-2, 4-2 ou 19-13?), une chose est certaine : Pasolini, excédé de voir ses coéquipiers se gâcher et ses adversaires l’humilier, quitte le terrain avant la fin du match. “Narcissistes!” crie-t-il alors, sans que personne ne comprenne à qui il s’adresse. Peu après, dans la Gazzetta di Parma, Hugo Chessari, l’un des coéquipiers de Pasolini, délivre un genre d’explication générale : “Pasolini n’est pas comme nous autres, à jouer pour s’amuser. Il ne supporte pas de perdre.”
Trente-huit ans plus tard, Bernardo Bertolucci livre le même témoignage : “À un moment, il leur a dit : ‘Vous êtes tous des petits machistes.’ – ‘Pourquoi tu dis ça?’ ai-je demandé. Et lui me répond : ‘Parce qu’aucun ne me passe le ballon.’ Il tenait vraiment beaucoup au football.”
La fièvre bolognaise
Pier Paolo Pasolini malade de football, donc. L’affirmation peut sembler enthousiaste, elle est encore en deçà de la vérité. À la question de savoir ce qu’il aurait aimé devenir s’il n’avait pas eu l’écriture ni le cinéma, l’intellectuel répond dans La Stampa du 4 janvier 1973 du tac au tac : “Un bon footballeur.” Qu’importe l’art, le communisme, la poésie, la religion ou la sexualité. Quand la discussion en vient au football, Pasolini se comporte comme tout tifoso normalement constitué : le foot d’abord, le reste après. Sa passion pour le ballon vient de loin, des premières années de l’enfance. Même si la famille Pasolini part vite s’installer dans le Frioul, au Nord-Est de l’Italie, c’est à Bologne que naît Pier Paolo, en 1922. C’est là aussi qu’il effectuera ses études. L’époque est alors au “grand” Bologna, dont il épouse la cause. “En 1925 et 1929, Bologne gagne le championnat. Puis, de 1936 à 1939, enchaîne trois scudetti d’affilée. On disait de cette équipe qu’elle faisait peur au monde entier. Ces premiers victorieux expliquent que Pasolini soit toujours resté fidèle aux couleurs de Bologne”, éclaire Valerio Piccioni, auteur du livre Quando giocava Pasolini. Dans une interview de 1973 accordée à Giulio Crosti, Pasolini confirme: “Le tifo est une maladie infantile qui dure toute la vie. Lorsque j’habitais à Bologne, je souffrais pour cette équipe. Ça ne m’a jamais quitté. Encore aujourd’hui, je souffre atrocement pour Bologne, toujours.” Devenu adulte, installé à Rome, Pasolini ne rate pas un derby Lazio-Roma, en sort émerveillé à chaque fois, mais rien ne remplace son équipe de
Pasolini jouait sur le côté gauche et moi au milieu. Puis le match terminé, on s’asseyait autour d’une table et on parlait de tout, de foot, de cinéma, de politique
Fabio Capello
cœur. Dans son livre Vita di un ragazzo di vita, l’acteur Franco Citti raconte un Roma-Bologne du début des années 60 partagé en compagnie de Pasolini : “Nous sommes allés ensemble au stade voir le match. La Roma a battu Bologne 4-1. Il était dans un état pas possible. Il n’aurait jamais réussi à se défaire de sa fièvre pour Bologne.” En 1956, quand le journal Paese Sera lui demande s’il est supporter d’une équipe en particulier, Pasolini se montre une fois encore aussi clair que fougueux : “Tous les dimanches, je vais au Stadio Olimpico, à Rome. Mais je suis un tifoso de l’équipe de Bologne, ma ville natale. En ce qui concerne le tifo en général, je pense qu’il est inséparable du sport.” Loin donc de Pasolini l’idée de regarder le foot avec des pincettes, en esthète. Le foot, ça se vit avec les tripes, dans des endroits glauques, de préférence. “Devant Italie-Yougoslavie, je me suis amusé au point de sauter sur ma chaise et de hurler, comme tous les autres, autour de moi, aux tables réunies, de jeunes ouvriers ou chômeurs, enroués dans les odeurs de friture”, écrit-il en septembre 1960 dans Vie Nuove. Foutez-lui un sifflet dans la bouche et une écharpe autour du cou, Pasolini aura l’air d’un tifoso comme un autre.
Une course brûlante
Son amour du foot va même au-delà de la simple fidélité du supporter. Dès son plus jeune âge, Pasolini passe des après-midi entiers à jouer au ballon, parfois jusqu’à six heures d’affilée. Durant l’enfance, puis l’adolescence, ces matchs constituent les meilleurs moments de sa vie ; même s’il est un élève brillant, Pasolini préfère nettement jouer au foot qu’étudier. En 1940, inscrit à la faculté de lettres de Bologne, il s’ennuie ferme. Dans une missive à son ami d’enfance Franco Farolfi, il écrit alors : “La meilleure chose qui me soit arrivée depuis que je suis ici a été le tournoi de foot interuniversitaire. J’étais capitaine de l’équipe de Lettres. Une chose magnifique. Je suis dans la meilleure forme de ma vie.” Son équipe se classe quatrième, et lui avoue n’attendre qu’une chose : le prochain tournoi étudiant. Des années plus tard, devenu une personnalité en vue de l’Italie intellectuelle, Pasolini n’abandonnera pas ses habitudes. Sur chaque tournage, le rituel est immuable. À midi, foot. À la pause, foot aussi. Et le soir, foot encore. Le terrain est secondaire : ce peut être une pelouse en bon état, un pré mal labouré, la place d’un village ou le plateau de Cinecittà. L’important, c’est d’avoir un ballon à portée de pied. Pasolini y croit tellement qu’en 1966, il met sur pied une équipe officielle, “l’équipe nationale du spectacle”, dans laquelle figurent metteurs en scène, acteurs, et chanteurs. Le cinéaste impose à ses camarades de jouer l’après-midi, afin d’être au maximum de ses capacités –myope, il se considère désavantagé par rapport aux adversaires lorsqu’il doit jouer dans la pénombre. Sur les photos, on est frappé par le sérieux de la chose : l’équipe pose avec le maillot azzurro, l’air concentré et professionnel, comme si elle s’apprêtait à jouer un match officiel. Et quand elle abandonne les couleurs de la Nazionale, c’est pour revêtir la copie du maillot du Brésil de Pelé, rien de moins. Mais sur le terrain, il faut reconnaître que Pasolini assure. Positionné en latéral, milieu ou ailier… gauche, il joue tête levée, dans une posture élégante. Son atout principal est son excellent physique.
“Pasolini ne fumait pas, buvait très peu, faisait beaucoup d’exercice. Par exemple, il nageait beaucoup. C’était un joueur très athlétique”, explique Valerio Piccioni. Ninetto Davoli, amant, acteur favori et mémoire du cinéaste, l’expliquera à de multiples reprises : “Nous l’appelions Stuka à cause de sa façon typique de s’élancer sur l’aile et de sa course brûlante. Dans les matchs que nous jouions, il était presque toujours celui qui était le plus en forme. Jamais un kilo de trop.” De fait, Pasolini jouissait d’un niveau suffisamment élevé pour se permettre de jouer en compagnie de professionnels sans se couvrir de ridicule. Chaque été, à Grado, lieu de villégiature prisé de l’époque, l’intellectuel prend part à des matchs organisés par des joueurs de Serie A. Parmi lesquels Fabio Capello, qui se souvient aujourd’hui d’avoir joué “tous les ans” avec Pasolini. “Lui jouait sur le côté gauche et moi au milieu. Puis, le match terminé, on s’asseyait autour d’une table et on parlait de tout, de foot, de cinéma, de politique.”
Football, peuple et homosexualité
Et pourtant, Pier Paolo Pasolini n’est jamais aussi heureux que lorsqu’il joue avec des sans-grade. Dans Pasolini, la langue du désir, le documentaire que lui ont consacré Ludwig Trovato et Jean-Luc Muracciole, Ninetto Davoli, gamin des bidonvilles, est formel : “Pier Paolo était plus à l’aise à taper dans la balle avec nous qu’à passer des soirées avec les grands intellectuels de l’époque, Moravia, Dacia Maraini, Elsa Morante…” Et pour cause : c’est en grande partie via ces matchs disputés au sein du petit peuple que Pasolini a découvert le prolétariat, imaginé ses personnages et construit son œuvre. À son arrivée à Rome, dans les années 50, Pasolini habite avec sa mère dans le quartier de San Basilio, zone désœuvrée à l’écart de la ville, recouverte de terrains vagues, de barres d’immeubles et autres bidonvilles –de ce quartier sortira plus tard un type comme Paolo Di Canio. “C’est à l’ombre de ces baraques que Pasolini a pris contact avec la réalité romaine de l’époque. Il descendait jouer au foot avec les gamins du coin, dans les bourgades périphériques. Cela lui a permis d’apprendre le langage du peuple, ses préoccupations et ses espoirs”, explique Flaviano Pisanelli, qui a traduit en français le livre de Pasolini Les terrains : écrits sur le sport. En clair,
Lors d’une remise de prix, Pasolini est arrivé couvert de terre après un match, par provocation. Il est évident que pour lui, c’était l’homosexualité qui était au coeur du football
Pippo Delbono, metteur en scène italien
sans football, peut-être pas de Mamma Roma, d’Accatone, de Ricotta. À travers le calcio, Pasolini embrasse le peuple les bras grands ouverts. Quitte à mal l’étreindre, comme ce jour d’automne 1963 où il monte à Bologne interroger les joueurs de son équipe favorite, pour la plupart issus des quartiers défavorisés, sur le sexe et la politique. Un moment de malaise rarement égalé.
Exaltation du corps, jeunes garçons taciturnes, masculinité exacerbée… Difficile également de ne pas dresser un parallèle entre le football de rue et l’homosexualité de Pasolini. “Le football est un milieu fortement homosexuel, il n’y a pas besoin d’être Freud pour voir ça. En même temps, l’homosexualité y est réprimée. Je suis très sensible à cette répression-là, sous couvert de la famille et de la religion. Ce machisme des politiques représente la mauvaise vision de la masculinité. Lors d’une remise de prix, Pasolini est arrivé couvert de terre après un match, par provocation. Il est évident que pour lui, c’était l’homosexualité qui était au cœur du football”, avance le metteur en scène italien Pippo Delbono. Le corps des jeunes voyous avec lesquels il tape la balle n’a en effet pas l’air de laisser Pasolini insensible. “J’ai remarqué à quel point les jeunes gens du peuple sont supérieurs à ceux de la bourgeoisie. C’est une supériorité essentielle, absolue, qui n’admet aucune réserve –comme la beauté d’un paysage ou la fraîcheur d’un fruit”, ose-t-il ainsi dans son journal de l’époque.
Totti ou Cassano, personnages pasoliniens
Mais qu’importent ces emballements. De la même façon que l’artiste abandonne la littérature et ses codes compliqués pour le cinéma, un art qu’il considère davantage “direct”, le football représente pour lui un langage encore plus simple, le moyen le moins formaliste pour communiquer avec autrui. Le foot, c’est ce moment où Pasolini peut à nouveau tomber en enfance, le contrepoint idéal d’une vie intellectuelle, artistique et politique menée à cent à l’heure. C’est aussi, bien sûr, un objet d’étude sans pareil. “Pasolini se servait du foot pour mener une véritable étude sociale sur l’Italie de l’époque. Le stade était pour lui un lieu pour lire et interpréter les changements culturels et sociaux du pays”, avance Pisanelli. En tant que journaliste, Pasolini écrit de nombreux textes sur le foot, le cyclisme et la boxe, en théoricien brillant : “Le football brésilien est un football de poésie, car fondé sur les buts et le dribble. Le foot européen est un football en prose puisque fondé sur la syntaxe, c’est-à-dire sur le jeu collectif et organisé, le buteur étant un ‘poète réaliste’, qui conclut un travail organisé et collectif”, édicte-t.il en janvier 1971. En 1960, il va jusqu’à couvrir pour Vie Nuove les Jeux olympiques de Rome, avec un plaisir évident, comme lorsqu’il souligne la “vision jeune et colorée du monde réuni dans un défi pacifique, cette évocation du bien et du mal, ébauche d’une conscience plus grande et sereine, celle-là même qui les jugera demain”.
Ce qui intéresse Pasolini au premier chef, c’est l’aspect rituel, grand-messe, du calcio. Tarte à la crème aujourd’hui, cette théorie est plutôt avant-gardiste à la fin des années 60, un moment où les intellectuels refusent d’accorder toute sorte d’intérêt au sport. “Le football est la dernière représentation sacrée de notre temps. C’est un rite dans le fond, même s’il est évasion. Si d’autres représentations sacrées sont en déclin, le football est la seule qui nous reste. Le football est le spectacle qui a remplacé le théâtre. Le cinéma n’a pas pu le remplacer, le football, oui. Parce que le théâtre est un rapport entre un public en chair et en os et des personnages en chair et en os qui agissent sur la scène. Tandis que le cinéma est un rapport entre un public en chair et en os et un écran, des ombres. Au contraire, le football est à nouveau un spectacle dans lequel un monde réel, de chair, celui des gradins du stade, se confronte avec des protagonistes réels, les athlètes sur le terrain, qui bougent et se comportent selon un rituel précis”, déclare-t-il dans les colonnes de L’Europeo le 31 décembre 1970. Son deuxième angle d’étude est plus critique. Durant ces années décisives, Pasolini voit la société italienne se transformer, et le football la suivre –à moins que ce ne soit l’inverse. Le miracle économique, la médiatisation, le spectacle : le football est une bonne symbolique de ces évolutions. “Pasolini s’est intéressé à la transformation du sport pour le sport en sport comme forme de spectacle”, juge Flaviano Pisanelli. “Dans les années 70, il se penche notamment sur la starification des sportifs, un phénomène nouveau à l’époque. Il met alors au point un archétype, qu’il nomme Walter ou Pierre. Généralement issu des banlieues, c’est un jeune sous-prolétaire qui se retrouve du jour au lendemain star du sport. Il s’inscrit alors dans un processus de spectacularisation qui le prive de son caractère personnel pour le jeter lui et sa culture dans la bourgeoisie moyenne. Cette dilution de la culture minoritaire dans la culture majoritaire, Pasolini la considère comme un génocide culturel. Et le foot est un de ses vecteurs”, explique l’universitaire. Totti ou Cassano, aujourd’hui, auraient sans nul doute intéressé Pasolini : ce sont les Walter et les Pierre des années 2000. Du reste, la question se pose : comment Pier Paolo Pasolini, s’il avait vécu plus longtemps, aurait-il pensé le football italien actuel, ses magouilles, son dopage, ses morts ? Comme une dérive logique et irréversible, sans doute. Mais au moins aurait-il parlé. “Lorsque j’ai interviewé Ettore Scola, il m’a avoué que la mort de Pasolini avait tué le monde intellectuel italien. Pasolini était une vigie : il empêchait les autres de s’endormir”, confie Jean-Luc Muracciole. De telle sorte que la nuit du 2 novembre 1975, lorsque Pasolini meurt assassiné sur un terrain de foot de fortune, près des plages populaires d’Ostie, c’est une bonne part du football de “périphérie”, comme l’appelle Valerio Piccioni, qui disparaît avec lui. Le lendemain du crime, le journal Stadio publie une dépêche qui dit ceci: “Pier Paolo Pasolini, assassiné la nuit dernière par un garçon de 17 ans, aurait dû jouer au stade de Favorita comme ailier gauche dans l’équipe des gens du spectacle qui, à l’initiative de la Roma Actors Organisation, rencontre depuis quelque temps dans plusieurs tournées une formation faite de vieilles gloires du football.” Le match ne se tiendra évidemment pas, les suivants non plus. À la place, dans la décennie qui suivit, le football italien connut le scandale du Totonero, une victoire en coupe du monde, l’arrivée de Berlusconi à la tête du Milan AC, et le Heysel. Pasolini mort, les années 80 pouvaient arriver plus vite que prévu.
Article publié dans lehors-série So Foot “Best of culture” (décembre 2013).
Par Chérif Ghemmour et Stéphane Régy
Cerveau et plume derrière les deux opus d’OSS 117, Jean-François Halin remet le couvert, cette fois en télévision avec Au service de la France, une série désopilante sur les services secrets français dans les années 60. Et ce “spécialiste” a son avis sur les films d'espionnage. La preuve.
Par Thomas Bohbot
Au service de la France (Arte).
La saga Jason Bourne, de Doug Liman / Paul Greengrass / Tony Gilroy
Jason Matt Bourne Damon.
“Je les ai tous vus, sauf le 4, et au passage, le troisième volet n’est pas terrible… Ce qui est surprenant, c’est qu’ils ont changé d’acteur pour le 4 et qu’ils vont changer de nouveau parce que Matt Damon est de retour pour le 5e opus. Je ne sais pas pourquoi, c’est un coup de force de Matt Damon si ça se trouve… Ils n’ont pas voulu de ses conditions donc il s’est barré. Le film se plante, il revient. Récemment, j’expliquais au fils d’une amie qu’à la sortie de La Mémoire dans la peau, ça a été une claque (au même titre qu’au moment de la sortie du premier Die Hard, d’ailleurs). Bref, Jason Bourne avait ringardisé James Bond et, du coup, la saga Bond a dû se renouveler. Sinon, je me suis toujours posé la question : XIII et Jason Bourne, c’est exactement la même idée, donc qui l’a eue en premier ? J’ai découvert récemment que les livres de Bourne sont antérieurs à XIII, donc XIII a été pompé sur Bourne.”
Rien que pour vos cheveux, de Denis Dugan
“Je l’ai vu plein de fois, j’adore ! Après, Adam Sandler, tout dépend des films. Funny People, j’ai adoré, par exemple, sans doute parce que j’écris pour Timsit depuis longtemps… Mais Sandler a un côté cool, vanneur qui me plaît. Quand il parle du conflit israélo-palestinien dans une scène de bagarre à la fin, ça, ça me fait beaucoup rire.”
OSS 117, de Michel Hazanavicius
OSS sans le bas.
“J’ai revu 0SS mais je ne vois que les défauts. Le premier est bien différent du second malgré tout. Il y a plus de vannes dans le second, qui est plus drôle, et OSS est moins impliqué dans le pays. Pour moi, le premier tient plus de la BD. Disons qu’il fait plus Tintin, quoi. Changer d’acteur en cours de route comme pour la saga Jason Bourne? Les deux cas sont vraiment différents. Bourne, ce sont des films physiques avec beaucoup d’action et Damon reste hypercrédible mais il n’y déploie pas des talents de comédien dramatique. Pour OSS 117, le personnage principal ne tient pas vraiment debout : c’est un génie et un con, il est attendrissant et insupportable, il est réac mais on l’aime bien, il est un peu FAF mais il a la classe… Bref, c’est un mélange de Bernard Menez, Jean-Paul Belmondo et Sean Connery. Et puis, il y a des moments de gêne, des mimiques… Jean Dujardin a même un très bon jeu de sourcils ! Bref, il a une capacité inouïe à avoir l’air idiot, donc il faudrait trouver un mec capable de jouer les beaux gosses et l’idiot en même temps. Là, je ne vois pas, à part… Laurent Laffite.
J’ai vu que Jean Dujardin avait dit que ‘l’humour d’OSS n’est pas propice à l’époque que l’on traverse’. On s’est expliqués par SMS après coup mais je ne suis pas d’accord avec lui. Je trouve qu’il y a une sorte de peur, on est sous tension, déprimés, on a l’impression qu’il y a un truc qui va péter… Bon, ça reste une théorie, je pense qu’on est submergés de culture américaine avec ce politiquement correct qui ne nous correspond pas. Les Américains ont besoin d’être transgressifs mais il n’y a rien de pire qu’une comédie américaine qui se veut transgressive alors qu’elle ne l’est pas ! Je pense notamment à Nos Chers Voisins : c’est atroce. Nous, en France, on est transgressifs à l’origine. Je n’ai pas les jetons d’écrire les films que j’écris, je n’ai pas les jetons de les regarder. Au contraire. D’ailleurs, j’ai écrit le spectacle de Patrick Timsit qu’il a joué juste après les attentats de Charlie Hebdo et je ne pense pas qu’on ait freiné des deux pieds.”
La saga James Bond, de Terence Young /Guy Hamilton / … / Sam Mendes
“C’était quoi le dernier ? Skyfall ? Ouais, je n’ai pas tellement aimé… C’est davantage un film de super-héros mais pour moi, James Bond, ce n’est pas ça. Après, ça reste très bien filmé et il n’y a pas eu tout le temps des bons réalisateurs dans des James Bond. Daniel Craig y est excellent, c’est le meilleur acteur depuis Sean Connery. Roger Moore, n’en parlons même pas, c’est quelqu’un d’apathique qui avait des vannes horribles… Malgré tout, je trouve ça génial que la franchise existe encore aujourd’hui. Ça pourrait être tellement démodé, en face des Jason Bourne ! Et puis, il y a eu plein de copies depuis. On peut aussi penser que le mythe de l’Occidental qui règle le sort de la planète est un peu dépassé, mais finalement non. Peut-être qu’il nous rassure… Il doit y avoir un côté anxiolytique dans James Bond.”
Double Zéro, de Gérard Pirès
Triple zéro.
“Ha, je ne l’ai pas vu, mais bon, même Éric Judor m’a conseillé de ne pas le voir… C’est Édouard Baer qui joue le méchant ? Bon, on voit bien vers quoi ça tend, du coup… Attention, Édouard Baer est très fort dans son registre verbal, sa caricature de parisien verbeux mais là… Quand on voit Will Ferrell, il y a un abandon de soi. Il fait un sacrifice pour la comédie qu’Édouard Baer ne fait pas.”
Kingsman : Services secrets, de Matthew Vaughn
“Ce n’est pas terrible, j’ai été très déçu. Disons que le film se veut classe mais ne l’est pas du tout : il y a des plans horribles, seul Colin Firth s’en sort. Ce n’est pas du tout du flegme anglais, c’est du flegme vulgaire. Tout est grossier et déjà vu. Sur le fond, c’est une vision atroce de la société anglaise hypercaricaturale : d’un côté, les riches en costume de Savile Row, et de l’autre, les prolos à la Dickens qui habitent dans des apparts dégueus, qui passent leur journée au pub à picoler, etc. Et puis, Samuel Jackson qui zozote, désolé mais c’est pas marrant.”
La Totale!, de Claude Zidi
La Totale !
“Je m’en souviens bien, même si j’ai un meilleur souvenir du remake avec Schwarzie. Ça fait partie de la deuxième carrière de Claude Zidi, disons. Auparavant, les Charlots étaient nos blockbusters à nous. D’ailleurs, il y a des trucs bien dans les Charlots, comme Les Fous du stade ou Le Grand Bazar sur les supermarchés. Mais La Totale !, ça souffre clairement du manque de budget. L’idée de base est bonne, puisque ça a fait un très bon remake.”
La saga Austin Powers, de Jay Roach
“Mike Myers, il m’a eu à l’usure mais malheureusement, il n’y a pas Blake Edwards ou Michel Hazanavicius derrière la caméra… Ça n’empêche pas qu’il y ait des éléments très drôles, ne serait-ce que Mini-Me. C’est même devenu une expression : mon fils et moi, on se ressemble comme deux gouttes d’eau, bah tout le monde l’appelle Mini-Me. Engendrer des expressions cultes, ce n’est pas le Graal mais presque. En tant que scénariste, on a envie d’être regardé. Il y a des tas de gens qui me parlent d’OSS, des Guignols de mon époque et ça me touche.”
Au Service de la France, à partir du 29 octobre à 20h50, sur Arte.
Par Thomas Bohbot
Le premier épisode de H, L’Anniversaire, fête justement le sien aujourd’hui. Dix-sept ans. H, c’est une histoire de milieu hospitalier, d’acteurs débutants, de personnages cultes, de générique entêtant, d’improvisation, de fous rires et de milliers de téléspectateurs. Qui, malgré les années, n’ont rien oublié.
Par Ugo Bocchi et Gaspard Manet / Photos : DR
Clara et Aymé.
20 avril 2002. Alors que Carmen Electra est occupée à entrer dans la trentaine, la France découvre que la mort aux rats n’est vraiment pas comestible, que le costume de Lucifer sied particulièrement bien à JoeyStarr et que saint Pierre avec la tête de Richard Bohringer pourquoi pas. La série H tire sa révérence, laissant Éric, Ramzy, Jamel et les autres s’envoler vers d’autres cieux.
Trois ans et quelques mois plus tôt, le 24 octobre 1998, le premier épisode de ce qui va devenir une des sitcoms les plus drôles du monde est diffusé sur Canal + et les spectateurs sont immédiatement plongés dans un univers à la fois tellement réel et tellement farfelu. Il s’appelle L’Anniversaire et c’est du grand n’importe quoi : Sabri (Ramzy Bedia), l’allégé du cerveau, organise son anniversaire auquel il oublie d’inviter Clara (Sophie Mounicot), l’allumeuse rejetée. Pendant ce temps-là, Aymé (Éric Judor) l’obsédé, essaie de convaincre Béa (Catherine Benguigui), la bonne poire, de dormir avec lui. Et tout ce joli petit monde d’évoluer dans un hôpital où officient également Jamel (Debbouze), standardiste, et le professeur
On n’avait pas vraiment de barrières. On a quand même fait accoucher Clara d’un chien !
Bénabar
Strauss (Jean-Luc Bideau), chirurgien psychopathe. Voilà le topo. L’objectif ? Il n’y en a absolument aucun. “Avec la liberté que nous laissait Canal, on cherchait juste à se marrer, on ne s’emmerdait pas. C’était juste les conneries qui nous passaient par la tête”, détaille Éric Lavaine, le show runner de la série, qui s’occupait de chapeauter l’équipe des auteurs, dans laquelle se trouvaient, entre autres, Xavier Matthieu, Kader Aoun, Éric Judor, mais aussi Bénabar. Ce dernier, qui officiait alors sous son vrai nom, Bruno Nicolini, se félicite encore de cette liberté : “On n’avait pas vraiment de barrières. On a quand même fait accoucher Clara d’un chien ! Éric Lavaine n’avait qu’une consigne : que ce soit marrant. Donc, tant que c’était drôle, on pouvait y aller.” Une image presque symbolique revient à Lavaine : “Je suis en lecture avec les comédiens et là, il y a une chaise qui passe devant moi, en l’air… Sûrement lancée par Ramzy ou Jamel. Je regarde la chaise et je me replonge dans le texte, comme si c’était normal.”
Vendredi, le jour où les choses partent en vrille
Un bordel plus ou moins organisé. À en croire les acteurs principaux, c’était pareil toutes les semaines. Le lundi : lecture le matin et apprentissage des textes l’après-midi. Enfin, en théorie. Edgar Givry, qui joue le directeur de l’hôpital, se souvient parfaitement que le trio principal n’avait pas pour habitude d’avaler les lignes du scénario. “Mon premier épisode est celui où je fais passer un test à Ramzy (Une histoire d’intelligence, ndlr). Pendant la lecture, il nous dit : ‘Ouah, cet épisode est génial, cette fois, je vous le promets, je vais apprendre le texte.’ Évidemment, il
Jamel, Éric et Ramzy avaient un talent d’impro absolument dingue. Je ne suis arrivé que la deuxième année, et j’ai été très surpris de la méthode – enfin de la non-méthode plutôt – de travail du trio. J’ai reçu une formation classique donc c’était plutôt surprenant
Edgar Givry
n’en a pas appris une seule ligne et il a improvisé tout le long de la séquence. Mais bon, c’était hilarant. Jamel, Éric et Ramzy avaient un talent d’impro absolument dingue.Je ne suis arrivé que la deuxième année, et j’ai été très surpris de la méthode – enfin de la non-méthode plutôt – de travail du trio. J’ai reçu une formation classique donc c’était plutôt surprenant.” Les producteurs, réalisateurs et auteurs, qui savent à quoi s’attendre, se mettent même volontairement en position d’infériorité, se laissant guider par la fantaisie et le génie comique des acteurs principaux. C’est aussi le cas des autres acteurs, comme Jean-Luc Bideau : “Ils étaient vraiment très doués dans l’improvisation, ce qui pouvaient parfois gêner les réalisateurs mais moi, je trouvais ça très bien. Comme j’apprenais le texte, je servais un peu de contrepoids face à eux.” Bénabar relativise : “L’épisode était quand même vachement écrit. Une bonne partie des vannes étaient préparées et ils ajoutaient parfois des délires à eux par-dessus. De toute façon, s’ils n’avaient pas respecté les scénarios, ça n’aurait eu ni queue ni tête, même si ça arrivait que ce soit parfois le cas.” Le mardi : relecture, modifications et apprentissage des textes. Encore. Ou toujours pas. Le mercredi : répétition dans le décor, sans la technique mais avec les scénaristes pour modifier ce qui ne fonctionne pas. Le jeudi : répétition avec la technique au complet. Et le vendredi : enregistrement devant le public. C’est d’ailleurs souvent ce jour-là, fin de semaine oblige mais aussi “parce que Jamel, Éric et Ramzy se nourrissaient de l’énergie du public”, selon Xavier Matthieu, que les choses partent en vrille. Le trio n’hésite pas à forcer un peu le jeu, les blagues et les conneries pour surprendre l’auditoire. Quitte à parfois nuire à l’ambiance de tournage. Éric Judor n’hésite pas à reconnaître ses torts là-dessus : “Je comprends que certains aient pu être saoulés par nos vannes permanentes. En plus, on avait notre espèce de petit pouvoir de petites vedettes montantes. Les gens venaient nous voir tous les trois et se marraient plus à nos vannes qu’à celles des autres, même si elles étaient parfois moins drôles. Je peux comprendre que ça ait pu être déplaisant pour certains.” “J’ai vu des guests détester les comédiens, balanceSophie Mounicot aka Clara Saulnier. Les vannes fusaient tout le temps, donc si tu n’avais pas de second degré, c’est clair qu’il ne fallait pas venir.” À tel point qu’un jour, Patrick Bruel les plante sur un épisode de la saison 2, Une histoire de show-biz. Éric Lavaine parcourt son répertoire et ne trouve que Richard Gotainer de disponible. Le trio ne le remet pas. “Ils voulaient vraiment quelqu’un qu’ils admiraient. Et puis, je leur ai dit : ‘Mais si, c’est lui qui a fait ‘Banga y a de l’eau” ! Ils ont explosé de rire, ils étaient d’accord.”
Hésitant dans un premier temps, Richard Gotainer se laisse finalement convaincre. Sauf que. “On tournait à La Plaine Saint-Denis, toute la bande avait pris les tables du déjeuner pour les foutre dehors, pour qu’on mange au soleil. Un bon bordel sur le parking. Au moment du dessert, y a Ramzy qui vide la cafetière chaude dans le t-shirt de Jamel, qui appelle son frère Momo. Ils se poursuivent en balançant des chaises. Ramzy fuit en bagnole. Momo fait de même. Tout ça à 2 000 à l’heure. Ils slaloment entre les trucs et là, qui je vois arriver ? Richard Gotainer. Tout pâle.” Finalement, le tournage de l’épisode se passera bien. Comme toujours. De l’avis de tous, cette ambiance “compliquée”, c’était pour le bien de la série.
Oui au Nutella, non aux extincteurs
Des textes non appris, des improvisations incessantes, trois jeunes en plein essor et une autorité se portant caution. Autant dire que le contexte est idéal pour réaliser les plus belles conneries. Pour les plus âgés et les plus expérimentés, une chose est sûre : le retour à l’ambiance salle de classe marque la mémoire. “Ils se jetaient des bouteilles d’eau à la gueule, ils faisaient cramer des stylos, c’était absolument incroyable”, se souvient Edgar Givry. Idem pour Mathieu Czernichow, responsable photo, pour qui les bons souvenirs ne manquent pas : “Parfois, c’était absolument consternant… Mais drôle. Il y avait un chien absolument horrible dans un épisode, il s’appelait Médor dans le scénario, mais eux, ils l’ont appelé Jean-Pierre comme le producteur. Ça l’a foutu dans une rage complètement folle.” Les batailles de pâte à tartiner, les “moments Nutella” comme ils les appellent, rendent les costumières hystériques. Bref, la joyeuse bande ne s’arrête jamais et Éric Lavaine doit parfois ruser pour éviter les débordements : “J’avais fait interdire tous les extincteurs du plateau parce qu’ils se les vidaient dessus.” Frédéric Berthe, réalisateur : “Je me demande même comment on a fait pour venir à bout des épisodes. Une fois, Jamel s’est tiré en plein milieu de la journée alors qu’on était en train de tourner. Derrière, impossible de le trouver. Bon, du coup, on s’arrange pour tourner les scènes sans lui durant l’après-midi, mais on commence presque à s’inquiéter. Et puis, le soir, alors que je bois un coup dans la loge des régisseurs, on le voit en direct sur Canal sur le plateau de Nulle part ailleurs, à Cannes. Ramsay était fou. Évidemment, le lendemain quand il est revenu, il s’est confondu en excuses. De toute façon, c’était tellement un chouette type que tu n’arrivais pas à lui en vouloir.” Le délire en plateau se ressent clairement dans la série et les auteurs écrivent des scénarios toujours plus rocambolesques. Comme cet épisode mythique où le bistrot de Sabri est transformé en restaurant cinq étoiles. Éric Judor assiste, en spectateur, à une scène cultissime : “Jamel prend Ramzy par les cheveux et le plonge dans l’aquarium. Mais genre il le noyait vraiment et j’étais là, en train d’assister à ça, et j’hallucinais sur la violence du truc qui était également superdrôle. Ils ont réussi la prouesse d’être violents et drôles à la fois. La seule limite qu’on avait, dans le fond, c’était l’accident.”
Vendredi, le jour où les choses ont failli ne pas partir en vrille
Pourtant, cette liberté, cette folie, Canal ne l’a pas toujours acceptée, justement. Sous un crâne dégarni, derrière une moustache bien fournie, un cerveau. Celui de Jean-Pierre Ramsay-Levi. Là où l’idée a germé. La voix tremblante mais assurée, il raconte la genèse d’une série loufoque. Pour ça, il lui faut extraire ses souvenirs de 1997, année où Canal lance un appel d’offres pour la création d’une sitcom sur la chaîne cryptée. Ramsay tente sa chance. Le dernier jour, forcément. Comme le symbole d’une série qui fonctionnera toujours à flux tendu : “C’est un des piliers de la chaîne qui s’occupait de ça, Albert Mathieu, directeur de la fiction. Je l’ai appelé, c’était un vendredi, et il m’a dit : “Non, l’appel d’offres est fini, il y a deux cents boîtes qui m’ont répondu.” Ça m’a énervé et le week-end, je me suis mis à écrire une note. Je me suis inspiré de M.A.S.H., le film d’Altman, qui parle de deux chirurgiens qui n’arrêtent pas de déconner et de jouer au golf pendant la guerre de
J’avais fait interdire tous les extincteurs du plateau parce qu’ils se les vidaient dessus
Éric Lavaine
Corée. Ils sont souvent avec une infirmière, ‘lèvres en feu’, gros seins, grosses lèvres. Je voulais mélanger la déconne de la vie de tous les jours avec la maladie.” Le cadre est posé, ça se déroulera donc “dans un hôpital, avec trois pieds nickelés et un chirurgien allumé”. Le lundi matin, Jean-Pierre reçoit deux appels. Le premier, “c’était Albert Mathieu” : “T’as la tête dure, toi ! Je t’ai dit que l’appel d’offres était fini. Et puis, ce n’est pas avec ton torchon que je t’aurais sélectionné.” Le deuxième, “c’était Alain de Greef” : “Vous avez gagné, vous pouvez venir me voir ?”
Étape suivante : écrire un pilote. Pour comprendre comment fonctionne une sitcom, Jean-Pierre traverse l’atlantique. “Canal m’a demandé de faire ça comme les Américains. Devant un vrai public, avec plusieurs caméras, etc. Je suis donc parti sur le tournage de Spin City, Friends, Seinfeld...” explique-t-il.Une formation accélérée de quinze jours.De retour à Paris, il s’entoure donc de son équipe d’auteurs. “J’ai longtemps parlé avec Kader Aoun, je ne l’avais pas vu depuis longtemps, il bossait à Canal à l’époque et je lui ai dit que je participais à l’appel d’offres. L’après-midi même, il m’a envoyé quatre ou cinq pages superdrôles dont le premier titre était “What’s up Doc ?” Il a tout de suite eu l’idée d’y associer Éric, Ramzy et Jamel dans le casting.” Seul problème : le pilote est rejeté. Et salement, en plus, comme le confirme Ramsay-Levi : “Canal nous a dit de le mettre à la poubelle.” S’ensuit alors une prise de bec entre le producteur et les auteurs, lesquels sont remerciés dans la foulée. Avant d’être réintégrés trois jours plus tard. Sans Kader Aoun, toutefois, qui décide d’arrêter définitivement l’aventure. “Éric Lavaine a donc repris son fauteuil, explique Ramsay. Et il a fait du très bon boulot tout au long de l’aventure.”
Discussion au sommet.
Un retournement de situation plus que favorable. La série devient ce que l’on connaît désormais : un enchaînement de scènes cultes et un succès en termes d’audiences. Mais toutes les bonnes choses ont une fin. Même H. Alors que la série bat son plein, la décision d’y mettre un terme finit par tomber, à l’aube de la saison 4, en 2002. Une saison qui n’en sera pas tout à fait une puisqu’elle s’arrêtera au bout de onze épisodes, contre vingt pour les trois précédentes. Les raisons ? Elles sont multiples, forcément. Et elles varient selon le point de vue. Il y a l’enjeu économique, comme l’explique Frédéric Berthe : “La série avait du succès mais ça ne rapporte pas vraiment d’argent, le succès à la télévision. Ça devenait de moins en moins rentable, les acteurs prenaient de plus en plus d’argent, à juste titre, hein, mais à un moment, ça ne tient plus la route.” Pour Edgar Givry, “ça s’est arrêté car chacun entamait sa carrière de son côté, les trois découvraient le cinéma, notamment.” Éric et Ramzy se lancent à la conquête de La Tour Montparnasse infernale pendant que Jamel s’apprête à éclater le nombre d’entrées avec Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre. Qu’on le veuille ou non, les temps changent. “Au début, Jamel était quand même plus roots, souligne Éric Lavaine. Je l’ai vu arriver en 106 Peugeot. Ensuite, en 206 décapotable. Et pour la dernière saison, en Ferrari. J’ai vu toute l’évolution.” Même parmi les auteurs, il y a des envies d’ailleurs. “À la fin de la série, je commençais à jouer beaucoup, se souvient Bénabar. Chacun voguait vers sa carrière.” Au bout de presque quatre années de déconne et de changements de voiture, une page est en train de se tourner.
Une histoire de film
Dans les faits, la série n’a jamais cessé d’exister. Elle est encore régulièrement diffusée – sur la TNT – et son succès est toujours au rendez-vous. Inexplicable. “Si on connaissait la raison du succès, on pourrait en faire un nouveau là tout de suite, tente d’analyser Judor. Mais je n’en sais rien, ça ne s’explique pas vraiment. Sûrement que c’est un peu la madeleine de Proust comique de la télé. Pour la plupart, ça leur rappelle leur adolescence. Je pense que plein de bandes de potes se sont identifiées à nos personnages.” Pour les autres membres de la série, cela reste également un mystère. Jean-Luc Bideau, lui, ne s’en remet toujours pas : “Le succès de cette série qui perdure est incompréhensible. Pour que ma femme, qui n’aimait pas à la base, la montre aujourd’hui à nos petits-enfants ! C’est absolument fascinant. Je ne comprends pas ce phénomène.” Et pourtant, c’est bien le cas. H fait partie des classiques pour toute une génération. Les acteurs peuvent d’ailleurs encore le sentir au quotidien, eux qui sont encore souvent associés aux personnages qu’ils campaient au sein de l’hôpital Raymond-Poincaré. Bideau, par exemple, n’a jamais réussi à se défaire de son rôle de chirurgien allumé : “Il y a des gens de 50 ans qui m’appellent Professeur Strauss dans la rue. Ça n’arrête pas,
Ça devenait de moins en moins rentable, les acteurs prenaient de plus en plus d’argent, à juste titre, hein, mais à un moment, ça ne tient plus la route
Frédéric Berthe
c’est dément. Sur ma tombe, ils vont finir par mettre “en souvenir du professeur Strauss” si ça continue.” Pour Edgar Givry, la donne est la même, il sera à jamais le directeur de l’hôpital : “C’est bien simple, dans la rue, les gens qui me reconnaissent me parlent exclusivement du Dîner de cons et de H.”
“La plus grosse connerie, c’est de ne pas avoir adapté la série au cinéma.” Pour Sophie Mounicot, l’adaptation cinématographique est le chaînon manquant. Une “connerie” qui aurait pu être réparée il y a deux ans : “Jean-Pierre Ramsay, le producteur, a eu l’idée de faire un film, balance Lavaine. Beaucoup en ont parlé mais ça ne s’est pas fait. Beaucoup de séries ont leur spin off, les comédiens sont encore jeunes, c’était l’occasion parfaite. Y avait une vraie intrigue autour de l’hôpital.” Le scénario d’un potentiel long-métrage existe pourtant bel et bien, écrit des mains de Lavaine et “très drôle” selon l’avis de ceux qui ont eu l’occasion d’en parcourir quelques lignes. Mais malgré ça, il semble aujourd’hui peu probable de voir un jour les acteurs remettre leur blouse sur grand écran. La faute, dit-on, aux divergences entre certains acteurs de la série. Sophie Mounicot fait donc partie de ceux prêts à “signer tout de suite”. Jean-Luc Bideau aussi. Éric Judor, lui, est plutôt du genre à penser que la fin est une bonne chose : “Il n’y a pas eu de frustration dans l’arrêt de la série. Je pense qu’on arrivait tout simplement à la fin d’un truc, il y avait moins de magie, alors que la richesse de la série reposait sur sa spontanéité. Je pense que si on avait continué, on aurait fait une saison de trop. Il faut laisser H au cimetière et venir se reposer devant sa tombe de temps en temps. Je ne suis pas certain qu’exhumer le corps soit une bonne idée. Il faut laisser la série où elle est, avec des pissenlits dessus. Et, de temps en temps, tu viens avec ta bêche, tu nettoies les vieilles herbes et tu mets de nouveaux pots de fleurs.” En versant deux petites larmes, une de tristesse et une de rire.
Par Ugo Bocchi et Gaspard Manet / Photos : DR
Le rappeur du Klub des Loosers s’est lancé deux défis récemment : arrêter de boire et fréquenter assidûment le conservatoire afin de composer toutes les instrus de son prochain album. En attendant, c’est en groupe que Fuzati monte sur scène depuis quelques mois, et qu’on le retrouvera à la Gaîté-Lyrique samedi, le 24 octobre. Discussion avec un MC masqué fan de Lucio Battisti.
Par Pierre Boisson et Thomas Pitrel / Photo : Renaud Bouchez
Tu as commencé le rap à la grande époque des textes engagés, du hip-hop conscient, ce qui est presque devenu ringard aujourd’hui. Tu le regrettes ?
Je me suis toujours dit qu’on ne changeait pas le monde avec une chanson. On a voulu faire porter au rap un message très social, mais c’est une posture assez française. Aux États-Unis, ça a toujours été des mecs qui n’avaient pas de merco et qui voulaient des mercos. En France, il y avait ce truc de gauche très condescendant : le rap, c’est formidable, c’est des jeunes de banlieue qui tournent sur la tête et qui font du graffiti. Comme si un mec de banlieue ne pouvait pas aimer le classique et faire du violoncelle. Bizarre. C’est d’ailleurs pour ça que j’ai surjoué le côté versaillais. Quand tu viens de Versailles, si t’es Phoenix, si tu fais de la musique électronique, c’est normal, mais si tu fais du rap, c’est louche. C’est complètement con.
Tu n’as pas envie de dire quelque chose à travers tes disques ?
Avec le Klub des Loosers, j’ai toujours voulu faire quelque chose d’universel. Le premier album parle du mal-être adolescent, le deuxième du fait de ne pas se reproduire. Je n’ai pas envie de parler de religion ou de politique, je trouve que ce sont des sujets trop graves pour pouvoir les aborder dans un album. Ce n’est pas parce que tu fais de la musique que t’as la science infuse. Je trouve ça bizarre d’imposer un mode de pensée aux gens. Je ne veux pas être normatif. D’où l’humour, le second degré.
L’humour, c’est un des ressorts fondamentaux de ton écriture ?
En France, il y avait ce truc de gauche très condescendant : le rap, c’est formidable, c’est des jeunes de banlieue qui tournent sur la tête et qui font du graffiti
Fuzati
Oui, on me présente parfois comme houellebecquien, alors que je trouve que chez Houellebecq, tu n’as aucun espoir. Le Klub des Loosers, il y a la possibilité d’une issue, ce qui rend le truc un peu plus romantique. Le personnage essaie d’y croire. Ce n’est jamais une musique qui va te plomber. C’est de l’humour noir mais de l’humour. C’est ma personnalité aussi. J’ai toujours été un vanneur. À l’école, les autres prenaient cher. C’est la culture de la punchline, du freestyle, où il faut toujours chercher la phrase qui va mettre tout le monde d’accord. Quand j’ai commencé à rapper, au bout de trois semaines, alors que j’étais supernul, je savais improviser. C’est inné.
Toi qui as le goût de la punchline, pourquoi n’as-tu publié qu’un seul tweet avec ton compte (“Allez plutôt lire des livres.”, ndlr) ?
Parce que après, tu deviens un “twitto”, ce qui est un mot horrible. Tu n’es plus un artiste. Le rôle d’un artiste, c’est de faire des disques, d’écrire des livres. C’est pas de mettre de nouvelles photos sur Instagram toutes les deux secondes. Ça, c’est un truc de blogueur, et moi je ne suis pas un blogueur. J’ai autre chose à foutre que de publier des punchlines et de regarder mes stats, de mater si j’ai été retweeté.
Quel est ton processus d’écriture ?
Je déteste quand c’est scolaire. Je ne me mets jamais devant une feuille pour écrire. Quand une phrase me vient, je la note sur un carnet. Après, je regarde mon carnet, je vois ce qui peut aller ensemble et j’essaie d’en faire un texte. Mon inspiration, je ne la tire pas de bouquins ni de films, mon inspiration, c’est ça (il montre les gens autour de lui). L’observation. Quand je suis dans le métro, je ne lis pas, je dévisage les gens, je les regarde en train de jouer à Candy Crush sur leurs smartphones.
Ça t’attriste, ce monde de tweets et de Candy Crush dans le métro ?
Non, ce qui parfois me rend triste, c’est de me sentir en décalage, de ne pas être là-dedans. Mais je répète : il ne faut pas être normatif. Les postures élitistes des artistes, il faut arrêter. Ce n’est pas mal d’écouter Maître Gims, ce n’est pas mal de jouer à Candy Crush. Tout le monde ne peut pas aimer les films de Rohmer et écouter du free jazz. C’est pas pour ça que t’es mieux que les autres. Il y a des gens qui écoutent Maître Gims à fond dans leur caisse et qui kiffent, autant que je kiffe quand j’écoute un truc de jazz obscur. C’est cool parfois de mettre de la dance à fond.
Qu’est-ce qui t’émeut dans le monde qui t’entoure ?
Les animaux, c’est tout. Mon chat me fait des clins d’œil, par exemple, c’est vraiment une communication. Les humains m’intéressent assez peu, finalement. Je vais rarement dans des bars discuter avec des gens, je ne me lance pas dans des débats pour refaire le monde. Ça ne sert à rien. La musique, ça peut m’émouvoir aussi. Lucio Battisti, par exemple. Il mio canto libero, qu’est-ce que tu veux faire ?
Lucio Battisti, c’est pas vraiment une référence commune dans le hip-hop…
J’écoute plein de disques, pour voir ce que j’aime, ce que je n’aime pas. C’est un
Ce n’est pas mal d’écouter Maître Gims, ce n’est pas mal de jouer à Candy Crush. Tout le monde ne peut pas aimer les films de Rohmer et écouter du free jazz
Fuzati
gros travail de recherche. Là, je viens d’acheter ça, c’est incroyable (il sort un vinyle de son sac). En même temps, c’est hyperconnoté, on dirait un truc des années 70. C’est des Suisses, de l’orgue et de la batterie, et ça chante en allemand. À la base, j’ai aucune formation musicale, mais le rap m’a éduqué. C’est tellement minimaliste que ça t’oblige, quand tu samples, à te dire “tiens, la basse n’est pas bien jouée”, à calculer tous les éléments de la musique. Le hip-hop, c’est des boucles simples, donc il faut que cette boucle tue. Aujourd’hui, quand je fais une mélodie, je veux qu’elle me rentre dans le crâne. Si deux jours après, je me la chante encore, c’est qu’elle est bonne. C’est aussi le hip-hop qui m’a appris le digging, à écouter des milliers de disques. Ce week-end, j’étais en province, j’ai ramené un disque, des chants religieux. Et puis, je vais au Conservatoire. Il y a aussi la tournée avec les musiciens, le live band, on répète, c’est cool. C’est ce que j’ai toujours voulu. J’ai l’impression d’être un mec qui vient déclamer des textes sur du jazz-funk ou sur du rock psyché.
Musicalement, quelle est ton ambition ?
Je ne veux pas que ma musique ressemble à un truc de l’époque. Le but, c’est de trouver mon son. J’aime l’idée qu’un disque vieillisse bien, que ce ne soit pas trop connoté. Il y a plein de trucs de rap que je n’arrive plus à réécouter parce que ça sent trop le son de la SP12. Grand Siècle(album sorti en 2014 avec le producteur Orgasmic, ndlr), on aime ou pas, mais c’était quand même un album de rap qui ne ressemblait à aucun autre truc. Tout le monde fait de la trap aujourd’hui, et c’est justement la seule condition que j’avais posée à Orgasmic pour ses prods. Pas de trap.
Faire une musique intemporelle, cela témoigne d’une certaine ambition artistique…
On a forcément de l’ego quand on est artiste, mais je ne rêve pas d’être une star. Je n’y crois pas. Regarde les disques que j’écoute, dans lesquels je peux claquer 500 ou 600 euros, et qui sont des disques qui tuent. Pourquoi coûtent-ils aussi cher ? Parce qu’ils sont rares. Pourquoi sont-ils rares ? Parce qu’à l’époque, personne ne les a calculés, ils sont restés dans des entrepôts. Tu peux vendre des millions de disques, être au top pendant deux ans et après, c’est fini, les gens t’ont oublié. Regarde Michael Jackson, à la fin de sa carrière, les gens s’en branlaient presque, c’était un peu derrière lui. Si tu n’as pas de recul, si tu ne vis qu’à travers la célébrité, t’es foutu. Regarde comment ils finissent tous : d’une overdose ou tout gros. Et même, est-ce que t’as envie d’être Patrick Hernandez ? Il a continué à faire des albums, il est musicien, et tout le monde s’en fout. Les gens veulent Born to Be Alive. C’est aussi une malédiction. C’est comme en graff, tu peux défoncer Paris pendant trois mois, on voit ton nom partout, puis tu te fais serrer, tu paies un million d’euros d’amende et on ne te voit plus. Mais pour durer, comme Stereolab, comme Sonic Youth, vas-y.
C’est pour ça que tu as continué à avoir un “boulot normal” à côté de la musique, parce que tout peut se finir un jour ?
Je pourrais vivre de la musique mais je n’ai pas envie d’en dépendre financièrement car ça te pousse à accepter des trucs pour pouvoir bouffer, des concerts pour faire des heures. Tu peux en arriver à détester la musique, ça devient le boulot. T’arrives sur scène, tu fais ton truc, tu tombes dans une routine. Tu fais ça à temps plein, avec tout ce qu’on ne voit pas à côté, te faire chier avec des trucs d’attachés de presse, de relations. C’est un enfer. Tu perds le plaisir, et tu ne gagnes même pas tant d’argent que cela. Avoir un travail à côté, ça me permet d’être plus libre.
Tes collègues savent que tu fais de la musique ?
Plus ou moins, mais je mets une barrière, je n’en parle pas du tout. Dans L’Indien, je parle de la vie de bureau, de l’open space, mais ça pourrait être presque n’importe quel taf. Il s’agit juste de prendre l’air du temps. J’ai deux vies depuis quinze ans, j’ai toujours fonctionné comme ça, en pensant à deux choses en même temps.
Tu as déjà rencontré des maisons de disques ?
Oui, pour rigoler. Bah les mecs, ils te disent : “ah, ta plume… T’écris bien !” Pour La Fin de l’espèce, comme il y avait des morceaux un peu hardcore, on me disait : “Mmm t’es sûr de ça, de ça ?” Bah ouais, je suis sûr. Après, on ne te rappelle pas, évidemment. Mais je ne suis pas contre les maisons de disques par principe. Une meuf comme Christine and the Queens, si elle n’avait pas eu de maison de disques derrière, je ne pense pas qu’elle serait aujourd’hui à 330 000 ventes. Parce qu’à un moment, il faut quelqu’un qui te paie des 4×3, des pubs avant Le Grand Journal, des investissements superlourds. Il n’y a qu’une major qui peut te faire ça. Il ne faut pas oublier que la musique est un business, il faut toujours négocier. Et moi, je fais des chansons sur le fait de ne pas se reproduire donc je les comprends, les mecs.
T’es un bon négociateur ?
Ouais, j’ai une formation de juriste (rires). Il faut l’être. Parce que l’argent que tu ne vas pas gagner sur un concert, tu ne pourras pas le réinvestir sur un disque. C’est la guerre. Il y a des musiciens prêts à jouer toute leur vie pour le cachet minimum, ça les regarde, mais c’est hors de question pour moi. J’ai mis sept mois à négocier les clauses de mon contrat avec RecordMakers. Ce n’est pas une question d’argent : quand tu négocies un contrat, il faut toujours que tu envisages le pire, sinon, tu peux te retrouver bloqué. Dans la musique, tout le monde essaye de t’enculer. Je te jure que c’est vrai.
Cela t’est déjà arrivé ?
Non et c’est pour ça que je passe pour un connard. La musique, c’est un milieu où tout le monde fait semblant d’être potes. Dans la vie, dès que tu fais un peu gaffe, que t’es un peu parano, tu passes forcément plus pour un connard que le mec qui va dire : “T’inquiète, y a pas de souci.” Là, pareil. Mais je préfère passer pour un casse-couilles et pouvoir renégocier mon contrat quand je veux plutôt que de ne jamais être augmenté ou de me retrouver bloqué.
Gérard Baste a déjà dit que tu étais misanthrope, ce qui expliquerait notamment la fin du Klub des 7.
Non, ça n’a rien à voir. Il n’aurait de toute façon jamais dû y avoir de deuxième
Si tu n’as pas de recul, si tu ne vis qu’à travers la célébrité, t’es foutu. Regarde comment ils finissent tous : d’une overdose ou tout gros
Fuzati
album du Klub des 7. Au départ, ce n’était pas un groupe. J’avais créé ce projet parce que le label Vicious Circle m’avait demandé de faire un album, je faisais des prods et j’ai invité des mecs à poser dessus. Il n’y a qu’un morceau commun, sinon ce ne sont que des solos ! Après, on est partis en tournée, ça a donné l’impression d’un groupe, mais on en était pas un. Là, Fredy K (rappeur du Klub des 7, ndlr) est décédé. On a décidé de faire un album pour lui rendre hommage. Mais je n’ai jamais vu le Klub des 7 comme autre chose qu’un “side project”. Le problème, c’est que c’était devenu plus gros que la propre carrière de certains membres du groupe. Moi, ça ne m’intéressait pas de continuer. J’ai tenu bon là-dessus, ce qui a créé des embrouilles artistiques. On fait assez de compromis dans la vie de tous les jours, moi je n’en fais pas sur la musique.
Tu t’es récemment opposé à la sortie du documentaire Un Jour peut-être, sur cette époque du rap français, à la fin des années 90 et au début des années 2000, où l’on a vu naître une sorte de rap alternatif.
Le documentaire est plutôt mauvais. Les mecs te parlent du Klub des 7 mais je suis bien placé pour savoir que quand le premier album est sorti en 2006, tout le monde s’en branlait. On a dû faire une journée d’interviews. Les concerts étaient remplis mais ce n’étaient pas des grosses salles. Les gens restent bloqués sur cette époque alors que, pour moi, c’est maintenant que ça marche ! J’ai fait deux Gaîté Lyrique complètes, j’ai vendu beaucoup plus de La Fin de l’espèce(son deuxième album, ndlr) que de Vive la Vie (son premier). Il y a eu peut-être cinq ou six soirées au Batofar où on a rappé ensemble, pas plus que ça. Il y avait une effervescence, bien sûr, on était tous influencés par la scène américaine, mais c’est pas pour ça qu’on était potes.
On a aussi tendance à voir cette scène comme une réaction au rap de banlieue.
Ce qui est complètement débile, encore une fois. James Delleck, il vient de Vitry, il a traîné avec des mecs du 113 à l’époque. Fredy K pareil, il était de Stalingrad, il est venu dans le Klub des 7 de lui-même, avec une grosse perruque afro, ça le faisait rigoler. Les mecs de La Caution ont toujours dit qu’ils n’étaient pas assez rue pour la rue et trop street pour les mecs un peu plus hype. C’était beaucoup plus nuancé que voudrait le présenter le documentaire. De toute façon, le rap, c’est parler de qui tu es. Moi, je ne suis pas une caillera. Ça ne m’a jamais intéressé. J’en ai vu, autour de moi, des mecs partir en prison parce qu’ils avaient vendu des trucs, et je n’ai jamais trouvé ça cool. Dans Scarface, je ne retiens pas le côté cool. Je retiens que le mec se fait plomber à la fin, qu’il a buté son meilleur pote, je ne vois pas en quoi c’est cool. Le Klub des Loosers était intéressant parce qu’il sortait des thématiques “obligatoires”. À l’époque, soit tu faisais du rap conscient genre Assassin – “lis un bouquin, je t’apprends un truc” – soit tu faisais du rap de caillera. On disait qu’on faisait du “rap de blanc”. Mais quand quinze ans plus tard, Odd Future arrive en parlant de violer des meufs, de suicide, personne ne leur dit qu’ils font du rap de blanc. Et pourtant, on a chanté tout ça bien avant eux.
Finalement, tu ne mets plus ton masque pour les interviews ?
Normalement si, mais là, à la terrasse d’un café, ça risque plus d’attirer le regard qu’autre chose. Je l’avais pris, il est là, dans mon sac. Mais c’est un peu un bâton merdeux, ce masque. Je n’avais pas calculé ça, ce n’est pas une référence, je n’en parle pas dans mes textes. Je ne suis simplement pas un mec qui aime beaucoup se mettre en avant, je ne parle pas fort, je ne suis pas un showman. Bon, sinon, ma couleur préférée c’est le bleu et je suis scorpion. Voilà, c’est fini.
Par Pierre Boisson et Thomas Pitrel / Photo : Renaud Bouchez
Invité d'honneur au festival Lumière de Lyon, Martin Scorsese y a reçu le prix Lumière 2015. Septième lauréat après Clint Eastwood, Milos Forman, Gérard Depardieu, Ken Loach, Quentin Tarantino et Pedro Almodóvar, le réalisateur du Loup de Wall Street a profité de cette semaine de mise à l'honneur pour se détendre, faire redécouvrir sa vision du cinéma et parler de lui.
Par Brieux Férot
Entre deux riffs de Jumpin’ Jack Flash des Rolling Stones, sur une scène bondée de réalisateurs du monde entier – Abbas Kiarostami, Elia Suleiman, Michel Franco, Matteo Garrone… –, Martin Scorsese s’est doucement approché de Jean-Pierre Jeunet (Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain, Delicatessen…) pour lui parler à l’oreille. Au beau milieu d’un hommage vibrant de milliers de personnes au “Kurozawa de la 42e rue” comme le surnomme son hôte Thierry Frémaux, le réalisateur de Taxi Driver, Les Affranchis et La valse des Pantins n’a pas pu s’empêcher de partager ses émotions. Son truc à lui, asthmatique de naissance, c’est le cinéma et les films. Rien d’autre. Réalisateur, évidemment, mais aussi restaurateur de vieilles bobines et passeur, encore et toujours. Comme Tarantino, il a fait de chaque personne passée derrière la caméra un frère ou une sœur d’armes, sans chapelle ni jugement. “J’ai vu trois fois L’extravagant voyage du jeune et prodigieux T. S. Spivet, glissera-t-il au réalisateur français, très touché. Deux fois seul et une fois avec ma fille et ses copines, lors de son anniversaire où elle avait organisé une projection du film.”
« Moi aussi, les mots m’ont fait défaut »
Au festival Lumière de Lyon, Martin Scorsese s’est ainsi senti comme chez lui. Partager toutes sortes de films, et surtout à plusieurs. Quand le New-Yorkais présente une pépite de 1924, Larmes de clown de Victor Sjöström – “l’histoire d’un
Je n’ai jamais acheté de caméra. Je pouvais cadrer et monter mais la façon dont la pellicule réagissait à la lumière, ça, je n’y comprenais rien
Martin Scorsese
clown qui reçoit des gifles”, Virginie Efira introduit avec enthousiasme LeTemps de l’innocence. Toute la semaine, Scorsese aura partagé sa joie. Il aura profondément ri avec Pierre Richard et sa poésie, évité la chute de l’immense Max von Sydow dans les escaliers menant à la grande scène, fait la bise à Gaspar Noé, vu passer Vincent Lacoste et son écharpe rouge digne du monde hippique autour du cou ; mais surtout il aura dirigé Michel Hazanavicius, un chien, deux vélos et une bonne centaine de participants en trois prises pleines de conseils à son improbable casting d’un jour, de Michèle Laroque à Richard Anconina, lors d’un tournage éphémère de La Sortie des usines Lumière, en plein soleil. “Je n’ai jamais acheté de caméra, en rigolera le réalisateur. Je pouvais cadrer et monter mais la façon dont la pellicule réagissait à la lumière, ça, je n’y comprenais rien. Dans mon quartier, c’était soit sombre, soit la nuit mais j’aimais bien tourner dans un couloir. Avec des ampoules, donc…”
À Lyon, il a pourtant bien parlé caméras. Il a aussi reçu des pellicules issues des films des frères Lumière, échangé avec Salma Hayek entre deux interminables discussions avec les adolescentes venues la voir, entendu le rire de Laurent Gerra sur les premières images de course en sac filmées par les frères Lumière ou revu l’extrait d’Autour de Minuit. Quand le Scorsese acteur donnait la réplique au mythique jazzman Dexter Gordon ainsi qu’au jeune François Cluzet, qui ne parlait “pas un seul mot d’anglais” et était pris pour un figurant et prié de dégager le plateau par l’équipe technique. “Moi aussi, les mots m’ont fait défaut, confiera le lendemain Scorsese, si bien que ce qu’il s’est passé dans ma vie, avec mes proches, s’est fait par le biais du cinéma.” Très ému par un extrait de Laurel et Hardy au Far West qu’Alain Resnais avait demandé de passer pour ses propres obsèques, Scorsese a été pris par surprise quand, alors qu’un film de dix minutes sur ses propres œuvres était projeté, la salle s’est enflammée pour la scène de Matthew McConaughey dans Le Loup de Wall Street, bien plus que pour celle du “Talkin’ to me” de Taxi Driver. “La joie d’haïr et la joie d’aimer des personnages indéfendables”, lui écrira et fera lire Bertrand Tavernier, absent pour convalescence. “Il n’y avait pas de livres chez moi, rien, donc la poésie, l’art, la musique, c’est le cinéma qui me les a apportés”, avoue le réalisateur de LesNerfs à Vif.
Moins d’images, plus de musique
La musique. Ses documentaires sur les Stones ou Bob Dylan devraient prochainement être suivis d’un projet avec une autre légende du rock, le Boss lui-même, comme il l’a confié. “J’aime les Stones parce que j’étais sensible aux cordes, précisera Scorsese. Mon frère jouait de la guitare et moi, je viens de Django Reinhart, du Hot Club de France de Stéphane Grappelli comme du concerto de violon de Beethoven, du son du Mississippi aussi, de la beauté, de la souffrance et
Il ne s’agit pas de créer des listes de scènes, c’est mieux que ça, c’est réévaluer la contribution d’auteurs oubliés et aider à lire les images C’est un trésor. Un des problèmes aujourd’hui est l’invasion des images tout le temps, partout. Les jeunes connaissent le monde comme ça et il y a besoin de guides, mettre les images dans un contexte, les expliquer
Martin Scorsese
de l’émotion des cordes, le Blues. Van Morrison, Neil Young, Joni Mitchell aussi…” Sa passion des Rolling Stones, elle, reste intacte malgré leurs élucubrations d’un autre âge: “Les Stones bougent et ont une façon d’être au monde dionysiaque, sincère, qui perdure…” C’est cette même sincérité de l’interprétation vibrante et toute personnelle de New York New York par Camélia Jordana qui l’a touché, aussi, de manière inédite, avant que la chanson ne soit reprise en chœur sous forme de… karaoké par toute l’assistance pour conclure l’hommage rendu par toute une ville. Les mots de Scorsese seront ceux d’un passeur, encore : “Permettre l’inspiration des plus jeunes, c’est la clé. Les films sur le cinéma ont un sens, contrairement à ce que disent certains réalisateurs qui n’y voient que l’essoufflement d’un art. Il ne s’agit pas de créer des listes de scènes, c’est mieux que ça, c’est réévaluer la contribution d’auteurs oubliés et aider à lire les images C’est un trésor. Un des problèmes aujourd’hui est l’invasion des images tout le temps, partout. Les jeunes connaissent le monde comme ça et il y a besoin de guides, mettre les images dans un contexte, les expliquer, autant celles d’animation que les films de Bergman. Réfléchir à la manière dont elles sont mises en scène.” Avec la volonté de rendre hommage à John Cassavetes, Elia Kazan et Bertrand Tavernier : “À tous les propriétaires de films du monde entier, s’il vous plaît, ne compliquez pas la vie d’un Bertrand Tavernier, son aide est précieuse, elle permet de s’intéresser à autre chose qu’à des vidéos de six secondes sur iPhone.”
C’est très précisément sous les objectifs de smartphones qu’Alain Chabat est venu, lui, devant 5 000 personnes, à la halle Tony-Garnier et à l’heure du coup d’envoi de la déroute française contre les All Blacks, pour introduire la Nuit de la Peur – quatre films de genre. Pour rester dans l’esprit du festival, Chabat a balancé deux informations : la première est qu’il aime “les films qui foutent les jetons”, la seconde est qu’il vend une Volkswagen “modèle Nadine Morano, toute blanche”. Un cri d’un spectateur précisant “avec l’intérieur tout pourri !” aura déclenché le fou rire du réalisateur de Didier. Qui devrait revenir l’année prochaine pour une nuit… Alain Chabat.
Depuis le 14 octobre et jusqu’au 14 février 2016, Martin Scorsese fait l’objet d’une exposition à la Cinémathèque. Retrouvez toutes les informations ici.
CONCOURS / Pour tenter de gagner des entrées pour l’exposition, envoyez-nous vos coordonnées par mail à [email protected]. Les cinq plus rapides remporteront deux entrées chacun.
Par Brieux Férot
Elle ne place aucun espoir dans l’élection présidentielle – “une farce” – organisée aujourd’hui dans sa Biélorussie natale qui émarge à la 157e position sur 180 au classement RSF sur la liberté de la presse, une liberté que le régime en place vient de restreindre encore un peu plus, notamment sur Internet. Iryna Khalip, journaliste, documente depuis 20 ans les exactions et la corruption du régime. Si, en Biélorussie, le premier “antigel national” est la vodka, celle qui réchauffe le corps mais embrume l’esprit, Iryna Khalip est le second : ses histoires glacent le sang mais maintiennent en vie la flamme de l’opposition.
Par Antoine Védéilhé et Mathieu Périsse, à Minsk
Ploshcha Pyeramohi, “place de la Victoire”, cœur de Minsk. Ce matin frileux d’hiver, le coin est inhabituellement animé. L’avenue de l’Indépendance est bardée de membres des services secrets vêtus de noir des rangers jusqu’au bonnet ; le KGB ne fait même plus l’effort d’être discret. Pour accéder au lieu de rendez-vous, il faut passer un contrôle de la police biélorusse : ouverture des sacs, vérification du passeport… “Vous êtes journalistes ? Faites voir la dernière photo que vous avez prise.” Pas besoin de chercher longtemps la cause de cette agitation : ce jour-là, le pays accueille en grande pompe le secrétaire général du Parti communiste vietnamien, pays frère de l’ère soviétique avec lequel la Biélorussie a maintenu des liens forts. Parade militaire pour fêter l’arrivée des hôtes, discours solennels devant la flamme du soldat inconnu… Le régime sait recevoir.
Iryna Khalip attend à quelques centaines de mètres de là, peu intéressée par ces mondanités géopolitiques. La grande blonde fume une clope, engoncée dans sa doudoune beige, en faisant les cent pas devant l’entrée du Gorki Park, une sorte de square pour enfants sans les enfants. À peine le temps de traverser le parc blanchi par une mince pellicule de neige et de s’engouffrer dans un café qu’Iryna commence déjà à raconter sa vie. On ne prend pas vraiment son temps quand on est journaliste à Minsk, plusieurs fois menacée de mort et ex-assignée à résidence pendant deux ans. Et puisqu’il faut bien commencer quelque part, elle entame par le début : “Je suis née en 1967, juste à côté de ce parc, j’en connais tous les arbres. J’ai grandi ici, à Minsk.”
En réalité, l’histoire d’Iryna Khalip commence par une chute, celle de l’URSS. Nous sommes en 1989 quand elle entame ses études de journalisme. Le mur de Berlin est déjà bien fissuré. La Perestroïka, la politique de réformes économiques
Il y avait tellement d’espoir ! J’étais heureuse. On sentait se dessiner un chemin vers la liberté, vers l’Europe
Iryna Khalip
et sociales menée à la fin des années 80 par Mikhaïl Gorbatchev, est en train de précipiter la fin de la guerre froide. “À l’époque, je ne voulais pas m’endormir. J’avais peur que le monde soit trop différent quand je me réveillerais”, se souvient-elle. En décembre 1991 les présidents des Républiques socialistes soviétiques de Russie, d’Ukraine et de Biélorussie se réunissent à côté de Minsk pour acter la dissolution de l’URSS et créer la Communauté des États indépendants. Le futur ressemble à une page blanche : “Il y avait tellement d’espoir ! J’étais heureuse. On sentait se dessiner un chemin vers la liberté, vers l’Europe, confirme Iryna. Je ne pouvais pas m’imaginer qu’après l’expérience soviétique, ce système totalitaire prendrait sa revanche et revenir.” Le poids des illusions perdues assombrit son visage. Elle doit certainement penser à cette année 1994, quand, après trois ans d’indépendance, les Biélorusses élisent un ancien directeur de sovkhoze à leur tête. Alexandre Loukachenko remporte la première élection présidentielle libre du pays en faisant campagne sur le thème “Vaincre la mafia”. Las, une fois installé à la tête de l’État, Loukachenko multiplie les atteintes à l’encontre des droits de l’homme et les Biélorusses apprennent vite à connaître les ingrédients du nouveau régime : opposition muselée, économie confisquée au profit du clan au pouvoir, gouvernement par la peur et l’argent. En échange, Alexandre Loukachenko assure la stabilité du pays et une certaine sécurité sociale. Dans un pays où les trois quarts de l’activité proviennent du secteur public, le taux de chômage officiel ne dépasse pas 1%. De quoi convaincre le peuple de l’efficacité de son président, réélu haut la main en 2001, 2006 et 2010, avec près de 80% des voix à chaque fois et des scrutins bourrés d’irrégularités.
“Incitation au coup d’État”
Un terreau propice pour qui a l’âme d’un enquêteur. D’autant qu’on a la fibre médiatique chez les Khalip : le père est journaliste culturel, un refuge de liberté à l’époque soviétique, et la mère éditrice pour la revue de l’Académie des sciences. “Les sciences physiques, c’était trop difficile pour moi, j’ai choisi une voie plus facile”, raconte Iryna, modeste. La facilité pour elle, ce sera le journalisme d’investigation dans l’un des régimes les plus durs d’Europe. Elle débute en 1994 à la Sovetskaya Belorussiya, le plus grand quotidien russophone du pays, mais en
Quand je l’ai vue pour la première fois, elle travaillait avec la jambe dans le plâtre après un accident de parachute ! Son courage sautait aux yeux
Natallia Radzina, rédactrice en chef de Charter97.org
claque la porte presque aussitôt, quand Alexandre Loukachenko décide d’en faire l’organe officiel de la présidence. Elle ne cessera plus d’être dans le viseur du régime. En 1999, elle travaille pour le magazine Imya (“Le Nom”) sur la Commission électorale nationale, moins d’un an avant les élections présidentielles. Une enquête que le gouvernement interprète comme une “incitation au coup d’État”. Iryna Khalip est arrêtée et gardée à vue pendant une journée, tandis que son appartement est fouillé et ses documents dérobés. “Iryna, c’est une battante”, tranche Natallia Radzina, rédactrice en chef du principal site d’opposition Charter97.org. Aujourd’hui en exil à Varsovie, elle a travaillé pendant un an avec Iryna Khalip. Le début de 20 ans d’amitié. “Quand je l’ai vue pour la première fois, elle travaillait avec la jambe dans le plâtre après un accident de parachute !Son courage sautait aux yeux.” La jeune femme pratique alors un journalisme “méticuleux, très professionnel, très rare en Biélorussie”, se souvient Natallia Radzina. Quatre ans plus tard, en 2003, les articles d’Iryna sur la corruption parus dans le Belorusskaya Delovaya Gazeta entraînent la suspension de la publication. Alors que tous ses employeurs sont contraints de fermer les uns après les autres, Iryna devient en 2006 correspondante pour Novaya Gazeta, l’un des derniers journaux d’opposition de Russie. Celui-là même qui employait Anna Politkovskaïa, rédactrice russe assassinée par balles la même année.
Son quotidien est alors celui d’une journaliste surveillée, intimidée, et même menacée de mort à chaque nouvelle révélation. Elle bénéficie alors d’un important soutien de l’étranger. Le magazine Time la sélectionne en 2005 dans sa liste des “European Heroes”, catégorie “Brave Hearts”, tandis que l’International Women’s Media Foundation lui décerne le pris du Courage en journalisme en 2009, comme à Anna Politkovskaïa en 2002. Une médiatisation qui lui donne suffisamment de visibilité pour être protégée, du moins le croit-elle. Entre-temps Iryna rencontre son mari, Andreï Sannikov. Diplomate, ministre des Affaires étrangères entre 1995 et 1996, cet activiste démissionne en signe de protestation et devient l’un des leaders de l’opposition. Une rencontre comme une évidence : “J’étais actif en politique et dans la société civile et Iryna commençait à écrire sur ces sujets. Nous avions des visions très proches de notre pays”, se souvient-il. Séduit par les idées de la jeune femme, il l’est aussi par son écriture, très reconnaissable. “Elle écrit très facilement, avec un style très aiguisé et des métaphores précises, dit-il, admiratif. Elle s’inspire de la poésie, qu’elle lit beaucoup, surtout Joseph Brodsky.” Son point fort ? “Sa mémoire : elle parvient toujours à sortir une citation presque inconnue, exactement appropriée au message qu’elle veut faire passer.”
Dans les geôles du KGB
Mais les mots vont bientôt manquer à Iryna Khalip pour raconter la fin de l’année 2010. En décembre de cette année-là, l’élection présidentielle se déroule dans un pays englué dans une crise économique majeure. Andreï Sannikov fait partie des dix candidats à se présenter contre le président. Sans illusions. Dès le premier tour, Alexandre Loukachenko est réélu une fois de plus avec un score de république bananière. L’Union européenne ne reconnaît pas le résultat du scrutin, et pour beaucoup de Biélorusses, c’est la fraude de trop. Le soir même, ils sont plus de 30 000 à se rassembler dans les rues de Minsk pour crier leur colère. Iryna et son mari en font bien sûr partie. Insupportable pour le régime. La répression est aussi soudaine que violente. Plus de 700 manifestants sont arrêtés, battus et emprisonnés, dont sept candidats et le couple. Direction “l’Amerikanka”, le surnom local donné à la prison du KGB. “Je suis un gars bien, Iryna, assurait pourtant Loukachenko à la journaliste lors d’une conférence de presse quelques mois plus tôt. Regardez, vous êtes là, libre de faire ce que vous voulez.” Un sens consommé du cynisme.
Sur son passage en prison, Iryna ne s’étend pas. Tout juste se contente-t-elle d’évoquer les “mauvais traitements” qu’elle a subis, mais son regard se durcit quand elle parle de son fils Dania, 8 ans aujourd’hui. “Ils ont menacé de l’envoyer aux services sociaux. Vous vous rendez compte ? Si on commence à utiliser des
Je suis un gars bien, Iryna. Regardez, vous êtes là, libre de faire ce que vous voulez
Alexandre Loukachenko
enfants dans des luttes politiques, ça veut dire qu’il n’y a plus de limites.” Elle en tremble encore de rage. Ses yeux cernés par les longues nuits sans sommeil s’embrument de souvenirs. Cette période, c’est peut-être Natallia Radzina qui en parle le mieux. “Nous étions dans la même cellule pendant trois jours. Toutes les femmes avaient été placées ensemble.Il n’y avait pas assez de lits, alors nous partagions le nôtre Iryna et moi. Nous dormions à tour de rôle.” Rations de nourriture, vêtements, soutien… les deux femmes partagent tout pour traverser l’épreuve. “Nous étions amies, nous en sommes sorties sœurs.” Les détenues subissent des pressions du KGB, sont privées de nourriture et soumises aux coups de leurs geôliers. Elles décrètent alors une grève de la fin. “C’est à ce moment-là qu’on m’a transférée dans une autre cellule pour nous isoler et nous affaiblir”, conclut Natallia. Elle y vivra encore un mois de tortures et de privations. Iryna Khalip patientera près de six mois dans les geôles biélorusses. En mai 2011 elle est finalement jugée et condamnée à deux ans d’emprisonnement avec sursis, assortis d’une période probatoire de deux ans. “Je ne pouvais pas quitter mon appartement après 22h, se souvient-elle. Je devais me présenter à un poste de police chaque semaine.La police avait l’habitude de frapper à ma porte à 3h du matin.” Son mari, lui, est condamné à cinq ans de prison ferme, et elle reste seule avec son fils de 4 ans. Beaucoup auraient craqué, rendu les armes. Mais Iryna poursuit ses enquêtes, tant bien que mal. “On m’a enlevé presque trois ans de ma vie et maintenant, on attend de moi que je dise merci pour ne pas m’avoir emprisonnée ?” s’emporte-t-elle en jetant un regard glacial. On n’ose pas répondre.
“Vive la Biélorussie !”
En juillet 2013, sa condamnation a été officiellement levée. “Mais ne croyez pas que je suis libre, prévient-elle. Tant que ce régime de fascistes existe, même ceux qui ne sont pas enfermés restent des prisonniers politiques.” Son téléphone est tracé, son ordinateur piraté. “Il y a quelque temps, j’enquêtais sur les relations entre Loukachenko, le KGB et des oligarques russes. J’écris l’article et je l’envoie à Moscou, au siège de Novaya Gazeta. Dix minutes plus tard, je reçois un mail d’une adresse inconnue : ‘Très chère, si cet article est publié, vous allez rencontrer Anna Politkovskaïa le jour même.’ La menace reste en l’air, mais d’autres n’ont pas eu cette chance. Et Iryna d’égrener un à un les noms de ses collègues disparus, comme Dzmitry Zavadski, enlevé et assassiné en 2000. Elle évoque aussi son “très bon ami” Aleh Byabenin, cofondateur du site Charter97.org et ancien responsable presse d’Andreï Sannikov pendant la dernière campagne présidentielle : “Il a été retrouvé pendu dans sa maison de campagne en septembre 2010.” La journaliste interrompt un instant son récit. Ses grands yeux fixent un point imaginaire, quelque part entre sa tasse à café vide et son carnet de note. Un silence recueilli s’installe, aussitôt déchiré par une exclamation à la table voisine : “Jive Belarus !” “Vive la Biélorussie”, le cri de ralliement de l’opposition. Il est poussé par un jeune couple qui tendait l’oreille depuis une vingtaine de minutes. Un simple salut au moment de sortir du café, comme un mot que l’on griffonne sur la nappe en passant. Aussitôt prononcé, aussitôt effacé. Mais un sourire se dessine au coin des lèvres d’Iryna quand elle se lève à son tour pour aller affronter les -15 degrés de l’hiver local. Elle ajuste son manteau, s’allume une de ses longues et fines cigarettes russes et reprend le fil de sa pensée. “Le journaliste doit se créer des espaces de liberté, poursuit-elle. Les Biélorusses ont cru que la liberté leur était acquise. Nos voisins ont dû se battre pour elle, nous n’avons pas compris sa valeur.” Elle désigne un petit pont d’ornement tout proche, qui enjambe un fossé : “Mon père m’y emmenait quand j’étais gamine. Je devais y faire un vœu. Pour moi, il reste associé à l’espoir.”
Devant le spectacle d’une opposition en lambeaux et divisée, elle préfère se tourner vers les jeunes générations. “Vous êtes français, moi je veux emmener mon fils sur les plages du débarquementde Normandie, lance-t-elle dans un sourire. Il est fan d’histoire, surtout de la Seconde Guerre mondiale. Pour moi, c’est le meilleur symbole de la victoire de la liberté sur le totalitarisme.”
Par Antoine Védéilhé et Mathieu Périsse, à Minsk
Le 5 octobre 1988, après quinze ans de dictature de Pinochet, l’opposition chilienne parvenait à le faire tomber. Comment ? En confiant son destin à une bande de pubards qui, au lieu d’une campagne politique traditionnelle, opposèrent au général un slogan ultra catchy, une chanson au refrain pop et des images issues de réclames pour Coca-Cola. Vingt-sept ans plus tard, ils racontent la chute du tyran de l’intérieur.
Par Arthur Jeanne
1980, palais de la Moneda. Depuis déjà sept ans et son coup d’État, Augusto Pinochet fait régner la loi martiale sur Santiago du Chili. Pour offrir un minimum de légitimité à son pouvoir, l’auguste général a rassemblé les plus éminents juristes du régime pour rédiger sa Constitution. Un texte qui prévoit de ratifier son maintien au pouvoir pour seize années supplémentaires. Dans le bureau présidentiel, un de ses conseillers, un peu plus soucieux des apparences que les autres, tique. Il interpelle l’homme aux verres fumés : “Seize ans c’est trop, nous devons organiser un plébiscite au milieu.” À contrecœur, Pinochet accepte, sans savoir qu’il vient de signer la fin de son régime.
Le sociologue Eugenio Tironi fait partie du commando démocratique qui mettra fin à la dictature huit ans plus tard. Depuis son bureau vitré du quartier d’affaires de Manquehue, l’homme revient sur l’erreur originale de feu le général : “En 1980, Pinochet a annoncé le plébiscite de manière presque accidentelle. Puis, il a dû éditer une série de lois complémentaires –pour réguler ce plébiscite– dans lesquelles la Franja s’est introduite. Il n’y a aucun doute que ni Pinochet ni le régime ne s’est rendu compte de ce qu’il faisait.”
La Franja, aussi appelée Concertacion, c’est ce bric-à-brac de partis politiques construit pour l’occasion. Un joyeux bordel qui rassemble sans discrimination la démocratie chrétienne, le parti socialiste, les libéraux de centre droit et l’extrême gauche révolutionnaire. Entre eux, un seul point commun : l’opposition à Pinochet. Ce mariage de la carpe et du lapin, les démocrates chrétiens Valdés, Genero Arriagada et Eugenio Celedon parviennent à le constituer au terme de réunions interminables. L’opportunité est unique. Pour la première fois depuis quinze ans, après avoir comptabilisé quelques milliers de disparus, le pays a l’occasion de s’exprimer dans les urnes. Et l’opposition a le droit à l’écran. Quinze minutes au total, chaque soir à 23h, pendant le mois précédant le vote pour convaincre qu’il est possible de dire no au dictateur.
Positiver la négation
La tâche s’annonce ardue : “Il y avait plein de partisans de Pinochet à ce moment-là, la dictature vivait une sorte de détente, la répression était moins féroce. La conjoncture économique était spectaculaire. En 88, on devait être à 9% de croissance. C’était l’époque du miracle chilien, les gens consommaient énormément”, se souvient Tironi. Face à un Pinochet porté par le succès de sa politique économique et qui tente désormais de se construire une image bienveillante de grand-père idéal, l’opposition paraît bancale. “Les gens voyaient l’opposition comme fragmentée, déprimée, triste. Je pense que les conseillers de Pinochet lui ont dit : ‘Ne vous inquiétez pas. Le peuple chilien ne s’intéresse pas à la politique ; ce qui l’intéresse, c’est la consommation. La campagne sera diffusée à 23h’”, estime Tironi.
Pour mettre au point leur campagne, les hommes de la Franja vont débusquer les dirigeants d’agences de publicité renommées au Chili. Eugenio Garcia est de ceux-là. Quand la coalition politique fait appel à lui, elle lui expose la situation sans détour : “On m’a présenté des études qui montraient l’état d’esprit de
En 88, on devait être à 9% de croissance. C’était l’époque du miracle chilien, les gens consommaient énormément
Eugenio Tironi
l’électorat. En résumé, les électeurs – le pays – avaient peur. Ceux de droite avaient peur d’un changement qui pourrait signifier une vengeance contre tout ce qu’avait été le gouvernement militaire ; ceux de gauche craignaient un faux référendum, un piège de Pinochet.” La Franja est en plein dilemme : alors qu’elle représente ceux qui ont été privés de la liberté d’expression pendant quinze ans, elle doit renoncer à dénoncer les atrocités de Pinochet. “Pour la première fois que nous pouvions nous exprimer à la télévision, la logique aurait voulu qu’on montre cette rage et cette colère. Mais du point de vue professionnel, cela aurait été une idée horrible”, poursuit Garcia. Sans doute pour cela que les publicitaires ne sont pas militants, ils viennent avec l’idée de vendre un produit : “On nous a demandé de travailler comme des professionnels de la publicité. On n’avait pas pour vocation de faire de l’activisme.” Afin de réfléchir à tout ça, Garcia et son équipe partent se mettre au vert quelques jours : “L’essentiel de la campagne s’est fait en un week-end, à Santo Domingo, vers la côte, à une heure de Santiago. Ça a été une réunion créative, on buvait quelques coups, on discutait. L’ambiance était détendue.” Entre deux verres, Eugenio Garcia a une épiphanie, le slogan de la campagne : La alegria ya viene, “la joie vient déjà” en français. Une phrase qui convoque tout ce que la Franja veut mettre d’optimisme et de réconciliation dans sa campagne. Seulement voilà, pour accompagner le concept, il faut un logo et une chanson. Garcia fait appel à l’un de ses associés et lui demande un symbole capable d’accompagner “le no”. Celui-ci revient avec un arc-en-ciel. Une réussite. “Le mot no est un mot complexe : si tu dis non, on l’associe par essence a quelque chose de négatif. Donc, il fallait édulcorer la force symbolique du No avec cet arc-en-ciel. Positiver une négation. Il y avait beaucoup de sens différents. Le premier était que après la tempête vient l’arc-en-ciel. Le deuxième, que c’était le symbole de toutes les couleurs des partis politiques réunis.”
En rentrant à Santiago, Garcia passe un coup de fil à ses amis Jaime de Aguirre, qui sera plus tard président de la TVN, et Sergio Bravo, économiste de formation. Les deux hommes travaillent au Filmocentro, une boîte de production qui est aussi l’épicentre du ciné indé national, ils ont une semaine pour faire une proposition d’hymne “patriotique”. De Aguirre compose un refrain pop, très eighties, aux antipodes des traditionnelles musiques de campagne politique. Bravo y appose des paroles simples mais lourdes de sens : “Parce que je dis ce que je dis, je suis libre de penser, car je sens que c’est l’heure de reprendre la liberté. Je vais dire que non !” Le résultat est entêtant et se conclut par “La alegria ya viene”, en chœur. “La chanson a été la clé. Quand je l’écoute pour la première fois, je me dis que ça va faire un carton. Ça rompait avec toutes les chansons politiques traditionnelles en Amérique du Sud, ce n’était pas une marche mais un refrain pop, joyeux, comme un gospel”, s’enthousiasme encore aujourd’hui Tironi.
“C’est quoi cette merde ?”
Il s’agit désormais de présenter le tout aux responsables politiques de la Franja. Vingt-quatre heures plus tard, les créatifs ont rendez-vous avec leur état-major. Au dernier moment, ils montent un clip avec des extraits de publicités. Une version bêta de ce qui sera le clip définitif de la campagne. Quand Eugenio Garcia et l’autre directeur créatif de la campagne, José Manuel Salcedo, allument le rétroprojecteur, la salle est stupéfaite : “Quelqu’un dans l’assemblée a dit alors : ‘C’est quoi cette merde ? On dirait une pub pour Coca-Cola !’ Parce que, effectivement, il y avait des extraits de pub pour Coca”, se souvient hilare Eugenio Tironi. L’assistance est hostile mais finir par céder : “Ils ont accepté car ils savaient qu’ils n’avaient pas d’autres solutions, et aussi parce que les publicitaires, les réalisateurs, étaient des mecs connus pas des perdreaux de l’année.” La campagne doit débuter deux semaines plus tard, et la Franja est prête. Il ne reste plus qu’à convaincre un homme susceptible d’incarner le message. Un homme intègre, qui a déjà dit non à Pinochet. Patricio Banados est le candidat idéal. Présentateur vedette de la télé chilienne dans les années 60, ce journaliste
Il y avait ce sentiment de faire quelque chose de très important, d’historique, une sorte d’épopée. On avait conscience de la transcendance du projet
Patricio Banados
old school a aussi travaillé pour la BBC et Radio Suisse International. Depuis cinq ans déjà, Banados est privé d’antenne, mis au ban pour son refus de compromission avec la dictature. “On m’a demandé de lire un texte qui disait que l’ex-président Eduardo Frei avait commencé sa conférence de presse en répétant les mêmes mensonges qui ont entraîné le pays vers sa décadence communiste. J’ai juste dit : ‘Le président Frei a commencé sa conférence de presse.’ J’ai été viré et mis sur liste noire. Impossible de retrouver un travail à la télé”, affirme l’homme aujourd’hui âgé de 80 ans depuis les locaux de Radio Beethoven, où il officie depuis de longues années. Le rôle est taillé pour lui, pourtant, quand la Franja vient le chercher, il hésite : “Avant d’accepter, j’ai beaucoup réfléchi. C’était un risque énorme.” Le risque, ce sont les tentatives d’intimidation menées par la Junte contre lui et sa famille. Quelques années plus tôt, après qu’il eut évoqué les disparus à la radio, la mobylette de sa fille a été renversée par un véhicule militaire. Malgré tout, les hommes du No ont conscience de pouvoir changer l’histoire. “Il y avait ce sentiment de faire quelque chose de très important, d’historique, une sorte d’épopée. On avait conscience de la transcendance du projet”, se souvient le journaliste.
Le pays entier prend conscience que son sort est en train de se jouer. Le lundi 5 septembre 1988, quand Patricio Banados donne le coup d’envoi de la campagne, des millions de personnes sont devant leur écran. Malgré l’horaire tardif imposé par la dictature, les Chiliens sont présents devant leur poste, et découvrent un ovni : “Ça commençait par le clip. Puis, il y avait des saynètes, des petites pastilles pleines de joie et d’ironie. C’était fantastique, drôle”, se souvient Banados. “Quand les partisans du Si ont vu, ils n’y ont pas cru. Ils ne pouvaient pas s’imaginer qu’on allait faire un truc si moderne, si sophistiqué et joyeux”, renchérit Tironi.
La victoire du No
Pourtant, la première semaine, la partie la plus à gauche de la Franja gronde. Ceux que l’on surnomme en interne “les Salvadoriens” veulent dénoncer. Ils débarquent un matin dans la bâtisse qui héberge le Filmocentro, au croisement des rues Seminario et Condell. Ils interrompent même le tournage d’une des séquences qui doit être diffusée quelques jours plus tard. “L’extrême gauche de la Franja n’a pas forcément compris l’intention du publicitaire. Elle a voulu prendre le contrôle de la campagne et en faire quelque chose de plus classique, avec des discours politiques de dénonciation de la dictature”, se souvient Tironi.
Finalement, après une discussion houleuse, la situation s’apaise et les sceptiques doivent se rendre à l’évidence : la campagne fonctionne ! Partout dans le pays, les gens se réunissent dans les bars pour regarder les quinze minutes du No. La mayonnaise prend. Les personnalités nationales, comme le footballeur Carlos Caszely ou l’actrice Carolina Arregui, apparaissent dans la campagne et affirment leur soutien au No. Christopher Superman Reeves s’y met aussi. La chanson fait un carton. Les slogans de la campagne s’incrustent dans les esprits. Les publicitaires ont bien fait leur job : “Les gens sifflotaient la chanson dans la rue. Les vendeurs ambulants vendaient des tonnes de pins du No. Je crois qu’au fur et à mesure de la campagne, le sentiment que la dictature allait tomber est devenu plausible dans l’esprit des gens, qui l’ont véritablement imaginé comme une possibilité”, affirme Garcia.
Opportunistes, ceux qui critiquaient le No publicitaire et frivole jouent désormais des coudes pour y faire une apparition : “Les politiques se sont rendu compte de l’influence de cette campagne et tous ont voulu s’y immiscer. Pas mal de fois, nous avons dû les couper au montage, car ils étaient ennuyeux”, se marre Eugenio Garcia.
Le succès est d’autant plus grand que le contraste avec le Si est énorme. La campagne du No est aussi enjouée, originale, joyeuse, que celle du Si est classique, triste, ordurière : “La Franja del Si était mauvaise de tous les points de vue, techniquement déjà, mais aussi au niveau des idées”, affirme Banados, catégorique, avant que le publicitaire Garcia n’entre dans le détail : “C’était mauvais. D’abord parce que c’était axé sur cette logique qui niait le fait que tout le monde voulait changer, même à droite. Les gens ne voulaient plus de violence, tout le monde souhaitait en quelque sorte un retour à la normale. Mais la campagne du Si était axée sur la violence. C’était une campagne avec des attaques très basses, agressives.”
Une fois, on nous a même empêchés de diffuser. On avait une interview d’un juge qui racontait comment le régime torturait. À la télé, un écran noir est apparu
Patricio Banados
En réalité, le Si s’est tiré une balle dans le pied, à droite on doute de plus en plus. Même les partisans du régime ont du mal à le soutenir ouvertement. Banados encore : “Personne n’osait représenter le Si. Je pense que certains journalistes ont eu peur de s’exposer à d’éventuelles attaques des gens violents de la gauche. En un mois, il y a eu trois présentateurs. D’abord, le maire de Santiago, Carlos Bombal, qui était beau gosse, une sorte d’Alain Delon. Ils ont ensuite mis une fille jeune et mignonne. Enfin, ils en ont trouvé un, on n’a pas su d’où ils le sortaient. Mais ça n’a pas duré longtemps : le lendemain de son apparition, on a su dans un journal qu’il avait été détenu pour une histoire de drogues. On ne l’a plus jamais revu !” Pinochet commence à se faire du mouron. En coulisses, ses conseillers s’agitent sans trouver de solution. Alors, la dictature intimide. Et Patricio Banados en est la première victime : “J’étais le visage de l’opposition, j’étais l’objet de la haine, le communiste. Tous ceux qui s’opposaient à Pinochet étaient communistes ! Ils me téléphonaient chez moi pour me menacer. Ils ont essayé de m’écraser plusieurs fois. Je savais que dans la rue, j’étais en danger. Si je sortais avec ma femme, je pouvais être provoqué ; si j’étais provoqué, je ne pouvais pas réagir. Car le Si l’aurait utilisé. ‘Le présentateur du No a frappé un passant.’” Le jeu démocratique lui aussi prend du plomb dans l’aile. La télévision nationale visualise les programmes du No et les transmet au Si qui s’en inspire et les détourne : “Trente-six heures avant la diffusion, on devait envoyer à la TVN les programmes qu’on allait diffuser et le programme était bien sûr vu par la Franja del Si. C’était le piège classique. La Franja del Si savait ce qu’on allait dire et s’adaptait en fonction. Une fois, on nous a même empêchés de diffuser. On avait une interview d’un juge qui racontait comment le régime torturait. À la télé, un écran noir est apparu.”
Le Si veut faire taire le No mais il est trop tard. La victoire du No est palpable, le temps est au changement, et la seule question est désormais de savoir si Pinochet va accepter sa défaite. À 20h, le 5 octobre 1988, les résultats officiels ne sont toujours pas tombés mais le No sait déjà qu’il a remporté la bataille des urnes. Le soulagement arrive à minuit : “On a eu des contacts avec les politiques de droite qui ont accepté la victoire du No assez tôt. Mais il y a eu de longues heures d’attente avant que Pinochet ne la reconnaisse publiquement. À minuit, il a convoqué ses généraux à la Moneda pour une réunion exceptionnelle, on ne connaissait pas ses intentions. En entrant à la Moneda, le général Matthei lui a coupé l’herbe sous le pied. Devant un parterre de journalistes, il a dit : ‘Le Non a gagné.’ Deux heures plus tard, Pinochet admettait officiellement la défaite.” Avec 53% des votes, le No l’a emporté. Le Chili a le droit à ses premières élections présidentielles libres.
À Santiago, les scènes de joie débordent dans la rue. Les gens embrassent les policiers. Les principaux protagonistes de la victoire, eux, rentrent chez eux, avec le sentiment du devoir accompli et la tristesse de ceux qui savent déjà qu’un des moments les plus exaltants de leur vie est derrière eux. “J’ai décompressé, j’étais seul à la maison, avec mes enfants, je n’ai pas participé à la fête du commando. J’étais heureux. C’était le triomphe de notre campagne et de ce qu’on avait véhiculé, pas de haine ni de ressentiment, mais la joie et la réconciliation”, affirme Garcia. “Après la victoire, je me souviens avoir énormément marché, jusqu’à ma voiture. Mais la joie était intérieure, je savais qu’une étape de ma vie se terminait”, ajoute Tironi.
“Le pouvoir a corrompu les gens de la Concertacion”
Un peu plus de 25 ans plus tard que reste-t-il du No ? Une influence notable sur la manière d’aborder les campagnes politiques d’abord. C’est en tout cas ce que pense Eugenio Garcia, devenu depuis responsable du pavillon chilien à l’exposition universelle de Milan : “Cette campagne a quelque chose de mythique. Elle a été novatrice, la Franja a inspiré des campagnes politiques et c’est encore le cas aujourd’hui, ce modèle est devenu une référence. Moi, par exemple, on m’a demandé de travailler sur des campagnes présidentielles en République dominicaine, au Guatemala, au Panama, au Salvador, au Paraguay. La campagne d’Obama non plus n’était pas une campagne normale, elle allait à contre-courant de ce qu’on avait vu jusqu’à maintenant. Mais la comparaison s’arrête là !”, plaisante-t-il.
Patricio Banados, lui, est moins débonnaire. Il a bu la tasse lors de la transition démocratique : “J’ai gagné la haine des gens les plus puissants de ce pays, qui sont les gens qui ont de l’argent. Tous ceux-là étaient pro-Pinochet à fond, car il leur a offert le pays, il a donné le pays au capitalisme international. C’était un bijou de la couronne pour Thatcher et les autres. Mais le plus bizarre, c’est que les gens de la Concertacion, ceux-là même qui m’ont fait venir, ont été jaloux et ont une incertitude concernant le rôle prépondérant que j’ai joué. J’ai gagné leur méfiance et leur rejet.” Peut-être vire-t-il un peu parano, mais pas tant que ça. Vingt-sept ans après la victoire du No, la Constitution de Pinochet est toujours en vigueur et bon nombre de ses ministres occupent des fonctions officielles, une situation à laquelle le vieux journaliste tente de trouver des explications : “Les gens de la Concertacion sont arrivés à une époque de transition où ils ne pouvaient pas faire table rase. Tout le monde souhaitait un changement raisonnable, tout le monde savait qu’il était impossible de tout changer, que le général Pinochet veillait encore. Mais de là à dire qu’il était en réalité un grand collaborateur de la démocratie… Le pouvoir les a corrompus. Du jour au lendemain, ils ont eu de la reconnaissance, des bons salaires. Au Parlement, l’ambiance était à la détente. Il fallait cohabiter avec les ‘pinochetistes’. Le fasciste d’hier, qui était ministre de Pinochet, est devenu un collègue, assis au Sénat à côté de l’ex-prisonnier politique ou de celui qui avait perdu de la famille. Peu à peu, une connivence s’est créée.” Au passage, Tironi reçoit une balle perdue, sans doute parce qu’il symbolise ce que l’exalté Banados dénonce : “Tironi, aujourd’hui, est un des chouchous de la droite. Il conseille d’anciens partisans de Pinochet. C’est un homme qui change avec le vent, il a eu cette attitude ambivalente inhérente à toute la classe politique.” Voilà pourquoi aujourd’hui, Banados s’estime trahi depuis son petit studio de Radio Beethoven : “Ce pays va mal, les inégalités sociales sont honteuses, les mêmes qu’il y a 25 ans. Le salaire minimum atteint à peine 300 euros par mois quand un parlementaire touche 13 000 euros. C’est un scandale. Je pensais participer à quelque chose de merveilleux, quelque chose de très important pour le destin de ce pays. Je me suis trompé. Rien n’a changé. À part le fait qu’on ne torture plus et qu’on ne fait plus disparaître les gens.”
Par Arthur Jeanne
Jacob Anderson s’est fait connaître du grand public grâce à son rôle dans la série Game of Thrones, celui d’un soldat eunuque du nom de Ver Gris à la tête de l’armée de Daenerys Targaryen. Mais ce natif de Bristol refuse de jouer sur un seul tableau: sous le nom de Raleigh Ritchie, il monte aussi sur scène pour chanter. Un artiste entre R&B et musique pop qui s’apprête à prendre d’assaut la scène musicale britannique. Mais si tout semble lui réussir, Jacob Anderson paraît pourtant plus complexe et torturé que l’image un peu lisse qu’il renvoie.
Par Jonathan Vayr / Photo : Renaud Bouchez
Casquette aux couleurs du Spectre (l’organisation secrète dans James Bond) vissée sur le crâne, Jacob Anderson détonne un peu dans ce pub de Camden à la décoration rococo surchargée. Sur son avant-bras droit, un tatouage de squelette au crâne divisé en deux, noir et blanc comme le yin et le yang. En guise de signification, il explique que c’est la façon dont il a toujours représenté son cerveau : séparé entre le bien et le mal, les deux parties dans une bataille perpétuelle pour prendre le contrôle. Derrière son sourire un peu timide et ses 25 ans, Jacob Anderson cache une personnalité pleine de dualités et, surtout, s’inquiète de beaucoup de choses. Il s’inquiète de savoir si sa musique est aussi sincère qu’il le souhaite, de l’accueil que va réserver le public à son premier opus, et espère qu’on ne le jugera pas trop prétentieux à vouloir mener en parallèle ses deux carrières, d’acteur et de chanteur.
Sa première apparition dans Games of Thrones remonte à 2013, à la moitié de la troisième saison. Il y interprète Ver Gris, un soldat eunuque désigné par ses pairs comme leur commandant. Rapidement, son personnage prend de l’importance dans la série, plus que ce qu’il n’en avait dans les livres originaux d’ailleurs, ce qui est toujours bon signe. Il se souvient encore de l’audition pour le rôle : “C’était vraiment terrible, j’étais affreux. En sortant de là, je pensais que c’était fini, mon agent n’a pas eu de retour.Honnêtement, je ne sais pas ce qui s’est passé, ils ont dû voir un truc en moi. D’après ce que j’ai compris, Daniel et David (B. Weiss et Benioff, les deux coscénaristes et créateurs de la série, ndlr) choisissent leurs acteurs aussi en fonction de ceux qu’ils ont déjà en essayant d’imaginer comment les nouveaux pourraient s’intégrer.”
Comment devenir un eunuque célèbre
Avec la popularité de la série, celle de Jacob a eu vite fait de monter en flèche. Lui avoue être peu à l’aise avec cette récente notoriété : “Depuis que je suis gamin, je vais dans cette boutique de comics où je me sens en sûreté. Là-bas, on est entre geeks, chacun fait ses trucs dans son coin. On m’y a reconnu, il y a quelques semaines, ça m’a tué… J’ai cru que mon cerveau allait fondre, je me suis senti différent des autres d’un coup et je n’ai vraiment pas aimé ça.” Son visage peut
J’ai besoin d’écrire des chansons pour ne pas devenir fou, c’est ma façon d’exprimer mes sentiments
JA
même complètement s’assombrir à l’évocation de sa récente célébrité. Il a vu Amy –le documentaire sur la vie d’Amy Winehouse acclamé par la critique– quelques jours auparavant et en reste profondément marqué : “Quand on y réfléchit,c’est vraiment affreux ce qui lui est arrivée. Elle voulait juste faire de la musique et la célébrité l’a complétement détruite…” Mais qu’il le veuille ou non, il n’y a rien à faire, Jacob s’est bel et bien forgé une solide fanbase.
Avant tout ça, Jacob a eu une enfance assez tranquille, à Bristol, bien que peu studieuse: “Je passais le plus clair de mon temps à dormir en cours.” Au lycée, c’est un professeur de théâtre qui le premier va l’encourager à suivre la voie d’acteur et à postuler pour des auditions. “Il m’a dit un truc du genre : les cours de théâtre sont les seuls où tu ne t’endors pas alors pourquoi tu n’essayes pas ça ?” Il tente alors quelques castings, ce qui ne l’empêche pas d’être déjà passionné par la musique. Il écrit sa première chanson à 14 ans. La première d’une longue série. Pour lui, écrire reste une thérapie : “ J’ai besoin d’écrire des chansons pour ne pas devenir fou, c’est ma façon d’exprimer mes sentiments. Plus jeune, quand quelque chose me frustrais, au lieu de crier ou de m’énerver, j’écrivais juste ce que je ressentais dans un livre, même dans mes livres de cours. La seule vraie raison pour laquelle je fais ça, c’est pour m’aider, c’est juste qu’il y a trois ans, quelqu’un est arrivé et m’a dit qu’on pouvait faire un album avec ça.” À 16 ans, très loin d’imaginer toutes ces histoires d’album, il intègre une école de cinéma, peut-être grâce à un énième refus de se conformer aux règles : au lieu de soumettre ses notes comme on le lui demande, il envoie le script d’un court-métrage qu’il a écrit, le scénario plaît au jury, il est accepté. Pourtant, il ne lui faudra qu’un seul trimestre pour décider de quitter la formation, trop académique à son goût, et de partir à l’assaut de la capitale. À Londres, il passe des auditions pour des petits rôles mais découvre surtout le cinéma français, dont il tombe littéralement amoureux – en vrac, Jacob cite Chabrol, Godard, Ozon, Kassovitz, Gavras comme références : “J’ai vu que vous aviez eu Michel Gondry dans un de vos numéros, ce gars est mon héros ! Eternal Sunshine of the Spotless Mind m’a fait comprendre qu’il y avait d’autres moyens de raconter des histoires. À ce moment-là, je ne connaissais que Hollywood. Il y a une sorte de sincérité dans la manière des Français de filmer les choses.”
Direction Kendrick Lamar
Il se trouve un agent et enchaîne les petits rôles dans des séries (Skins, Episodes) et films britanniques, avant que les choses ne s’accélèrent brutalement en 2012. Alors qu’il vient d’être choisi pour faire partie du casting de la série qui fera son succès, il signe un contrat pour un album avec Columbia Records. “J’avais un peu peur qu’il y ait un conflit d’intérêts entre mes rôles à la télé et l’album mais ça ne leur posait pas de problème. J’ai continué à écrire de la musique, mais je n’étais pas encore sûr de vouloir être un véritable artiste.” Son manager lui crée un Soundcloud sous le nom Raleigh Ritchie. Bingo : quelques mois plus tard, l’équipe de Kendrick Lamar lui passe un coup de fil : “Kendrick avait entendu quelques-uns des sons qu’on avait mis sur Soundcloud et apparemment, il avait bien aimé. Quand il est venu faire sa tournée en Grande-Bretagne son staff m’a appelé pour me proposer de faire ses premières parties.” Lui qui est habitué aux petites scènes londoniennes se voit propulsé devant plusieurs milliers de personnes sur les trois dates britanniques du rappeur le plus coté de la scène américaine. “C’était excitant et en même temps, très difficile : il faut réussir à convaincre des gens qui ne sont pas venus pour vous et attendent juste de voir l’artiste pour qui ils ont payé leur ticket”, raconte-t-il. Dans la foulée, Jacob récupère un des meilleurs producteurs du rappeur californien, Sounwave, avec qui il collabore sur quelques pistes de son album : “Ce mec est incroyablement doué. Quand il produit une piste, il raconte autant une histoire dans sa musique que Kendrick le fait dans son texte.”
Reconquérir la pop music
Difficile de coller une étiquette sur le style de Raleigh Ritchie (son nom de scène, donc). The Weeknd, Franck Ocean ou Kid Cudi sont quelques-uns des nombreux artistes à qui on le compare. Mais chaque chanson qu’il sort semble très différente de la précédente. “Quand j’écris quelque chose, ça correspond toujours
Je ne suis pas certain de pouvoir le faire tout seul mais je souhaite faire partie de ceux qui vont redéfinir la pop music
JA
à une idée bien précise, dit-il. J’essaye de poser sur le papier ce que j’ai dans mon cerveau à un moment donné et ce que je ressens au plus profond.” Il lui faut en moyenne entre deux et six heures pour compléter une piste. Son hyperproductivité a d’ailleurs fini par rendre la production de son album –prévu pour cet automne– assez compliquée. Au cours des trois dernières années, il écrit des centaines de chansons et, plusieurs fois, fait table rase lorsqu’il a l’impression de prendre la mauvaise direction. Mais après beaucoup de dilemmes, les douze pistes de son album sont enfin sélectionnées et enregistrées. Un album basé sur la pop music, un genre qui l’obsède et auquel il ne veut rien de moins que lui rendre ses lettres de noblesses. Il veut qu’elle soit bonne comme dans les années 70 et pas uniquement synonyme d’une musique lisse et commerciale. “Je ne suis pas certain de pouvoir le faire tout seul mais je souhaite faire partie de ceux qui vont redéfinir la pop music. Je voulais écrire un bon album pop, qui soit fait par un être humain, pas juste par une machine.”
En attendant d’être appelé pour le tournage de la saison 6 de Game of Thrones qui vient de commencer, Jacob Anderson écume les festivals et les scènes britanniques. Il a d’ailleurs fait un passage réussi à l’incontournable festival de Glastonbury. S’il est pour l’instant satisfait de sa carrière d’acteur, Jacob ne compte pas en rester là au niveau musical et pense déjà à son prochain album. “J’ai envie de faire un truc très différent, avec un son bien plus violent et noisy que ce que j’ai fait ici. Mon rêve absolu est de bosser avec Diplo, je compte ne pas arrêter de le stalker jusqu’à ce qu’il accepte de travailler avec moi.” Diplo a écouté l’une de ses chansons lors de son passage à Londres, et il aurait vraiment aimé. Décidément, tout semble réussir au gamin de Bristol.
Jacob “Raleigh Ritchie” Anderson sera en concert au festival Be Street Weeknd Paris demain et après-demain.
Par Jonathan Vayr / Photo : Renaud Bouchez
Pendant six ans, la réalisatrice Léa Rinaldi a suivi le groupe de rap contestataire le plus important de Cuba, Los Aldeanos. Et en tire un film, Esto es lo que hay, chronique d’une poésie cubaine. Un documentaire qui cristallise les contradictions d’une génération. Entre concerts clandestins, arrestations policières et manipulations serbes.
Par Grégoire Belhoste et Arthur Cerf
Comment s’est passée la rencontre avec Los Aldeanos ?
Je les ai rencontrés par hasard, un soir à La Havane. D’abord, j’ai vu Aldo, et j’ai pensé : “Qui c’est ce type ?” Il était entouré de plein de gens, on aurait dit un chef de gang. Je me suis dit que c’était un personnage de film. À l’époque, je bossais avec Gilles Peterson qui, lui, travaillait sur les compilations Havana Cultura. Peterson m’appelle et me demande d’aller interviewer Los Aldeanos, un groupe qui fait partie de sa compilation. Je me retrouve donc chez Aldo avec toute sa bande, c’était en 2009. Il y avait une journaliste de la BBC en train de l’interviewer. J’ai demandé à Aldo si je pouvais filmer et il était d’accord. D’ailleurs, cette interview n’a jamais été montée parce que c’était trop compliqué ; parce que la censure ; parce que Havana Club, c’est 50% français, 50% cubain. Ce n’était pas recommandé pour le gouvernement cubain, donc on m’a demandé de ne pas monter l’interview que j’avais faite d’eux. J’ai commencé à monter un truc de mon côté parce que j’allais les revoir et que je ne voulais pas leur dire : “Bah non, finalement, j’ai rien fait parce que même en France, vous êtes censurés.”
Dans le film, Esto es lo que hay, chronique d’une poésie cubaine, il y a une scène, en Floride, où l’on voit les rappeurs très méfiants avec les journalistes. Ils l’ont été avec vous aussi ?
Non, ils n’ont jamais été méfiants, c’est simplement qu’il fallait être là. Si t’es là, tu peux filmer. Mais ils ne t’attendent pas. Ils n’aiment pas trop les interviews formelles. Après, il y a une espèce de mouvement : tu suis tel ou tel rappeur, il
Ils ne sont pas très loquaces, quand ils osent te regarder. Ils sont hypersympas mais ce sont des gros machos, un peu bourrins, il fallait leur faire à manger, par exemple
Léa Rinaldi
t’amène à tel ou tel endroit et tu finis par découvrir “la Aldea”, leur village. Pour comprendre Aldo, je devais comprendre son village, m’intégrer à une communauté. On voit ça dans les cadrages des plans, c’est très heurté, avec des plans à l’épaule. C’est parce que eux ne t’attendent pas, il faut les suivre. Los Aldeanos, ils ne te laissent pas deux prises. J’ai continué à bosser pour Havana et je suis retournée à Cuba plusieurs fois. À chaque, ils se sont retrouvés sur mon chemin, par hasard, dans des situations d’arrestation par la police, pendant un concert clandestin… En 2010, je leur explique que j’ai envie de faire un film sur eux et de rester trois mois à La Havane. Ils sont O.K. mais n’aiment pas trop les interviews. Ils se disent non dissidents et veulent échapper au débat qui oppose États-Unis et Cuba. Ils ne sont pas très loquaces, quand ils osent te regarder. Ils sont hypersympas mais ce sont des gros machos, un peu bourrins, il fallait leur faire à manger, par exemple. En 2010, donc, je leur dis que je reviens trois mois pour les suivre. Une semaine après mon retour à Paris, j’entends dire qu’ils ont enfin obtenu des visas pour sortir du pays. Ils vont en Serbie. Donc, je les appelle et leur dis : “Est ce qu’on peut se voir en Serbie ?” À partir de là, j’ai des personnages, ces héros du peuple cubain, des problématiques, des intentions dans la mise en scène.
La séquence la plus récente a été tournée en janvier 2015. Vous sentiez que c’était le bon moment de conclure cette histoire ?
Ça ne s’est pas vraiment passé comme ça. Il y a eu beaucoup de travail pour produire le film, pour trouver des financements, je voulais vraiment l’emmener au cinéma. Une fois terminé, je l’ai envoyé aux rappeurs. Ça a été un peu compliqué, ils m’ont dit que c’était du passé et qu’il fallait réactualiser. Leurs vies ont changé, maintenant ils vivent à cheval entre les États-Unis et Cuba. Avant, quand on partait de Cuba, on ne pouvait plus y revenir. Maintenant, ils peuvent aller et venir. Ça ne veut pas dire qu’ils abandonnent leur patrie, c’est compréhensible. Et professionnellement, ils ont Internet, ils sont complètement indépendants au niveau de la vente, ils utilisent iTunes, les iPods. Ils peuvent gérer leur musique à l’étranger. Une semaine après est tombée l’annonce d’Obama sur la restauration des relations diplomatiques, et dans la presse internationale, il commençait à se dire que le groupe de rap que j’avais suivi pendant six ans avait été instrumentalisé par la CIA. Je n’allais pas faire une enquête là-dessus mais il fallait quand même faire une mise au point.
Dans cette séquence, Aldo dit que sa génération est une génération “perdue”. Vous avez eu le sentiment de faire face à une génération perdue ?
Moi, je suis plus optimiste qu’eux. C’est une génération qui est bourrée de contradictions. C’est ce qui est magnifique, c’est complexe. Ils aiment leur pays à en mourir et en même temps, ils le détestent. Ils avaient cette relation aussi avec moi : j’étais la Française indépendante et en même temps, j’étais l’étrangère qui avait plus d’argent qu’eux, etc. C’est sur cet équilibre et cette distance que j’ai pu me placer. Ce sont des artistes surdoués et torturés, c’est sûr. Ils se sentent perdus parce que le changement de Cuba va prendre bien plus que dix ans, donc ils pensent à leurs enfants.
L’un des personnages, Libre, est le fils d’un chanteur contestataire, Silvio Rodriguez. Est-ce qu’il y a une filiation entre la nueva trova (mouvement musical protestataire folk des années 1970, ndlr) et le rap de La Havane ?
Complètement. D’ailleurs, Silvio a fait une école de guitare et a eu une éducation très musicale. Mais Silvio Rodriguez était pro-Castro à un moment donné. Et son fils est devenu tout le contraire. Il y a une scène dans le film où Libre écoute une chanson de son père, c’était très drôle, c’est de la musique assez romantique. J’ai trouvé ça magnifique.
Maintenant, ils ont Internet, ils sont complètement indépendants au niveau de la vente, ils utilisent iTunes, les iPods. Ils peuvent gérer leur musique à l’étranger
LR
Quelle est la place du rap à Cuba ?
C’est la musique de tout le monde. Ce n’est pas seulement la musique des jeunes. Tout le monde les connaît. Les blogueurs, les intellos, les glandeurs… Toutes générations confondues.
Ce n’est pas comme ça partout.
C’est vrai. Barbaro et Silvito sont venus pour la première du film. Leur réaction, c’était: “La France est une nation de hip-hop, c’est incroyable.” À côté, la scène cubaine paraît bien plus petite. En revanche, le public est plus varié. Chez nous, il n’y a pas, comme là-bas, des grand-mères qui viennent au concert. Mais làoù j’ai été surpris par la popularité de Los Aldeanos, c’était en Colombie.
Il y a une scène dans le film où l’on vous voit vous faire arrêter. Vous avez eu beaucoup de problèmes sur le tournage ?
Oui, j’en ai eu beaucoup mais parce que ce sont des rappeurs très contrôlés donc tous ceux qui gravitent autour d’eux se font contrôler et ont des problèmes. Donc oui, je me suis retrouvée plusieurs fois au poste mais je restais juste quelques heures et ils n’ont jamais regardé ce qu’il y avait dans la caméra. Ceux qui avaient des problèmes, ce sont ceux qui nous recevaient –on logeait chez l’habitant. Ils avaient peur parce que les rappeurs passaient de temps en temps. Et les rappeurs, eux, avaient peur de perdre leur logement.
À la fin du film, il est aussi question des Serbes qui auraient financé le rap local. Vous en savez plus ?
Je me suis posé la question : pourquoi les a-t-on laissés partir faire un concert en Serbie ? En fait, l’organisation gouvernementale américaine USAID a payé un Serbe. Cette branche de la CIA est allée chercher les jeunes contestataires qui avaient réussi à renverser Milosevic, les mêmes qui ont créé Exit, le fameux festival grâce auquel Los Aldeanos est sorti de Cuba pour la première fois. Les Américains sont donc allés chercher ces gens-là pour les amener à Cuba, afin qu’ils aident à renverser le régime castriste grâce au rap. Aldo, lui, n’en savait rien. Un Serbe déboule, lui dit qu’il va créer une télévision underground, qu’il va ramener des satellites, des caméras, des téléphones et des ordinateurs. Quand tu n’as rien, tu prends. Maintenant, les membres de Los Aldeanos n’ont pas changé leur discours. Ils ne se sont pas dit : “On va être contestataires pour bénéficier de tout ça.” Pas comme de vrais mercenaires, qui partent en guerre juste pour l’argent. Ils ont accepté l’aide de ce Serbe et ont utilisé le matériel à bon escient. Au fond, ils s’en foutaient, ils n’étaient pas au courant de cette affaire de CIA.
Vous ne l’avez jamais rencontré, ce Serbe ?
Si. Il était bizarre. Il a refusé une interview, par exemple. J’ai quand même interviewé pas mal de gens, même si je n’ai pas mis d’interviews dans le film –c’était pour nourrir mes recherches. Lui, il avait refusé. Et puis, un jour, il m’a demandé si j’avais besoin d’aide et de financements. Je trouvais ça bizarre. Généralement, c’est toujours toi qui vas chercher les sous. Là, on m’a demandé si j’avais besoin de financements. Il m’a dit : « Tu peux m’envoyer ton dossier, je connais des gens. »
Vous êtes encore en contact avec Los Aldeanos ?
Il y a la mère d’Aldo qui est venue. On n’a jamais eu de contact direct avec Aldo. Avec Aldo, c’est compliqué. On s’aime beaucoup mais on ne se parle pas.
Esto es lo que hay, chronique d’une poésie cubaine, de Léa Rinaldi. En salle actuellement.
Par Grégoire Belhoste et Arthur Cerf
Depuis hier, le musée du Louvre accueille l'exposition “Une brève histoire de l’avenir”. Pour tenter de gagner 2 entrées, il suffit de répondre aux trois questions ci-dessous.
Question 1
De quel livre l’exposition “Une brève histoire de l’avenir” est-elle inspirée ?
a/ Une brève histoire de l’avenir, de Jacques Attali.
b/ Une brève histoire du temps, de Stephen Hawking.
c/ Ratus et ses amis, de J. et J. Guion.
Question 2
Que tient sur ses genoux le Scribe assis en tailleur présenté dans l’exposition ?
a/ Un synthé.
b/ Un papyrus.
c/ Une cruche.
Question 3
Qui a conçu la pyramide du Louvre ?
a/ Cléopâtre.
b/ Ai Weiwei.
c/ Ieoh Ming Pei.
Envoyez vos réponses à [email protected] avant le mercredi 30 septembre. Les 10 gagnants seront contactés par e-mail.
Championne suisse et du monde de rap au End of the Weak, la rappeuse KT Gorique revient sous les spots pour tenir le rôle principal du film de Pascal Tessaud, Brooklyn. De Martigny, un bled en Suisse, à Saint-Denis, itinéraire d’une rappeuse passionnée.
Par William Thorp
Quel est ton parcours ? Comment en es-tu venue au rap ?
Par la danse. J’ai commencé très tôt, vers 2-3 ans. Au début, je faisais des danses africaines, de la danse classique, des choses comme ça. Puis, vers mes 11 ans, quand ma famille et moi avons quitté la Côte d’Ivoire pour émigrer en Suisse, j’ai découvert la danse hip-hop. J’écrivais déjà des textes, juste comme ça, pour le plaisir de faire des rimes, mais sans réelle ambition. Un jour, je devais avoir 12-13 ans, j’ai passé le cap et j’ai commencé à poser mes textes sur des morceaux sur lesquels j’aimais bien danser. C’était un peu ma manière de réunir mes deux passions. C’est venu naturellement.
On ne peut pas dire que la Suisse soit le berceau du rap… Comment t’es-tu retrouvée dans ce milieu ?
Effectivement, ce n’est pas le berceau du rap, mais contrairement à ce qu’on peut imaginer, il s’y passe plein de choses au niveau de la culture hip-hop. Simplement, la Suisse n’est pas le premier pays auquel on pense quand on parle de ça. Un peu comme la Belgique avant, qui a un rap qui s’exporte très bien maintenant. En Suisse, ça commence à peine. Sur place, il se passe beaucoup de choses, mais ça ne sort pas trop de mon petit pays.
Tu as fini première au End of the Weak (Ligue internationale d’improvisation et de freestyle rap, NDLR) en Suisse, puis tu as remporté les championnats du monde. Ça a bouleversé ta carrière ?
Oui, ça a changé beaucoup de choses pour moi et pour mon pays. Dans le sens où des nations proches, mais aussi éloignées se sont mises à s’intéresser à ce qu’il se passait en Suisse pour moi. Cette compétition réunit beaucoup de monde
Le tournage était tellement intense ! Il y avait plein d’émotion. Je découvrais tout en même temps : comment marchait un film, comment on le tournait, comment gérer des acteurs…
KT Gorique
d’origines différentes. Ça m’a ouvert des portes. Je ne suis pas la première personne d’origine suisse à y participer mais c’est vrai que je suis la première à le gagner. Au départ, je me suis inscrite en Suisse pour essayer, ça me plaisait bien, j’adorais le concept. Je me suis engagée dans la compétition parce que cette année, les championnats du monde se déroulaient à New York. Un rêve. Je participe, donne tout et gagne la compét’ suisse. À mon arrivée dans la Big Apple, dans ma tête, j’avais déjà gagné, j’étais dans une ville de rêve. Le jour de la finale était particulier, tout le monde était stressé, tout le monde était venu uniquement pour la compétition. Moi, je ne pensais en aucun cas remporter le titre, donc je ne stressais pas, je souhaitais uniquement m’amuser au maximum. C’est peut-être ça qui a fait la différence. Arrivée sur scène, je me suis fait plaisir et j’ai gagné. Ma vie n’est plus la même depuis.
Le milieu du rap est un milieu assez masculin, voire un peu misogyne. Tu n’as pas rencontré de problème en tant que femme ?
C’est vrai que c’est un milieu viril mais moi, je n’ai connu pratiquement aucun problème de ce genre. J’ai débuté dans un groupe qui s’appelait Frères Incendie. Il n’y avait que des garçons et on évoluait au sein d’une association qui s’appelait Armistice et aidait les jeunes de la région pour tout ce qui touchait le rap et la danse, composée elle aussi uniquement de garçons. Mais ce sont ces garçons qui m’ont encouragée, qui m’ont respectée dans ce que je faisais. Après, il est vrai que, parfois, lorsque c’est une femme qui rappe, on s’y intéresse moins, on en parle moins. On doit pousser les gens à nous écouter.
Est-ce que dans le personnage de Coralie/Brooklyn (le personnage principal, ndlr), il y a une part d’autobiographie ?
On a beaucoup de points communs : elle est suisse comme moi, elle est passionnée par ce qu’elle fait, elle est très déterminée… Ce sont des choses qui m’animent beaucoup. Le personnage est fictif mais il y a des similitudes entre elle et moi, au niveau du caractère.
C’est ta première expérience cinématographique. Comment ça s’est passé ?
Le tournage était tellement intense ! Il y avait plein d’émotion. Je découvrais tout en même temps : comment marchait un film, comment on le tournait, comment gérer des acteurs… C’était génial. Tout était nouveau pour moi. Je devais être élève et en même temps maître de ce que je faisais car beaucoup de gens comptaient sur moi. Il y avait quelque chose de très particulier. Une expérience merveilleuse. L’équipe du film est devenue une famille. On avait tellement envie de faire quelque chose de beau avec ce film. Il y a des liens très forts qui se sont créés. J’avais l’impression d’être dans une petite bulle durant le tournage.
Les textes que tu rappes dans le film sont de toi ?
Oui, j’ai dû écrire les parties où Brooklyn rappe. En revanche, le reste des dialogues est improvisé. Beaucoup de scènes étaient d’ailleurs tournées au naturel (cinéma de guérilla, ndlr) et on avait des moments où l’on ne pouvait pas faire de seconde prise. Par exemple, la première scène où je chante devant 6 000 personnes, c’était un one shot. Il n’y avait pas de seconde chance. Le pire, c’est que ce jour-là, j’étais aphone. Toute la journée, j’étais superstressée, je devais monter sur scène, rapper, alors que je n’avais plus de voix. J’en ai pleuré, je n’avais jamais fait ça. Un ami m’a sauvée en me donnant un comprimé miracle : j’ai retrouvé ma voix pendant 30 minutes. Je suis montée sur scène, j’ai fait mon truc, et je suis ressortie sans voix. C’était hyperstressant, je tremblais, je ne savais même pas si au moment de prendre le micro, un son allait sortir.
Le film défend un rap au discours idéologique. Un rap qui est là pour dénoncer la misère sociale, la difficulté que rencontrent les plus démunis… Contrairement à un rap plus “gangsta”, où les sujets sont plus axés sur l’argent, les filles et les belles baraques. Tu défends toi aussi ces valeurs-là ?
Je suis une grosse mélomane, je veux vraiment tout écouter, tout respecter.
Un jour, un ami m’a dit : ‘T’es multifonctions, je vais t’appeler Couteau suisse.’ Mais ça sera bien KT Gorique qui figura sur mon album
KT Gorique
Après, ça ne sera pas forcement de la musique qui me parle ou ce que moi je vais faire. Il y a certains morceaux de rap avec des paroles violentes, agressives ou sexistes qui, en tant que femme et avec ma personnalité, ne me donnent pas envie de les écouter. Moi, je suis plus dans un style où j’essaye de rester fidèle à mes valeurs, à moi-même, d’exprimer vraiment ce que je ressens, les choses comme elles sont. Les gens apprécient ou pas, chacun interprète à sa manière. Le hip-hop, c’est tellement vaste ! C’est une culture, une manière de vivre, des valeurs. Les gens vivent hip-hop au quotidien.
Dans un de tes sons, Définition, tu t’attaques au capitalisme, que tu compares au colonialisme. Il y a une dimension politique dans tes textes ?
Je le pense. C’est quelque chose qui me touche. On vit tous dans le même monde. J’essaye de retranscrire les choses comme je les vis. Et à ce moment-là, j’avais besoin de dire ça. Ma musique est très introspective, engagée. Le rap, pour moi, est un moyen d’expression avant tout.
Tu parles également d’immigration. En tant qu’immigrée, qu’est ce que tu penses de la crise migratoire actuelle ?
La Suisse est un pays au milieu de l’Europe mais sa neutralité fait qu’on est beaucoup moins touchés. Malgré tout, l’immigration est un phénomène qui existe partout. Et les difficultés qui en découlent, étant moi-même une immigrée qui a grandi dans une famille avec une mère noire et un père blanc, ça m’a toujours dépassée. Je suis une enfant du monde. Ce sont des choses que je n’arrive pas à comprendre. J’ai grandi dans un univers tellement varié ! Je me dis qu’il est peut-être temps que les gens dépassent les barrières. On peut vivre unis. Rien qu’avec le hip-hop, on contribue à ça. Je suis partie faire un concert à Dakar, où les gens sont hip-hop partout, c’est un langage. À New York, j’ai rappé en Français, le public ne comprenait pas ce que je disais mais il vivait la chose. Ce sont des exemples.
Dernière question : pourquoi KT Gorique ?
(Rires) Au départ, c’était KT. Pendant mes impros, j’avais ma marque de fabrique qui consistait à faire plein d’assonances avec les deux lettres KT, des rimes : KTdrale, KTchèse… Souvent, il y avait l’avis KT Gorique qui revenait dans mes punchlines et c’est un peu automatiquement que les gens se sont mis à m’appeler comme ça. On m’appelle aussi Couteau suisse, parce que je fais du rap, du slam, du reggae, je peins et dessine également. Un jour, un ami m’a dit : ‘T’es multifonctions, je vais t’appeler Couteau suisse.’ Mais ça sera bien KT Gorique qui figura sur mon album, Tentative de survie, qui sortira en fin d’année.
Brooklyn, de Pascal Tessaud, en salle le 23 septembre.
Par William Thorp
Hier, a débuté la Coupe du monde de rugby en Angleterre. Avant le premier match des Bleus contre l'Italie, qui a lieu ce soir à 21h (20h locales), réviser quelques termes qui régissent la loi de la balle ovale ne fera de mal à personne.
Par Charles Alf Lafon, Antoine Mestres et Matthieu Pécot
Noir : couleur de l’espoir.
Drop : l’important c’est les trois points.
Pénalité : l’important c’est les trois points.
Générale : l’important c’est les trois poings dans leurs gueules.
Dan Carter : swag. Synomynes : Matt Giteau ou Georges Ford.
Rémi Tales : joueur qui affirme que, dans un triangle ABC, si M est un point du côté [AB], N un point du côté [AC], et si les droites (BC) et (MN) sont parallèles, alors : .
Raffut : arme secrète dans Jonah Lomu Rugby.
Tampon : nouveau magazine!
Mêlée : troupeau.
Touche : saute-mouton.
Plaquage : manière d’annoncer à son conjoint qu’on le quitte en l’attrapant brutalement par la taille.
Plaquage haut : manière d’annoncer à son conjoint qu’on le quitte à l’attrapant brutalement par le cou.
Plaquage cathédrale : agression peu orthodoxe.
Chandelle : cliché pas romantique.
Maul : gloubi-boulga de joueurs qui avancent.
Essai : gâteau.
Transformation : cerise.
Sergio Parisse : grand chef qui a inspiré Jean Imbert.
Première ligne : pilier de comptoir.
Deuxième ligne : pilier de comptoir sourd.
Troisième ligne : pilier de comptoir capable d’engager une conversation.
Demi d’ouverture : mec de l’équipe qui baise.
Trois-quarts centre : 75% François Bayrou.
Pilou-Pilou : macarena toulonnaise.
Serge Blanco : parrain de la thalasso.
PSA : Peugeot Citroën Anonyme.
Pick’n’Go : phase de jeu favorite des mecs qui ont abusé dans leur enfance du Pic-Nic Break.
Tatouage tribal : signe de ralliement au gang.
Océanie : centre du monde.
Passe volleyée : patate chaude.
Passe après contact : pratique courante dans certaines rues, souvent sombres.
Boue : milieu d’expression des avants.
IRB : franc-maçonnerie anglo-saxonne.
FFR : franc-maçonnerie du Sud-Ouest.
Haka : injonction visant à impressionner et/ou rabattre le caquet de son interlocuteur. Exemple : T’haka le faire si t’es pas content(e).
Marseillaise/Allez les Bleus : CD 2 titres des supporters du XV de France.
Volavola : expression utilisée pour faire comprendre à l’interlocuteur notre désir de mettre fin au dialogue.
Chabal : panneau publicitaire.
Michalak : moitié d’un chalak.
Coup de pied de recentrage : madeleine de Proust.
Impact player : joueur trop gros pour tenir 80 minutes.
Cadrage-débordement (aussi appelé cad-déb) : disparu. Remplacé par le tout-droit.
Vélo d’appartement : banc de touche.
Rugby : sport aristocratique anglais joué par dix pays dans le monde dont neuf du Commonwealth.
Par Charles Alf Lafon, Antoine Mestres et Matthieu Pécot
Mardi dernier, quelques privilégiés, fans de metal et journalistes venus de toute l'Europe, ont été invités à découvrir avec quelques jours d'avance le nouvel album d'Iron Maiden, The Book of Souls. Pour ça, ils ont fait le trajet tous ensemble depuis Cardiff jusqu'à Beauvais, dans un avion piloté par Bruce Dickinson lui-même. Embarquement immédiat.
Par Joachim Barbier / Photos : Louis Canadas
Ils sont 200 à piétiner d’impatience, avec leur “bracelet d’accès”. Même bouillonnement du côté des médias et des amoureux du groupe de Leyton après cinq longues années de silence. Erwan, 18 ans, qui n’a écouté “que Maiden” pendant quatre ans après que son père lui a refilé quelques disques à ses 12 ans, “espère qu’ils vont montrer qu’ils sont toujours là”. D’autant que le chanteur, Bruce Dickinson, se remet à peine d’une tumeur cancéreuse diagnostiquée l’hiver dernier. Samuel, l’autre gagnant français, lézardait en famille sur la plage de Nilaveli, au Sri Lanka, quand il a décidé de participer. Il admet: “Je ne connais pas une seule chanson mais je viens plus pour l’expérience. C’est pas seulement écouter un son, c’est le chanteur qui pilote et c’est l’idée de passer une bonne soirée au pays de Galles. Les Britanniques, c’est des bourrins mais ils savent faire la fête.”
Je ne connais pas une seule chanson mais je viens plus pour l’expérience
Samuel
Vu de loin, le seizième album d’une formation qui a débuté il y a presque 40 ans peut paraître anecdotique. Sauf que, comme le dit Morgan Rivalin, journaliste au magazine français Rock Hard, “la relève se fait toujours attendre. Ce sont toujours les mêmes qui remplissent les stades, des groupes de plus de 30 ans de longévité comme Maiden, AC/DC ou Metallica. Même si la jauge a baissé, les disques d’Iron Maiden ont toujours été certifiés ‘or’ jusqu’à maintenant.” À ses côtés ; son confrère suédois, Janne Mattsson, rédacteur en chef de Sweden Rock Mag, donne la mesure du statut persistant du groupe dans le pays scandinave: “Ils sont toujours énormes. De façon presque ridicule, d’ailleurs. Un nouvel album ou un concert fait la une des médias nationaux. Surtout depuis le retour de Bruce Dickinson.” Le chanteur avait quitté le groupe dans les années 90 pour se consacrer à des projets en solo et, accessoirement, dépenser son temps libre et ses droits d’auteur à d’autres passions parallèles, comme l’escrime et l’aviation. Dingue d’avions, il était revenu en 1999 au sein d’Iron Maiden avec son brevet de pilote en poche. Une expertise dont il profite pour acheminer fans ou matériel entre chaque date du grand barnum aérien que représente une tournée mondiale du groupe. D’où l’idée de ce vol entre Cardiff et Beauvais avec Captain Dickinson dans le cockpit.
Masques d’Eddie et bières dérivées
Dans le hall de l’aéroport, Sarah Phantom, chargée du management du groupe, rappelle qu’ils ont “toujours fait ce genre d’opérations. La première fois, c’était sur la tournée de Brave New World en 1999. [Ils] avai[ent] amené des fans qui avaient gagné un concours sur une date. Là, [ils se sont] dit que ce serait cool de les amener à Paris pour écouter l’album, d’autant [qu’ils n’ont] pas de tournée prévue cette année.” Lésé du voyage, Erwan, qui habite à Saint-Germain-en-Laye: “Je vais passer par Londres, Cardiff et Beauvais pour me rendre dans un studio qui est à dix minutes de chez moi (le studio Guillaume-Tell, à Suresnes, ndlr).” Devant la porte 11 de l’aéroport, il sort son appareil-photo pour, comme tout le monde, immortaliser l’avion posé sur le tarmac et floqué au nom du groupe et de l’album. La foule s’impatiente et crie “Maiden! Maiden!” pour faire avancer
Je vais passer par Londres, Cardiff et Beauvais pour me rendre dans un studio qui est à dix minutes de chez moi
Erwan
l’embarquement. Dans la queue, Jon et Domnic, deux quadra anglais de Bristol et de Manchester, ont payé 450 livres chacun pour se greffer au voyage de presse. “J’espère que cet album est un retour aux racines du groupe, dit Jon. Le dernier m’avait un peu ennuyé avec ses intro longues et mélodiques. Là, j’ai envie d’un truc direct.”
Le Bruce Air Flight 666 est prêt à décoller. Consignes de sécurité des stewards et des hôtesses, blondes et brushées, qui ont recouvert leur classique uniforme bleu marine d’une veste en jean bardée de patchs de groupes de metal. Bruce Dickinson sort une tête de sa cabine sous les applaudissements. Il prend le micro, annonce “Captain speaking” avant de se pincer le nez et d’entamer le thème du générique de l’émission du comique Benny Hill. Succès. Puis, il assure que “la chanson n’est pas sur le nouvel album”. Re-Succès. Les passagers enfilent des masques d’Eddie pour faire plaisir à un photographe de presse britannique. Distribution de canettes de “The Trooper”, la bière commercialisée par le groupe, avec les plateaux repas. Tous les rituels et les services d’un vol aérien ont été marketés avec les produits dérivés et l’iconographie d’Iron Maiden. “Aujourd’hui, avec la crise de l’industrie, les groupes et les labels ne peuvent plus se contenter de sortir des disques comme on vend des bananes. C’était le cas avant. Ils sont désormais obligés de monter ce genre d’opérations pour attirer l’attention des médias”, reprend Janne Mattsson, qui trouve que c’est “une très bonne idée d’amener tout le monde vers le studio” même s’il aurait préféré, tant qu’à faire, “que le groupe enregistre aux Bahamas”. Au bout d’une heure de vol sans escale ni turbulence, l’avion se pose doucettement sur la piste. Applaudissements pour l’habileté du commandant. Un passager gueule: “Let’s Rock!” La troupe s’enfile dans deux bus qui l’attendent sur le parking de l’aéroport low cost de l’Oise.
À l’entrée du studio, il faut laisser téléphones portables et appareils électroniques pour prévenir tout enregistrement pirate qui puisse court-circuiter la sortie de l’album trois jours plus tard (vendredi dernier). Tout le monde s’assoit sagement dans l’ancienne salle de cinéma reconvertie en studio face à une scène vide sur laquelle a été posé un kakémono à l’effigie de ce bon vieux Eddie. Les morceaux du double album s’enchaînent. Timides applaudissements entre chaque chanson. Pas de headbanging pendant. À la pause, premières impressions. Erwan : “La première chanson, j’ai cru que des gens chantaient dans la pièce d’à côté à cause de l’effet sur la voix.” Il refuse de se lancer dans la critique : “Faut jamais juger à la première écoute.” D’autant qu’il a déjà commandé le CD collector avec son boîtier métallique. Pour Jon, qui a pris des notes pendant l’écoute, “c’est excellent, du classique Maiden”. Bref, il y en a pour tous les goûts.
Mardi dernier, quelques privilégiés, fans de metal et journalistes venus de toute l'Europe, ont été invités à découvrir avec quelques jours d'avance le nouvel album d'Iron Maiden, The Book of Souls. Pour ça, ils ont fait le trajet tous ensemble depuis Cardiff jusqu'à Beauvais, dans un avion piloté par Bruce Dickinson lui-même. Embarquement immédiat.
Le championnat d'Europe de basket débute aujourd'hui. Et c'est ce soir (21h), à Montpellier, que les Bleus prouveront qu'ils méritent leur statut de favori, face à la Finlande. Mais avant de se plonger dans 15 jours de compétition, réviser la base de ce sport est un devoir.
Par Paul Bemer, Swann Borsellino, Marc Hervez et Matthieu Pécot
Double-pas : Marelle à deux cases.
Noah : fils d’Enfoiré.
Alley-oop : art de faire tourner un cerceau autour de sa taille.
Marcher : geste technique favori de Yohann Diniz.
Reprise de dribble : pas de danse préféré de LeBron James.
Crossover : moyen d’éviter les obstacles avec beaucoup plus d’élégance qu’au volant d’un 4×4.
Lancer franc : tir plutôt honnête.
Money-time : fin de mois en France, fin de semaine dans le monde anglo-saxon.
Rebond : pêche à la balle.
Buzzer : fin de la récréation.
Buzzer-beater : pirouette scénaristique post-générique de fin.
Dunk : action qui permet aux gros et aux grands maladroits de passer au zapping.
Smash : nom donné au dunk par les commentateurs de France Télévisions.
Bâche/cake : pièce de tissu imperméabilisé/gâteau.
Planche : équivalent de la roulette au baby-foot, du tir à la raspaille à la pétanque ou du pointard au football.
Extra-passe : heure supp’ pour le compte de DSK.
Zone : éducation défensive prioritaire.
Écran : mouvement tactile.
Temps mort : pause café avec du Powerade à la place du café s’il vous plaît.
Antoine Rigaudeau : maladie cervicale incurable dont souffre Nicolas Batum.
Trash-Talk : agression verbale.
Gasol : carburant espagnol.
Vincent Collet : Coco Suaudeau dans le corps d’un banquier de la Caisse d’Épargne
Tony P : poète incompris. Syn. : Sully Sefil, L’Algérino.
Gros short : équipe dont Boris Diaw est également le capitaine.
Dirk Nowitzki : grand blond avec des grandes chaussures noires.
Pro A : pôle emploi.
NBA : emploi.
Michael Jordan : créateur d’Airness.
Gelabale : solution coiffante pour ballon de basket.
Bague : prime de fin d’année.
Draft : foire aux bestiaux. Syn. : élection de Miss France.
Gobert : 1. Avalert quelque chose en aspirant et sans mâchert.
Clutch : équipier de Cltarsky.
Airball : montgolfière.
Cheerleader : majorette sans bâton mais avec du monoï.
Teodosic : lutin maléfique et actuel empereur du côté obscur.
Lauvergne : massif central.
De Colo : moniteur.
And one : cerise sur le gâteau.
Faute offensive : dommage collatéral.
Faute technique : faute pas du tout technique, en fait.
David Cozette et Georges Eddy : Benjamin Millepied et Natalie Portman.
Jacques Monclar : organe de toi.
Par Paul Bemer, Swann Borsellino, Marc Hervez et Matthieu Pécot
Hier, des tracteurs venus de loin avaient envahi les rues de la capitale avec, au volant, des agriculteurs venus crier sur tous les toits leur amour pour ce métier qui vaut de l'or mais ne rapporte pas beaucoup d'argent. Plus concrètement, réclamer l’allègement de leurs charges et l’exonération de leurs cotisations sociales. Rencontre avec ceux qui travaillent 60 heures par semaine pour 500 euros mensuels et sont prêts à se faire entendre malgré le bruit des moteurs.
Par Romane Ganneval et Léa Lestage / Photos : RG et LL
Jeudi 3 septembre, place de la Nation. Les drapeaux des principaux syndicats agricoles flottent au rythme de l’électro de Jabberwocky et Bakermat. Poussés par la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), son très controversé président, Xavier Beulin, et le mouvement des Jeunes Agriculteurs, 1 733 tracteurs et près de 7 000 agriculteurs ont pris d’assaut les rues parisiennes. Si la bonne humeur est au rendez-vous, cette réunion nationale révèle aux yeux de tout le mal-être des éleveurs, exploitants et autres producteurs qui n’ont pas eu d’autre choix que d’enfourcher leurs bolides dernier cri pour venir protester là où tout se décide.
Zoom sur… Sylvain, 41 ans, Côtes-d’Armor
Sylvain est venu là pour se faire entendre. Et se faire voir.
“Aujourd’hui, l’agriculture est en danger. On n’arrive plus à vivre. En Normandie, 50% des agriculteurs vivent en dessous du seuil de pauvreté.” Cette réalité, lâchée par une éleveuse de vaches laitières dans le tumulte de la foule, est aussi celle de Sylvain.
Sylvain fait dans la Charolaise, la “vache à viande”, comme il dit. Il est assis, une bière à la main, son teint hâlé en guise de témoignage de son travail aux prés. S’il est là aujourd’hui, c’est parce qu’il n’arrive plus à joindre les deux bouts. “J’ai une activité à côté, l’agriculture ne me permet plus de vivre”, souffle-t-il. Il est parti mardi des Côtes-d’Armor pour rejoindre la capitale. Un voyage éreintant. “Je suis crevé, on n’a fait que trois pauses pendant le trajet.” Le cortège venu de Bretagne n’a pas fait dans la demi-mesure. Plus d’une centaine de véhicules, roulant à 35 km/h en moyenne, avec à bord une communauté agricole qui se serre les coudes. “Il y avait une super ambiance tout au long du trajet, un camion traiteur faisait la route avec nous pour nous nourrir bénévolement”, se réjouit Sylvain. Une bonne humeur et une solidarité qui ne font qu’amplifier la motivation de Sylvain : “Il faut que nos revendications aboutissent à des projets concrets. On devrait rester à Paris jusqu’à ce qu’on ait ce qu’on réclame. Et si ce n’est pas suffisant, on monte à Bruxelles.”
Zoom sur… Victor et Jules, 27 et 25 ans, Charente
Jules et Victor (assis, en bleu et en noir).
Victor, 27 ans, et Jules, 25 ans, viennent de Charente, de Confolens exactement, à côté d’Angoulême. Ils se sont levés à 1h pour pouvoir attraper le car de 3h. S’ils ont bien croisé quelques tracteurs sur la route, il n’y a pas eu de convoi organisé au départ de leur département, et à Paris, ils ne sont qu’une quinzaine de Charentais.
Fils d’éleveurs de vaches laitières et de vaches à viande, Victor et Jules sont ici pour contester les prix de vente de leurs produits, trop faibles pour “continuer à faire tourner la baraque”, même s’ils sont sceptiques quant aux discussions des politiques et du représentant de la FNSEA, Xavier Beulin. Les aides prévues pour les agriculteurs par Manuel Valls, notamment les aides à l’investissement, ne sont, selon eux, pas suffisantes. “Ca ne changera rien, on n’y croit peu à leurs promesses d’aides”, accuse le premier. “Il faudrait rester plus longtemps pour se faire entendre, au moins jusqu’à lundi. Parce que là, ça ne va servir à rien”, déplore le second. Plus tard, ils aimeraient reprendre l’exploitation de leurs parents, mais aujourd’hui, leur avenir est incertain. “On baigne dedans depuis qu’on est tout petits. Envisager un autre avenir, c’est compliqué, même si on commence à y songer de plus en plus.” En 2012, ils étaient plus de 50 000 adhérents au syndicat des Jeunes Agriculteurs, soit la moitié des agriculteurs de moins de 35 ans.
Zoom sur… Jérôme, 50 ans, Loiret
Jérôme est bavard, souriant, mais résigné. Il affiche le visage de celui à qui on ne la fait pas. Agriculteur depuis 32 ans dans la culture de betteraves à sucre dans le Loiret, il évoque les manifestations de 1992 contre les réformes de la politique agricole commune (PAC). “À l’époque, on brûlait des pneus, on avait organisé des opérations escargot dans tout le pays. On voulait paralyser la France entière, éveiller les consciences. Les barrages avaient été rompus avec l’envoi de gaz lacrymogène. J’ai encore des impacts de Flash-Ball sur un ancien véhicule.” Vingt-trois ans plus tard, sur le cours de Vincennes, aucun débordement n’est à signaler.
Parti à 4h30 ce matin de son exploitation, Jérôme a rejoint en début de matinée une quarantaine de tracteurs à Auvernaux, à quelques kilomètres d’Évry. “C’était comme un départ de rallye Paris-Dakar, les gens nous faisaient des signes, nous photographiaient ! Ce n’est pas tous les jours qu’on voit des tracteurs dans Paris.” Engagé, Jérôme explique la galère administrative du métier d’agriculteur. “Avant d’aller semer des graines de colza, je dois remplir des dizaines de papiers. On risque des contrôles à tout instant. C’est comme vivre avec une épée de Damoclès en permanence au dessus de soi. Pas étonnant que les jeunes ne tiennent plus la pression.” Car pour s’en sortir aujourd’hui quand on est agriculteur, il faut avoir le sens des affaires. Jérôme regrette l’évolution des pratiques : “On est devenus de véritables entrepreneurs.” Son visage se ferme. “Etsi un contrôle ne se passe pas bien, nos aides sont supprimées et on ne peut plus rembourser nos prêts bancaires.” Si la place de la Nation a été parfaitement aménagée pour pouvoir accueillir cette manifestation exceptionnelle, l’agriculteur du Loiret à quand même cette pénible impression d’avoir été écarté du centre de Paris jusqu’à sa périphérie : “Avec mes collègues, ont auraient préféré rouler sur les Champs-Élysées et s’arrêter place de l’Étoile. On aurait eu la sensation d’avoir vraiment envahi Paris.”
Zoom sur… Damien et Luc 20 et 22 ans, Finistère
Damien et Luc posey sur leur Monster Truck.
Damien et Luc ont respectivement 20 et 22 ans. Le premier, coquet, a relevé ses cheveux avec du gel et décoré son oreille gauche d’un faux diam’s ; il cultive des choux, pommes de terres, échalotes, carottes et autres potimarrons avec son père. Le second, qui porte une veste sans manche un peu usée, s’est greffé à une exploitation de porcs il y a trois ans et rêve un jour de pouvoir ouvrir sa petite affaire.
Comme Sylvain, ils ont pris la route mardi matin, après avoir pris le soin de décorer leurs bolides de drapeaux bretons et d’affiches en carton peintes à la bombe fluorescente sur lesquelles on peut lire les slogans “Laissez-nous travailler ! ”, “Pas de nourriture, sans agriculture ”, “1 sur 2 mis en terre ”… Ils sont partis à 11h de Morlaix avec un premier cortège de 70 véhicules, puis ont suivi la RN12 jusqu’à Guingamp, où ils ont fait une première escale. Sur chaque tracteur, des binômes se sont relayés pour arriver en forme à Paris ce jeudi, 535 kilomètres à 30 km/h plus tard. “On a fait quelques pointes à 40, se satisfait Damien. Mais c’est un voyage interminable.” Tout au long de leur parcours, ils ont été encouragés et applaudis par des curieux et des habitants des communes traversées. Luc assure que “jusqu’à 3h du matin, ils étaient là. C’était fou. [il ]était très étonné.” Mercredi soir, ils se sont tous arrêtés dans une ferme près de Versailles à 40 kilomètres de Paris, avant de reprendre la route au petit matin. “L’accueil des Parisiens a été exceptionnel. On a eu très peur du clivage entre monde rural et milieu urbain. Aujourd’hui, j’ai compris que les citadins se rendent compte qu’ils mangent ce que nous produisons et nous respectent pour ça. C’est vrai qu’on a souvent de mauvais a priori sur les habitants des grandes agglomérations. On est des culs terreux pour certains, du moins, c’est ce qu’on pensait.” Rien que pour ça, les deux amis ne regrettent pas le voyage, avec cette impression de ne plus être isolés dans un quotidien rythmé par les travaux agricoles. “Venir ici, c’est comme jouer au Loto : on a très peu de chances de gagner, mais il y a toujours un espoir”, image Damien. Mais l’espoir a parfois ses limites. Il est 16h et les annonces faites par Xavier Beulin n’ont pas su séduire ces jeunes agriculteurs, qui considèrent d’ailleurs le président de la FNSEA comme le porte-parole du gouvernement. Les visages déçus regardent le béton. “On aimerait rester, mais on est obligés de partir pour des raisons logistiques. Notre travail ne nous permet pas de rester très longtemps loin de chez nous…” Malgré l’appel du président des Jeunes Agriculteurs du Finistère à un prolongement du trajet pour une mobilisation à Bruxelles, Damien et Luc feront demi-tour. “Il faut arrêter de nous prendre pour des cons.”
Sur le chemin du retour, les drapeaux du syndicat des Jeunes Agriculteurs sont en berne mais les drapeaux bretons flottent avec fierté. “Personne ne peut nous enlever notre véritable identité.” Et leur profession? “J’ai choisi ce boulot parce que, justement, ce n’est pas un métier mais une vocation, rappelle Damien. Sinon, il y a bien longtemps que j’aurais arrêté de cultiver des légumes qui me coûtent 40 centimes le kilo et que je dois laisser partir à 5 centimes. C’est fou, on bosse à perte. Vous savez ce que c’est un bon mois chez nous? 500 euros !” Lui et Luc se lèvent tous les matins à 6h. À eux deux, ils travaillent plus de 150 heures par semaine. C’est une vocation, certes, mais ils ne savent pas encore combien de temps ils pourront tenir.
Par Romane Ganneval et Léa Lestage / Photos : RG et LL
Pin's, débats, joue de bœuf braisée et cartes de visites à tout va, l'université d'été du MEDEF, rendez-vous incontournable pour les chefs d'entreprise qui souhaitent mêler l'utile à l'agréable, a une fois de plus fait de nombreux "repentis" heureux ces deux derniers jours. Rencontres.
Par Jean-Marie Godard / Photo : Romuald Meigneux
Emmanuel Macron, le ministre d’État anglais, Matthew Hancock, et le président du MEDEF, Pierre Gattaz, à la cérémonie de clôture.
Dans quel grand parc arboré, en France, à la fin de l’été, peut-on rencontrer la reine de Jordanie, Rania al-Abdullah, mais aussi des ministres français et étrangers anciens et en exercice –Emmanuel Macron pour n’en citer qu’un– une sœur, le chef d’état-major des armées, des artistes, des sociologues, des patrons de think tank, des sénateurs, des élus locaux de tous bords politiques, des étudiants, des gérants de start-up et les frères Bogdanov, tout en assistant à des débats socio-économiques de bonne tenue en déambulant au milieu de 5 000 personnes, et finissant la soirée sur un dance floor géant en pleine air ? Eh bien, sur le campus HEC de Jouy-en-Josas, dans les Yvelines. Bienvenue à l’université d’été du MEDEF–consacrée cette année au thème de la jeunesse–, the place to be du monde socio-politico-économique français et international où le gratin du libéralisme (mais pas que) se presse chaque année, deux semaines avant la fête de l’Huma.
À la différence de cette dernière, ici, ni stands syndicaux ni espace Ernesto Che Guevara, pas plus de kebab, de sandwichs merguez, de discours de lutte politique ou de grand concert. Sur les pelouses bien tondues et un peu cramées par le soleil
On voit quand même que c’est la crise. Les années passées, on nous distribuait des polos
Un participant
du verdoyant campus HEC, on lit plus volontiers L’Opinion que L’Humanité, d’ailleurs (même si toute la presse est disponible en salle du même nom), et on s’habille plus complet-cravate-tailleur que jean-baskets. Ici, on doit aussi montrer patte blanche et pour entrer, chacun a son petit badge avec attache à code couleur spécifique : rouge pour le staff, blanc pour les participants, jaune pour la presse.
Business is business : tous les stands installés pour l’occasion, ceux des nombreux sponsors de l’événement, ont avant tout pour vocation de faire la promo de leur activité. On quittera d’ailleurs les lieux bardé de pin’s, de sacs de toile, de carnets de notes, de stylos, et coiffé d’un joli Panama factice publicitaire frappé du logo d’une grande assurance complémentaire privée, après s’être fait tirer le portrait sur le stand le plus couru de l’événement : un photomaton du célèbre studio Harcourt, où l’on s’installe après être passé entre les mains d’une maquilleuse. On pourra aussi suivre un cours de stretching et se faire masser à l’espace détente d’une grande marque de cosmétique. Ou encore se voir remettre un flyer d’une marque de costumes et déguisements par un être déambulant dans les allées vêtu d’une moulante combinaison bleue digne d’une soirée Démonia. “On voit quand même que c’est la crise. Les années passées, on nous distribuait des polos”, râle tout de même un participant, entre les stands de café et de mini-viennoiseries.
Réseauter à mort et débattre beaucoup
Bon, mais sérieusement, à quoi sert l’université d’été du MEDEF, si ce n’est à entendre une énième fois le grand maître des lieux, Pierre Gattaz, répéter que le Code du travail, “c’est le fléau numéro 1 des patrons français” et fustiger les taxes dans un discours d’ouverture à l’américaine, déambulant sur scène sans pupitre ni fiche devant un parterre de 2 000 chefs d’entreprise, petite ou grande, conquis ? “Ça sert à faire du réseau, et pour les entreprises à donner des informations sur ce qu’elles font”, répond un jeune croisé au pied de l’escalier d’un stand tandis que, comme en écho, un peu plus tard dans un couloir, on entend un participant demander à un autre dans une pure novlangue : “J’t’ai shooté mes coordonnées ?”
C’est aussi un lieu de débats avec des intervenants d’horizons très variés. On note ainsi sur le programme d’une des conférences de cette grand-messe, un débat intitulé “Ni dieu ni maître”, la présence de sœur Nathalie Becquart, que l’on s’attend à trouver habillée en religieuse. Mais non, on retrouve cette Xavière (nom d’une communauté qui correspond un peu à l’équivalent féminin des Jésuites) vêtue d’un pantalon et d’une chemise claire à fleurs, au détour du stand dédicaces où voisinent sur des tables des ouvrages consacrés aux ressources humaines, la dernière encyclique écolo du pape François et des romans. “Le thème général de l‘université, ‘Formidable jeunesse’, est très intéressant, explique cette membre du comité d’organisation des JMJ. Quelles que soient les instances, on a toujours besoin de rassemblements pour échanger avec des pairs. Nous avons la même chose dans l’Église, pour échanger, confronter des idées, des expériences. Et il y a un soucis du MEDEF de ne pas rester en vase clos, de croiser le social, le politique et l’économique.”
“Ici, on n’accepte que les repentis”
Comme le rappelle un “historique”, ancien du MEDEF, “le créateur de tout ça, c’est Denis Kessler”, étudiant d’HEC dans les années 70, alors membre de l’Union des étudiants communiste et devenu notamment vice-président du MEDEF à la fin des années 90, pourfendeur de Martine Aubry et des 35 heures, aujourd’hui PDG du groupe SCOR. “Le monde patronal et le monde intellectuel n’ont jamais fait bon ménage, alors que l’entreprise comme composant de la société se devait d’échanger, de débattre avec les milieux intellectuels. Il a fallu l’arrivée au MEDEF d’un Denis Kessler, qui est de formation initiale intellectuelle, pour créer cette rencontre nécessaire entre ces mondes différents. Aujourd’hui, ça reste un formidable lieu d’échanges. Il y a 5 000 personnes.”“Bon, c’est aussi une opération de com’ au sens américain du terme”, reconnaît-il.
Et les patrons, ils en pensent quoi ? “Moi, j’adore venir ici. C’est une pause, un
Bon, c’est aussi une opération de com’ au sens américain du terme
Un ancien
temps où l’on prend le temps de débattre de questions qu’on ne se pose pas habituellement en tant que chef d’entreprise. Après, ce qu’on en fait par la suite, c’est la démarche personnelle de chacun. Mais le meilleur moyen de rentabiliser ce temps, c’est de transmettre à ses collaborateurs les réflexions de ce moment de recul”, dit l’un d’entre eux. “Il y a du politique et du sociologique. Le politique, ça change pas, on a l’habitude, balance un de ses collègues sur un ton mi-blasé, mi-exaspéré. Le sociologique en revanche, c’est intéressant parce que ça permet d’entendre les tendances de la société.”
Mais l’outil incontournable de l’UE du MEDEF reste la carte de visite, grande, petite, avec ou sans logo, personnelle ou professionnelle. Des milliers s’échangeront durant ces deux journées. “À part mon téléphone, je n’ai que ça dans ma poche”, glisse en riant un entrepreneur. Et entre les débats, le côté “Salon de l’entrepreneuriat” et la fête de fin de soirée, pour parfaire son carnet d’adresses et peut-être un jour décrocher un contrat ou trouver un Business Angel, il y a… le cocktail. En ce début de soirée de mercredi, sous un ciel un peu menaçant après une belle journée ensoleillée, sur la pelouse au cœur du parc, on y discute de manière informelle en sirotant un whisky, un vin cuit ou un alcool anisé, devant un open-bar sur une grande table ouverte d’une nappe d’un blanc immaculé. Avant de s’asseoir pour un dîner de 1 100 couverts sous chapiteau et de faire plus ample connaissance autour d’une entrée de saumon mariné et de tagliatelles de légumes, suivie d’une joue de bœuf braisée accompagnée d’un écrasé de pommes de terre, pour finir avec un assortiment de desserts.
Bon, les autres années à l’université d’été du MEDEF, on croisait régulièrement des têtes de pont syndicales dans les débats ou de grosse personnalités pas forcément Médéfo-compatibles, comme Daniel Cohn-Bendit. Cette année, on n’y a vu que la CGC. Un Alain Krivine ou un Olivier Besancenot invité de l’université d’été du MEDEF, c’est possible ? Rire de notre guide historique : “Nan, ici on n’accepte que les repentis.”
Par Jean-Marie Godard / Photo : Romuald Meigneux
Vendredi, Netflix diffusera les dix épisodes de la saison 1 de Narcos, sa nouvelle série originale consacrée à la vie de Pablo Escobar. Une série qui dépeint le moment, à la fin des années 80, où ce dernier s’est tourné vers le trafic de cocaïne et a gagné des milliards de dollars en inondant le marché américain de poudre blanche. Wagner Moura, l’acteur brésilien qui a enfilé les habits du baron de la drogue pour l’occasion, raconte.
Par Jonathan Vayr
NARCOS S01E06 » Eplosivos »
Comment avez-vous réagi lorsque vous avez appris que vous joueriez Escobar ?
José Padilha (le réalisteur, ndlr) est un de mes très bons amis, nous avons souvent travaillé ensemble. Quand il m’a proposé le rôle, le problème était que je ne parlais pas l’espagnol et j’étais plutôt fin. Mais José me faisait malgré tout confiance pour jouer Pablo donc j’ai commencé à étudier la langue et j’ai pris dix kilos. Je ne les ai pas perdus depuis, j’espère qu’il y aura une saison 2… Initialement, l’idée était de tourner la série en anglais, ce qui ne me posait pas de problème : je pouvais le faire en anglais avec un accent. Mais après coup, ils ont décidé qu’ils voulaient le faire en espagnol. Une décision intelligente pour la série mais j’avoue que moi, j’ai un peu paniqué. Ça s’est finalement très bien passé, notamment grâce à mon coach qui m’a suivi partout pendant le tournage.
Vous connaissiez l’histoire du personnage avant ça ?
Pas du tout. En réalité, j’avais juste cette image d’un homme un peu obèse qui était un des pires criminels du XXe siècle mais je ne savais quasiment rien sur lui avant la série. J’ai donc lu tout ce qui a été écrit et j’ai essayé de tout savoir sur lui. Il y a énormément de livres, peut-être 20 ou 25, la plupart n’ont pas été traduits de l’espagnol. Presque tous les gens qui ont vraiment fréquenté Pablo ont écrit sur lui : sa femme, son fils, son frère… Et ce qui est intéressant c’est que tous racontent leur propre version ; il y a beaucoup de contradictions entre les livres. J’ai dû prendre un peu de chaque version pour pouvoir créer mon propre Pablo.
Qu’avez-vous appris sur son enfance pendant vos recherches ?
C’était un enfant issu d’une famille pauvre ; son père était paysan et sa mère professeure. Mais surtout, il a grandi dans la violence. La Colombie était un pays violent bien avant le narcotrafic : les deux principaux partis politiques s’affrontaient à coups de couteau à l’époque. Lorsque le leader du parti libéral a été assassiné en 1948, ça a provoqué une guerre civile avec des centaines de milliers de morts. Pablo a grandi en voyant des gens se faire tuer, son environnement a toujours été violent. D’ailleurs, il n’a jamais menti à sa famille, il disait toujours : “Je suis un méchant, je suis un bandit.” Il avait même demandé à ce que le jour où il mourrait, soit inscrit sur sa tombe : “J’ai été ce que j’ai toujours voulu être dans ma vie : un bandit.” De mon côté, c’était acteur.
Le culte de Pablo Escobar est encore présent pour certaines personnes en Colombie aujourd’hui. Vous l’avez ressenti ?
Avant même de signer avec Netflix, j’ai voulu aller sur place pour voir l’endroit ou Pablo avait vécu. Je me suis donc rendu à Medellín, tout seul, et je suis allé à Barrio Escobar, l’endroit où il avait construit des centaines de maisons pour les donner aux pauvres. Quand vous allez là-bas, la première chose que vous voyez, c’est un mur avec le visage de Pablo et celui de Jésus-Christ. Depuis l’extérieur,
J’avais juste cette image d’un homme un peu obèse qui était un des pires criminels du XXe siècle
Wagner Moura
vous pouvez voir que toutes les maisons ont des photos de Pablo à l’intérieur et si vous dites du mal de lui là-bas, ça peut vraiment mal se passer pour vous. En même temps, il faut se mettre à la place de ces gens : ils sont très, très pauvres, personne ne se soucie d’eux et tout à coup, quelqu’un arrive et leur donne une maison. Bien sûr, la très grande majorité du pays a un regard critique sur Escobar mais pour eux, Pablo, c’était cette personne généreuse avec eux, pas le criminel qui a tué des milliers de personnes.
Dans les endroits où l’État ne rentre qu’avec la police, ce sont les trafiquants de drogue qui contrôlent la communauté. Ils se voient un peu comme ceux qui prennent la place là où l’État est absent : ils résolvent les problèmes entre les voisins, vont donner des choses à ceux qui en ont besoin, faire leur propre justice. Là-bas, les gens détestent la police car elle représente le visage de la violence. Le Brésil et la Colombie ont beaucoup de similarités sur ce point, la police est surtout là pour protéger l’État contre les pauvres. C’est pour ça qu’à mon avis, c’est facile pour eux de se sentir proches d’une figure qui ne représente pas l’État. “Cet homme a une mitraillette mais il donne des médicaments à mon fils, alors merde à la police.”
C’était dangereux de tourner en Colombie ?
Nous n’avons pas eu de problème pendant le tournage. Mais oui, ça peut être dangereux pour n’importe qui dans la rue, vous pouvez vous faire agresser, voler, ça peut arriver. Mais bon, étant brésilien je suis habitué à ce genre de choses. Cela dit, tout le monde nous a soutenus lorsqu’on faisait la série, les Colombiens et l’État nous ont beaucoup aidés. Ils pensent que c’est important de raconter le passé pour éviter que cela ne se reproduise dans le futur. En Colombie, tout le monde connaît quelqu’un qui s’est fait tuer par Pablo Escobar, il est l’inventeur du narcoterrorisme. Bogota était la ville la plus dangereuse du monde quand il était actif, ce gars a fait exploser un avion pour tuer un seul homme. C’est impressionnant de voir comment ils ont tout reconstruit, mais les cicatrices sont encore vives.
Selon vous, quelles étaient les motivations de Pablo Escobar ?
Il n’y avait pas que l’argent, il était très différent du reste du cartel de Medellín. Pablo voulait être accepté, il voulait qu’on l’aime. Il voulait être le présent et le futur de la Colombie et il y pensait en être capable. Je pense qu’il voulait vraiment faire tout ce qu’il pouvait pour aider les pauvres. Les différences de richesses sont toujours l’un des plus gros problèmes de nos pays. Pablo était l’homme le plus riche du pays mais il n’était pas accepté. Ses enfants ne pouvaient pas aller aux écoles de l’élite, il ne pouvait pas aller au country club. Donc, je pense qu’une partie de son combat contre l’État était en fait un combat contre l’élite de la société colombienne.
Par Jonathan Vayr
Chaque année, les tempêtes et autres typhons maltraitant les cargos, plus de 10 000 conteneurs se détachent de leur embarcation et déversent leur contenu en tombant dans l'eau sans que l'on puisse rien y faire. Retour sur les déchargements improvisés les plus fous.
Par Romane Ganneval
Des baskets Nike (mai 1990)
Une tempête au sud de la péninsule de l’Alaska emporte quatre conteneurs qui libèrent 61 000 paires de Nike. Fin novembre de la même année, à quelques jours de Thanksgiving, des centaines de chaussures s’échouent sur les plages au nord de l’État de Washington.
Bon à savoir (au cas où) : les chaussures peuvent flotter dix ans et sont portables après avoir passé trois ans en mer.
Des canards en plastique (janvier 1992)
Un porte-conteneurs fait naufrage entre Hong Kong et la côte est des États-Unis et perd une partie de sa cargaison : pas moins de 28 000 canards, quelques tortues, grenouilles et castors en plastique. Fasciné par ce faits divers, l’écrivain américain Donovan Hohn décide alors de partir à la recherche des canards jaunes. Il en tirera un livre : Moby Duck.
Des gants de hockey (1994)
Deux conteneurs de six mètres par douze tombent à l’eau au milieu du Pacifique. Quelques mois plus tard, on retrouvera environ 34 000 gants de hockey, plastrons et protège-tibias échoués sur la côte entre l’Oregon et l’Alaska.
Des LEGO (1997)
Le porte-conteneurs Tokyo Express navigue au large de la Cornouailles en direction de New York lorsqu’il est soudainement frappé par une vague d’une très grande puissance. Le bateau tangue et perd 62 conteneurs. L’un d’entre eux contient 4,8 millions de pièces de LEGO, qui se dispersent dans les eaux salées avant de terminer leur route sur les plages anglaises. Près de vingt ans après l’accident, des petites palmes, petits gilets de sauvetage, petites pieuvres et autres petites bouteilles de plongée du constructeur de jouets danois continuent encore de s’échouer sur le sable.
Des Doritos (30 novembre 2006)
Des biscuits salés Doritos partout, gratuits et en parfait état. Les promeneurs des côtes de Caroline du Nord n’en reviennent pas. Ils se passent le mot et, aidés par des centaines de mouettes, nettoient entièrement les côtes en quelques jours.
Des motos (21 janvier 2007)
Naufrage du cargo MSC-Napoli face aux côtes de Branscombe en Angleterre. La nuit, certains viennent voir ce que la mer leur offre et trouvent… seize énormes motos BMW 1300, flambant neuves. Dans cet article du Monde écrit à l’époque, l’employé de l’auberge voisine, qui avait “choisi la bleue et n’en (revenait) toujours pas”, témoignait : “Une moto à 25 000 livres! Et vous ne me croirez pas : il y avait les papiers dessus, de l’essence dans le réservoir, la clef de contact prête. Je suis parti avec ! »
Du lait en poudre (octobre 2011)
Brisé à 22 kilomètres au large de Tauranga (Nouvelle-Zélande) après avoir touché un récif en pleine tempête, le porte-conteneurs Rena libèrent 300 conteneurs, selon les autorités dont au moins cinq seront retrouvés à Waihi Beach. Avec eux, des dizaines de sacs de lait en poudre.
Par Romane Ganneval
Samedi, amarré dans la rade de Toulon, le porte-hélicoptère Mistral accueillait le Red Bull King of The Rock. Un tournoi de basketball en un contre un qui a enflammé la Marine nationale. Au sens propre.
Par Paul Bemer / Photos : Julien Nicolas pour Society
Il est un peu plus de 15h dans la rade de Toulon samedi et la barrière qui garde l’accès principal du port militaire n’en finit plus de s’affoler. La faute à une petite tente installée à l’entrée qui, à défaut d’afficher les emblèmes de la Marine nationale, arbore le logo de la marque qui donne des ailes. Une tente qui sert surtout de point de rendez-vous à tous les acteurs de ce Red Bull King of The Rock. “C’est n’importe quoi aujourd’hui ! Journée portes ouvertes ! Surtout qu’on est en Vigipirate rouge…”, bougonne l’homme chauve que l’on peut qualifier de physio des lieux et qui, avec son marcel laissant apparaître la Corse ainsi que l’écusson au muguet du Rugby Club Toulonnais accompagné de la mention “Parce que Toulon” tatoués sur ses biceps, ne porte pas tout à fait l’uniforme réglementaire. Bref. Une fois “La Boule” locale contournée, c’est le lieutenant de vaisseau, Magali Chaillou, qui, en sa qualité d’officier de communication de la force d’action navale, fait faire le tour du propriétaire.
Ball île en mer.
Dix minutes de trajet où l’on apprend que la base est une “ville dans la ville qui s’étend sur près de 270 hectares et fait travailler environ 12 000 personnes”. Mais surtout que “la Marine nationale se réjouit d’accueillir un tel événement sur l’un des fleurons de sa flotte”. Le fleuron, justement, le voici qui pointe enfin le bout de son quai d’amarrage : le BPC Mistral, pour Bâtiment de projection et de commandement. Soit 22 000 tonnes d’acier qui servent, pêle-mêle, de porte-hélicoptères, de plate-forme de commandement, d’hôpital et qui renferment aussi “des engins amphibies permettant aux troupes de débarquer sur une plage. Exactement comme en Normandie pendant la Seconde Guerre mondiale”, dixit le lieutenant Chaillou. Sauf que cet après-midi, c’est un tout autre débarquement que les 180 marins du Mistral attendent de pied ferme.
Barack Obama, Rudy Gobert et pompons rouges
Créé en 2010, le Red Bull King of The Rock est un tournoi de streetball en un contre un. C’est surtout le premier et seul événement sportif à avoir été organisé… dans l’enceinte de la prison d’Alcatraz, aka “The Rock”, d’où son nom. Délocalisé ensuite à Taïwan puis Istanbul pour ses éditions 2014 et 2015, l’événement regroupe tout simplement les meilleurs joueurs de one on one de la planète, sélectionnés dans 21 pays allant de l’Angola à la Moldavie, en passant par la Chine, l’Argentine, le Liban ou encore la Russie. Et, donc, la France, Toulon accueillant la finale nationale après des qualifications organisées dans six villes de l’Hexagone.
1 contre 1 devant 100, ça fait combien ? Pas 11-0.
Dans le réfectoire du porte-hélicoptère, qui sert de salle de vie à l’équipage, les calots et autres pompons rouges de la Marine ont laissé place aux New Era siglées Red Bull. Entre le papier peint bambou/bouddha qui aide peut-être les soldats à trouver la plénitude par mer agitée et le cuistot qui colle des vannes à ses “invités”, l’ambiance est décontractée. “On a essayé de s’inspirer de ce qui se fait dans le championnat universitaire américain, où la NCAA (National Collegiate Athletic Association, ndlr) a pour coutume d’organiser des matchs sur un porte-avions de l’armée US, détaille Ibrahima Kandé, l’organisateur de l’événement. Là-bas, c’est tellement important que même Obama vient y assister.” Ici, en revanche, ça l’est un peu moins. Pas de trace de François Hollande. Même Monsieur le Maire et son adjoint aux sports n’ont pas daigné se déplacer. Idem concernant le parrain de l’évènement, Rudy Gobert (joueur français du Jazz d’Utah en NBA), retenu aux États-Unis par sa franchise et qui a dû déclarer forfait au dernier moment. Tant pis pour eux.
Les quatre fantastiques
Les règles sont simples : l’engagement se joue au shifumi, les matchs durent cinq minutes, avec une prolongation de deux minutes prévue en cas d’égalité. Si un joueur prend un 11-0 sec, il sort direct et n’a plus qu’à se jeter à la mer sous les huées du public. Un saut d’une vingtaine de mètres, tout de même, auquel même les plus showmen ont vite renoncé.
Sur les cinquante joueurs qui font leur entrée ce jour-là sur le pont par le monte-charge réservé habituellement aux hélicoptères de combat, quatre ne sont pas passés par les qualif’. Et pour cause, ces quatre fantastiques font partie de la Marine nationale, ont été sélectionnés par l’état-major et invités au tournoi sur wildcard. Anthony, qui va bientôt devenir détecteur anti sous-marin ; Cédric, second maître ; Valmy, le seul marin affecté au Mistral ; et surtout Pierre-Lucas, second maître affecté sur la frégate Guépratte et très bon joueur amateur qui devrait disputer les Jeux mondiaux militaires de basket organisés en Corée du Sud du 2 au 9 octobre prochains.
Évidemment, lorsqu’on leur demande qui a le plus de chance d’aller au bout, trois index pointent de concert vers ce dernier. À raison. Pierre-L, comme l’a surnommé Jamil, le speaker de l’événement, déchaîne les foules jusqu’à sa son élimination en huitièmes de finale face au vainqueur de la qualif’ parisienne. Deux victoires en prolongation font de lui la vraie star du tournoi, acclamée par ses collègues marins à chaque panier marqué. Tout comme Valmy, le régional de l’étape et seul marin à n’avoir jamais joué en club. “D’un autre côté, je suis le seul à avoir été formé uniquement sur les playgrounds. Le seul joueur de streetball de la Marine, c’est moi”, plaisante-t-il en montrant ses sneakers vintage époque Kevin Garnett. “Mes KG, je les ai achetées à Baltimore en 2001, la dernière fois que je les ai portées, c’était en 2004.” Ce qui tend à expliquer pourquoi, objectivement, Valmy est le joueur le moins talentueux du tournoi. Balayé dès le premier match en s’étant fait dunker deux fois sur le scalp. Pourtant, Valmy a reçu les encouragements (et donc une forme de coup de pression) du commandant Benoît de Guibert, seul et unique maître des lieux, et s’est préparé en poussant de la fonte dans la salle de muscu du Mistral, entre un poster du film 300 et des punchlines comme “Tout le monde veut gagner, mais pas tout le monde veut se préparer à gagner” ou “La douleur s’en va, la fierté reste” placardés sur les murs.
Quatre Marines et un hashtag.
Monsieur l’ambassadeur
Autour du Mistral, un zodiac de la Marine patrouille sans relâche. “Pour éviter que des curieux ne s’approchent du navire, mais aussi pour venir en aide à quelqu’un qui tomberait”, explique Ibrahima Kandé. Au vrai, la patrouille secourra surtout deux ballons qui tenteront d’échapper aux 70 degrés qu’affichent les 200 mètres de tarmac brûlés par le soleil. Une véritable fournaise avec pour seule zone d’ombre une tente, où les organisateurs ont prévu beaucoup de Red Bull mais très peu d’eau. Santé oblige, au bout d’une demi-heure de compétition, même les joueurs en plein ramadan se mettent d’accord avec Dieu pour rattraper ce jour un peu plus tard. Dans sa cabine perchée sur une vieille hot-road siglée Red Bull toujours, DJ Bison Vinz enchaîne les classiques de rap US, un béret de la Marine sur la tête. Nas, Ice Cube, House of Pain, DMX, tout y passe. Histoire pour les joueurs d’esquisser quelques pas de danse pour mieux humilier l’adversaire. Un truc que maîtrisent bien certains participants quand d’autres préfèrent la jouer modeste et laisser à la foule le soin de faire craquer celui qui joue en face d’eux.
Est-ce qu’il avait chaud ? Oui.
C’est le cas d’Arnaud, grand blanc barbu qui, après une série de dribbles aussi rapide qu’ambitieuse, met deux fois de suite son adversaire sur les fesses. Provoquant ainsi le seul envahissement de terrain du tournoi. Autre star de la journée : Stefan Ristic, joueur serbe qualifié à Paris et soutenu par l’ambassadeur de Serbie en personne, venu avec sa dame, une grande brune incendiaire beaucoup trop lookée pour l’occasion. Malgré ce soutien de poids, Ristic se fera écraser en huitièmes et mettra près de quinze minutes à s’en remettre. Heureusement pour lui, au moment de son élimination, Monsieur l’ambassadeur est la seule personne de la journée autorisée à descendre du bateau pour griller une clope. Car le commandant de Guibert a imposé une seule consigne : ne pas fumer sur le pont. On ne sait jamais, des fois qu’un mégot tomberait sur une tête nucléaire…
« Comme une pute en défense… »
Plus que du un contre un flashy et aérien, ce King of The Rock se transforme surtout assez rapidement en un concours d’impacts physiques où les gros enfoncent les autres sur du jeu dos au panier. Et dans ce domaine-là, certains ont eu plus de chance que d’autres. Sûr de son fait, Yunss Akinocho, un beau bébé d’une centaine de kilos pour près d’un double mètre et vainqueur de l’étape nantaise, ne daigne même pas s’échauffer. Surnommé “Baby Shaq” par une partie du public, il impressionne d’abord, beaucoup, avant de lui aussi tomber face à Djaoid Bouchaour, champion lillois et révélation de cette finale, sorte d’armoire à glace montée sur des sneakers rose bonbon. “Il a compris le truc, analyse Iban Raïs, sosie de Nicolas Bedos au basket élégant tout en feintes de corps. Il est tanké, arrive à se créer l’espace suffisant pour pouvoir shooter et joue comme une pute en défense.” Multiplier les fautes pour faire vriller l’adversaire : une technique bien connue de toutes les catins du sport mais surveillée de près par Ibrahima, (très) jeune arbitre particulièrement respecté car habitué du Quai 54, le plus prestigieux tournoi de streetball français.
Les deux finalistes, l’un sur l’autre.
La méthode Djaoid tiendra jusqu’en demi-finale, pour finalement craquer face à Yannick Konso, futur vainqueur du tournoi et grand acteur de la “street-scène” tricolore. Un Yannick qui viendra à bout de Thomas Mobisa en finale, histoire de venger son frère, Henrico Konso, finaliste de l’édition 2011 tombé dans l’autre demie. Yannick comme Thomas iront donc représenter la France à Istanbul pour la grande finale mondiale le 29 août. Mais le réel point d’orgue de la journée fut sans aucune contestation possible le concours de dunks précédant la finale. Un pur moment de folie pour les participants, comme pour les marins qui ont pu voir de très (trop ?) près ces nouveaux modèles d’hélicoptères décoller sur leur pont d’envol. Voire leur passer sur le corps. Et parce que toutes les bonnes choses ont une fin, celle de ce Red Bull King of The Rock se trame dans un pub de Toulon. Le Bar à Thym, rebaptisé “Bar à timp” par certains. Les autres, moins affamés, se contenteront de suivre la finale de la Copa America sur les écrans au-dessus du comptoir. Normal. Après l’effort, chacun son réconfort.
Par Paul Bemer / Photos : Julien Nicolas pour Society
Ej Brown, 25 ans, est un artiste américain (performances artistiques, comédie, danse, stand-up, chant…). Récemment diplômé en production cinématographique à la Point Park University, à Pittsburgh, Pennsylvanie, il est à l’origine du projet The Perception of Complexion, dont une série de portraits d’hommes noirs posant façon mugshots en robe universitaire, leur nom, leur date de naissance et leur formation affichés sur une pancarte. Un ras-le-bol en images.
Par Noémie Pennacino / Photos : Ej Brown
Comment définiriez-vous The Perception of Complexion ?
The Perception of Complexion est une réponse artistique et directe au sectarisme dégradant, à la ségrégation et à l’injustice auxquels font face les minorités et les personnes de couleur aux États-Unis. Nous croyons en la création artistique, sous n’importe quelle forme, comme élément de protestation. Ça suscite une conversation constructive nécessaire et une meilleure compréhension. L’art est fait pour unifier les gens. The Mugshot Series exprime ma frustration personnelle et ma colère envers la brutalité policière et la façon dont les médias dressent un portrait plein de préjugés des hommes noirs.
Les jeunes hommes, les garçons, les Noirs, ceux qui sont touchés par le sujet, apprécient ces photos pour la plupart. Ils aiment l’idée, ils aiment l’objectif recherché. Certaines personnes n’ont pas aimé du tout. Elles n’ont pas aimé l’association entre les mugshots et les diplômes. Mais en même temps, c’est de l’art. Et l’art te permet d’aimer ou au contraire de détester. Je crois que ce qui est le plus important, pour moi, c’est que ça fasse parler. Que ça déclenche des débats sur un sujet qui nécessite d’être abordé.
Pourquoi avoir choisi de représenter des “mugshots” ?
J’ai choisi le mugshot parce que c’est souvent comme ça que sont représentés les hommes noirs dans les médias : comme des coupables. J’étais frustré par la façon dont les médias les traitent aux États-Unis.
Y a-t-il eu un casting pour trouver les modèles ?
Je n’ai pas organisé de casting externe, tous les individus représentés sur les photos font partie de mes amis, certains étaient à l’école avec moi. J’ai d’abord mis en place le projet, trouvé mon thème. Et une fois que tout était bien défini, je leur ai proposé de participer. Ils ont accepté tout de suite, parce qu’ils ont compris le projet, où je voulais aller, parce qu’ils ont fait des études comme moi,qu’on a la même vision des choses.
De votre point de vue, en tant qu’homme noir américain, quelle est la situation aux États-Unis aujourd’hui?
Ces trois dernières années, j’ai observé la façon dont les gros titres des journaux ont décrit les jeunes hommes noirs, comme Trayvon Martin, Michael Brown et Freddie Grey, en hors-la-loi, fauteurs de troubles ou mauvaise graine en général. J’ai vu les médias publier des photos d’hommes noirs en bande tenant un signe de paix qui, soudain, forment un gang, et alors attacher les mots “voyous” et “délinquants” à ces images. Pendant ce temps-là, un criminel comme James Holmes, qui a ouvert le feu dans une salle de cinéma du Colorado, était dépeint comme quelqu’un qui aimait les comédies, avait un doctorat en philosophie et était toujours calme.
La brutalité policière et l’inégalité envers les minorités dans notre système judiciaire ne sont pas nouvelles. Nous avons eu la chance d’aborder et d’arranger les choses, dans le cas de Trayvon Martin d’abord ; et tout cela aurait dû se terminer avec Michael Brown. Mais non. Il semble qu’après ces deux incidents, il y ait eu une sorte de chasse à l’homme et la communauté noire en a eu marre. Ce n’était qu’une question de temps avant que les émotions n’explosent, d’où les émeutes de Baltimore. Cependant, quand c’est arrivé dans les médias, surtout aux États-Unis, j’ai senti que les journalistes étaient plus intéressés par les récits, la propagande plutôt que par le fait de révéler la vérité. Et ils sont devenus, lentement mais sûrement, indignes de confiance, tout comme les policiers, censés servir et protéger la population.
Avez-vous personnellement déjà eu des problèmes, connu des situations compliquées avec la police ou les autorités ?
J’ai déjà été suivi jusqu’à chez moi par des policiers, mais je n’ai jamais été arrêté. Toutefois, tous mes amis, y compris ceux qui ont participé à la campagne, ont tous au moins une anecdote à raconter à ce niveau-là. Que ça concerne du délit de faciès, du harcèlement ou n’importe quelle autre forme de racisme. Si les circonstances sont différentes, ce sont quand même toujours les mêmes histoires.
Dans notre dernier numéro (Society #9), nous avons publié un reportage sur les universités noires aux États-Unis. Pensez-vous que ces établissements aident leurs étudiants à mieux trouver la place qu’ils méritent dans la société ?
Bien que je ne sois jamais allé dans une université noire, je peux dire qu’elles aident notre peuple à avoir un sens de l’unité, et avec l’unité, vous êtes armé pour aller de l’avant.
Marseille rejoue Taxi à sa façon. Quinze jours après l’arrivée d’Uber sur le port, aucun des véhicules de l’entreprise n’est visible et les taxis restent sur le pied de guerre. Dans la cité phocéenne, Uber aurait-il fait pop ?
Par Cécile Cau
Gare Saint-Charles. Les trois quarts du dépose-minute sont désormais réservés aux taxis. Ce jour-là, ils sont peu nombreux à l’arrivée du TGV. Au lendemain de l’arrivée d’Uber à Marseille, le 8 juin, ça devise tranquille. “Je sais pas si on tiendra face à Google”, observe avec une rare lucidité dans le milieu Jean Acius, dans le métier depuis 25 ans. Une vielle dame à grosse valise débarque,
Dégonfler les pneus, c’est pas ce qu’il y a de plus criminel, c’est juste un peu d’air
Rachid Boudjema, secrétaire général du syndicat STM
dégoulinante. On lui explique que la station vient de changer, il faut se rendre à l’étage. Après l’épreuve des escaliers, la cliente se dirige vers le chauffeur le plus proche. Celui en tête de file l’apostrophe : “Eh madame, vous pouvez pas venir jusqu’ici ?” Puis, il contemple, impassible, son prochain chargement au bord de l’apoplexie, tirant tant bien que mal sur ses roulettes, avant de se résoudre à hisser bagage et mamie liquéfiée dans son véhicule. La scène serait cocasse si les anecdotes sur les taxis marseillais n’étaient légende. “Je ne connais pas beaucoup de taxis dans le monde qui ont bonne réputation”, rectifie Jean. La veille, une vingtaine de ses collègues s’en sont pris à un chauffeur novice d’UberPop. Très sérieuses menaces verbales, photo du chauffeur, dégonflage des pneus… en quelques minutes, le cas était réglé. Marseille a donné le la sur les réseaux sociaux… “T’ as vu comment on t’a piégé ? Tu n’es pas le dernier. On va tous vous niquer”, entend-on dans la vidéo publiée par Danny taxi (376 000 vues) qui brandit un “j’ai aussi une arme, une pelle, un alibi, O.K. ?”. “Dégonfler les pneus, c’est pas ce qu’il y a de plus criminel, c’est juste un peu d’air, ironise Rachid Boudjema, secrétaire général du syndicat STM et actif porte-parole de la cause. “On n’approuve pas nos collègues mais on ne les désavoue pas !”
Taxis et élus
À Marseille, l’histoire des taxis borde celle de la violence et de la ville. Rapide retour en arrière : structurée par Antoine Andrieux, bras droit de Gaston Defferre habilement passé de chauffeur de taxi à sénateur, la corporation s’avère rapidement l’œil et l’oreille de “l’équipe à Gaston”. Les taxis du syndicat TUPP “travaillent le jour et la nuit”, raconte un élu de Robert Vigouroux, transportent de tout, mais surtout des électeurs impotents les jours de vote et des militants anti-PC qui menacent la mairie les jours de meeting. “En 95, quand j’étais transporteur, les TUPP chargeaient les colis dans différentes sociétés à notre place et on n’a jamais crevé leurs pneus”, se rappelle un camionneur aujourd’hui converti à UberPop. “Ils ont aidé Defferre pendant 30 ans, Vigouroux pendant 6 ans et Gaudin pendant près de 20 ans”, résume l’élu, jusqu’à ces dernières années où “le syndicat devient un peu empoisonné” pour la mairie. L’arrestation en 2011 de Lolo Gilardenghi, ex président des TUPP et chargé de mission de Gaudin aux voies publiques, transforme le syndicat TUPP en “affaire PPUT” et scelle la toute-puissance du lobby.
“Marseille ne sera certainement pas la ville qui fera tomber Uber”
Il n’empêche, en un temps record, 24 heures à peine après l’arrivée d’UberPop en ville, la Préfecture a pris la décision de mettre en place “des contrôles renforcés et ciblés”. Entendus par l’État, les taxis continuent donc à se faire justice en piégeant la concurrence pour la livrer aux autorités. “Alors on fait la loi soi-même ? s’indigne, sous le couvert de l’anonymat, un chauffeur UberPop qui s’est fait piéger. À la maison, j’ai des armes ; il faut que je tire sur chaque taxi ?” Mohamed, prof de maths qui trouvait “sympathique” l’annonce passée par Uber
À la maison, j’ai des armes ; il faut que je tire sur chaque taxi ?
Un chauffeur Uber
sur LeBonCoin, corrobore : “On est obligés de vérifier le client, on essaie de savoir qui il est ; s’il répond pas, on n’y va pas ! À Marseille, c’est chaud bouillant.” Le jour du recrutement au Mama Shelter, l’équipe de managers parisienne a rapidement plié bagages face à la violence des professionnels. La page Facebook “Soutien à tous les UBER de Marseille”, qui recense 3 880 signataires, continue à alimenter le débat entre anti-“charognards” et défenseurs de “californiens qui sont la Goldman Sachs, qui finance Israël”… Actuellement, aucune sardine ni aucun Uber ne bouche le port. L’appli signale zéro mouvement de véhicule. “On continue à avancer mais avec des mesures de précaution”, certifie Thomas Meister, à la communication de la société. Sur les 2 000 candidats annoncés, seules quelques dizaines rouleraient actuellement dans la ville. Mais la société californienne assure poursuivre son développement en préparant l’arrivée d’UberX. “Marseille ne sera certainement pas la ville qui fera tomber Uber. On est à Bogota, Medelin, il n’y a pas de raison qu’on ne soit pas à Marseille !”
Mentalité de ‘ploucasse’
La pression économique exercée sur les 1 560 taxis phocéens serait-elle plus forte ici qu’ailleurs ? Sans doute, répond Michel Peraldi, l’auteur de Sociologie de Marseille*. “Que vous ayez une mentalité de ‘ploucasse’ ou de gentleman, vous gueulez parce qu’on vous prend votre job.” À l’inverse, le besoin crucial de transport bon marché acceptant des déplacements de quelques kilomètres est aussi particulièrement attendu. L’uberisation de Marseille est d’autant plus tendue qu’elle touche à des besoins de modernisation structurels. Aujourd’hui, certains businessmen préfèrent descendre à la gare d’Aix et payer une course au prix fort plutôt que d’essayer de convaincre les Marseillais de les transporter sur deux kilomètres, de Saint-Charles à Euromed. “C’est un peu triste, non, de se dire que rien ne peut jamais changer, que chacun se retranche derrière ses prébendes ? se demande Thomas Meister. “Les Marseillais ont envie d’une ville normale.”
Comme à Boston, d’aucuns rêvent déjà d’instituer sur la Grande Bleue des UberBoats, faisant fi de la puissance de nuisance des syndicats du ferry boat.
*Sociologie de Marseille, de Michel Peraldi (éditions La Découverte). Sorti en avril 2015.
Par Cécile Cau
Paille, costumes à 2 500 euros et piquages de somme.
Par Léa Lestage, Nathan Marqué et Hadrien Mathoux
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Camping Paradis.
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Qui des Alliés a la plus grande ?
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Qui des Alliés est le vrai Colonel Moutarde ?
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Espaces verts et camel toe.
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Pom-pom boys.
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Pause photo.
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Toilettes publiques.
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kljrbfckjb
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Onze soldats. Et pas un qui pense à alimenter le feu.
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Un homme qui dort.
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Un homme qui dort.
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Un homme qui dort.
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Une femme qui dort.
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Un homme qui dort (si, on l'a vu).
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Kitchenette.
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Anachronie.
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Le Petit Chaperon rouge.
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Soirée blanche sur le camp français.
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S'ils avaient su, à l'époque, que la cigarette électronique allait mettre tout le monde d'accord.
À la reconstitution organisée à l'occasion du bicentenaire de la bataille de Waterloo, ce week-end, il n'y avait pas qu'un speaker trop stressé, mais aussi 6 000 doux dingues venus se prendre pour les héritiers de la Grande Armée ou des Alliés sur les lieux du combat.
Par Léa Lestage, Nathan Marqué et Hadrien Mathoux
Un officier attablé devant son cornet de frites, un caporal soda à la main, un autre, sauce bolo au coin de la bouche. Revivre l’époque de Napoléon oui, mais pas tout à fait quand même. “À l’époque, les femmes volaient de la nourriture pour nourrir les soldats. Aujourd’hui, on se fait livrer par le traiteur, puis on réchauffe la nourriture sur le camp”, lâche une jeune femme en tenue d’époque. Sur le camp français, tout est orchestré pour que les soldats ne manquent de rien. De la baïonnette aux zones free wi-fi en passant par les stands food, l’armée de Napoléon n’a d’antan que la tenue et l’équipement. “Nous allons chercher du bois le matin pour la journée, les femmes vont chercher de l’eau”, raconte un soldat. Les bonnes dames reviennent, packs d’eau en bouteille sous le bras. Ici, l’ancien côtoie le moderne. Une sorte de reconstitution orchestrée avec le souci du détail, où le soldat devient un combattant 2.0. Pour revenir sur les terres de Waterloo, les fidèles et ennemis de Napoléon se sont vu offrir le transport, et certains ont pu bénéficier d’un visa à l’occasion du rassemblement. Pour faire revivre ce moment historique et assurer la subsistance des soldats, les subventions de quatre communes et de la Wallonie ont été mobilisées. Ce n’étaient pas les seules.
“C’est la grande bataille qu’on attend tous”
“Dites à mes enfants que je suis mort en héros.” C’est le plus sérieusement du monde qu’un officier lance ces mots à la foule venue assister au départ des troupes rapprochées de l’Empereur. Une procession de cavaliers défile en rangs serrés, l’air tendu et déterminé, moustache digne de l’époque impériale sous le
Mark n’a pas été choisi pour Waterloo 2015. Il est très, très déçu
Paul et Stanley
nez. Napoléon arrive, plus vrai que nature : petit, trapu, coiffé de son bicorne, il salue la foule. Ses officiers l’entourent, et clament sous le ciel menaçant : “À la victoire ! Ce soir, on rejoue le match, et on le gagne !” On s’y croirait.
Plus qu’un loisir, c’est une passion pour ces hommes et ces femmes. “Cela fait 24 ans que j’ai débuté grâce à un ami et je n’ai jamais changé. Je suis toujours resté un simple soldat. Ici tout le monde m’appelle par mon surnom dans l’armée : Laflotte”, livre Charlie, un Belge à la soixantaine bien trempée, qui combat dans l’armée française depuis toujours. Ces passionnés sont de toutes les reconstitutions : Iéna, Austerlitz et, donc, Waterloo 2015. “C’est la grande bataille qu’on attend tous, il n’y en aura plus d’aussi grandes après ça”, confient, avec une pointe d’émotion, Paul et Stanley, deux Américains vivant en Europe. Membres d’une association d’amitié franco-américaine, c’est leur cinquième reconstitution sur le Vieux Continent. Napoléon, une passion qui n’a, semble-t-il, pas de frontière.
Une sorte de rêve américain
“Les armes sont chargées à blanc, bien sûr, tout comme les canons, mais ça reste dangereux ! Les chevaux peuvent être effrayés. Les plans de bataille sont préparés à grande échelle par les officiers”, informent Paul et Stanley. “À notre niveau, on suit les ordres de nos supérieurs hiérarchiques. Il y a une part d’improvisation, et de jeu d’acteur, bien sûr. En réalité, on suit la cadence naturelle de la bataille, et quand arrive le moment où on sent qu’on doit se faire tuer, on meurt.” La mécanique, bien huilée, ne fonctionne en réalité que grâce à la bonne volonté de ces passionnés totalement investis pour faire revivre les batailles d’antan. Les Français sont rares, même dans la Grande Armée, ce qui amuse beaucoup les Américains. “Bon, il y en a quand même un peu, rigolent-ils. Dans notre régiment il y a 20 Américains et même des Anglais qui combattent pour Napoléon !” Les Russes, en uniforme de grognard, sont aussi venus en nombre. Mais la France, elle, se fait discrète. Elle boude la commémoration de l’une de ses plus grandes défaites militaires. Au point que même Bonaparte a failli être américain. “Nous connaissons le gars qui fait Napoléon dans toutes les reconstitutions, il s’appelle Mark Schneider. Il vit en Virginie, et parle français”, raconte Paul. “Le processus de désignation est un sujet sensible et, apparemment, l’organisation voulait vraiment que ce soit un Français qui fasse l’empereur. Mark n’a pas été choisi pour Waterloo 2015. Il est très, très déçu”, insistent les deux soldats.
De la poudre incrustée dans la joue
Loin de ces considérations d’élite, Franck et Anna trépignent dans le campement. Ce couple a déjà vécu les combats de l’Empire romain et de la Seconde Guerre mondiale mais les campagnes napoléoniennes ont pour lui une saveur différente. “On était déjà là en 2010 mais là, pour le bicentenaire, ça va être énorme”, souffle
Les 120 000 spectateurs quotidiens venus des quatre coins du monde ont pu repartir avec un souvenir
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Franck. Sa femme est presque possédée lorsqu’elle évoque l’âpreté supposée de ces combats d’opérette : “Bien sûr, on fait très attention avec nos baïonnettes. On porte des protections, car on peut se prendre des coups ! Certains peuvent se casser un os, et doivent alors être traînés hors du champ de bataille, comme il y a deux siècles !” Anna a des étoiles plein les yeux. “J’ai déjà eu une grosse écorchure sur tout le visage à cause d’un sabre. J’ai même de la poudre incrustée dans la joue, car les mousquets en projettent sur le côté au moment des tirs.” Bref, du bonheur. La passion originale de ces fous d’histoire est transmise au sein d’associations de mordus ou par la famille. Christophe, jeune Français de 22 ans, fait des reconstitutions depuis cinq ans. “C’est quelque chose qui te prend quand tu es tout jeune, confie-t-il. J’ai commencé en aidant ma famille, des amis, mes parents… Je n’ai jamais quitté ce monde.” Il est sous-officier dans le huitième régiment, et la Grande Armée reste pour lui une vraie famille. “Une journée au camp, avant le combat, c’est d’abord chercher du bois, faire à manger… Il y a une super ambiance !”
Un business lucratif, mais indispensable
“Pour accéder aux bivouacs, munissez-vous de bracelets à l’entrée”, informe l’organisation. Dommage, à 14h, il n’y en a déjà plus. Les visiteurs qui pensaient que les camps seraient accessibles gratuitement sont partis la fleur au fusil. Les bivouacs des Alliés, des Français et celui de Napoléon seront accessibles seulement pour les chanceux. Les “faux” soldats ne sont pas en manque d’idées pour s’immiscer dans les camps des “vrais”. Seul un bracelet permet de déceler les uns des autres, et chacun y va de sa ruse pour s’en procurer un. La solution de repli, pour goûter à la bataille sans le Graal : la montée de la butte au Lion, érigée en l’honneur de la victoire. Là encore, il faudra débourser 7 euros pour espérer faire sa plus belle photo. Aujourd’hui, la véritable commémoration est passée, laissant place à la fête et à un véritable business made in Waterloo. Les 120 000 spectateurs quotidiens venus des quatre coins du monde ont pu repartir avec un souvenir. Dans le village créé pour écouler les produits dérivés, les magasins de déguisements ou de livres d’histoire côtoient les stands qui proposent… scooters ou fromage. Les soldats déguisés déambulent dans les allées à la recherche du trophée à ramener. Une scène improbable qui rappelle l’anachronisme général qui règne sur les lieux. Un business lucratif, mais indispensable, lorsqu’on sait que 8 à 10 millions d’euros ont été investis pour redonner vie à cette bataille historique.
Il est 20h. Les coups de canons tant attendus fusent, et la fumée recouvre enfin le champ de bataille. L’attaque française est donnée. Le match se rejoue une énième fois, et au grand désarroi des officiers de Napoléon, l’armée française écopera d’une énième défaite.
La Pologne ne fait pas partie des pays les plus réputés gastronomiquement parlant. Elle s'est donc lancé un défi : changer le regard des gens sur sa cuisine, à grands coups de chefs passionnés.
Par Romane Ganneval
Vingt-cinq ans après la chute du communisme, Varsovie, qui a retrouvé depuis peu une image de ville moderne, souhaite redorer son blason gastronomique et atteindre le niveau de ses voisins européens dans ce domaine. Chou, patates, boulettes, gruau, vodka, voilà ce à quoi on réduit souvent la nourriture du pays de Jean-Paul II. Et pourtant.
Il faut le savoir, depuis les années 90, une nouvelle génération de chefs formés dans les meilleures écoles françaises puis revenus au pays tente de faire bouger les mœurs culinaires. Toutefois, il est très difficile d’introduire une nouvelle cuisine en Pologne. “Les Polonais sont très attachés à leurs origines et leur terroir. Nous travaillons des produits locaux. Ce qui est très plaisant là-bas, c’est que nous travaillons directement avec les producteurs. Même les supermarchés s’approvisionnent de cette façon. Nous n’avons pas ou presque pas d’intermédiaires”, explique Pawel Oszczyk. Champignons, céréales, betteraves, lentilles, fruits rouges, poissons d’eau douce… sont devenus des incontournables.
Bien mais pas top
À l’ambassade de Pologne, au cœur de Paris, près du ministère des Affaires étrangères, on a pour but de changer l’image de cette cuisine pas toujours appréciée à sa juste valeur. En début de semaine, l’étoile montante de “la nouvelle cuisine polonaise” Pawel Oszczyk s’est mis derrière les fourneaux.
Ce qui est très plaisant là-bas, c’est que nous travaillons directement avec les producteurs
Pawel Oszczyk
L’occasion pour ses hôtes de découvrir un joyau architectural presque inconnu construit en 1774 – pour Marie-Catherine Brignole, ex-épouse du prince Honoré III de Monaco –, un lieu hors du temps ouvert au public seulement lors des journées du Patrimoine et à l’occasion de quelques concerts privés pour les invités de madame l’ambassadrice. Mais surtout de voyager à travers leur assiette.
Lundi midi. Les convives sont assis en silence, les assiettes s’approchent. Impossible de faire marche arrière. Nous voilà au cœur de l’expérience gustative. Chacun médite son plat, l’observe sous toutes les coutures, le prend en photo. L’envie de le goûter est bien là mais, bienséance oblige, il faut attendre les commentaires du chef avant de se lancer. Selle de chevreuil marinée à la vodka de printemps de Polmos Siedlce, cônes de pins et jus d’herbe de bison. Cette plante consommée par les bisons dans l’Est de la Pologne, récoltée par quelques heureux, parfume de nombreux sauces et boissons, dont la légendaire Zubrowka.
Vient le temps de la dégustation. Le moment du verdict. Le gibier se découpe très facilement. Tendre à cœur. L’alcool de pomme de terre semble s’être totalement évaporé. Le jus, un peu plus délicat qu’un vulgaire jus d’herbe se fond parfaitement à l’ensemble. Les saveurs sont censées nous transporter… mais les sensations ne sont pas celles que l’on attendait. Malgré des ingrédients exotiques et la perfection du geste du chef, la recette semble tout droit sortie d’un livre de recettes français un peu poussiéreux. Pour le bon, on y est, pour le moderne on reviendra.
Par Romane Ganneval
Aujourd’hui a lieu la journée mondiale de la Drépanocytose, une maladie héréditaire du sang, qui figure depuis 2009 parmi les priorités de l’OMS pour la zone Afrique, mais aussi en matière de santé publique mondiale (après le cancer, le sida et le paludisme). L’occasion de se rendre compte de son importance mais aussi de prendre conscience que l’on ne connaît pas tous les mots qui font référence à notre quotidien. La preuve : faites le test.
Par Noémie Pennacino et Michaël Simsolo
Quelle est la bonne définition ?
Aboulie, n. f. :
a/ Difficulté pathologique à agir, à prendre une décision.
b/ Éboulement de petits cailloux type gravier.
c/ Grosse vache.
Borborygme, n. m. :
a/ Bruit causé par le déplacement des gaz et des liquides dans le tube digestif, gargouillement.
b/ Insulte.
c/ Cousin éloigné d’Algo.
Champi, isse, n. et adj. :
a/ Mauvais champagne (argot).
b/ Alimentation de rave party.
c/ Enfant que l’on a trouvé abandonné dans les champs.
Ferret, n. m. :
a/ Sorte de cap.
b/ Petit embout fixé aux extrémités d’un lacet.
c/ Mouvement de canne à pêche destiné à ramener le poisson sur la berge.
Iléon, n. m. :
a/ Troisième partie de l’intestin grêle, entre le jéjunum et le gros intestin.
b/ Au théâtre, personnage qui n’apparaît qu’au dernier acte.
c/ Quand une personne ivre demande où est une autre personne.
Lumignon, n. m. :
a/ Pokemon avant évolution.
b/ Bout de la mèche d’une bougie allumée.
c/ Lampe de poche miniature.
Nomophobe, adj. et n. :
a/ Se dit de quelqu’un qui ne ressent pas la peur.
b/ Se dit de quelqu’un qui n’aime pas trop les nomosexuels.
c/ Se dit de quelqu’un qui ne peut se passer de son téléphone portable et éprouve une peur excessive à l’idée d’en être séparé.
Quaterne, n. m. :
a/ Au loto, série de quatre numéros placés sur la même rangée horizontale d’un carton.
b/ En musique, mesure à quatre temps (contient en principe un temps fort suivi de trois temps faibles).
c/ Qua qui manque d’éclat.
Rhizopus, n. m. :
a/ Petit du rhinocéros et de l’octopus.
b/ Infection aiguë de la peau qui se manifeste brutalement, sous la forme d’une plaque rouge, enflée et douloureuse, accompagnée de fièvre.
c/ Champignon microscopique responsable de la pourriture des fraises et de la moisissure blanche du pain humide.
Syntone, adj. :
a/ Se dit d’une personne qui entend la voix à forte intensité mais ne comprend pas la parole.
b/ Se dit d’une lotion permettant de faire du bien là où ça fait mal.
c/ Se dit d’une personne qui est en harmonie avec le milieu dans lequel elle se trouve.
Valétudinaire, adj. et n. :
a/ Qui a une santé chancelante ; maladif.
b/ Qui agit comme un employé de maison, comme un valet.
c/ Qui ne tombe amoureux que des étudiant(e)s et uniquement le jour de la Saint-Valentin.
Zéine, n. f. :
a/ Zozotement de quelqu’un qui en est.
b/ Protéine extraite du maïs.
c/ Principal alcaloïde de la feuille de zé.
Réponses :
Aboulie, n. f. : Difficulté pathologique à agir, à prendre une décision.
Borborygme, n. m. : Bruit causé par le déplacement des gaz et des liquides dans le tube digestif ; gargouillement.
Champi, isse, n. et adj. : Enfant que l’on a trouvé abandonné dans les champs.
Ferret, n. m. : Petit embout fixé aux extrémités d’un lacet.
Iléon, n. m. : Troisième partie de l’intestin grêle, entre le jéjunum et le gros intestin.
Lumignon, n. m. : Bout de la mèche d’une bougie allumée.
Nomophobe, adj. et n. : Se dit de quelqu’un qui ne peut se passer de son téléphone portable et éprouve une peur excessive à l’idée d’en être séparé.
Quaterne, n. m. : Au loto, série de quatre numéros placés sur la même rangée horizontale d’un carton.
Rhizopus, n. m. : Champignon microscopique responsable de la pourriture des fraises et de la moisissure blanche du pain humide.
Syntone, adj. : Se dit d’une personne qui est en harmonie avec le milieu dans lequel elle se trouve.
Valétudinaire, adj. et n. : Qui a une santé chancelante ; maladif.
Zéine, n. f. : Protéine extraite du maïs.
Par Noémie Pennacino et Michaël Simsolo
Alysia Abbott, critique littéraire et journaliste américaine, est l’auteure de Fairyland. Une autobiographie où elle retrace son enfance aux côtés de son père, veuf et homosexuel, dans le San Francisco des années 70, bientôt adaptée au cinéma par Sofia Coppola. À Paris pour la promotion de son livre, élégante et tout sourire, elle n’a plus rien de la petite fille à la vie de bohème. Enfin, presque plus rien. Rencontre.
Par Léa Lestage et Arthur Cerf
Tout au long du livre vous décrivez une époque dont vous êtes nostalgique mais qui est aussi très sombre. Pourquoi avoir choisi Fairyland comme titre ?
Lorsque je prenais des cours à Harvard, j’étudiais la littérature pour enfants et ses auteurs. Je me suis rendu compte qu’il était assez fréquent que ces histoires commencent avec l’absence de figure maternelle. Comme la mienne. Dans la littérature pour enfants, Peter Pan ou Alice aux pays des merveilles, il y avait aussi ces lieux où l’on ne pouvait pas grandir, où tout était sombre, étrange, mystérieux et en même temps merveilleux. Je me revois dans cette description. Fairyland, c’était pour moi la vie que mon père m’a donnée : enchantée, atypique, dangereuse et fantastique. San Francisco était une ville où les hommes et les femmes pouvaient échapper à la pression sociale. Ils pouvaient se construire, se reconstruire. Après la mort de ma mère, mon père s’y est installé pour se réinventer. C’était notre Neverland, notre Fairyland. Un des rares endroits où deux personnes de même sexe pouvaient être attirées en toute liberté ou se tenir la main. Aujourd’hui, la ville a évolué. Le sida, le développement des technologies, tout a changé. Le monde a changé.
Le livre s’articule autour de votre récit et d’extraits de carnets de votre père. Comment a été faite la sélection ?
J’ai choisi les passages que je voulais publier avant, mais aussi pendant l’écriture. Je lisais tous ses journaux, je prenais des notes. Avant de commencer, je savais qu’il y aurait trois parties : l’enfance, l’adolescence et le retour à San Francisco auprès de mon père malade. Quand je faisais mes recherches j’essayais de décrire certains moments de ma vie passée. Lire les journaux de mon père faisait ressurgir des souvenirs. J’ai réalisé que nous avions souvent des points de vue différents sur un même sujet.
Il y a des passages où vous racontez en détails des souvenirs de votre petite enfance. Comment avez-vous redonné vie à des souvenirs qui remontent à vos plus jeunes années ?
Je me suis replongée dans l’atmosphère du San Francisco des années 70, notamment avec les journaux de mon père, ses portraits, mes recherches. Jai
San Francisco était une ville où les hommes et les femmes pouvaient échapper à la pression sociale.
Alysia Abbott
intériorisé mes souvenirs. Je suis quelqu’un de très nostalgique et la plongée dans le passé était la meilleure expérience dans l’écriture de ce livre. Quand je suis retournée à San Francisco, en 2011, après six ans d’absence, j’ai sorti mon iPhone et j’ai fait un enregistrement de toutes mes impressions immédiates. J’ai essayé de ressentir les souvenirs de mon enfance.
Il y a un passage où votre père vous demande de l’appeler par son prénom, Steve, mais vous ne voulez pas. Sentiez-vous que pour lui la fonction de “père” représentait une menace dans son identité gay ?
À l’époque, quasiment personne n’était homosexuel, célibataire et avec un enfant. Mon père voulait sortir le soir, être poète, mais il m’avait moi. Petite, il m’amenait partout, je faisais partie de sa vie créative. Une fois adolescente, ce n’était plus pareil. C’était difficile pour lui car il était à la fois un père, mais aussi un homme célibataire qui voulait trouver l’amour. Nous voulions être le père et la fille, mais aussi Alysia et Steve.
Vous teniez des propos parfois très durs à l’encontre de votre père. Était-ce aussi féerique que vous le laissez croire ?
Le tableau de l’époque est contrasté. J’ai fréquenté différents milieux : celui de l’école où je voulais me cacher, celui de mon père où j’étais bien. Je ne savais plus ce que je devais cacher ou non, dire ou ne pas dire. C’était très dur pour moi, je ne savais plus comment je devais me comporter une fois adolescente. J’adorais mon père, j’avais confiance en lui, mais j’avais envie d’avoir de l’argent, une mère ou quelqu’un qui m’aiderait avec les questions de féminité. On partageait un deux-pièces, il prenait des drogues et moi j’avais envie de soutien, de me sentir normale. Je me sentais très différente de tout le monde. J’avais envie d’être avec mon père mais sans ses soucis. Le Fairyland de l’époque ? Je m’y sentais très protégée mais aussi très vulnérable.
Vous le traitez de “pédé”quand il se prépare pour la Gay Pride en 1984. Pourquoi montrer ce côté imparfait de vos relations ?
Il fallait nuancer. En écrivant, il fallait que je sois honnête avec moi même. Je voulais montrer les complications entre l’enfant et le parent, parce que c’est humain, c’est l’expérience adolescente universelle. J’avais également envie de dire que c’était un papa comme les autres. Il y avait aussi un souci d’image aux États-Unis autour du mariage pour tous. On montre tout ce qui est bien et beau. On ne montre pas les défauts. Je voulais pointer du doigt une certaine réalité.
Vous pensiez ce livre depuis très longtemps. Quel a été l’élément déclencheur qui vous a poussé à écrire ?
Je voulais l’écrire depuis 20 ans. Quelques années après la mort de mon père, j’ai essayé de recréer le puzzle de mon histoire. À l’époque, je savais que je voulais écrire notre récit, inclure ses lettres, poèmes et œuvres, pour qu’il ait sa propre voix dans le livre, mais je ne savais pas ce que je voulais dire. J’ai mis l’idée de côté. J’avais peur d’échouer. Entre-temps je me suis mariée, j’ai eu des enfants, et j’écrivais des essais. Ce n’est vraiment qu’en 2009, lorsque mon mari est entré à Harvard, que je me suis lancée. J’ai emmené avec moi les carnets de mon père, et la matière pour écrire le livre. Je me suis replongée dans les mouvements radicaux des années 60. En 2010, le mariage pour tous est passé dans beaucoup d’États américains. Un sujet prisé par les journaux et la télé, sauf que personne ne racontait vraiment l’histoire des homosexuels. Mon histoire n’est pas seulement la mienne. C’est celle de beaucoup de jeunes qui ont vécu avec un ou deux parents homosexuels, l’histoire également du sida. Ce livre est un témoignage important d’une époque révolue, et c’est ce qui m’a poussé à l’écrire.
Clore un chapitre de votre vie, c’est un soulagement ?
Finir le livre, c’était fermer la porte au Fairyland. C’était difficile. Je voulais évoluer, arrêter d’être la “fille de”, il fallait que je me déleste de l’histoire. Clore une moitié de ma vie m’a rendu triste, mais je savais qu’il restait l’amour inconditionnel de mon père même après sa mort. Suite à la publication du livre, j’ai reçu beaucoup de mails et lettres de personnes qui avaient l’impression de connaître mon père à travers le livre. C’était gratifiant quand on sait que la lutte pour un écrivain est de rendre un personnage réel avec comme seules armes un papier et un stylo.
Avez-vous gardé contact avec des amis de votre père ?
Oui. Après que le livre est sorti, plusieurs personnes m’ont contactée. Il y a le cas
En 2010, le mariage pour tous est passé dans beaucoup d’États américains. Un sujet prisé par les journaux et la télé, sauf que personne ne racontait vraiment l’histoire des homosexuels
Alysia Abbott
d’un homme, qui est sorti avec mon père dans les années 70. Un jour, il m’a écouté à la radio. Au milieu de l’entretien, il s’est dit qu’il connaissait cette histoire. Il m’a envoyé un e-mail, et ce fut quelque chose d’incroyable pour lui. Aujourd’hui, il est marié avec deux enfants, et mon livre lui a permis de faire son coming out auprès d’eux, qui ne connaissaient rien de son passé bisexuel. Il s’est rendu compte de l’importance de son passé. Un autre homme, qui connaissait bien mes parents à l’époque où ils vivaient à Atlanta m’a envoyé un disque d’une vingtaine de photos que je n’avais jamais vues auparavant. Je n’aurais jamais pu retrouver ces clichés sans la publication de ce livre.
Que représente pour vous la sortie, en France, de Fairyland ?
Pour moi, c’est un fait qui dépasse toutes mes attentes. C’est incroyable, car je pense à mon père. Il voulait toujours que je parle le français, que j’aille m’installer en France, lui-même voulait rentrer dans la culture française mais n’a jamais pu. Cette sortie en France serait importante pour lui. Venir promouvoir mon livre en français 20 ans après y avoir habité est formidable. C’est grâce à lui, et au soutien de mes grands-parents.
Comment s’est faite votre rencontre avec Sofia Coppola pour l’adaptation du film au cinéma ?
C’était un rêve que Sofia Coppola me contacte. J’adore ses films, on a le même âge, elle vient du nord de la Californie, comme moi. Elle m’a écrit une lettre, elle m’expliquait qu’elle était allée dans la même école, à San Francisco, à un an près. Elle se sentait proche de mon histoire. Je tenais à une rencontre avant de me lancer dans cette aventure. C’était un lundi après-midi, tous les avions étaient bloqués par les tempêtes de neige. J’étais en Virginie à ce moment là et je devais me rendre à New York, j’ai dû prendre un vol le jour même et non la veille. Je savais que Sofia Coppola travaillait dans la mode, avec Marc Jacobs, et je me demandais ce que j’allais porter. Résultat : c’étaient les mêmes affaires que la veille. Quand je l’ai rencontrée, elle me traitait comme une personne célèbre en parlant de mon livre, les rôles étaient inversés.
Quel rôle jouez-vous dans la production du film ?
Je serai consultante créative. J’ai lu le scénario, apposé des notes, fait des recherches, quelques changements. Nous avons un très bon rapport. Dès qu’il y avait des différences entre le scénario et le livre, l’équipe passait par moi pour savoir si j’étais d’accord. Parfois, le scénariste s’en fiche, mais dans mon cas, ça la concernait personnellement que je sois satisfaite. Andrew Durham, avec qui elle travaille sur le scénario, est un grand ami a elle. Il est gay et le sida lui a pris son père. Avec Sofia, on n’a pas vraiment parlé de ses rapports avec son père, mais je pense qu’elle est très à l’aise avec le genre féminin, l’adolescence. J’ai confiance en sa vision.
Plus jeune, vous vous sentiez différente. Est-ce toujours le cas aujourd’hui ?
Aujourd’hui, je me sens plus à l’aise avec moi-même. Parfois, je me sens seule, isolée, mais c’est normal face à ce que j’ai vécu. Je m’accepte comme je suis, et je sais que j’ai eu de la chance : un père plein d’amour, la publication de mon livre, etc. Mon passé est beaucoup moins douloureux pour moi. J’ai juste vécu ma jeunesse différemment des autres. J’ai monté une association qui permet aux personnes de témoigner de l’expérience de la perte d’un proche à cause du sida, mon histoire m’a rendue sensible à la condition des autres. Je n’ai plus aucune honte.
Fairyland, un poète homosexuel et sa fille à San Francisco dans les années 1970, aux éditions Globe